Chrysostome, Orthodoxie

Lettre XIV. À Olympiade. Sur son exil et les persécutions

22 octobre 2020

Saint Jean Chrysostome décrit ce qui lui est arrivé à Césarée

Ecrite à Cucuse en 404.

 

Saint Parasceve Piatnisa, saint Grégoire le Théologien, saint Jean Chrysostome et saint Basile le Grand, XVIe siècle. Détail

j’expie mes fautes en traversant toutes ces épreuves, qui se succèdent sans relâche et me sont suscitées par ceux que j’en aurais le moins crus capables

 

1. Pourquoi pleurer? Pourquoi vous attrister? pourquoi vous infliger un supplice que vos ennemis eux-mêmes n’ont pu vous faire subir? Le chagrin continue à tyranniser votre âme, témoin cette lettre que Patricius nous a remise et qui nous dévoile les blessures de votre cœur. Ce qui m’afflige, ce qui me tourmente , c’est de vous voir chercher de tous côtés des sujets de douleur, quand vous devriez faire tous vos efforts pour calmer votre chagrin. Vous allez jusqu’à vous forger des illusions (ne me l’avez-vous pas dit ?) sans aucune raison, sans aucun motif, vous faites à votre âme des blessures qui lui sont très-funestes. A quoi bort vous tourmenter de n’avoir pu nous faire sortir de Cucuse? N’avez-vous pas fait tout ce qui vous a été possible? n’avez-vous pas tout remué, tout essayé? Si vous n’avez pu réussir, est-ce une raison de vous affliger ? Peut-être Dieu a-t-il voulu rouvrir devant nous une carrière plus longue à parcourir, pour nous donner lieu de mériter une couronne plus glorieuse: Pourquoi donc vous attrister de ce qui fait nôtre gloire? Il faudrait au contraire vous réjouir, et tressaillir d’allégresse, vous couronner de fleurs, puisque la divine miséricorde nous récompense bien au-delà de nos mérites.

Mais c’est la solitude où nous sommes qui vous cause du chagrin. — En vérité, qu’y a-t-il de plus agréable que le séjour de Cucuse? C’est une solitude profonde, une tranquillité, un repos continuel; nous nous y portons à merveille. La ville, il est vrai, n’a point de marché; on n’y vend, on n’y achète rien. Mais qu’importe ? Tout m’arrive en abondance, comme d’une source féconde. L’évêque de cette ville et Dioscore semblent n’avoir d’autre occupation que de me soulager. L’excellent Patricius vous dira notre bonne humeur, notre joie, les soins dont nous sommes entouré. Voilà pour Cucuse.

Si vous vous désolez de ce qui nous est arrivé à Césarée, vous avez tort aussi. Car là encore nous avons remporté de brillantes couronnes; on nous loue, on nous vante, on nous admire jusqu’à l’enthousiasme, depuis que nous avons été accablé d’outrages et chassé de cette ville. Mais je vous en prie, ne le dites à personne, bien que le bruit s’en répande de toute part. Paeanius m’a fait savoir qu’il y a ici des prêtres de Pharétrices, qui se disent en communion avec nous, qui prétendent n’avoir rien de commun avec nos ennemis, et n’avoir jamais eu avec eux aucune espèce de relations. C’est pour ne pas les troubler, que je vous prie de ne rien dire; car on nous a fait subir les plus cruels traitements. N’eussé-je rien enduré auparavant, il suffisait bien de ces outrages pour obtenir des palmes glorieuses, tant j’ai couru de dangers. Sachez donc garder le silence; je vais tout vous raconter en peu de mots, non pour vous affliger, mais au contraire pour vous réjouir. Tout cela est une occasion de profit pour moi; c’est là ma richesse; j’expie mes fautes en traversant toutes ces épreuves, qui se succèdent sans relâche et me sont suscitées par ceux que j’en aurais le moins crus capables. Nous étions sur le point de passer en Cappadoce; nous étions délivré de ce Galate, qui n’avait pas craint de nous menacer de mort, lorsque pendant le voyage nous rencontrâmes nombre de gens qui nous dirent: « Pharétrius vous attend, il est sans cesse en route, tant il craint de ne pas vous rencontrer; il veut à toute force vous voir, vous embrasser, vous témoigner son affection; il a mis en mouvement tous les monastères, soit d’hommes, soit de femmes. » Je me gardai bien d’en rien croire; je me figurais précisément tout le contraire, sans en rien dire toutefois à ceux qui m’exprimaient ces désirs de l’évêque.

