La foi vivante de l’église orthodoxe, Orthodoxie

L’Orthodoxie et la Religion du futur – I. Les religions monothéistes

23 octobre 2020

par hiéromoine Seraphim Rose

Avons-nous le même Dieu que les juifs et les musulmans ?

 

« Les peuples hébreux et islamiques et les chrétiens… ces trois expressions d’un monothéisme identique parlent avec la voix la plus authentique et la plus ancienne, la plus audacieuse et la plus confiante. Pourquoi serait-il impossible que le nom du même Dieu, au lieu de provoquer des conflits insolubles, nous conduise plutôt au respect mutuel, à la compréhension et à la coexistence pacifique ? La référence au même Dieu, au même Père, sans nuire à la discussion théologique, ne devrait-elle pas un jour nous conduire à découvrir ce qui est évident et en même temps difficile à faire comprendre, à savoir que nous sommes tous fils du même Père, et par conséquent, que nous sommes tous frères ? » (propos de Paul VI, cité dans le journal « La Croix » du 11 août 1970)

 

Saint Pierre, VIe siècle. Détail.

 

Le Jeudi 2 Avril 1970, une grande manifestation religieuse a eu lieu à Genève. Dans le cadre de la seconde conférence de l’Association des Religions Unies, les représentants de dix grandes religions ont été invités à se rassembler dans la cathédrale Saint Pierre. Cette « prière commune » était fondée sur la motivation suivante : « les fidèles de toutes ces religions ont été invités à coexister dans le culte du même Dieu ». Examinons si cette affirmation est acceptable à la lumière des Écritures.

Afin de mieux cerner cette question, nous nous limiterons aux trois religions qui se sont succédées historiquement : le judaïsme, le christianisme et l’islam. En fait, ces trois religions prétendent à une origine commune : elles adorent le Dieu d’Abraham. C’est une opinion communément répandue que, puisque nous prétendons tous être descendants d’Abraham (les juifs et les musulmans selon la chair, les chrétiens, spirituellement), nous avons tous pour Dieu le Dieu d’Abraham, et nos trois religions vénèrent -chacune à sa manière bien sûr ! – le même Dieu. Et ce même Dieu constitue d’une certaine manière notre point d’accord et de « compréhension mutuelle », et cela nous invite à une « relation fraternelle », comme l’a souligné le Grand Rabbin en paraphrasant le Psaume : « Oh, qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble ».

Dans cette perspective, il est évident que Jésus Christ, Dieu et Homme, Fils co-éternel du Père, sans commencement, Son Incarnation, Sa Croix, Sa Glorieuse Résurrection et Son Second et Terrible Avènement deviennent des détails secondaires qui ne peuvent pas nous empêcher de fraterniser avec ceux qui le considèrent comme un « simple prophète » (selon le Coran) où comme le fils d’une prostituée (selon certaines traditions talmudiques). Ainsi devrions-nous placer Jésus de Nazareth et Muhammad sur le même plan. Je ne connais pas un chrétien digne de ce nom qui puisse, en conscience, admettre cela.

En tirant un trait sur le passé, on peut affirmer que, pour ces trois religions, Jésus Christ est un être extraordinaire et exceptionnel et qu’Il a été envoyé par Dieu. Mais, pour nous chrétiens, si Jésus Christ n’est pas Dieu, nous ne pouvons le considérer comme un prophète, ou comme un « envoyé de Dieu », mais seulement comme un imposteur sans égal, puisqu’il s’est proclamé « Fils de Dieu », se rendant ainsi égal à Dieu [Marc XIV, 61-62]. Selon cette solution œcuménique, sur le plan supra-confessionnel, le Dieu trinitaire des chrétiens serait le même que Celui qu’on trouve dans le monothéisme du judaïsme, de l’Islam, de l’hérétique Sabellius, des anti-trinitariens modernes et de certaines sectes illuministes. Il n’y aurait pas Trois Personnes en Une Seule Divinité, mais une seule personne, identique pour certains, mais pour d’autres changeant tour à tour de « masque » [Père, Fils, Esprit] ! Et l’on voudrait néanmoins prétendre que c’est « le même Dieu » ! Ici, certains font cette proposition naïve : « Pourtant, en ces trois religions, il y a un point commun : toutes trois confessent Dieu le Père ! » Or, selon la sainte foi orthodoxe, cette affirmation est une absurdité. Nous confessons toujours : « Gloire à la Sainte, Consubstantielle, Vivifiante et Indivisible Trinité ». Comment pourrions-nous donc séparer le Père du Fils, alors que Jésus Christ affirme que « Le Père et Moi nous sommes Un » [Jn 10, 30] et que saint Jean, l’Apôtre, l’Evangéliste et le Théologien, l’Apôtre de l’amour le proclame bien haut : « Celui qui nie le Fils, ne peut avoir le Père » [1 Jn 2, 23].

