Né vers 350 à Antioche, saint Jean Chrysostome (« Jean Bouche d’Or », surnom qui lui sera donné au Ve siècle) a pour maître Libanios, rhéteur célèbre, païen convaincu. Après ses études à Antioche suivies de quatre années de vie cénobitique au désert et de deux années de vie solitaire dans une caverne (ses austérités d’alors ruineront sa santé pour le restant de ses jours), il est ordonné prêtre. Il est évêque de Constantinople de 398 à sa mort, et prédicateur assidu dans la grande église dédiée au Christ-Sagesse (Sainte-Sophie). Mais sa liberté de langage l’oppose bientôt à l’empereur et à l’impératrice (il compare Eudoxie à Hérodiade « réclamant encore une fois la tête de Jean »), ce qui le conduira à être deux fois exilé (le second exil se terminera par sa mort : il s’éteint, épuisé, au terme d’un long voyage). La plus grande partie de son œuvre est constituée par ses homélies, notamment des Catéchèses baptismales et des Homélies sur l’incompréhensibilité de Dieu. On raconte que lorsqu’il avait fini son sermon, l’assistance le suppliait de continuer ! … Sa prédication est plus celle d’un moraliste que celle d’un théologien, mais il est cependant considéré comme le « docteur de l’Eucharistie », notamment à cause de sa doctrine de l’incorporation du Christ.
Lignerolles, Ph. de, Meynard, J.-P., Histoire de la spiritualité chrétienne – 700 auteurs spirituels, p.27, les Éditions de l’Atelier, 1996, Paris.
Non, rien n’est plus froid qu’un chrétien qui ne sauve pas ses frères. 1
Les affaires de l’Église sont en souffrance, quoique vous pensiez que tout soit en paix. Et c’est un grand malheur de ne pas savoir que nous sommes dans le malheur, lorsque nous sommes plongés dans des maux sans nombre.
Que dites-vous ? Nous avons des églises, des biens, et le reste, les collectes se font, chaque jour le peuple assiste à l’office divin, et nous méprisons. La prospérité de l’Église ne se reconnaît pas à ces signes. Mais à quel signe, direz-vous, la reconnaîtra-t-on ? Ce sera si nous avons de la piété, si nous rentrons dans nos demeures chaque jour avec un gain spirituel nouveau, si nous avons fait quelque fruit grand ou petit ; si nous n’accomplissons pas la loi d’une façon quelconque et connue pour l’acquit de notre conscience. Qui est sorti meilleur des assemblées de tout un mois ? C’est là la question : car souvent ce qui nous semble bien se trouve être mal, parce que nous n’en retirons aucun profit pour notre avancement spirituel. Et encore plût à Dieu que nous fussions toujours au même point ; mais hélas ! vous rétrogradez. Quel fruit avez-vous retiré des assemblées ? Si vous en avez retiré quelque fruit, vous devriez tous mener depuis longtemps une vie sage, car tant de prophètes vous parlent deux fois la semaine, tant d’apôtres, tant d’évangélistes vous entretiennent, qui tous vous exposent les dogmes du salut, et les préceptes qui peuvent amener à mieux régler vos mœurs. Le soldat qui va à l’exercice devient plus habile dans la tactique ; l’athlète qui fréquente la Palestre est plus exercé à combattre ; le médecin qui suit les cours d’un maître devient plus judicieux, il sait et apprend de plus en plus : Vous, qu’avez-vous gagné ? Je ne parle pas à ceux qui ont fréquenté les assemblées pendant un an, mais bien à ceux qui y viennent depuis leur première jeunesse. Croyez-vous que ce soit toute la piété de venir exactement à l’assemblée ? Ce n’est rien, si l’on n’en retire pas de fruit ; si nous ne recueillons rien, il vaut mieux rester à la maison.2