 

Ελασσόνα. Église le la Sainte Mère de Dieu, Olympiotissa. Saint Jean Baptiste, détail

 

Voilà que vers le matin, une cohorte de moines (je ne trouve pas d’autre nom pour exprimer leur fureur), se précipitèrent sur la maison où nous résidions, nous menaçant de la livrer aux flammes et de nous faire mourir, si nous ne partions au plus vite.

 

2. Enfin je suis arrivé à Césarée, accablé de fatigues, affreusement amaigri, dévoré par les ardeurs de la fièvre, succombant de faiblesse, éprouvant en un mot les plus vives souffrances. J’ai trouvé un logement à l’extrémité de la ville, et je me suis hâté de voir les médecins, pour éteindre cette fournaise qui me brûlait; c’était la fièvre tierce dont je souffrais. Joignez à cette maladie la misère, les fatigues du voyage, l’accablement, le manque de soins, la privation des choses les plus nécessaires. En outre il n’y avait là aucun médecin, j’étais épuisé de lassitude; la chaleur, les veilles m’avaient abattu, et enfin je suis arrivé presque mort à Césarée. Alors je me vis entouré du clergé, du peuple, des moines, des religieuses, des médecins; et tous s’empressèrent de me soigner, de me servir, de me fournir tout ce dont je pouvais avoir besoin. Néanmoins dévoré par cette fièvre brûlante, j’étais en danger de mort. Peu à peu la maladie se calma et disparut. Cependant je ne voyais pas Pharétrius; c’est qu’il attendait mon départ, je ne sais pourquoi. Quand je me sentis à peu près guéri, je songeai à quitter Césarée, pour me rendre à Cucuse, et me reposer un peu des fatigues de la route. Nous en étions là, quand on nous annonça qu’une immense multitude d’Isauriens ravageaient les environs de Césarée, qu’ils avaient réduit en cendres un bourg considérable, qu’en un mot ils se livraient aux derniers excès. Aussitôt le tribun marcha sur eux avec ses soldats. On craignait qu’ils ne vinssent attaquer Césarée elle-même; tous étaient saisis de terreur à la pensée des dangers que courait leur patrie. Les vieillards mêmes se tenaient tout armés sur les murailles.

Voilà que vers le matin, une cohorte de moines (je ne trouve pas d’autre nom pour exprimer leur fureur), se précipitèrent sur la maison où nous résidions, nous menaçant de la livrer aux flammes et de nous faire mourir, si nous ne partions au plus vite. Ni l’approche des Isauriens, ni la pensée de la maladie qui nous accablait, rien ne put les adoucir; telle était leur colère, telle était leur fureur, que les soldats eux-mêmes étaient effrayés. Ils les menaçaient de se jeter sur eux, et ils se vantaient d’avoir déjà accablé de coups bon nombre de prétoriens. Ainsi menacés, les soldats vinrent nous trouver, nous prièrent et nous supplièrent de les délivrer de ces monstres, dussions-nous tomber entre les mains des Isauriens. Le préfet, averti de ce qui se passait, arriva lui-même pour nous porter secours. Ses prières ne touchèrent pas les moines, et il ne put non plus rien obtenir. Après ces vains efforts, il n’osait nous conseiller de sortir; car c’était nous envoyer à une mort certaine , il n’osait non plus nous conseiller de rester, vu la fureur des moines. Il fit donc prier Pharétrius de nous accorder quelques jours en considération de notre maladie et des dangers que nous cou. rions. Cette démarche n’eut pas plus de succès. Au contraire le lendemain les moines revinrent à la charge avec plus de violence encore; et pas un prêtre n’osait résister et nous secourir; mais rougissant de honte (car tout cela, disaient-ils, se faisait par ordre de Pharétrius), ils se tenaient cachés; et quand nous les mandions, ils n’obéissaient pas.

A quoi bon vous en dire davantage? Environné de tant de périls, ayant la mort devant moi, dévoré par la fièvre (car je n’étais pas encore guéri), sur le midi, je me jetai dans une litière, et on m’emporta, au milieu des gémissements, des lamentations du peuple entier qui maudissait l’auteur de ces violences; tous poussaient des sanglots et versaient des larmes. Quand je fus sorti de la ville, quelques clercs en sortirent aussi sans rien dire, et m’accompagnèrent en se lamentant. Plusieurs disaient : Pourquoi l’emmener ainsi à une mort certaine ? Un de ceux qui m’aimaient le plus tendrement me disait : « Partez, je vous en prie; tombez plutôt aux mains des Isauriens que de rester ici. Partout où vous irez, vous serez en sûreté, si vous pouvez vous tirer de nos mains. » Entendant tout cela, et témoin de tout ce qui se passait, une vertueuse dame, Séleucie, l’épouse de Rufin (il n’est pas de bons offices qu’elle ne nous ait rendus), me pria d’accepter l’offre qu’elle me faisait de sa maison de campagne, située à cinq milles de Césarée; elle y envoya un certain nombre d’hommes, et nous nous y rendîmes nous-même.

