Catéchèse, Orthodoxie

La vie du Bienheureux Augustin, évêque d’Hippone – IV

9 novembre 2020

Fêté le 28 août

Verbo Dei dum obedit,
Credit errans, et accedit
Ad baptismi gratian.

Firmans fidem, formans mores,
Legis sacrae perversores
Verbi necat gladio.

 

Bamberger Apokalypse – Staatsbibliothek Bamberg Msc.Bibl.140 / Reichenau, circa 1010

 

Touché par la parole de Dieu, il ramène son esprit
Dans les sentiers de la foi, et s’offre de lui-même à la grâce du baptême.
Il affermit la foi, il forme les mœurs, et armé du glaive de la parole, il extermine les corrupteurs de la loi de Dieu.

Prose de saint Augustin.

 

IV

Outre les Manichéens et les Donatistes, il fit encore la guerre aux Pélagiens. Pélage, anglais de nation, d’un esprit inquiet et remuant, mais très artificieux, avait répandu partout sa pernicieuse doctrine, niant que la grâce fût nécessaire pour vouloir le bien et pour pratiquer la vertu, et soutenant que le libre arbitre seul, avec les dons et les qualités naturelles, était suffisant pour l’un et pour l’autre. Il avait si bien déguisé ses faux dogmes, qu’au Synode de Diospolis il passa pour orthodoxe mais Augustin, ayant découvert le venin qui était caché dessous, écrivit fortement contre lui, et prouva divinement la nécessité de la grâce intérieure pour porter notre volonté à produire les actes surnaturels, par lesquels nous méritons la gloire éternelle. Il employa dix années entières à répondre aux écrits de cet hérésiarque ; il le fit avec une éloquence si admirable et dans un style si sublime que, comme dans le reste de ses ouvrages, il surpasse de beaucoup les autres Docteurs, il semble qu’en écrivant sur cette matière, il se soit surpassé lui-même. Saint Jérôme, ayant lu ce qu’il avait écrit, ne voulut plus composer sur ce sujet, parce que, le trouvant épuisé par saint Augustin, il avouait qu’il n’y avait rien à y ajouter. On peut voir les traités qui nous en sont demeurés, où il montre la nécessité et l’efficacité de la grâce, les ravages du péché originel, la corruption de notre nature par ce péché, et la liberté dont l’homme jouit toujours dans sa plus grande faiblesse. Il prouve toutes ces vérités par des textes si formels de l’Écriture, et les explique avec tant de netteté et de si belles pensées, que tous ceux qui ont voulu depuis traiter solidement cette matière, se sont attachés à ses sentiments et ont suivi ses principes, sans crainte de s’égarer dans un sujet si épineux. Dans le concile de Carthage et de Milève, il fut chargé d’écrire contre Pélage, et de faire savoir aux fidèles ce qui avait été décidé et depuis, les textes de ses écrits ont servi à composer les définitions et les Canons que les Conciles généraux et provinciaux ont faits sur la même matière, et les souverains Pontifes ont renvoyé à sa doctrine ceux qui voudraient savoir quel est le sentiment de l’Église touchant la grâce divine.

Il est vrai que Cassien, auteur des Conférences, et Fauste, évêque de Riez en Provence (Semi-Pélagiens), trouvèrent à redire à ce qu’il avait écrit touchant la nécessité de la grâce pour toutes sortes d’actions salutaires, et composèrent contre lui quelques ouvrages, où ils tachèrent de donner quelques adoucissements à sa doctrine ; saint Hilaire même et saint Prosper, ses plus zélés disciples, le prièrent de s’expliquer, parce que plusieurs, interprétant mal ses sentiments, prenaient de là occasion de s’abandonner à l’oisiveté ou au désespoir. Mais il fit encore triompher la vérité contre ces restes du Pélagianisme, par les livres De la Prédestination des Saints, et du Bien de la Persévérance après avoir justifié ses sentiments par des raisonnements tirés de l’Écriture sainte et des ouvrages de saint Cyprien, de saint Ambroise et de saint Grégoire de Nazianze, il dit : « Je sais certainement que nul ne peut, sans errer, disputer contre cette doctrine que nous enseignons et que nous défendons par l’autorité des saintes Écritures ». Puis il ajoute : « Que celui qui entendra ces vérités en rende grâces à Dieu, mais que celui qui ne les comprendra pas, prie le Docteur intérieur des âmes de lui tirer le rideau qui lui cache ces mystères, et de lui lever la taie des yeux, qui l’empêche de les voir, afin qu’il ne demeure pas plus longtemps dans l’erreur ». Ces paroles font voir, vu la grande modestie de notre saint Docteur, qu’il était très persuadé qu’il défendait le parti de la vérité. En effet, après sa mort, le pape saint Célestin, écrivant aux évêques de France, rend de lui cet illustre témoignage : « Nous avons toujours tenu dans notre communion le bienheureux Augustin, pour sa vie et pour ses mérites, on n’a jamais eu le moindre soupçon, ni de la pureté de sa foi, ni de l’intégrité de ses mœurs au contraire, nous savons que tous nos prédécesseurs l’ont aimé et honoré comme un très excellent Docteur de l’Église ».

