Œcumenisme, Orthodoxie

Le Talmud et le Messie

12 août 2023

À l’inverse des autres peuples antiques qui plaçaient leur âge d’or dans la nuit du plus lointain passé, les Juifs l’attendaient dans l’avenir. À maintes reprises les prophètes d’Israël font allusion aux « derniers jours », qui verront la grandeur nationale atteindre son apogée. Cette espérance s’implanta, toujours plus profonde, dans l’esprit du peuple ; non seulement elle alla s’intensifiant, mais avec le temps se multiplièrent aussi les merveilles qui devaient en manifester la réalisation dans le monde. L’avenir glorieux gravi­tait autour de la personne d’un machiakh, « oint », que Dieu enver­rait présider à l’inauguration de l’ère nouvelle et miraculeuse.

Dans le Talmud, le Messie et sa mission font l’objet d’innombrables références. Un seul docteur laisse résonner la note du scepti­cisme. C’est un rabbin du IVe siècle, appelé Hillel. Il disait : « Israël n’a pas de Messie (qui doive venir encore), car le Messie lui a déjà été donné aux jours d’Ézéchias. » (Sanh. 98 b). Cette remarque lui fut énergiquement reprochée. Il se peut, toutefois qu’on ait admis çà et là parmi les Juifs que le beau règne d’Ézéchias avait marqué l’accomplissement des prophéties messianiques d’Esaïe. On comprendrait ainsi pourquoi le Talmud écarte formellement cette opinion. « Pourquoi (dans Esaîe 9, 6) le mot lemarbè porte-t-il en son milieu une m finale[1] ? Le Saint Unique (béni soit-il !) voulait faire d’Ézéchias le Messie, et de Sennachérib Gog et Magog[2]. Mais son attribut la justice lui soumit cette remarque : « Souverain de l’univers, David, roi d’Israël, composa en ton honneur de nom­breux cantiques et prières ; cependant, tu n’as pas fait de lui le Messie. Voudrais-tu choisir pour Messie Ézéchias : tu lui accordas beaucoup de miracles et il n’a pas composé pour toi un seul cantique ! » (Sanh. 94 a). Néanmoins, lorsque Jokhanan b. ZakkaI fit ses adieux à ses disciples, de son lit de mort il leur adressages paroles énigmatiques : « Préparez un trône pour Ézéchias, roi de Juda : il vient. » (Ber. 28 b). On voit là habituellement une prédiction de l’avènement du Messie. Si c’est exact, l’éminent rabbin du 1er siècle identifiait le Messie à Ézéchias. Au surplus, comme nous le constaterons, cette identité du rédempteur* à venir donnait lieu à des désignations fort variées.

Ce que tout le monde croyait, c’est que l’envoi du Messie faisait partie du plan du Créateur à l’origine même de l’univers. « Sept choses furent créées avant le monde : la fora, la repentance, le jardin d’Eden (c’est-à-dire le Paradis), gehinnom, le trône de gloire, le temple et le nom du Messie. » (Pes. 54 a). Dans un ouvrage ultérieur, on lit : « Lorsque commença la création du monde, le roi Messie était (déjà né), car il vint à l’esprit (de Dieu) avant même que le monde fût créé. » (Pésikta Rab. 152 b).

Qui sera le Messie ? Tout naturellement les spéculations desti­nées à le déterminer se donnaient carrière, et l’on demandait des lumières aux textes de l’Écriture. Les rabbins se montrent una­nimes à admettre que le Messie sera un être humain chargé d’ac­complir la mission qui lui incombe. Nulle part le Talmud ne pro­fesse la croyance en un Messie surhumain.

Quelques autorités l’identifiaient à David. Voici comment on interprétait ce verset : « Après cela, les enfants d’Israël reviendront ; ils chercheront l’Éternel, leur Dieu, et David, leur roi. » (Osée 3,5). « Les rabbins déclarent que c’est le roi Messie. S’il est né parmi les vivants, son nom est David ; s’il est né parmi les morts, David est son nom. » (p. Ber. 5 a). On dégageait ingénieusement la même conclusion du texte du Ps. 18, 50 : « Il accorde de grandes délivran­ces à son roi ; il fait miséricorde à son oint (messiakh), à David et à sa postérité, pour toujours. » Il n’est pas écrit : « à David », mais : « à David et à sa postérité. » (Lament. R. 1, 51). L’opinion qui prévalut faisait du Messie un descendant de ce roi ; dans la littérature rabbinique, on l’appelle communément : « le fils de David. »

