Catéchèse, Orthodoxie

La vie du Bienheureux Augustin, évêque d’Hippone – III

9 novembre 2020

Fêté le 28 août

Verbo Dei dum obedit,
Credit errans, et accedit
Ad baptismi gratian.

Firmans fidem, formans mores,
Legis sacrae perversores
Verbi necat gladio.

 

Bamberger Apokalypse – Staatsbibliothek Bamberg Msc.Bibl.140 / Reichenau, circa 1010

 

Touché par la parole de Dieu, il ramène son esprit
Dans les sentiers de la foi, et s’offre de lui-même à la grâce du baptême.
Il affermit la foi, il forme les mœurs, et armé du glaive de la parole, il extermine les corrupteurs de la loi de Dieu.

Prose de saint Augustin.

 

III

Augustin, ayant reçu le Baptême, se dépouilla de toute ambition terrestre le désir des honneurs et l’ambition de paraître, qui avaient été ses passions, ne le touchèrent plus. Il ne songea plus qu’à mener une vie conforme aux règles de l’Evangile. Pensant qu’il le ferait plus tranquillement en Afrique qu’en Italie, il résolut d’y retourner au plus tôt. Il partit donc de Milan, avec la bénédiction de saint Ambroise et de saint Simplicien, accompagné de sa sainte mère, de son frère Navigius, de son fils Dieudonné, de son fidèle Alype, d’Evodius, d’Anastase, de Vital le pauvre et de plusieurs autres qui voulurent imiter son genre de vie, et se rendit à Civita-Vecchia. Cette ville se nommait Cencelle, parce qu’on y avait bâti cent salles où l’on donnait les audiences et où l’on jugeait toutes les affaires de la province. Parmi les ruines de ses édifices, on voyait plusieurs ermites qui vivaient seuls, éloignés du tumulte du monde et de la fréquentation des hommes. Quand ils eurent appris le mérite d’Augustin, ils lui firent tout l’accueil possible ; il demeura quelque temps avec eux pour méditer dans cette pieuse compagnie les mystères de la religion. C’est en ce lieu, selon quelques auteurs, qu’il commença les livres de la Trinité, auxquels il avoue lui-même avoir mis la première main dans sa jeunesse mais il fut obligé de les interrompre à la suite d’une célèbre apparition. Se promenant un jour sur le bord de la mer, en ruminant quelques pensées qu’il avait sur ce sujet, il aperçut un enfant qui, voulant épuiser la mer, s’efforçait de renfermer toutes ses eaux dans un petit trou qu’il avait fait sur le rivage. Augustin, surpris de ce dessein, lui en représenta doucement l’impossibilité. « Sachez », lui repartit l’enfant, « que j’en viendrai plutôt à bout que vous de comprendre, par les lumières de votre esprit, le mystère de la très -sainte Trinité ». Augustin, instruit par ce prodige de la difficulté de son entreprise, n’en pressa pas l’exécution mais il se contenta, pour laisser un monument éternel de sa dévotion envers cet adorable mystère, de fonder au même en — droit un ermitage que les religieux de son Ordre possèdent maintenant. On voit sur la porte un écriteau où l’on a gravé en latin le sens de ces paroles

Passant, qui que tu sois, révère l’ermitage et la chapelle où Augustin, cette éclatante lumière de l’Église, commença son ouvrage sur la Trinité et où il l’interrompit, par l’avis et l’oracle d’un enfant envoyé du ciel sur le rivage il l’acheva enfin en Afrique, dans sa vieillesse.

De Civita-Vecchia il alla à Rome, pour temps propice à faire voile. Pendant son séjour, il composa le Dialogue de l’âme, un livre des mœurs de l’Église, pour en faire connaître la sainteté, et un autre : Des mœurs des Manichéens, pour confondre leur arrogance qui lui était insupportable. La rigueur de l’hiver étant passée, il alla à Ostie là, tandis qu’il se préparait à la navigation, après avoir été consolé par cette admirable vision, qu’il rapporte au chapitre X du livre IX de ses Confessions, il eut la douleur de voir mourir sainte Monique, comme nous l’avons dit dans sa vie, au 4 mai.