La défaite de Jovinien augmenta encore le nombre des victoires de saint Augustin. C’était un prêtre de Vénus plutôt que de Jésus Christ, tenant école ouverte à Rome ; il y enseignait, au préjudice de la chasteté religieuse, que le mariage devait être préféré à la continence ; notre saint Prélat combattit cette erreur. Il écrivit et prêcha contre elle, et, par la force de sa doctrine, il renversa les maximes de ce faux prêtre et excita les fidèles à l’amour de la pureté. Nous ne nous étendrons pas sur Maximin et Félicien, Ariens ; sur Parménien, Cresconius, Gaudence et Pétilien, Donatistes ; sur Célestius, Julien, évêque de Capoue, Pélagiens, et enfin sur plusieurs autres qu’il terrassa. Pour ne pas grossir excessivement cette histoire, il suffit de dire que tous leurs artifices n’ont servi qu’à ériger de nouveaux trophées à la gloire d’Augustin mais nous ne pouvons omettre ce qu’il a fait pour achever de confondre et de détruire l’idolâtrie.
Lorsque Alaric, roi des Goths et arien de religion, s’empara de la ville de Rome, qu’il mit au pillage et saccagea entièrement, excepté les habitants qui s’étaient réfugiés dans l’église de Saint-Pierre, les païens rejetèrent ces malheurs sur les chrétiens, publiant que, depuis qu’on avait cessé d’adorer les dieux de l’empire, ils avaient été accablés de toutes sortes de calamités. Mais notre incomparable Docteur, ne pouvant souffrir que l’on fît cet injuste reproche à l’Église de Jésus Christ, entreprit aussitôt sa défense pour la justifier de cette calomnie. Il composa pour cet effet les vingt-deux livres de la Cité de Dieu, qu’il dédia au tribun Marcellin ; il y montre, avec autant d’éloquence que de solidité, que ces grandes calamités n’étaient arrivées qu’à cause du culte des faux dieux, que le temple de Saint-Pierre a été respecté par les barbares, que la religion chrétienne a pu les adoucir un peu.

Enfin, saint Augustin ne s’est pas contenté de combattre les ennemis de la foi et de désarmer les infidèles, les hérétiques, les libertins et les schismatiques, mais il a voulu travailler encore pour l’Église universelle car, outre les ouvrages polémiques qu’il a composés, il a fait des traités pour tous les états de la vie civile et chrétienne. Les gens mariés, les veuves, les vierges, les réguliers, les ecclésiastiques et les laïques trouvent dans ses livres les plus solides maximes pour leur conduite. Sa doctrine est comme un fleuve dont la source ne tarit jamais, qui se répand universellement sur toutes les branches de l’Église pour les rendre florissantes et fertiles en toutes sortes de bonnes œuvres et de fruits dignes de Jésus Christ. Il a dressé les préceptes de la grammaire pour les enfants, il a composé une rhétorique pour les orateurs, il a expliqué les catégories pour les philosophes, il a recherché avec beaucoup de travail et d’exactitude ce qu’il y avait de plus rare dans l’antiquité pour les curieux, il a écrit des volumes entiers de théologie positive pour les prédicateurs, il a traité avec une pénétration merveilleuse les mystères de la religion la Trinité, les processions divines, l’Incarnation, la prédestination et la grâce pour les théologiens, il a laissé des méditations toutes de feu et de sublimes contemplations pour les mystiques ; il a fourni quantité de belles lois pour les jurisconsultes ; en un mot, il a enrichi l’Église d’innombrables écrits, armes redoutables et invincibles pour renverser ceux qui osent l’attaquer.

Le pape Martin V, dans le sermon qu’il a fait à la translation des reliques de sainte Monique, proclame qu’aucun Saint n’a rendu de si grands services à l’Église qu’Augustin. Saint Paulin, évêque de Noie, son intime ami, dit, dans une lettre qu’il lui écrit, qu’il est le sel de la terre, dont on assaisonne les cœurs pour les rendre incorruptibles, une Fournaise de charité et un Séraphin brûlant du feu de l’amour de Dieu, un Flambeau posé sur le chandelier qui dissipe les ténèbres de l’erreur, et, par sa brûlante lumière, met toutes les vérités catholiques dans leur plus beau jour. Sulpice Sévère le nomme l’Abeille industrieuse qui nourrit les fidèles de son miel, et tue les hérétiques de son aiguillon. Saint Remi d’Auxerre dit qu’il surpasse autant les autres Docteurs dans l’exposition des Écritures, que le soleil surpasse les petits flambeaux qui s’allument la nuit dans le ciel. Saint Jérôme, dans une de ses lettres, lui parle en ces termes : « Votre vertu se prêche partout où il y a des langues qui savent parler ; les catholiques vous honorent et vous reconnaissent pour le restaurateur de leur ancienne loi et ce qui augmente votre gloire, c’est que les hérétiques vous appréhendent comme leur plus redoutable ennemi ». Sérapion, dans un traité qu’il adresse à Arnobe le Jeune, et qui se trouve parmi les œuvres de saint Irénée, dit : « Sa science est si irréprochable, qu’on ne peut la censurer sans se convaincre d’hérésie par sa propre bouche ». Et Arnobe, dans sa réponse, lui avoue qu’il est dans le même sentiment et qu’il soutient sa doctrine avec autant de fermeté que si les Apôtres la lui avaient dictée. Saint Grégoire, pape, conseille de lire ses ouvrages, pour engraisser son âme d’une viande délicieuse. Enfin, les écrivains ecclésiastiques l’appellent le Miroir des prélats, le Maître de la théologie, l’Ornement des évêques, l’Eclat de tout l’Ordre sacerdotal, la Lumière des Docteurs, le Soleil de l’Afrique, le Bouclier de la foi, le Fléau des hérétiques, le Temple de la religion, le Firmament de l’Eglise, et la Colonne inébranlable de la vérité.