 

Sinaï. Le monastère de sainte Catherine. L’Archange Gabriel

 

Les chemins étaient si difficiles, les montagnes si rudes à gravir, la nuit si profonde, que j’avançais à peine.

 

3. Mais là ne devaient pas s’arrêter les menées de nos ennemis. Dès que Pharétrius en fut averti, il lui fit toute sorte de menaces. Moi ; j’étais à sa maison de campagne sans me douter de quoi que ce fût. Elle vint me voir, sans rien me dire; mais elle informa son intendant du danger que je courais, et lui enjoignit de veiller à tous mes besoins, et dans le cas où les moines viendraient renouveler leurs outrages, de réunir les laboureurs de ses autres maisons de campagne , et d’en venir aux mains avec les moines. Bien plus elle m’invitait à me réfugier dans sa maison , qui était fortifiée et inexpugnable, et de me soustraire ainsi aux mains de l’évêque et des moines. Mais elle ne put m’y déterminer. Je restai à la campagne sans rien savoir de ce que l’on préparait ensuite contre moi. Mais cela ne suffît pas pour apaiser leur fureur.

Au milieu de la nuit, sans que je pusse m’y attendre ( Pharétrius l’accablait de ses menaces, voulant la contraindre à me chasser de sa maison de campagne), cette femme, à bout de patience, m’annonça que les barbares arrivaient; elle n’osait avouer la contrainte qu’elle subissait. Donc au milieu de la nuit, le prêtre Evéthius vint me trouver, me réveilla et se prit à crier: « Levez-vous, je vous prie, voici les barbares; ils sont tout près d’ici. » Je vous laisse à penser qu’elle fut alors mon émotion. Que faut-il faire ? lui demandai-je ; nous ne pouvons retourner dans la ville , où nous courrions plus de dangers qu’ici au milieu des barbares. Le seul parti à prendre, c’est de fuir. Il était minuit, pas de lune; mais au contraire partout d’épaisses ténèbres; et nous voici de nouveau dans un étrange embarras. Personne pour nous venir en aide. Tous nous avaient abandonné. Saisi de crainte, n’attendant que la mort, accablé de toute sorte de maux, je me levai et je fis allumer des torches. Mais le prêtre les fit éteindre, de peur qu’attirés par cette lumière, les barbares ne se précipitassent sur la maison. On éteignit donc les torches; et nous partîmes.

Le chemin était escarpé et pierreux. Le mulet qui portait notre litière, tomba sur ses genoux, me renversa avec la litière, et peu s’en fallut que je ne périsse. Je me relevai et m’acheminai péniblement. Le prêtre Evéthius, qui était descendu de cheval, me prit par la main: et ainsi conduit, ou plutôt traîné, je continuai ma route. Les chemins étaient si difficiles, les montagnes si rudes à gravir, la nuit si profonde, que j’avançais à peine. Songez à ce que je dus souffrir, accablé que j’étais de tant de maux, en proie à la fièvre, ne sachant rien de ce que l’on avait ourdi contre moi, ne craignant, ne redoutant que les barbares, et m’attendant bien à tomber dans leurs mains. N’eussé-je jamais rien souffert auparavant, n’était-ce pas assez souffrir, je vous le demande, pour expier mes péchés et pour obtenir une gloire brillante ? Or voici, je crois, la cause de toutes ces souffrances. A mon arrivée à Césarée, tous les magistrats, les anciens vicaires ou présidents devenus sophistes, les anciens tribuns, les gens du peuple venaient me voir, m’assistaient, ne me perdaient pas de vue un seul instant. Pharétrius, je crois, en fut blessé; et cette jalousie qui nous a fait chasser de Constantinople, continue jusqu’en ces lieux à s’acharner contre nous. Je n’affirme rien cependant; c’est une simple conjecture de ma part. Et qui pourrait dire tout ce que nous eûmes à souffrir durant le voyage? Que de frayeurs ! que de périls ! Tous les jours ils me reviennent à l’esprit, ils s’offrent à mon souvenir pour me combler de joie et me faire tressaillir de bonheur. N’est-ce pas comme un magnifique trésor que je possède maintenant? Voilà mes sentiments et mes dispositions. Je vous invite donc, à. vous en réjouir avec moi; oui, je vous invite à bondir de joie, et à bénir le. Seigneur de nous avoir jugé digne de, tant de souffrances. Mais gardez pour vous tous ces détails et ne les dites à personne, bien que les soldats puissent les répandre dans la ville : car, eux aussi, ils ont couru risque de perdre la vie.