Les textes bibliques interprétés comme messianiques présen­taient toute une série de noms divers, qui seraient les siens. Certains élèves des rabbins s’ingéniaient même à découvrir pour le Messie un nom analogue à celui de leur maître. « Quel est le nom du Messie ? L’école du r. Cheïla disait : Chilo, car il est écrit : « Jusqu’à ce que vienne chilo. » (Genèse 49, 10). L’école du r. Yannaï disait : Yinnon, car il est dit : « Son nom subsistera (yinnon) toujours, aussi long­temps que le soleil. » (Ps. 72, 17). L’école du r. Khannina disait : Khanina, car il est dit : « Je ne vous montrerai point de grâce (khanina). » (Jérém. 16, 13). D’autres soutiennent que son nom est Menakhem, fils d’Ézéchias, car il est dit : « II s’est éloigné de moi, le consolateur (menakhem) qui ranimerait ma vie. » (Lament. 1,16) Les rabbins affirment qu’il s’appelle « le membre lépreux de l’école du r. Juda le prince », car il est dit ; « Certainement il a porté nos souffrances, il s’est chargé de nos douleurs, et nous l’avons considéré comme puni, frappé par Dieu et humilié[3]. » (Esaïe 53, 4). Rab déclarait que « le Saint Unique (béni soit-il 1) susciterait plus tard pour Israël un autre David, car il est écrit : « Ils serviront 1’Éternel, leur Dieu, et David, leur roi, que je leur susciterai. » (Jérém. 30,9). II n’est pas dit : « que j’ai suscité », mais : « que je susciterai. » (Sqnh. 98 b).

Voici encore d’autres noms que l’on suggérait : « Le r. Josué b. Lévi disait : Il s’appelle Tzémakh (la branche, cf. Zachar. 6, 12). Le r. Youdan dit : son nom est Menakhem. D’après le r. Aïbou ces deux noms sont identiques, car leurs lettres donnent la même valeur numérique. » (p. Bar. 50 a). « Le r. Nakhman demandait au r. Isaac : ‹ As-tu appris quand viendra Bar Naphlé (fils de celui qui est tombé) › ? — Qui donc est Bar Naphlé ? — C’est le Messie. — Appelles-tu le Messie Bar Naphlé ? — Oui, car il est écrit : ‹ En ces jours-là, je relèverai de la tente de David, qui est tombée. › (Amos. 9, II). » (Sanh. 96 b).

On rencontre une seule fois la mention d’une figure plutôt mystérieuse, nommée : Messie, fils de Joseph. Voici ce texte : « Messie fils de Joseph fut mis à mort, ainsi qu’il est écrit : « Ils regarderont à celui qu’ils ont percé ; ils pleureront sur lui comme on pleure sur un fils unique. » (Zachar. 12, 10). (Souk. 52 a). « Fils de Joseph », comme « fils de David », désigne un descendant de l’ancêtre qui portait ce nom, et son origine paraît indiquée dans B. b. 123 b « Notre père Jacob prévit que la descendance d’Ésaü serait uniquement livrée entre les mains des descendants de Joseph, ainsi qu’il est dit : ‹ La maison de Jacob sera un feu et la maison de Joseph une flamme, mais la maison d’Esafl sera du chaume qu’elles allumeront et consumeront [4](Abdias, 18). »

Tout naturellement, l’espérance de la venue du Messie redoubla de ferveur lorsque la vie nationale fut terriblement frappée. Plus l’oppression des conquérants se fit intolérable, plus instinctivement les Juifs s’attachèrent aux prédictions messianiques contenues dans leurs livres saints. Josèphe raconte comment surgirent, durant les années précédant immédiatement la destruction du temple, des individus dont chacun se présentait comme étant le rédempteur annoncé par les prophètes[5]. Au siècle suivant, l’un d’eux, resté célèbre, fut Bar Kokhba ou, d’après quelques-uns, Bar Koziba, qui souleva une révolte contre Rome, et que le r. Akiba reconnut pour le Messie. « Le r. Akiba expliquait Nombres 24, 17, « un astre (kokhab) sortira de Jacob », en disant : « Koziba sortira de Jacob. » Quand il vit Bar Koziba, il s’écria : « Voici le roi Messie ! » Mais le r. Jokhanan b. Torta lui déclara : « Akiba, l’herbe aura poussé sur ta tombe avant que paraisse le fils de David. » (p. Taan. 68 d).