Il rendit les derniers devoirs et les honneurs de la sépulture à cette grande Sainte qui était doublement sa mère. Il fit célébrer le saint sacrifice de la liturgie à son intention, ainsi qu’elle le lui avait expressément recommandé avant sa mort. Il s’embarqua ensuite avec ses compagnons pour faire enfin heureusement à Carthage, où le bruit de sa sainteté s’était déjà répandu, et logea chez Innocent, lieutenant du gouverneur du pays ; il le guérit, par ses prières, d’un mal de jambe, où la gangrène s’était mise, au point que les médecins avaient résolu de faire l’amputation du membre pour sauver la vie au malade. De Carthage, il vint à Tagaste, où son premier soin fut de vendre tous ses biens, d’en distribuer une partie aux pauvres, et d’employer l’autre à bâtir, dans un désert, près de la ville, un petit monastère pour s’y retirer avec ses premiers compagnons et avec ceux qui, depuis, se joindraient à lui pour mener une vie religieuse. Ce fut en ce lieu que le Fils de Dieu lui apparut et lui donna, de sa propre bouche, le nom de Grand car, comme il s’y occupait aux œuvres de miséricorde, et principalement à l’hospitalité, recevant les pauvres, leur donnant à manger et leur lavant les pieds, Jésus Christ se présenta à lui sous l’apparence d’un pauvre dans un état si languissant, que le saint Docteur, en étant touché, le mena dans sa cellule, le traita le mieux qu’il put, lui lava les pieds et les lui baisa ; après quoi le pauvre lui dit : Magne pater Augustine, gaude, quia Filium Dei hodie in carne videre et tangere meruisti « Grand Augustin, réjouissez-vous, parce qu’aujourd’hui vous avez mérité de voir et de toucher le Fils de Dieu dans sa chair. » Puis il disparut, laissant cet homme céleste tout ravi de la faveur qu’il venait de recevoir. On croit que ce fut encore dans ce monastère que commença cette sainte pratique, entre les religieux, de s’entre-saluer par ces deux paroles : Deo gratias. D’où vient que saint Augustin la justifie contre les hérétiques qui s’en moquaient.

Etes-vous donc si stupides », leur dit-il, « de ne pas savoir ce que veut dire Deo gratias ? On ne profère ces mots que pour remercier Dieu de quelque bienfait que l’on a reçu de sa bonté. Or, n’est-ce pas une insigne faveur pour les religieux de vivre ensemble unis à Jésus Christ, de n’avoir qu’un cœur et qu’une âme pour son service, d’aller sûrement dans la voie du salut, de faire les mêmes fonctions, d’aspirer au même but et de s’occuper des mêmes exercices ? N’est-il pas juste que ceux qui ont été appelés à un si grand bonheur en rendent à Dieu des actions de grâces toutes les fois qu’ils en trouvent l’occasion ?

Et parce que les Donatistes, nommés Circumcellions, saluaient les chrétiens en leur disant Deo laudes, louanges à Dieu, quoiqu’ils ne le fissent que pour les engager dans leurs erreurs, massacrant sans pitié ceux qui ne voulaient pas les embrasser, il leur reproche leur perfidie en leur faisant voir la différence qu’il y avait entre leur salut et celui des religieux : Vos nostrum Deo Gratias ridetis ; Deo Laudes vestrum plorant homines, etc.

Vous tournez en raillerie notre formule de salutation, et tout le monde gémit de la vôtre, qui n’est qu’un prétexte trompeur dont vous vous servez pour couvrir la malice de vos intentions. Vous venez à nous les louanges de Dieu à la bouche et le poignard à la main ; vous nous invitez à le louer tandis que vous le blasphémez par vos œuvres. Vos louanges font pleurer les hommes et sont aussi abominables devant Dieu que nos actions de grâces lui sont agréables

Enfin ce fut à ce moment qu’il composa le traité intitulé Du Maître, et deux livres sur la Genèse, contre les Manichéens, avec quelques autres ouvrages, et qu’il mit la dernière main aux livres de la Musique.

Quelque soin qu’il prît de vivre caché dans cet ermitage, où il passa trois ans, sa sainteté, sa doctrine et sa réputation le firent assez connaître par toute l’Afrique. On le consultait de toutes parts comme un oracle sur les difficultés que l’on avait, et il y répondait sur-le-champ avec une netteté si merveilleuse, que les matières les plus obscures devenaient très claires par les lumières de son esprit. Il avait tant d’aversion pour les honneurs et les dignités, qu’il n’allait point aux villes qu’il savait être destituées de pasteur, de crainte qu’on ne l’obligeât d’accepter quelque charge dans l’Eglise. Il regardait plutôt comme une disgrâce ou un châtiment que comme une faveur de tenir le premier rang et d’être élevé aux grands emplois. Les prélatures de l’Eglise lui paraissaient des écueils contre lesquels il était aisé de faire naufrage ; et les mitres, dont on considère maintenant si fort l’éclat, lui semblaient comme des couronnes d’épines qui causaient bien plus de douleur et de peine que d’ornement aux têtes qui les portaient. Mais cette même humilité d’Augustin était un fondement profond sur lequel devait être bâtie la gloire qui lui était préparée et où la Providence le conduisait sans qu’il y pensât.