Mont Athos, le monastère de Vatopaidi ( Ι. Μ. Βατοπαιδίου). Saint George

 

Je suis beaucoup plus tranquille ici qu’à Césarée. Il est peu de gens que je redoute autant que les évêques.

 

4. Au reste, que personne ne les sache par vous; tâchez même d’imposer silence à ceux qui les voudraient raconter. Si vous vous affligez des conséquences de tant de souffrances, sachez bien que maintenant tout est fini, que je me porte beaucoup mieux qu’à Césarée. Ne craignez pas que je souffre du froid. On nous a préparé une demeure fort commode, et Dioscore ne néglige rien pour que nous ne sentions pas la moindre fraîcheur. A en juger par le début, ce climat ressemble à celui de l’Orient, tout autant que celui d’Antioche. C’est la même chaleur, la même température. Vous m’avez fait beaucoup de peine en me disant: « Peut-être êtes-vous fâché », et « trouvez-vous que j’ai été négligente » — Ne vous ai-je pas écrit, il y a longtemps déjà, pour vous prier de ne pas me faire sortir d’ici ? Je pouvais m’imaginer qu’il vous faudrait tout un discours et une peine infinie pour vous justifier au sujet d’une telle parole. Peut-être vous en êtes-vous en partie justifiée en disant : « Chaque fois que j’y songe, je sens s’accroître à mes douleurs. » Je ne puis, à mon tour, m’empêcher de vous reprocher bien vivement d’entretenir à dessein votre chagrin par vos réflexions. Au lieu de faire tous vos efforts pour dissiper votre affliction, vous secondez les vues du démon, en développant en vous le découragement et la tristesse. Oubliez-vous tout ce qu’il y a de fâcheux dans la tristesse? N’ayez plus aucune crainte au sujet des Isauriens : ils se sont retirés dans leur pays; et le préfet n’a rien négligé pour les y contraindre. Je suis beaucoup plus tranquille ici qu’à Césarée. Il est peu de gens que je redoute autant que les évêques. Quant aux Isauriens, rassurez-vous. Ils ont disparu, l’hiver les force à se tenir chez eux; peut-être reviendront-ils après la Pentecôte.

Comment se fait-il que vous ne receviez pas de lettre? Je vous ai envoyé trois lettres, la première, par les soldats, la seconde, par Antoine, et la troisième par Anatole, votre serviteur, toutes trois fort longues. Les deux dernières surtout sont bien propres à relever le courage, à taire cesser tout scandale, à rendre à l’âme une parfaite tranquillité. Quand donc vous les aurez reçues, ne vous lassez point de les lire; vous en verrez l’efficacité, vous y trouverez un remède salutaire et vous nous direz que vous en avez retiré de grands avantages. J’en avais écrit une troisième sur le même sujet, que je n’ai pas voulu vous envoyer tout de suite; je souffre trop de vous entendre dire que vous entassez les réflexions pénibles, que vous vous forgez mille chimères. Tout cela est indigne de vous, et je ne puis moi-même qu’en rougir de honte. Lisez donc ces lettres, et vous n’oserez plus tenir ce langage, quand même vous vous obstineriez à vous plonger dans la tristesse. Pour ce que vous me dites de l’évêque Héraclide, libre à lui, s’il le veut, de poursuivre devant les tribunaux, et de sortir ainsi de ses ennuis : il n’y a que ce moyen… Bien que je n’obtinsse aucun résultat, j’ai prié Pentadia de faire en sorte de trouver quelque remède au mal. Vous me dites que c’est sur l’ordre de cet évêque, que vous avez osé m’avertir de ces calamités. Vous êtes vraiment bien hardie. Je n’ai jamais cessé, je ne cesserai jamais de dire que le seul mal, c’est le péché; tout le reste n’est que cendre et fumée. Est-ce un mal que d’être en prison, que d’être chargé de chaînes’? Est-ce un mal que de souffrir, puisque la souffrance amène tant de richesses? Est-ce un mal que l’exil, que la confiscation des biens? Ce sont des noms moins vides de sens, des noms qui ne désignent pas un malheur réel. La mort, c’est une dette qu’il faut payer à la nature, quand même personne ne nous fera mourir; l’exil, qu’est-ce autre chose que voir d’autres pays et visiter un grand nombre de villes? La confiscation des biens, c’est la liberté, c’est l’indépendance.

