Catéchèse, Orthodoxie, Seraphim Rose

L’âme après la mort – chapitre quatrième

23 octobre 2020

L’expérience contemporaine du « Ciel »

 

Anastasis (intitulée à tort Descente dans les Limbes), XVe siècle. Détail.

 

Dans La Vie après la Vie, le Dr Moody note que les gens qu’il a interviewés ne semblent pas avoir fait l’expérience de quelque chose qui ressemble « à l’image mythologique de l’au-delà », et ils ont, au contraire, tendance à douter de la notion classique du ciel et de l’enfer, ainsi que de toute conception de la vie après la mort « basée sur le schéma récompense-châtiment » (p. 70).

Dans la suite de son livre (Reflections on Life after Life), en revanche, il déclare que ses récentes enquêtes ont révélé des expériences « d’autres royaumes qui pourraient bien être qualifiés de célestes » (p. 15). Un homme s’était vu « dans un paysage avec ruisseaux, prés, arbres, collines » (p. 16), une femme s’était également trouvée en « un endroit très beau » ; et « loin, à l’horizon,… je voyais une ville. Il y avait des immeubles, séparés les uns des autres. Ils étaient brillants, de couleurs vives. Les gens y vivaient heureux. Il y avait de l’eau étincelante, des fontaines… une cité de lumière, je crois, serait le terme pour la décrire » (p. 17).

En fait, comme le révèlent quelques-uns des livres les plus récents, cette expérience est tout à fait courante. Les auteurs protestants cités plus haut pensent que cette expérience (du moins lorsque son imagerie est nettement biblique) est chrétienne et est à distinguer nettement de la plupart des autres expériences après la mort, qui, elles, sont qualifiées par eux de tromperies démoniaques :

« Les incroyants font l’expérience de la fausse doctrine spécifiquement attribuée à Satan dans la Bible ; les croyants vivent des événements véridiques du point de vue doctrinal, événements qui pourraient sortir tout droit des Écritures » (Weldon and Lewitt, Is there Life after Death? p. 116).

Est-ce bien vrai ou bien y a-t-il beaucoup moins de différence en réalité entre les expériences des croyants et celles des incroyants que ne l’imaginent ces auteurs ?

L’expérience citée par ces auteurs comme étant authentiquement chrétienne, est celle de Betty Malz, qui a publié un livre sur son expérience extracorporelle de 28 minutes, pendant qu’elle était cliniquement morte. Immédiatement après sa mort, elle s’est trouvée « en train de monter une belle colline verte… je me promenais sur l’herbe, d’un vert plus intense que je n’ai jamais vu. » Elle était accompagnée d’une autre figure, « grande, d’aspect masculin, habillée d’une robe longue. Je me demandai si ce n’était pas un ange… Pendant que nous marchions ensemble, je ne voyais pas de soleil — mais il y avait partout de la lumière. À notre gauche, il y avait des fleurs multicolores en pleine floraison. Des arbres, des arbustes aussi… Nous aperçûmes une magnifique construction en argent. C’était comme un palais, mais sans tours. Comme nous nous en approchions, j’entendis des voix. Elles étaient très mélodieuses, harmonieuses, se fondaient en chœur et j’entendis le mot « Jésus’… L’ange avança et posa la main sur une porte que je n’avais pas remarquée avant. De trois mètres de haut environ, la porte était une seule plaque de perles. » Quand la porte s’ouvrit, « je vis à l’intérieur ce qui semblait être une rue de couleur dorée avec une couche de verre ou d’eau dessus. La lumière jaune qui apparut était aveuglante. Il est impossible de la décrire. Je ne voyais personne et pourtant j’étais consciente d’une présence. Soudain, je sus que la lumière était Jésus. » Invitée à entrer par la porte, elle s’est souvenue de son père qui priait pour elle ; la porte s’est fermée et elle a redescendu la colline, en apercevant le soleil qui se levait au-dessus du mur de pierres précieuses — cela s’est bientôt transformé en lever de soleil au-dessus de la ville de Terre — Haute, où elle s’est retournée dans son corps, à l’hôpital, ce qui a été unanimement considéré comme un miracle. (Betty Malz, My Glimpse of Eternity, Chosen Books, Waco, Texas, pp. 84 — 89).