Il y avait à Hippone (qui est maintenant la ville de Bône), un grand seigneur fort riche et craignant Dieu, ami de saint Augustin, qu’il désirait avec passion voir et entendre parler des vérités de l’Evangile, dont il savait qu’il avait été autrefois le plus redoutable ennemi ; il était même tout prêt à renoncer au monde et à donner tous ses biens à l’Eglise, si ce grand homme approuvait ce dessein quand il le lui aurait communiqué. Saint Augustin, qui ne cherchait que l’occasion de gagner des âmes à Jésus Christ et de les porter à une haute perfection, n’eut pas plus tôt appris cette bonne disposition de son ami, qu’il se rendit à Hippone. Valère, grec de nation, qui en était évêque, fit ce qu’il put pour l’obliger d’y rester, afin de l’attacher au service de son Eglise mais ayant remarqué qu’il était résolu à retourner dans son monastère, dès qu’il aurait satisfait son ami, il assembla le peuple, et, après lui avoir représenté le besoin qu’il avait d’un savant homme pour travailler dans son diocèse au salut des âmes, il l’exhorta à jeter les yeux sur celui que la sainteté, la doctrine et le zèle rendaient capable de cet emploi. En même temps, le peuple, comme par une inspiration divine, va chercher Augustin, s’en saisit, et, criant hautement que Dieu l’avait envoyé à Hippone pour être leur pasteur, il le présente à Valère pour l’ordonner prêtre ce qui fut exécuté malgré ses larmes et les raisons que son humilité lui fit alléguer pour n’être point élevé à la dignité sacerdotale.

La première chose que fit Augustin lorsqu’il se vit prêtre, fut de demander à l’évêque un lieu pour y bâtir un monastère semblable à celui de Tagaste ; ce que Valère lui accorda, lui donnant un jardin qui tenait à son église. Dès qu’il fut construit, il fut aussitôt rempli de personnes qui embrassèrent son institut, et qu’il fit aussi ordonner prêtres, afin de s’employer comme lui à l’instruction des fidèles et à l’administration des Sacrements. Ce fut alors qu’il composa sa Règle, s’étant contenté auparavant de gouverner ses disciples de vive voix et par l’exemple de ses vertus. Cet établissement était un séminaire où l’on prenait des ouvriers apostoliques pour travailler à la vigne du Seigneur, et où l’on trouvait des hommes d’un mérite extraordinaire que l’on dispersait dans divers pays de l’Afrique pour gouverner des Eglises. Possidius écrit en avoir connu dix que saint Augustin avait donnés pour être évêques en divers lieux de ce nombre furent Alype et Evodius.

Saint Augustin, ayant ainsi formé une communauté d’hommes apostoliques, reçut de Valère ordre de prêcher et de distribuer publiquement aux fidèles le pain de la parole de Dieu. Il s’en excusa d’abord, s’appuyant sur deux raisons la première, que, selon une ancienne coutume d’Afrique, condamnée néanmoins par saint Jérôme, mais de laquelle personne ne s’était encore dispensé, il n’était pas permis aux prêtres de prêcher en présence de leurs évêques ; la seconde, qu’il ne se croyait pas encore assez savant pour s’acquitter dignement de ce ministère n’ayant pu rien obtenir, il demanda au moins un délai de quelques mois, afin de s’y préparer par l’étude des saintes Lettres, par la prière et par la pénitence. La lettre qu’il écrivit à Valère, sur ce sujet, est admirable et mérite d’être lue de tous ceux qui sont obligés d’annoncer la parole de Dieu. Il y représente la facilité qu’il y a de s’en acquitter, lorsqu’on veut se contenter de le faire superficiellement mais il fait voir, en même temps, les périls où l’on s’expose, les difficultés qu’il faut surmonter, les qualités qu’il faut avoir et les préparations que l’on doit apporter pour le faire dignement. Puis, se faisant une application de toutes ces choses, il conjure Valère de l’aider de ses prières et de lui accorder au moins le temps qu’il lui avait demandé pour consulter Dieu et s’appliquer à l’étude. Que cette modestie d’Augustin condamne de prédicateurs qui, se croyant capables de tout, s’exposent témérairement à ce divin ministère ! Il avait déjà mis au jour plusieurs excellents ouvrages contre les hérétiques et les philosophes, pour la défense de la religion ; il avait composé divers traités de piété, où les fidèles trouvaient une viande solide pour nourrir leur âme, et cependant il n’ose entreprendre de prêcher l’Evangile. Cette fonction lui paraît formidable et au-dessus de ses forces, et, à entendre ses excuses, on le prendrait pour quelque homme illettré nullement versé dans l’étude des saintes Lettres, et qui n’avait jamais rien appris de la théologie des chrétiens. Il fallut pourtant que son humilité cédât à l’autorité de son évêque, qui, étant grec de nation, et n’ayant pas l’usage familier de la langue latine, était bien aise qu’un homme du mérite d’Augustin suppléât à son défaut. Depuis, le primat de Carthage, ne craignant plus de faillir, après un si grand exemple, introduisit dans son Eglise la prédication des prêtres en présence de leur évêque.