 

 

Pour réconforter le peuple dans sa misère et l’encourager à la persévérance en face des plus lourdes épreuves, les rabbins prê­chaient que c’était là « le travail du Messie », en d’autres termes que sa venue s’obtiendrait au prix de souffrances aussi dures que celles d’une mère lorsqu’elle met un enfant au monde. L’obs­curité de la nuit atteignant son maximum avant l’aube, ils esti­maient que les signes d’une extrême démoralisation du monde allaient précéder l’arrivée du Messie, et que la vie serait alors pres­que totalement insupportable.

Voici des déclarations s’inspirant de ces vues : « Dans la généra­tion qui verra la venue du fils de David, la jeunesse insultera ses aînés, les vieillards seront contraints de se lever devant leurs cadets, une fille se révoltera contre sa mère, une belle-fille contre sa belle- mère, la face de cette génération sera comme celle d’un chien (pour l’impudence), un fils n’éprouvera aucune honte en présence de son père. » (Sonh. 97 a). « Les endroits où l’on se réunit pour étudier deviendront des maisons de prostitution ; la science des scribes tombera en décadence ; les hommes craignant Dieu seront méprisés. » (Ibidem). « Le fils de David n’apparaîtra qu’au milieu d’une génération parfaitement innocente ou tout entière coupable, — parfaitement innocente, car il est dit : « Ton peuple entier sera formé de justes, et ils habiteront le pays pour toujours » (Esaïe 60, 21), — tout entière coupable, ainsi qu’il est dit : « 11 vit qu’il n’y avait personne ; il s’étonna de ne trouver là aucun intercesseur ; alors son bras lui vint en aide » (Esaïe 59, 16), et : « c’est à cause de moi, à cause de moi[6], que je veux agir. » (Esaïe 48, 11). (Sanh. 98 a).

D’après une tradition, « pendant la période de sept années qui marquera l’arrivée du fils de David, la première année, s’accomplira ce texte : ‹ J’enverrai de la pluie sur une ville, et je n’en enverrai pas sur une autre. › (Amos 4,7). La seconde année, les flèches de la famine seront lancées. La troisième, la famine sera rigoureuse, hommes, femmes, enfants, pieux et saints fidèles succomberont, la tora sera oubliée par ceux qui l’étudient. La quatrième, il y aura de l’abondance et il n’y en aura pas[7]. La cinquième, l’abondance sera grande ; on mangera, on boira, on se réjouira, et la tora revien­dra (en mémoire) à ceux qui l’étudient. La sixième année, on enten­dra des voix (venant du ciel). Dans la septième année, éclateront des guerres, et à la fin de cette période de sept ans, arrivera le fils de David. » (Sanh. 97 a).

L’époque de cette venue sera particulièrement désignée par l’agitation politique culminant en un cruel état de guerre. « Si vous voyez les royaumes en lutte entre eux, regardez où sont les pas du Messie. Sachez qu’il en sera ainsi, parce que cela arriva de même aux jours d’Abraham. Quand les royaumes s’attaquaient les uns les autres (Genèse 14), la rédemption fut accordée à Abraham. » (Genèse R. 42, 4).

Ces guerres sont symbolisées comme étant celles « de Gog et de Magog ». (Voir Ezéch. 38)[8]. « Lève-toi, ô Éternel, marche à sa rencontre, renverse-le ! » (Ps. 17, 3). C’est cinq fois que David, dans le livre des Psaumes, supplie le Saint Unique (béni soit-il !) de « se lever »[9]. Quatre fois il s’agit des quatre royaumes dont, par l’Esprit saint, David prévit qu’ils asserviraient Israël ; aussi demande-t-il à Dieu de se dresser contre chacun d’eux. La cin­quième fois c’est le royaume de Gog et de Magog dont David prophétise l’irruption puissante contre Israël ; il dit donc au Saint Unique (béni soit-il 1) : « Lève-toi, ô Éternel ! O Dieu ! étends ta main » (Ps. 10, 12), car nous n’avons pas d’autre chef que toi pour lutter avec eux. » (Midrach ad loc.; 66 b). Les quatre royaumes visés d’abord sont spécifiés ailleurs : « Quand ils seront dans le pays de leurs ennemis, je ne les rejetterai pourtant point, et je ne les aurai point en horreur jusqu’à les exterminer, jusqu’à rompre mon alliance avec eux, car je suis l’Éternel, leur Dieu. » (Lévit. 26, 44). — Je ne les rejetterai point, pendant les jours des Grecs ; je ne les aurai point en horreur, au temps de Nébucadnezzar ; je ne les exterminerai point, aux jours d’Haman (en Perse) ; je ne romprai point mon alliance avec eux, aux jours des Romains [10]; car je suis l’Éternel, leur Dieu, aux jours de Gog et de Magog. » (Meg. 11 a).