Si vous désirez de voir des miracles, tâchez de vaincre en vous le péché, et vous verrez ce que Vous désirez. Car le péché, mes frères, est un démon, et un démon redoutable, Si vous le chassez de vous, vous faites un plus grand miracle que ne font les exorcistes lorsqu’ils chassent les démons des possédés. Écoutez ce que dit saint Paul, et voyez combien il préfère la vertu à tous les miracles. « Désirez » dit-il, « entre les dons ceux qui sont les plus excellents, et je vous montrerai une voie qui « est encore beaucoup plus élevée au-dessus de tous ces dons. » (I Cor. XII, 31.) Expliquant ensuite quelle est cette « voie, » il ne parle ni de la résurrection des morts, ni de la guérison des lépreux, ni des autres miracles semblables, mais seulement de la charité.3
Une fille prudente et généreuse, s’appliquant à la piété, vaut plus que tout l’univers.4
Voici ce que je vous conseille, ce que je ne cesserai pas de vous conseiller, à savoir, que vous ne vous borniez pas à écouter ce qu’on vous dit ici, mais que, rentrés à la maison, vous vaquiez assidûment à la lecture des divines Ecritures. Je n’ai jamais manqué d’inculquer cette habitude à tous ceux qui ont eu avec moi des rapports particuliers. Et qu’on ne m’apporte pas d’insipides et blâmables excuses : « Je suis cloué au tribunal, je manie les affaires publiques, j’ai une femme, j’élève des enfants, j’ai le souci d’un train de maison, je suis homme du monde: lire les saintes Ecritures ! ce n’est pas mon affaire; cela regarde les personnes qui ont dit adieu au monde, qui se sont retirées au sommet des montagnes pour y mener une vie de perpétuelle tranquillité ! … » Que dites-vous là, mon cher? Ce n’est pas votre affaire, parce que vous êtes tiraillé par mille sollicitudes ! Mais c’est votre affaire bien plus que celle des solitaires : ceux-ci n’ont pas besoin du secours des saintes Ecritures comme vous, qui êtes enveloppé par le tourbillon des soucis temporels. Les moines, débarrassés du forum et de ses agitations, les moines, qui ont fixé leur tente au désert et renoncé au commerce des autres hommes, les moines, qui consacrent à la méditation leur vie libre, sereine et tranquille, les moines, parvenus en quelque sorte au port de la vie, sont en possession d’un état pleinement assuré; mais nous, ballottés par les flots de la pleine mer, entravés bon gré mal gré par d’innombrables péchés , nous avons besoin de chercher dans les Ecritures un secours incessant. 5
Celui qui donne l’hospitalité doit avoir toutes ces choses : empressement, gaieté, libéralité. L’étranger est craintif, il rougit, et si on ne lui montre pas une joie plus qu’ordinaire, il se retire comme si on le méprisait; et recevoir ainsi est pire que ne pas recevoir. C’est pour cela que le patriarche s’incline devant ses hôtes et qu’il les reçoit en leur parlant, qu’il leur offre un siège. Quel étranger serait dans l’embarras étant ainsi accueilli? Quoique nous ne soyons pas sur la terre étrangère, si nous le voulons, nous pourrons imiter le patriarche. Combien de nos frères sont étrangers ? L’Église, que nous appelons une hôtellerie est une demeure commune; cherchez, vous aussi, asseyez-vous devant votre porte, recevez les étrangers. Si vous ne voulez pas les recevoir dans votre maison, fournissez-leur autrement le nécessaire. Mais quoi direz-vous, est-ce que l’Église ne l’a pas, ce nécessaire? Elle l’a sans doute, mais qu’est-ce que cela vous fait? De ce que, les étrangers seront nourris des biens communs de l’Église, cela pourra-t-il vous servir? Est-ce que si un autre prie, vous ne devez pas prier? […] Mais moi, direz-vous, je donne à celui qui ne peut pas être reçu là. Donnez cependant à celui-ci. Ce que nous désirons surtout, c’est qu’on donne à tous. Écoutez ce que dit Paul : « Qu’il suffise aux besoins de celles qui sont vraiment veuves, et que l’Église ne soit pas surchargée ». (I Tim. V, 16.) Faites comme vous voulez, seulement faites quelque chose. Moi je ne dis pas : pour que l’Église ne soit pas surchargée; mais: pour que vous ne soyez pas surchargé. Par ce raisonnement vous ne ferez jamais rien, vous renverrez tout à l’Église. L’Église a assigné une demeure commune pour vous ôter ce prétexte.