Mais même si les trois religions appellent Dieu, Père ; de qui est-Il vraiment le Père ? Pour les juifs et les musulmans, il est le Père des hommes, car Il les a créés ; alors que pour nous chrétiens, Il est le

« Père de Notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis de toutes sortes de bénédictions spirituelles dans les lieux célestes en Christ ! En lui, Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui, nous ayant prédestinés dans son amour à être ses enfants d’adoption par Jésus Christ, selon le bon plaisir de sa volonté » [Eph. 1, 4-5].

Quelle ressemblance peut-il y avoir entre la Paternité divine dans le christianisme et celle des autres religions ?

D’aucuns pourraient dire : « Mais tout de même, Abraham adorait le Vrai Dieu ; et les juifs à travers Isaac et les musulmans, à travers Agar, sont les descendants de ce véritable adorateur de Dieu ». Ici, il faut clarifier plusieurs points : Abraham a adoré non pas le Dieu d’un monothéisme unipersonnel, comme c’est le cas dans le judaïsme et l’islam, mais la Très Sainte Trinité. Nous lisons dans les Saintes Ecritures :

« Le Seigneur lui apparut parmi les chênes de Mambré, comme il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour. Il leva les yeux et regarda : et voici, trois hommes étaient debout près de lui. Quand il les vit, il courut au-devant d’eux, depuis l’entrée de sa tente et se prosterna en terre, et il dit : Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe point, je t’en prie, loin de ton serviteur » [Genèse 18, 1-4].

Sous quelle forme Abraham adora-t-il Dieu ? sous une forme unipersonnelle, ou sous la forme de la Divinité tri-une ? Nous, chrétiens orthodoxes, vénérons cette manifestation de la Sainte Trinité dans l’Ancien Testament lorsque, le jour de la Pentecôte, nous ornons nos églises de branchages symbolisant les chênes antiques, et lorsque nous vénérons l’Icône des Trois Anges au milieu de l’Église, tout comme notre Père Abraham l’a vénérée !

Descendre d’Abraham selon la chair ne nous est d’aucune utilité, si nous ne sommes pas régénérés par les eaux du Baptême et renouvelés dans la Foi d’Abraham. Et la Foi d’Abraham était la foi en Jésus Christ, comme l’a dit le Seigneur Lui-même : « Votre père Abraham a tressailli d’allégresse à la pensée de voir mon jour. Il l’a vu et il s’est réjoui » [Jn 8, 56]. Telle était également la Foi du Roi et Prophète David, qui avait entendu le Père parler à son Fils consubstantiel : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : siège à ma droite » [Psaume 109, 1 ; Actes 2, 34]. Telle était la Foi des trois adolescents dans la fournaise ardente, quand ils furent sauvés par le Fils de Dieu [Daniel 3, 25] ; et du saint Prophète Daniel qui a eu la vision des deux natures de Jésus Christ dans le mystère de l’Incarnation, quand le Fils de l’homme est venu vers l’Ancien des jours [Daniel 7, 13]. Voilà pourquoi le Seigneur qui s’adresse à la postérité (biologiquement incontestable) d’Abraham, a dit : « Si vous étiez les enfants d’Abraham, vous feriez les œuvres d’Abraham » [Jn 8, 39] et ces « œuvres » sont de « croire en Celui que Dieu a envoyé » [Jn 6, 29].