Une intéressante allusion au même sujet se trouve dans l’anecdote suivante : « Le r. Khanan b. Takhlipha envoya au r. Joseph ce message : J’ai rencontré un homme qui tenait un rouleau écrit en caractères hébreux carrés, et rédigé en langue sainte. Je lui deman­dai : Où as-tu trouvé cela ? — J’étais, me répondit-il, mercenaire dans l’armée romaine, et j’ai découvert ce rouleau dans les archives de Rome. » Voici ce qui y était écrit : « Après quatre mille deux cent quatre-vingt-onze années depuis la création du monde (donc en l’an 531, de notre ère), le monde sera détruit, en partie par les guerres des monstres marins, en partie par celles de Gog et de Magog ; alors arriveront les jours du Messie ; le Saint Unique (béni soit-il !) ne renouvellera le monde qu’au bout de sept mille années. » (Sanh. 97 b).

Le Talmud contient d’autres calculs pour déterminer l’époque de l’avènement du Messie. La plupart donnent une date voisine, de la fin du Ve siècle. Par exemple Élie a dit à un rabbin : « Le monde durera au moins quatre-vingt-cinq jubilés (soit : quatre mille deux cent cinquante années) ; au dernier jubilé viendra le fils de David. » Les rabbins lui demandèrent : « Viendra-t-il au commencement ou à la fin du jubilé ? — Je l’ignore, répondit-il. » (Ibidem). Ceci donne une date comprise entre 440 et 490. « Si, quatre cents ans après la destruction du temple (qui remonte à l’an 70 après J.-C.), quelqu’un vous propose d’acheter un champ valant mille denarii pour un denarius, ne l’achetez pas. Voici un enseignement rabbinique : Quatre mille deux cent trente et un ans après la création du monde (donc en 471), n’achetez pas un champ valant mille denarii qu’on vous offre pour un denarius. » (A. z. b). C’est l’époque de l’arrivée du Messie ; la terre aura donc perdu toute valeur.

La majorité des rabbins blâmait les calculs essayant de fixer la date de « la fin », c’est-à-dire de la venue du Messie, parce que cela suscitait des espérances qui se verraient ensuite déçues. Voici un avertissement solennel : « Maudits ceux qui calculent ‹ la fin ›, car ils affirment que, puisque « la fin » est arrivée et que le Messie n’a pas paru, il ne viendra jamais. Attendez-le, au contraire, car il est dit : ‹ Quoiqu’il (le temps fixé) tarde, attends-le. › (Habak. 2, 3). » (Sanh. 97 b). D’après une certaine opinion, « Israël sera racheté en tichri[11] ; selon d’autres, il fut délivré de l’Égypte en nisan ; c’est aussi en nisan qu’il sera racheté. » (R. h. 11 a).

Comme pour s’opposer à la croyance d’après laquelle Dieu aurait fixé à l’apparition de l’ère messianique une date précise, il s’en développa une autre, qui n’admettait pas cette détermination mais faisait dépendre l’avènement attendu de ce que serait la conduite du peuple. Cette idée se réclamait d’Esaïe 60, 22 : « Moi, l’Éternel, je hâterai ces choses en leur temps », texte qu’on expli­quait ainsi : « Si vous en êtes digne, je les hâterai ; sinon, elles viendront en leur temps. » (Sanh. 93 a).

Nous lisons également des déclarations comme celles-ci : « Grande est la repentance, car elle fait approcher la rédemption. » (Yoma33 b). « Toutes ‹ les fins › sont passées (et le Messie n’est pas venu) ; 1 a chose dépend uniquement de la repentance et des bonnes actions. » (Sanh. 97 b). « Si Israël se repentait un seul jour, le fils de David arriverait immédiatement. Si Israël observait convenablement un seul sabbat, le fils de David arriverait immédiatement. » (p, Taan. 64 a), v. Si Israël pratiquait deux sabbats conformément à la loi, il serait racheté sur le champ. » (Chab. 118 b).