Les prédications d’Augustin eurent un succès immense. On ne pouvait résister à la force de sa doctrine et de ses raisonnements. Ceux mêmes qui ne l’écoutaient que pour le censurer, se trouvaient insensiblement persuadés des vérités qu’il leur prêchait quoique sa science parût toujours éminente, c’était néanmoins sans ostentation il était guéri de cette maladie qui enfle l’esprit et dont il avait autrefois été possédé. Il aimait mieux exciter les larmes de ses auditeurs, que de s’attirer leurs applaudissements ; contenter la nécessité des simples, que l’avidité des curieux ; instruire, que de paraître donner aux autres le feu lumineux de la vérité, que de prendre pour lui les fumées de la vanité. Il relevait ou abaissait son style, selon la dignité des matières qu’il traitait et la portée de ceux qu’il enseignait ; les doctes y trouvaient de la science, les orateurs de l’éloquence et de l’érudition ses paroles étaient, pour les pécheurs assoupis dans les habitudes du mal, des éclats de tonnerre qui les éveillaient pour les superbes, des coups de foudre qui brisaient leur orgueil pour les voluptueux, un contre-poison qui les dégoûtait de leurs débauches ; pour les ambitieux, des armes qui renversaient leurs desseins. Enfin, tout le monde y trouvait ce qui lui était nécessaire pour sa propre sanctification.

Tandis qu’il s’occupait à prêcher la parole de Dieu, on assembla un Concile national d’Afrique, à Hippone, où il fut appelé pour dire son sentiment sur plusieurs difficultés que l’on y proposait. Il le fit avec tant de doctrine, qu’on résolut de s’en tenir à ce qu’il avait dit. La réputation qu’Augustin s’était acquise dans cette assemblée donna sujet à Valère de craindre qu’on ne le ravît à son Eglise, pour le faire évêque ; c’est pourquoi, afin de le conserver à son diocèse, il écrivit à Aurèle, primat de Carthage, pour le prier, vu son grand âge et sa faiblesse, de le lui donner pour coadjuteur durant sa vie, et pour successeur après sa mort. Aurèle y consentit avec joie mais Augustin y résista fortement, aimant mieux obéir que commander, et assurer son salut dans un état médiocre que de le risquer dans une condition éclatante. Il fallut néanmoins se soumettre à la volonté de Dieu, qui lui était manifestée par celle de ses supérieurs, et souffrir que Mégale, évêque de Calamine et primat de Numidie, et le même Valère, lui conférassent le caractère épiscopal, au grand contentement du clergé et de tout le peuple, pendant que lui seul était accablé de tristesse, de se voir chargé d’un fardeau qu’il ne se croyait pas capable de porter ; il disait, depuis, qu’il n’avait jamais mieux reconnu que Dieu était indigné contre lui et le voulait punir des péchés de sa vie passée, que lorsqu’il l’avait élevé à l’épiscopat.

Après son sacre, il demeura encore quelque temps avec ses religieux, au monastère du Jardin ; mais, voyant par expérience qu’il ne pouvait, avec l’étroite observance régulière du cloître, concilier les audiences que, en qualité d’évêque, il était obligé d’accorder à une foule continuelle de personnes qui le visitaient, il voulut avoir dans la maison épiscopale une communauté de clercs qui vécussent comme lui, et dans laquelle il pût rendre aux étrangers les offices charitables de Marthe, sans perdre la quiétude et la tranquillité de Marie. Pour la composer, il travailla à réformer les ecclésiastiques de son Eglise, les obligeant de vivre selon la discipline des Apôtres, de laquelle ils s’étaient relâchés ; et, parce qu’il leur donna aussi des Règles, ils furent appelés Chanoines réguliers.