Qui est donc la postérité d’Abraham ? S’agit-il des fils d’Isaac selon la chair, ou les fils d’Agar l’égyptienne ? que dit l’Écriture par la voix du divin Apôtre ? « Or, les promesses ont été faites à Abraham et à sa postérité. Il n’est pas dit: et aux postérités, comme s’il s’agissait de plusieurs, mais en tant qu’il s’agit d’une seule : et à ta postérité, c’est à dire, à Christ » [Gal. 3, 16]. « Et si vous êtes à Christ, alors vous êtes la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse » [Gal. 3, 29]. C’est en Jésus Christ qu’Abraham est devenu « père de nombreuses nations » [Gen. 17, 5 ; Rom. 4, 17]. Devant de telles promesses et de telles certitudes, que peut bien signifier le simple fait de descendre d’Abraham selon la chair ? Selon les Saintes Écritures, Isaac est considéré comme la semence, ou la postérité d’Abraham, mais surtout comme l’image de Jésus Christ. Contrairement à Ismaël [le fils d’Agar ; Gen. 16 :1-16], Isaac est né de la liberté miraculeuse d’une femme stérile et âgée, contre les les lois de la nature, d’une manière semblable à celle de Notre Sauveur, qui est né miraculeusement d’une Vierge. Il est monté sur la colline de Morija, tout comme le Christ est monté sur le calvaire, portant sur ses épaules le bois du sacrifice. Un ange a délivré Isaac de la mort ; de la même façon un ange a roulé la pierre pour nous montrer que le tombeau était vide, et que le Ressuscité n’était plus là. A l’heure de la prière, Isaac a rencontré Rébecca dans la plaine et l’a amenée jusqu’à la tente de sa mère Sarah, de la même façon Jésus viendra à la rencontre de Son Eglise sur les nuées afin de l’amener vers les demeures célestes, la Nouvelle Jérusalem, la patrie tant désirée.

Certes non ! Nous n’avons pas du tout le même Dieu que les juifs et les musulmans. La condition sine qua non pour connaître le Père, est le Fils. « Celui qui me voit, voit le Père ; aucun homme ne peut venir au Père, si ce n’est par Moi » [Jean 14, 6-9]. Notre Dieu est un Dieu Incarné « que nous avons vu de nos yeux, et que nos mains ont touché » [1 Jean 1, 1]. L’immatériel est devenu matériel pour notre salut, comme dit saint Jean Damascène, et il s’est révélé à nous. Mais quand donc s’est-Il révélé aux juifs et aux musulmans d’aujourd’hui, pour que nous puissions supposer qu’ils connaissent Dieu ? S’ils ont une connaissance de Dieu en-dehors de Jésus Christ, alors le Christ s’est incarné, est mort et est ressuscité en vain !

Non, ils ne connaissent pas le Père. Ils ont leurs propres conceptions concernant le Père; mais toute conception de Dieu est une idole, car toute conception est le produit de notre imagination, la création d’un dieu à notre image et à notre ressemblance. Pour nous chrétiens, Dieu est inconcevable, incompréhensible, indescriptible et immatériel, comme le dit le grand saint Basile : « Pour notre salut, Il s’est fait matériel et descriptible, pour autant que nous voulions nous unir à Lui. Révélation dans le mystère de l’incarnation de son Fils. A Lui, soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen ». C’est pourquoi saint Cyprien de Carthage affirme que « celui qui n’a pas l’Église pour mère, n’a pas Dieu pour Père » !

Que le Seigneur nous préserve de l’Apostasie et de l’avènement de l’Antichrist dont les signes avant-coureurs se multiplient jour après jour. Qu’Il nous préserve de la grande tribulation que même les élus ne pourraient supporter sans la Grâce de Dieu qui abrégera ces jours, et qu’Il nous garde parmi son «petit troupeau qui demeure selon l’élection de la grâce» afin que, comme Abraham, nous puissions nous réjouir de voir la lumière de Sa Face, par les prières de la Toute Sainte Mère de Dieu et toujours Vierge Marie, de toutes les puissances célestes, de la nuée des prophètes, martyrs, hiérarques, évangélistes et confesseurs, qui sont restés fidèles jusqu’à la mort, qui ont versé leur sang pour le Christ, et nous ont engendrés selon l’Évangile de Jésus Christ et dans les eaux du Baptême. Nous sommes leurs fils, faibles, pécheurs et indignes certes, mais nous n’étendrons pas les mains vers un dieu étranger !

Amen.

 


 

Père Basile Sakkas [†2014], La Foi Transmise (Genève, 5 Avril 1970) – Texte repris dans la revue La Lumière du Thabor, n°41 (1994)

Version électronique disponible sur le site de Presbytera Anna
Hieromonk Seraphim Rose, Orthodoxy and The Religion of the Future, p. 25-31, Saint Herman of Alaska Brotherhood, Platina, California, 1979

 


 

 

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