L’imagination ne connaissait plus de bornes quand elle essayait de contempler le monde tel qu’il apparaîtrait transformé par le Messie. La fécondité de la nature prendra des proportions inouïes. « Il n’en est pas du monde à venir comme du monde présent[12]. En ce monde, il faut prendre de la peine pour vendanger les raisins et pour les presser. Dans le monde à venir, chacun rentrera un seul grain dans une voiture ou un bateau, la déposera dans un coin de sa maison et en tirera assez de vin pour remplir un grand flacon ; quant aux pédoncules, ils serviront de combustible pour la cuisine. Il n’y aura pas un seul grain qui ne donne trente mesures de vin. » (Keth. 111 b). « En ce monde, il faut six mois pour mûrir les céréales, douze mois pour que les arbres donnent du fruit ; dans l’au-delà, la moisson se fera au bout d’un mois et les arbres auront des fruits au bout de deux mois. » Le r. José disait : Dans l’au-delà, le grain sera produit en quinze jours et les fruits des arbres en un mois. » (p. Taan 64 a). Il y a mieux encore : « Dans l’au-delà, le pays d’Israël produira des pains de la plus fine farine, des vêtements de la laine la plus pure ; du sol pousseront des épis de froment atteignant la dimension des reins d’un puissant bœuf. » (Keth. 111 b). « Dans l’au-delà, les femmes enfanteront quotidiennement ; les arbres produiront du fruit jour après jour. » (Chab. 30 b).

Voici la description détaillée des effets que l’ère messianique exercera sur la constitution du monde : « Dans l’au-delà, le Saint Unique (béni soit-il !) renouvellera dix choses. 1°. Il illuminera le monde, ainsi qu’il est dit : « Ta lumière, pendant le jour, ce ne sera plus le soleil, et la lune ne t’éclairera plus de sa clarté ; l’Éternel sera ta lumière éternelle. » (Esaïe 60, 19). On sera donc capable de regarder le Saint Unique (béni soit-il !). Mais que fera-t-il du soleil ? Il l’illuminera avec quarante-neuf parts de lumière[13], ainsi qu’il est dit : « La lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus grande, comme la lumière de sept jours. » (Esaïe 30, 26). Même si quelqu’un tombe malade, le Saint Unique (béni soit-il !) ordonnera au soleil de le guérir, car il est dit : « Sur vous qui craignez mon nom se lèvera le soleil de justice, qui porte la guérison dans ses rayons. » (Malach. 4, 2). 2°. Il fera jaillir de Jérusalem l’eau courante, et quiconque sera malade y trouvera la guérison, ainsi qu’il est dit : « Tout vivra partout où parviendra le torrent. » (Ezéch. 47, 9). 3°. Il fera mûrir chaque mois les fruits des arbres, et quiconque en mangera sera guéri, ainsi qu’il est dit : « Ils mûriront tous les mois ; les fruits serviront de nourriture et les feuilles de remède. » (Ibidem, 12). 4 o. Toutes les villes ruinées seront rebâties ; il ne restera plus d’es­pace vide dans le monde. Sodome et Gomorrhe elles-mêmes seront rebâties dans l’au-delà, ainsi qu’il est dit : « Tes sœurs, Sodome et ses filles, reviendront à leur premier état. » (Ezéch. 16, 55). 5°. 11 rebâtira Jérusalem avec des saphirs, car il est dit : « Je te donnerai des fondements de saphir » (Esaïe 54, 11), « et je ferai tes créneaux de rubis. » (Ibidem, 12). Ces pierres brilleront comme le soleil, et les idolâtres viendront contempler la gloire d’Israël, ainsi qu’il est dit : « Des nations sont en marche vers ta lumière. » (Esaïe 60, 3). 6°. (La paix régnera dans la nature), comme il est dit : « La vache et l’ours paîtront ensemble. » (Esaïe 11, 7). 7°. Il rassemblera tous les animaux, oiseaux et reptiles, et établira une alliance entre eux et tout Israël, ainsi qu’il est dit : « En ce jour-là, je ferai pour vous alliance avec les bêtes des champs, etc. » (Osée 2, 18). 8°. Pleurs et gémissements disparaîtront du monde, comme il est dit : « On n’y entendra plus ni pleurs ni cris. » (Esaïe 65,19). 9°. La mort n’y sera plus, car il est dit : « Il a anéanti la mort pour toujours. » (Esaïe 25, 8). 10°. 11 n’y aura plus ni plainte ni murmure ni angoisse, mais tous seront heureux, ainsi qu’il est dit : « Les rachetés de l’Éternel retourneront ; ils iront à Sion en chantant. » (Esaïe 35,10). (Exode R. 15, 21).