La nouvelle dignité d’Augustin ne changea rien à sa conduite. Il parut toujours le même dans toutes ses actions ; placé comme évêque entre Dieu et les hommes, il ne manquait pas d’honorer l’un par ses sacrifices et sa piété, et d’édifier les autres par ses bons exemples rendant ainsi à Dieu et à César ce qui leur appartenait à l’un et à l’autre. L’évêché d’Hippone avait plus de quarante mille écus de revenu ; cependant on ne vit pas Augustin plus richement vêtu, ni plus magnifiquement accompagné qu’auparavant. Il ne porta jamais d’habits de soie ; mais son vêtement était simple et convenable à la pauvreté religieuse dont il faisait profession. Ses ornements même pontificaux étaient d’étoffés d’un prix médiocre. Sa mitre, que l’on conserve avec son bâton pastoral au couvent de Valence, en Espagne, où ils furent transportés de Sardaigne, afin que l’héritage d’un si grand Père, comme dit le pape Martin V, revînt à ses légitimes enfants, n’était que de toile fine. Il se contentait de cette médiocrité pour avoir de quoi subvenir plus largement aux nécessités des pauvres, pour l’entretien desquels il n’épargnait pas même les encensoirs, les croix et les calices d’argent. Quoiqu’il n’eût aucun attachement envers ses parents, il ne laissait pas de les assister comme les autres fidèles, et de donner l’aumône à ceux d’entre eux qui étaient dans l’indigence ; il se comportait en cela avec une modération extrême car il ne prétendait pas les enrichir, mais seulement les secourir dans leur nécessité ; ni rendre leur maison plus splendide, mais la tirer de la dernière misère ne jugeant pas raisonnable que les biens de l’Église, dont Dieu devait un jour exiger de lui un compte si rigoureux, servissent à fomenter le luxe et l’ambition de ses parents, et qu’il employât le sang de Jésus Christ, et le patrimoine des pauvres à leur faire des marchepieds d’or et d’argent pour les élever, les agrandir et les approcher de sa personne. Il ne voulut jamais se charger de la clef du trésor de son Église ni du revenu de son évêché ; il en laissa l’économie et la dispensation aux ecclésiastiques les plus intègres de son clergé. Il dit même un jour à son peuple qu’il aimait mieux être entretenu par leurs offrandes et leurs charités que de jouir d’un si grand revenu, et que, si on lui faisait une pension modique pour sa subsistance et celle de ses officiers, il ferait volontaire une cession générale de tout ce qui lui appartenait. Quand on lui donnait quelque robe de prix, il avait honte de la porter, et il la faisait vendre, afin que les deniers en fussent employés au soulagement de plusieurs. « L’Église », disait-il, « n’a de l’argent que pour le distribuer, et non pour le garder ; c’est une cruauté indigne d’un cœur de père, tel que doit être celui d’un évêque, d’amasser des biens, tandis qu’il repousse la main du pauvre qui lui demande l’aumône ». Lorsqu’il s’était entièrement épuisé, et qu’il ne lui restait plus rien à donner, il montait en chaire et avertissait le peuple de sa pauvreté et de l’impuissance où il était de secourir les nécessiteux, afin qu’ils fissent eux-mêmes l’aumône.

Il ne voulut jamais acheter ni maison ni métairie. Il ne recevait point les héritages qui étaient légués par testament à l’Église au préjudice des enfants, parce qu’il ne pouvait approuver que ceux-ci en fussent frustrés. Cependant, il ne refusait point les autres libéralités qu’on lui faisait pour le soulagement des pauvres ; mais c’était avec tant de désintéressement, qu’il était toujours prêt à s’en dépouiller. Quelqu’un ayant transporté à son église le domaine d’une terre, et lui ayant mis entre les mains l’acte de sa donation, quelques années après, cette personne s’en repentit et le pria de lui rendre son contrat : le Saint le fit très volontiers. Il lui remontra néanmoins que son procédé n’était guère chrétien, et qu’il devait faire pénitence de s’être repenti d’avoir fait une bonne œuvre et d’avoir voulu reprendre à Dieu une chose qu’il lui avait donnée sans aucune contrainte. Cette facilité d’Augustin donna occasion au peuple de murmurer contre lui, sous prétexte que c’était faire tort aux pauvres et refroidir la dévotion des fidèles envers l’Église, que de rejeter les legs pieux qu’on lui laissait par testament ; mais le saint évêque, pour faire voir la droiture de son intention, s’en expliqua publiquement dans un sermon, où, après avoir discouru sur ce sujet, il conclut par ces paroles : « Quiconque déshéritera son fils pour faire l’Église son héritière, qu’il cherche un autre qu’Augustin pour accepter l’héritage ; mais je prie Dieu qu’il ne se trouve personne qui veuille recueillir sa succession ». Il ne blâme point ceux qui laissent quelque chose à l’Église pour faire prier Dieu à leur intention ; mais ceux qui, par caprice, sans aucun sujet et par une dévotion indiscrète et nullement tolérable, disposent de tous leurs biens en faveur de l’Église et déshéritent leurs parents.