 

Mileseva. Les myrrhophores, détail

 

Il y a deux choses que je redoute et que je prie Dieu d’empêcher.

 

5. Ne vous lassez point d’entourer de vos bons offices l’évêque Maruthas, pour le tirer de l’abîme, si vous le pouvez. Car j’ai bien besoin de lui pour les affaires de Perse. Tâchez d’apprendre de lui ce qu’il a pu réformer dans ce pays, le motif qui l’amène à Constantinople, et dites-nous aussi si vous lui avez remis les deux lettres que je vous ai envoyées à son adresse. S’il veut bien m’écrire, je lui répondrai. S’il ne le veut pas, priez-le de vous (lire les résultats qu’il a obtenus et ceux qu’il espère obtenir à son retour. C’est là ce qui me faisait tant désirer de le voir. Faites-en un mot tout ce que vous pourrez, remplissez votre devoir, quoique tous se jettent tête baissée dans l’abîme. Car vous recevrez une récompense magnifique. Soyez donc à son égard aussi empressée que possible. N’oubliez pas non plus ce que je vais dire; je fais appel à votre zèle. Les moines Marses et Goths, chez qui l’évêque Sérapion se tenait caché, m’ont dit avoir vu le diacre Moduarius : il leur a appris la mort d’Unilas, cet évêque admirable que j’ai ordonné il n’y a pas longtemps, et que j’ai envoyé dans le pays des Goths. Il a fait beaucoup de bien durant son épiscopat. Moduarius apporte une lettre du roi des Goths, qui demande un autre évêque. Au malheur dont nous sommes menacés, je ne vois d’autre remède que les délais. Ils ne peuvent maintenant gagner le Bosphore, ni se rendre dans cette contrée; et faites en sorte de les retenir en alléguant la mauvaise saison. Ne négligez rien pour cela : j’y attache la plus grande importance. Il y a deux choses que je redoute et que je prie Dieu d’empêcher. Je ne voudrais pas que cet évêque fût ordonné par les auteurs de tant de maux ; ils n’ont aucun pouvoir pour cela; je ne voudrais pas non plus que l’on prît le premier venu. Vous savez bien qu’ils ne s’empresseront pas de choisir un homme de bien; et vous n’ignorez pas quelles seront les conséquences de leur choix.

Mettez donc tout votre zèle à prévenir un pareil malheur. Ce qu’il y aurait de mieux, ce serait que Moduarius pût venir en secret et sans bruit jusqu’à nous. S’il ne le peut, faites tout ce qu’il sera possible de faire. Il en est des soins à donner à une affaire, comme d’une offrande pécuniaire. Rappelez-vous cette veuve de l’Évangile. Elle donna deux oboles, et en cela, elle se montra plus généreuse que d’autres qui avaient offert des sommes considérables. Car elle avait donné tout ce qu’elle possédait. De même ceux qui donnent à une affaire tous les soins dont ils sont capables, n’ont rien à se reprocher et méritent d’être pleinement récompensés. Je remercie du fond du cœur l’évêque Hilaire. Il m’a écrit pour me demander de lui permettre de retourner dans son église, me promettant de revenir, aussitôt qu’il aurait tout arrangé. Sa présence nous est fort utile. Car c’est un homme rempli de piété, de constance et de zèle. Aussi l’ai-je exhorté à revenir promptement. Faites-lui donc tenir, dès que vous pourrez, et par une personne de confiance, la lettre que nous lui écrivons; prenez bien garde qu’elle ne se perde. Il nous supplie avec beaucoup d’instance de lui écrire, et d’ailleurs sa présence nous offre de grands avantages. Ayez donc bien soin de cette lettre; et si vous n’avez pas sous la main le prêtre Helladius, ne la confiez qu’à un homme prudent et de tête.

 


 

Saint Jean Chrysostome, Lettre XIV. À Olympiade.Œuvres complètes traduites sous la direction de M. Jeanin, Tome IV, p. 441-5, Sueur-Charruey, Imprimeur-Libraire-Editeur, Arras, 1887

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