Cette expérience est-elle vraiment différente de celles racontées par le Dr Moody ? S’agit-il là d’une vision chrétienne du ciel ? (Mme Malz est de confession protestante et sa foi a été renforcée par cette expérience). Le lecteur orthodoxe n’en est évidemment pas aussi convaincu que les auteurs protestants cités plus haut. Sans même tenir compte de nos connaissances sur la manière dont l’âme se dirige vers le ciel après la mort et sur ce qu’elle doit affronter avant d’y arriver (cela sera commenté plus loin) — cette expérience ne nous semble vraiment pas très différente des autres, mondaines, décrites de nos jours. À part la coloration chrétienne que lui donne naturellement une protestante croyante (l’ange, l’hymne, la Présence de Jésus), il y a plusieurs éléments en commun avec les expériences mondaines. Ainsi par exemple, le sentiment de bien-être et de paix (qu’elle décrit comme étant en net contraste avec ses mois de douloureuse maladie), l’être de lumière (que d’autres identifient également à « Jésus »), l’approche d’une sorte de royaume différent, situé au-delà d’une espèce de frontière. Et puis, il est un peu étrange qu’elle voie le soleil d’ici-bas se lever au-dessus des murs de pierre précieuse, si c’est vraiment le ciel… Comment devons-nous interpréter cette expérience ?

Dans plusieurs des autres livres nouveaux, il y a un certain nombre d’expériences semblables. Leur examen rapide nous donnera une meilleure idée de ce dont il s’agit.

L’un de ces livres est une compilation récente d’expériences chrétiennes (protestantes pour la plupart) de mourants ou après la mort (John Myers, Voices from the Edge of Eternity, Spire Books, Old Tappan, N. J., 1973). Dans une des expériences racontées dans ce livre, une femme mourut, fut libérée de son corps, et arriva à un endroit de grande lumière où elle regarda par une fenêtre du Ciel :

« Ce que j’y ai vu a fait pâlir pour moi toutes les joies terrestres. Je languissais après le joyeux cortège d’enfants qui chantaient et s’ébattaient dans le verger de pommiers… Il y avait des fleurs odorantes aussi bien que des fruits mûrs et rouges sur les arbres. Comme j’étais assise là à savourer cette beauté, peu à peu, je devenais consciente d’une Présence ; une Présence de joie, d’harmonie et de compassion. Mon cœur désirait faire partie de cette beauté ». Après son retour dans son corps au bout de quinze minutes, « le reste de la journée et le lendemain, l’autre monde m’était beaucoup plus réel que celui dans lequel j’étais revenue » (pp. 228-231, réimpression de Guideposts Magazine, 1963). Cette expérience a produit une joie d’apparence spirituelle, comparable à celle de Mme Malz, et comme celle-ci, a donné une nouvelle dimension religieuse à sa vie ; mais l’image du Ciel vue était différente.

Une expérience après la mort frappante est celle d’un médecin de Virginie, Dr G. C. Ritchie Jr. Un bref compte-rendu en a été publié dans Guidepost Magazine en 1963, et une version plus longue sera bientôt publiée sous forme de livre par Chosen Books sous le titre de Retour de Demain (Return from Tomorrow). Dans ce compte-rendu, le jeune Ritchie (qui était déclaré mort), après une longue aventure de séparation du corps, est retourné dans la petite chambre où son corps était étendu. Ce n’est qu’à ce moment qu’il s’est aperçu qu’il était mort. Alors, une grande lumière qu’il sentait être le Christ a rempli la chambre : « une présence si réconfortante, si joyeuse et si pleinement satisfaisante que je voulais me perdre pour toujours dans son admiration. » Après avoir vu des images rapides de sa vie passée, en réponse à la question : « Qu’as-tu fait de ton temps sur terre ? », il eut trois visions. Les deux premières semblaient être « d’un monde très différent occupant le même espace » que ce monde, mais avec encore beaucoup d’images terrestres (rues et campagnes, universités, bibliothèques, laboratoires).