La vaisselle de sa table était de bois, de marbre ou d’étain, et non d’argent ce qu’il faisait, non pour devenir plus riche par cette épargne, mais afin d’être plus libéral. On n’y servait point de mets exquis ni délicats, mais seulement des herbes, des racines et des légumes. Quand on y apportait d’autres mets, c’était pour les malades ou pour les étrangers qui s’y trouvaient. Pendant qu’on mangeait, on faisait ordinairement une sainte lecture pour servir de nourriture à l’esprit, en même temps que le corps prenait la sienne. Et parce qu’il n’arrive que trop souvent que, pendant le repas, on se laisse aller à parler mal de son prochain, pour fermer entièrement la bouche aux médisants et bannir de sa maison ces festins sanglants où la langue tranche plus dangereusement que les couteaux, il avait fait écrire, en gros caractères, dans la chambre qui lui servait de réfectoire, ces deux vers latins :

Quisquis amat dictis absentum rodere vitam,
Hanc mensam vetitam noverit esse sibi.
« Que celui qui se plaît à déchirer par ses médisances la réputation des absents, sache que cette table lui est interdite ».

Il faisait garder si exactement cette règle, que quelques évêques, commençant un jour un discours de raillerie où la médisance allait entrer, notre Saint les interrompit, leur disant : « Messieurs, lisez ces vers : il faut les effacer, ou changer de matière, ou bien ne pas trouver mauvais que je me retire, et que je vous laisse dévorer entre vous la proie que vous tenez ».

La continence pour laquelle, avant sa conversion, il avait eu tant d’horreur, devint l’objet le plus tendre de son cœur. Il fuyait jusqu’aux apparences de l’impureté ; la seule représentation d’un objet peu honnête causait en lui d’étranges alarmes ; les fantômes, qui frappent l’imagination pendant le sommeil, lui paraissaient des monstres furieux, dont il demandait à Dieu incessamment la grâce d’être délivré. Comme il connaissait par une triste expérience la fragilité de la chair, il était toujours sur ses gardes, pour ne point donner la moindre entrée à la tentation il étudiait ses paroles, il observait ses regards, il examinait ses actions et ses démarches, afin que tout en lui respirât la pureté. Lorsque son devoir pastoral l’obligeait de recevoir les visites des femmes, ou de les aller visiter, il ne leur parlait jamais qu’en présence de quelque autre prêtre.

Plus il se voyait par son caractère élevé au-dessus des autres, plus sa charité le rendait abordable à tous ceux qui avaient besoin de son assistance. Il était sans cesse appliqué à procurer le bien de ses ouailles ; il recevait leurs visites avec une douceur paternelle, répondait à leurs demandes, entendait leurs plaintes, résolvait leurs doutes, pacifiait leurs différends, étouffait leurs vengeances ; en un mot, il ramenait par sa prudence les esprits les plus difficiles, et démêlait, par sa grande pénétration, les affaires les plus embrouillées. Comme il s’employa avec un zèle infatigable à ces fonctions multiples et incessantes sans reprendre un peu haleine, il regrettait sa chère solitude. « Je prends à témoin », dit-il dans un de ses ouvrages,

notre Seigneur Jésus Christ, pour l’amour duquel je le fais et en présence de qui je parle, que si je considérais ma satisfaction particulière, j’aimerais beaucoup mieux travailler tous les jours manuellement, et avoir certaines heures pour vaquer en repos à l’oraison et à l’étude de l’Écriture sainte, que d’être attaché comme un esclave à écouter les querelles d’autrui et les affaires du monde, pour les décider comme juge, ou pour les arranger comme arbitre

Ses visites ordinaires étaient chez les veuves, pour les consoler dans leur affliction ; chez les pauvres, pour subvenir à leurs besoins, et chez les malades, pour les aider à supporter patiemment leurs maux ou pour les disposer à une bonne mort. Il faisait rarement de ces visites que la civilité commande plutôt que la charité, encore les faisait-il si courtes, qu’elles ne lui dérobaient guère de son temps.