 

 

On insiste, naturellement, sur la paix immuable, la joie, le bonheur qu’inaugurera le Messie. « Il n’en est pas du monde à venir comme de ce monde-ci. En ce monde, à l’ouïe de bonnes nouvelles, on prononce cette bénédiction : « Béni Celui qui est bon et qui fait du bien », et à l’ouïe de mauvaises nouvelles, on dit : « Béni soit le Juge fidèle ». Mais dans le monde à venir on aura uniquement l’occasion de dire : « Béni Celui qui est bon et qui fait du bien. » (Pes. 50 a). « Tandis qu’en ce monde l’un bâtit et l’autre a la jouis­sance de la maison, l’un plante et l’autre consomme les fruits, qu’est-il écrit à propos de l’au-delà ? « Ils ne bâtiront pas pour qu’un autre habite ; ils ne planteront pas pour qu’un autre con­somme ;… ils ne s’évertueront pas en pure peine, ils n’auront pas des enfants exposés au malheur. » (Esaïe 65,22 s.). (Lévit. R. 25,8). « Voyez : tous ceux que le Saint Unique (béni soit-il !) a frappés en ce monde, il les guérira dans l’au-delà. L’aveugle sera guéri, car il est écrit : « Alors s’ouvriront les yeux de l’aveugle. » (Esaïe 35, 5). Le boiteux sera guéri, car il est écrit : « Alors, le boiteux sautera comme un cerf. » (Ibidem, 6). (Genèse R. 95,1). « Le Saint Unique (béni soit-il !) a dit : En ce monde, sous l’action de l’impulsion mauvaise, mes créatures se sont désunies ; elles se sont divisées entre soixante-dix langages. Mais dans le monde à venir, elles se réuniront toutes pour invoquer mon nom et me servir, ainsi qu’il est dit : « Alors je donnerai aux peuples des lèvres pures, afin qu’ils invoquent le nom de l’Éternel et le servent d’un commun accord. » (Sophon. 3, 9). (Tankhouma Noakh § 19).

Par-dessus tout, Israël sera béni par l’arrivée du Messie. L’oppression que lui inflige un monde hostile prendra fin ; il sera res­tauré dans la position éminente que Dieu lui a destinée. « Tu avais emporté d’Égypte une vigne. » (Ps. 80, 8). De même que la vigne est l’arbre qui s’élève le moins et cependant prévaut sur tous les autres, de même, Israël a été fait pour apparaître humble et faible en ce monde, mais dans l’au-delà il héritera de l’univers entier. Comme le fruit de la vigne est d’abord foulé aux pieds mais figure ensuite sur la table des rois, ainsi Israël a été fait pour apparaître méprisable en ce monde, comme il est écrit : « Je suis devenu la dérision de tout mon peuple » (Lamentai. 3, 14), mais dans l’au-delà l’Éternel le placera au sommet, comme il est dit : « Des rois seront tes nourriciers. » (Esaïe 49,23). (Lévit. R. 36,2). « Le Saint Unique (béni soit-il !) a dit à Israël : En ce monde j’ai placé devant toi bénédictions et malédictions, bonnes fortunes et désastres, mais dans le monde à venir, je te supprimerai malédictions et désastres et je te bénirai, de sorte que quiconque te verra déclarera que tu es un peuple de bénis. » (Tankhouma Reêh § 4).

La transformation du sort d’Israël sera telle que beaucoup d’étrangers s’efforceront de se joindre à la communauté, mais il faudra les repousser, parce que leur démarche manquera de désin­téressement. « Dans l’au-delà les peuples païens viendront pour être admis comme prosélytes, mais il n’en acceptera aucun, car c’est un dicton rabbinique qui déclare : Aucun prosélyte n’est admissible aux jours du Messie. » (A. z.b).