Mais l’Église, direz-vous, l’Église a des revenus, des biens, des sommes à dépenser. Dites-moi, n’a-t-elle pas aussi des dépenses à faire ? Na-t-elle pas des frais journaliers? Certainement. Pourquoi donc n’aidez-vous pas sa pauvreté? J’ai honte de dire ces choses, cependant je ne force personne. Si l’on pense que c’est un vil intérêt qui nous fait parler, faites vous-même une hôtellerie de votre maison; établissez-y un lit, établissez-y une table, mettez-y de la lumière. N’est-il pas absurde que, si des soldats arrivent, vous ayez pour eux des demeures toutes prêtes, que vous y mettiez un grand soin; que vous leur fournissiez tout ce qu’il leur faut, parce qu’ils vous protègent durant la guerre qui vous fait sentir ce besoin; et que d’un autre côté vous n’ayez pas d’endroit où puissent demeurer les étrangers ? Faites mieux que l’Église : voulez-vous nous faire rougir? Agissez ainsi; surpassez-nous en libéralité ; ayez une demeure où le Christ vienne habiter; Dites : C’est ici la cellule du Christ; cette maison lui est destinée. Quoique ce soit une vile demeure, elle ne sera pas dédaignée. Le Christ, nu et étranger, voyage, il a besoin d’un toit. Fournissez-lui au moins cela; ne soyez point inhumain et cruel; si ardent pour les choses de la vie; et si froid pour les choses spirituelles.6
Quand je dis à quelqu’un, priez Dieu, conjurez-le, suppliez-le; on me répond: je l’ai prié une fois, deux fois, trois fois, dix fois, vingt fois, et je n’ai jamais rien reçu. Ne cessez pas, mon frère, jusqu’à ce que vous ayez reçu; la fin de la prière, c’est le don reçu. Cessez, quand vous avez reçu, ou plutôt ne cessez pas, même alors persévérez encore. Si vous n’avez pas reçu, demandez pour recevoir; si vous avez reçu, rendez grâces pour ce que vous avez reçu. Une foule de personnes entrent dans l’Eglise, y récitent par milliers les vers en guise de prière et s’en vont, ne se doutant pas de ce qu’elles ont dit: ce sont les lèvres qui remuent, mais le cœur n’entend pas. Comment ! tu n’entends pas toi-même ta prière, et tu veux que Dieu l’entende? J’ai fléchi, dis-tu, les genoux ; mais ta pensée s’était envolée dehors: ton corps était dans l’église, mais ton esprit, par la ville; ta bouche récitait la prière, mais ta pensée supputait des intérêts d’argent, s’occupait de contrats, d’échanges, de terrains, de domaines à acquérir , de réunions avec des amis. Le démon est malin, il sait que la prière est ce qui avance le plus nos progrès, c’est alors qu’il fond sur vous. Souvent nous sommes étendus sur le dos dans notre lit, sans penser à mal; mais si nous venons pour prier, c’est alors qu’il nous envoie mille et une pensées, pour nous chasser de l’Eglise, les mains vides. […] Quoique vous soyez hors de l’Eglise, dites, criez: Ayez pitié de moi! ne vous contentez pas de remuer les lèvres, criez par la pensée; ceux mêmes qui se taisent sont entendus de Dieu. Ce qui importe, ce n’est pas le lieu mais un commencement de correction. Jérémie était dans la boue, il a attiré Dieu près de lui; Daniel était dans la fosse aux lions, et il s’est rendu Dieu propice; les trois jeunes hommes étaient dans la fournaise et ils ont fléchi Dieu, en le célébrant; le larron était crucifié, la croix ne l’a pas empêché de s’ouvrir le paradis; Job était sur le fumier, et il s’est attiré la clémence de Dieu; Jonas était dans le ventre de la baleine, et sa voix a été entendue de Dieu. Vous êtes au bain, priez; en voyage, dans votre lit, en quelque endroit que vous soyez, priez. Vous êtes le temple de Dieu, ne vous préoccupez pas du lieu ; la volonté seule est nécessaire.7





















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