Il ne s’absenta jamais de son diocèse que pour des nécessités indispensables ou particulières à son Église, ou communes à toute la chrétienté, comme pour assister aux Synodes, ou pour négocier quelque affaire importante au public ; ainsi il se chargea, avec d’autres évêques, d’une ambassade vers l’empereur Honorius, contre les Donatistes, qui persécutaient cruellement les catholiques. Il reprenait généreusement les prélats qui s’arrêtaient trop longtemps à la cour des princes, leur remontrant que le véritable honneur d’un évêque n’était pas de mendier, par des soumissions serviles, la faveur des grands, mais de résider aux lieux où ils ont les objets de leur zèle, les engagements de leur charge et les âmes dont Dieu leur demandera un compte très-rigoureux.

Il était demeuré dans l’Afrique plusieurs restes des usages païens : Augustin entreprit de les abolir, et il y travailla avec tant de douceur, de prudence et de zèle, qu’en peu de temps il en purgea son diocèse. C’était une coutume de faire des danses aux jours de fête devant la porte des églises, et de faire ensuite des festins dans les cimetières. Il abolit cette récréation peu chrétienne. En certains jours de l’année tous les habitants de la ville s’assemblaient sur la place publique, où, se divisant en deux bandes, ils se battaient à coups de pierres avec tant de brutalité, que plusieurs y perdaient la vie ; il fit cesser ce cruel divertissement, où souvent les pères tuaient leurs enfants, et les enfants leurs pères. On célébrait, le jeudi de chaque semaine, une fête en l’honneur de Jupiter ; il retrancha cette idolâtrie. S’étant aperçu que le peuple sortait de l’église avant la fin de la liturgie, et murmurait contre le prêtre lorsque quelquefois il était trop long, il invectiva si fortement contre cette indévotion, que ses exhortations furent suivies de l’amendement. Il fit décréter qu’au sacre des évêques on ferait la lecture des saints Canons, comme il est porté au troisième concile de Carthage, afin que, n’ignorant pas ce qu’ils prescrivent, on ne fît rien de contraire dans leur ordination ; il avait lui — même un regret sensible d’avoir été sacré du vivant de Valère, contre un Canon du concile de Nicée dont il n’avait point eu connaissance. Quelques-uns croient qu’il introduisit dans l’Église plusieurs cérémonies pieuses et dévotes, qu’il composa des oraisons, la bénédiction du cierge pascal et un office des morts.

Comme la fin principale de l’étude d’un ecclésiastique doit être de défendre l’Église, Augustin employa toute la vivacité de son esprit et sa profonde érudition pour combattre les erreurs de son temps. Manès avait si universellement répandu le venin de son hérésie des deux natures coéternelles, que, malgré tous les remèdes qu’on y avait apportés, ses erreurs subsistaient toujours. Augustin en purgea l’Église et particulièrement l’Afrique, par les livres qu’il composa contre cette doctrine également absurde et pernicieuse. Il fit celui qu’il intitule De l’Utilité de la Foi, pour désabuser un de ses amis, nommé Honorat. Fortunat, par son éloquence fardée, voulait faire revivre ce monstre abattu. Augustin lui présenta la discussion à Hippone, où, en présence de tout le peuple et des plus savants de la province, des notaires écrivant mot à mot tous les arguments de part et d’autre, après deux jours de conférence le manichéen demeura muet devant les objections invincibles de notre saint Docteur. Honteux d’avoir été ainsi vaincu publiquement, il sortit de la ville et n’y reparut plus. Félix, qui soutenait opiniâtrement les mêmes erreurs, se laissa persuader par la force des raisonnements d’Augustin, et abjura, ce qui causa une si grande consternation parmi les Manichéens, que nul n’osa plus se présenter pour la discussion. Mais Augustin acheva par ses prédications ce qu’il ne put faire par les conférences publiques. Parmi les conversions qu’il fit en chaire, celle de Firme est remarquable. C’était un riche marchand d’Hippone les Manichéens l’avaient tellement abusé, qu’il leur fournissait de grandes sommes d’argent pour étendre partout leur secte. Mais, ayant entendu prêcher saint Augustin contre leurs erreurs, il les abandonna. Depuis, renonçant au trafic, il se fit religieux de l’Ordre de Saint-Augustin, où il mena une vie fort sainte le reste de ses jours. Quelques ouvrages d’Adimantus, qui avait été disciple de Manès, étant tombés entre les mains de notre grand Docteur, il y répondit et les réfuta par le livre que nous avons, sous ce titre Contre l’adversaire de la Loi et des Prophètes.