En outre, on croyait fermement que le Messie opérerait la réu­nion des tribus d’Israël. Si l’on trouve isolément cette affirmation : « les dix tribus n’auront pas de part au monde à venir » (Tosifta Sanh. 13, 12), le Talmud se prononce habituellement en sens contraire. En se référant à des textes comme Esaïe 27,13 et Jérém. 3, 12, les rabbins énonçaient la doctrine du retour des dix tribus perdues. (Sanh. 110 b). « Le jour où les exilés d’Israël seront reve­nus, réunis, égalera en splendeur celui où furent créés les cieux et la terre. » (Pes. 88 a). Pour aider cet imposant rassemblement, une loi de la nature sera miraculeusement suspendue. « Dans le monde présent, lorsque le vent souffle au nord, il ne souffle pas au midi, et vice versa. Mais dans le monde à venir, en vue du ras­semblement des exilés d’Israël, le Saint Unique (béni soit-il!) déclare : Je ferai paraître dans le monde un vent du nord-ouest, qui prendra deux directions, comme il est écrit : « Je dirai au nord : Donne, et au midi : ne retiens pas. Fais venir mes fils des pays lointains et mes filles des extrémités de la terre. » (Esaïe 43, 6). (Midrach sur Esther 1, 8).

La réunion des tribus sera précédée d’un autre événement mer­veilleux, la restauration de la cité sainte. « Si l’on vous dit que les dispersés d’Israël ont été réunis sans que Jérusalem ait été rebâtie, ne le croyez pas, car il est écrit : « L’Éternel rebâtit Jérusalem » (Ps. 147, 2), et ensuite : « il rassemble les exilés d’Israël. » (Ibidem). Les Israélites disaient devant le Saint Unique (béni soit-il !) : « Seigneur de l’univers, Jérusalem n’a-t-elle pas été d’abord cons­truite, ensuite détruite ? » Il leur répondit : « C’est à cause de vos iniquités qu’elle fut réduite à l’état de désert et que vous en fûtes exilés, mais dans l’au-delà je la rebâtirai et ne la détruirai jamais plus. » (Tankhouma Noakh § 11).

Le relèvement du temple fait partie de la reconstruction de Jérusalem. Cette croyance reposait sur plusieurs textes : « Le bien-aimé de l’Éternel habitera en sécurité auprès de lui » (Deutéron. 33, 12) ; ceci désigne la reconstruction du premier temple. « L’Éternel le couvrira toujours » ; c’est la construction du second temple. « Et il résidera entre ses épaules » ; c’est le temple rebâti et para­chevé dans l’au-delà. » (Sifré Deutéron. § 352 ; 145 b). « Je vous annoncerai ce qui vous arrivera dans la suite des temps » (Genèse 49,1) : Jacob montrait (ainsi) à ses fils la reconstruction du temple. » (Genèse R. 98, 2). Nous trouvons également cette observation : « Le Saint Unique (béni soit-il 1) dit : Je suis Celui qui fît du temple en ce monde un monceau de ruines, et je suis Celui qui en fera, dans le monde à venir, une chose magnifique… Il rebâtira le temple et y fera demeurer sa chekhina. » (Midrach sur Cant. 4, 4).

Dans la vie du peuple, le nouveau temple ne jouera pas le même rôle que l’ancien, parce que, le péché aboli, il n’y aura plus lieu d’offrir des sacrifices expiatoires. Le sentiment de reconnaissance qui remplira tous les cœurs rendra du moins une série de sacrifices nécessaires encore. « Dans l’au-delà tous les sacrifices cesseront, excepté l’offrande d’action de grâces qui ne prendra jamais fin. » (Pesikta 79 a).

L’ère messianique devant inaugurer un bonheur parfait, il est juste qu’y participent les bons qui ont disparu, tandis que les méchants en doivent être exclus. Aussi la croyance à la résurrec­tion des morts qui en sont dignes s’affirme-t-elle ; ce sera, estimait-on, l’un des éléments caractéristiques de la venue du Messie. Nous traiterons ce sujet dans un paragraphe spécial. Quant à ceux dont l’existence fut indigne, « aux approches de l’arrivée du Messie, une grande peste se répandra sur le monde et fera périr les mé­chants. » (Cant. R. sur 2, 13).

Il semble, cependant, qu’une réaction se soit produite contre tous ces rêves d’avenir ; parfois on nous déclare que le Messie se bornera à libérer Israël de ses oppresseurs. Quant à l’abolition des maux variés qui sont le partage de l’homme, celui-ci doit y veiller jusqu’à sa mort. « Il n’y a pas de différence entre ce monde et les jours du Messie, sauf la servitude (que font peser sur Israël) les royaumes païens, comme il est dit : « Il y aura toujours des indigents dans le pays. » (Deutéron. 15, 11). (Ber. 34 b). Toujours, donc même dans l’ère messianique.