« Du monde de la fin, je n’ai eu qu’un instantané. Nous n’étions plus sur terre, mais infiniment loin, en dehors de tout contact possible avec elle. Et là, toujours à une grande distance, j’ai vu une ville, mais une ville construite — si telle chose est concevable — de lumière… Les murs, les maisons, les rues semblaient renvoyer de la lumière, et les êtres qui y évoluaient étaient d’un éclat aussi aveuglant que Celui qui se tenait à mon côté. Ce ne fut que la vision d’un instant, car le moment d’après, les murs de la petite chambre se refermaient autour de moi, la lumière éblouissante disparaissait et un sommeil étrange m’enveloppait ». Avant cela, il n’avait jamais rien lu sur la vie après la mort ; et après, il est devenu très actif au service de l’Église protestante (Voices from the Edge of Eternity, p. 56-61).

Cette expérience frappante eut lieu en 1943 ; il se trouve donc que de telles expériences ne sont pas dues uniquement aux phénomènes produits par les techniques de réanimation de ces dernières années. Le ministre protestant Norman Vincent Peale enregistre quelques expériences semblables et les commente ainsi :

« Hallucination, rêve, vision — je n’y crois pas. J’ai passé beaucoup trop d’années à parler avec des gens qui étaient arrivés à la limite de quelque chose, avaient jeté un coup d’œil de l’autre côté et qui, tous, en avaient rapporté beauté, lumière et paix, pour avoir le moindre doute dans mon propre esprit. » (N. V. Peale, The Power of Positive Thinking, Prentice-Hall, Inc., New York, 1953, p. 256).

Voices of the Edge of Eternity prend de nombreux exemples dans trois anthologies du XIXe siècle contenant des visions et des expériences d’agonisants ; bien qu’aucun de ces exemples ne soit aussi détaillé que certains des témoignages plus récents, ils offrent une preuve suffisante du fait que la vision d’apparitions et de scènes de l’autre monde a été un phénomène tout à fait courant pour les agonisants. Dans ces expériences, ceux qui se sentent chrétiens et préparés à la mort éprouvent des sentiments de paix, de joie, voient de la lumière, des anges, le ciel, tandis que les incroyants (dans l’Amérique la plus fondamentaliste du XIXe siècle !) voient souvent des démons et l’enfer.

 

L’Annonciation, Novgorod, seconde moitié du XVIe siècle. Detail

 

Le fait de ces visions une fois confirmé, nous devons poser maintenant la question de savoir quelle est leur nature : la vision du ciel est-elle vraiment si répandue parmi ceux qui, bien que mourant comme chrétien autant qu’il leur est possible, sont cependant en dehors de l’Église orthodoxe ?
En jugeant de la nature et de la valeur de telles expériences, nous commencerons par la même approche qu’au sujet de la rencontre avec d’autres. Examinons les expériences de mourants non chrétiens pour voir si elles présentent des différences notables avec celles des chrétiens déclarés. Si des non chrétiens voient aussi souvent le Ciel en mourant, ou après la mort, nous devrons comprendre cette expérience comme quelque chose de naturel, pouvant arriver à n’importe qui, et non comme quelque chose de spécifiquement chrétien. Le livre des Drs Osis et Haraldsson abonde en témoignages sur ce sujet.

Ces chercheurs rapportent quelque 75 cas de visions de l’autre monde parmi les malades mourants. Certains décrivent des prés et des jardins incroyablement beaux ; d’autres voient des portes s’ouvrant sur une magnifique campagne ou ville ; beaucoup entendent une musique d’outre-monde. Souvent, une imagerie plutôt mondaine y est mêlée, comme dans le cas de l’Américaine qui allait en taxi dans un joli jardin, ou de l’Indienne qui allait à son Ciel à dos de vache (At The Hour of Death, p. 163), ou encore le New-yorkais qui, entré dans un luxuriant pré vert, avec son âme remplie d’amour et de bonheur, a pu voir les édifices de Manhattan et un parc d’attractions dans le lointain (David R. Wheeler: Journey to the Other Side, p. 100-105).