Les plus grands ennemis que saint Augustin eut à combattre durant son épiscopat, furent les Donatistes. L’erreur de Donat, leur chef, comptait près de quatre cents évêques et était très-puissante en Afrique. Ces sectaires se vantaient qu’eux seuls composaient la véritable Église, et, par conséquent, qu’il fallait rebaptiser tous ceux qui n’étaient pas de leur secte. Il y avait parmi eux une fraction appelée les Circumcellions, parce qu’ils rôdaient sans cesse autour des cellules des frères, et cherchaient de tous côtés les fidèles pour les séduire. Ils étaient si barbares, qu’ils faisaient cruellement mourir tous ceux qui tombaient entre leurs mains et qui ne voulaient pas renoncer à la foi catholique, sans faire aucune distinction de sexe, d’âge ni de condition. Ils démolissaient les églises, renversaient les autels, pillaient les biens des prêtres, chassaient les orthodoxes de leurs maisons, mutilaient les uns, jetaient de la chaux vive avec du vinaigre dans les yeux des autres, et exerçaient toutes sortes de cruautés sur ceux qui leur résistaient. Comme saint Augustin était leur plus redoutable adversaire, ils avaient conçu une haine implacable contre lui. Ils employaient également la force et la ruse pour s’en défaire. Ils publiaient partout qu’il était un loup ravissant et un séducteur des âmes dont il fallait se défaire, et que celui qui ferait ce coup rendrait un service signalé à l’Eglise et mériterait des louanges éternelles. En effet, ils attentèrent souvent à sa vie, et, sans une protection particulière de la divine Providence, ils l’eussent cruellement mis à mort.

C’était la gloire d’Augustin d’avoir de tels monstres à combattre. Il les battait continuellement dans ses sermons. Il montrait l’impiété et la fausseté de leur secte, renversait leurs dogmes par des raisonnements puissants, et minait peu à peu leur parti. Enfin il leur donna le coup de mort dans cette célèbre conférence de Carthage, tenue sous l’empereur Honorius, en présence du comte Marcellin, que ce prince avait envoyé comme commissaire ; car, par le zèle et la prudence de notre saint Docteur, les Donatistes y furent confondus, et l’unité de l’Eglise catholique y fut parfaitement établie. Ce qui empêchait la conversion des évêques pervertis, c’est qu’ils avaient été dépouillés de leurs évêchés, et que l’on avait mis d’autres évêques en leur place. Il fallait donc trouver un accommodement pour les ramener à la foi. Saint Augustin, dans le livre qu’il a écrit sur ce qui s’est passé entre lui et Emérite, évêque des Donatistes, rapporte ce que l’on fit pour cela. Les évêques catholiques écrivirent à Marcellin, pour montrer le désir qu’ils avaient de la réunion s’ils étaient vaincus dans la conférence, ils quitteraient leurs évêchés sans plus rien y prétendre, et, s’ils demeuraient victorieux, quoiqu’alors on ne pût plus douter qu’ils ne fussent les véritables pasteurs, ils consentaient, pour le bien de la paix et afin qu’on ne vît pas deux évêques dans une même église, que les uns et les autres renonçassent à leur dignité, et que l’on en fît un troisième pour en être uniquement le chef.

« Pourquoi ferions-nous difficulté », disaient-ils, « d’offrir à notre Rédempteur ce sacrifice ? Quoi donc ! il sera descendu du ciel dans un corps mortel, afin que nous soyons ses membres et nous aurions de la peine à descendre de nos trônes pour empêcher que ses membres ne soient déchirés par une cruelle division ? Nous n’avons rien de meilleur à notre égard que la qualité de chrétiens fidèles et obéissants à Dieu gardons-la donc inviolablement. Mais, quand à celle d’évêques, nous ne l’avons qu’à l’égard de nos peuples, puisque c’est pour eux que nous avons été faits évêques nous en devons donc disposer, soit pour la retenir, soit pour la quitter, comme il sera le plus expédient pour la paix des fidèles. »

Saint Augustin, un peu avant cette conférence de Carthage, fit lire cette lettre par Alype, en présence de trois cents évêques catholiques, et, par ses pressantes remontrances ; il les obligea tous d’acquiescer à ce sentiment. Cela commença la ruine du schisme des Donatistes. Quelques temps après la conférence, il se trouva, par ordre du souverain Pontife, à une autre assemblée tenue à Césarée, en Mauritanie, où il acheva de les détruire.

 


 

Les Petits Bollandistes. Vies des Saints. Septième édition, tome dixième, p. 279-314, Bloud et Barral, libraires, Paris, 1876
Version électronique disponible sur le site des Vrais Chrétiens Orthodoxes Francophones

 


 

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