Beaucoup de rabbins croyaient que cette période ne serait qu’une étape intermédiaire entre ce monde et le monde à venir. Ils ne lui attribuaient pas tous la même durée. « Combien de temps dureront les jours du Messie ? Le r. Akiba disait : Quarante ans, aussi longtemps que le séjour des Israélites dans le désert. Le r. Eliézer (b. José) disait : Cent ans. Le r. Berekhya disait, au nom du r. Dosa : Six cents ans. Le r. Juda le prince disait : Quatre cents ans, comme le séjour des Israélites en Égypte. Le r. Eliézer (b. Hyréanus) disait : mille ans. Le r. Abbahou disait : sept mille ans, et les rab­bins en général : deux mille ans. » (Tankhouma Ekeb § 7). Selon d’autres versions, « le r. Eliézer disait : Les jours du Messie dureront quarante ans. Le r. Eléazar b. Azaria disait : Soixante-dix ans. Le r. Juda le prince disait : Trois générations. » (Sanh. 99 a). « Le r. Eliézer disait : Les jours du Messie dureront quarante ans. Le r. Dosa disait : quatre cents ans. Le r. Juda le prince disait : Trois cent soixante-cinq ans. Le r. Abimi b. Abbahou disait : Sept mille ans. Le r. Juda disait, au nom de Rab : Aussi longtemps que le monde a duré auparavant. Le r. Nakhman b. Isaac disait : Aussi longtemps que depuis les jours de Noé jusqu’à maintenant. » (Ibidem). « 11 était déclaré dans l’école d’Élie : Le monde durera six mille ans, dont deux mille dans le chaos[14], deux mille avec la fora et deux mille qui seront les jours du Messie. » (Ibidem, 97 a).

[1] Les lettres hébraïques k, m, n, p, s dure prennent une forme particulière lorsqu’elles sont placées à la fin d’un mot. Dans le texte traditionnel d’Esaïe, 9,6, la lettre m du mot lemarbè, quoique n’étant pas finale, présente cette forme.

[2] On expliquera ci-après, p. 417 s., l’allusion à Gog et Magog, auteurs de troubles violents qui doivent précéder l’arrivée du Messie.

[3] Les rabbins interprétaient « frappé » comme signifiant : « lépreux ». Par conséquent, ce verset prophétisait la venue d’un Messie qui serait atteint de la lèpre. Or, il est raconté du r. Juda le prince que, quoique gravement frappé par une maladie depuis treize années, il avait coutume de dire : « Bien-aimés sont ceux qui souffrent, c’est un signe de la misé­ricorde de Dieu. » (B. m., 85 a.) De là venait l’opinion d’après laquelle le Messie prédit par Esaïe reproduirait le type dont ce rabbin avait donné l’exemple.

[4] La théorie d’un Messie fils de Joseph n’apparut qu’après l’échec de l’insurrection de Bar Kokhba, en l’an 135 (voir Klausner, Jesus of Nazareth, p. 201). Elle se rencontre principalement dans des légendes juives tardives. L’une d’elles identifie ce fils de Joseph à l’enfant ressuscité par Élie (Seder Elijahu Rabba, 48 ; édition Friedmann, p. 97 s.).

[5] Voir p. 174

[6] Non à cause des justes, car il n’y en a pas.

[7] C’est-à-dire : le pays sera dans l’abondance, mairie peuple ne sera pas content.

[8] Voir aussi Ezéch., 39,11, et Apocal. Johan., 20,8

[9] Voir aussi Ps. 3,7 ; 7,6 ; 9,19 ; 10,12.

[10] Le texte porte : « aux jours des Perses » mais c’est une correction exigée par les censeurs au moyen âge, parce que dans les mentions de Rome ils voulaient voir autant d’allusions à l’Église.

[11] C’est le septième mois du calendrier juif, celui qui marque le commencement d’une année. Nisan est le premier mois celui pendant lequel on célèbre la Pâque.

[12] Ici et souvent aussi ailleurs, les mots : « le monde à venir » désignent l’ère messianique.

[13] C’est-à-dire qu’il en rendra la lumière quarante-neuf fois plus éclatante.

[14] Ceci désigne la période allant de la création à la révélation du Sinaï.

A. Cohen

Docteur en philosophie à l’Université de Londres, Rabbin de la synagogue de Birmingham

 

Le Talmud
Exposé synthétique du Talmud et de l’enseignement des Rabbins sur l’éthique, la religion, les coutumes et la jurisprudence

Payot, Paris, 1977, p. 413-423

 

 

Sur le même thème

Pas de commentaire

Laisser un message

Rapport de faute d’orthographe

Le texte suivant sera envoyé à nos rédacteurs :