Il est à remarquer que les Hindous, dans l’étude d’Osis-Haraldsson, voient le ciel aussi souvent que les chrétiens, et, tandis que ces derniers voient Jésus et les anges, les premiers voient des temples et des dieux hindous (p. 177). Ce qui est plus remarquable encore, c’est que la profondeur de l’engagement des malades dans la religion ne semble avoir aucune influence sur leur capacité d’avoir des visions d’outre-monde ; « des malades très engagés voient des jardins, des portes, et le Ciel aussi souvent, mais pas plus souvent que ceux qui sont moins ou pas engagés du tout » (p. 177). En effet, un des membres du Parti Communiste Indien, athée et matérialiste, fut transporté pendant son agonie à un « endroit très beau, pas de ce monde… Il entendit de la musique et quelque chant au fond. Quand il se rendit compte qu’il était vivant, il regretta d’avoir dû quitter ce bel endroit » (p. 179). Quelqu’un qui a tenté de se suicider racontait pendant son agonie : « Je suis au Ciel. Il y a beaucoup de maisons autour de moi, des rues avec de grands arbres portant de doux fruits, et de petits oiseaux qui chantent dans les arbres » (p. 178). La plupart de ceux qui ont une telle expérience ressentent une grande joie, de la paix, de la sérénité et acceptent la mort ; rares sont ceux qui ont envie de revenir dans cette vie (p. 182).

Ainsi, il est évident que nous devons nous armer de prudence lors de l’interprétation des visions du Ciel qu’ont les mourants et les morts. Comme précédemment, lors de l’examen de la rencontre avec d’autres au chapitre 2, nous devons, une fois de plus, distinguer clairement entre les véritables visions de l’autre monde accordées par la grâce et une expérience purement naturelle. Cette dernière, bien que située au-delà des limites normales de l’expérience humaine, n’est pas le moins du monde spirituel et ne nous apprend rien de la véritable réalité du Ciel ou de l’enfer de l’authentique enseignement chrétien.

La partie la plus importante de nos investigations des fins dernières est maintenant devant nous : c’est l’évaluation et le jugement de ces expériences par les critères de l’enseignement et de l’expérience authentiquement chrétiens de la vie après la mort, comme la définition de leur sens et de leur signification pour notre temps. Il est d’ores et déjà possible cependant de donner une estimation préliminaire de l’expérience du Ciel si communément rapportée de nos jours : la plupart ou peut-être même la totalité de ces expériences ont peu de choses en commun avec la vision chrétienne du ciel. Ces visions ne sont pas spirituelles, mais mondaines. Elles sont si rapides, si facilement obtenues, si communes, si terrestres dans leur imagerie qu’elles ne supportent pas une sérieuse comparaison avec les vraies visions chrétiennes du Ciel de par le passé (dont certaines seront décrites plus loin). Même leur côté le plus spirituel — le sentiment de la Présence du Christ — ne nous convainc de rien d’autre que de l’immaturité spirituelle totale de ceux qui l’éprouvent. Plutôt que de produire une angoisse profonde, la crainte de Dieu et le repentir, que la Présence de Dieu a provoqués dans les saints chrétiens (dont l’exemple de saint Paul sur la route de Damas peut être pris comme modèle [Ac 9, 3-9]), les expériences d’aujourd’hui produisent un effet qui est bien plus proche des sensations de confort et de paix que connaissent les mouvements spiritistes et pentecôtistes modernes.
Néanmoins, il est indéniable que ces expériences sont extraordinaires ; beaucoup d’entre elles ne sauraient être réduites à de simples hallucinations, et elles semblent se produire au-delà des limites de la vie terrestre au sens où nous l’entendons habituellement, dans un royaume situé, pour ainsi dire, quelque part entre la vie et la mort.
Quel est ce royaume ? C’est la question qui nous intéresse maintenant. Pour y répondre, nous nous tournerons d’abord vers le témoignage authentiquement chrétien, et ensuite — comme le font le Dr Moody et d’autres qui ont écrit sur ce sujet — vers les écrits d’occultistes modernes et autres, qui prétendent avoir voyagé dans ce royaume. Cette dernière source, correctement comprise, corrobore, de façon surprenante, la vérité chrétienne.
Pour commencer donc, posons la question : quel est le royaume, selon l’enseignement chrétien, où l’âme entre tout de suite après la mort ?


 

Traduction de Catherine Pountney

Publié en format numérique sur le site des Vrais chrétiens orthodoxes francophones

Nous tenons à remercier l’archimandrite Cassien pour la permission de reproduire ici cet ouvrage.

 


 

 

 

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