Mais ce qu’il y a de plus admirable en lui, c’est d’avoir su parfaitement unir, avec sa profonde érudition, une grande tendresse de cœur pour Dieu et des sentiments extatiques de dévotion dans ses prières. Souvent la science ne donne que de brillantes lumières à l’esprit, sans exciter le feu de l’amour divin. Augustin n’a pas séparé la pratique de la théorie ; son cœur a reçu les mêmes impressions que son esprit ; et, comme il a eu d’admirables connaissances de la Divinité, il a senti de merveilleuses ardeurs d’amour pour elle. Il ne faut que jeter les yeux sur ses Confessions et ses Soliloques, son Manuel et ses Méditations, qui sont extraits de ses écrits, non seulement pour être persuadé qu’il a beaucoup aimé, mais encore pour être touché des mêmes flammes dont il était embrasé : « Recevez ce cœur, ô mon cher maître », dit-il dans une méditation, « décochez contre lui toutes les flèches de votre divin amour. Oh que ces blessures me seront douces et aimables ; oh ! que je serai glorieux, si mon âme peut dire un jour : J’ai été allaitée de votre amour » et, comme s’il avait été exaucé, il dit dans ses Confessions : « Vous aviez dardé dans mon cœur une flèche d’amour qui l’avait pénétré si avant, que le fer en est demeuré dans la plaie ». Quelques auteurs, appuyés sur ces paroles, ont dit que son cœur avait effectivement reçu l’impression des plaies du Seigneur ; mais, quoi qu’il en soit, il suffit de dire qu’il était tellement pénétré de ce feu divin, qu’il ne respirait que la charité. Tout ce qu’il y avait de plus éclatant dans les honneurs, de plus doux dans les délices de la vie, de plus avantageux dans les faveurs de la fortune, de plus charmant dans la conversation des hommes tout cela, disons-nous, lui paraissait indigne du moindre désir de son cœur, et il proteste que cette profonde science, qui lui avait attiré tant d’admirateurs, lui aurait été insupportable, si elle ne l’eût conduit à une union intime avec son Bien-Aimé. « Ô mon Dieu ! » disait-il, « que celui-là est malheureux, qui sait beaucoup et qui ne sait pas ce que vous êtes ; mais heureux mille fois celui qui vous connaît, quoiqu’il ignore toutes les autres choses du monde. » Quelques doctes croient que Jésus Christ, pour fonder l’amour que saint Augustin lui portait, lui fit trois diverses fois la même demande qu’à saint Pierre :

« Augustin, m’aimes-tu ? »
« Vous savez », répondit-il, « Seigneur, que je vous aime, quoique mon amour soit indigne de vous mais, comme vous méritez d’être aimé, faites que mon amour soit digne de vous ! »
— « Mais que ferais-tu pour moi ? » repartit Jésus Christ.
— « Je consentirais volontiers », répliqua Augustin, « à ce que le feu du ciel descendît sur moi et me dévorât entièrement sur vos autels, afin d’être un holocauste agréable à votre divine Majesté ! »
– « Que ferais-tu encore pour moi ? » continua Jésus Christ. « Ah ! » poursuivit Augustin par un amoureux transport, « s’il se pouvait faire que je fusse Dieu, et que vous fussiez Augustin, je choisirais de tout mon cœur d’être Augustin, afin que vous fussiez Dieu ». …

Toutes les belles et exquises qualités d’Augustin et ces faveurs extraordinaires du ciel, ne lui servirent qu’à s’humilier plus profondément ; il était si persuadé de son néant et si confus des désordres de sa jeunesse, qu’il s’estimait indigne de recevoir la moindre caresse de Jésus Christ ; après avoir employé plus de quarante ans à l’étude des saintes Lettres, il confesse qu’il ne les conçoit pas et qu’il les trouve aussi difficiles qu’au commencement. Il ne pouvait souffrir qu’on lui donnât aucune louange, ni qu’on lui accordât aucune prérogative sur les autres. Dans une lettre qu’il écrivit aux Donatistes, il dit que leurs évêques n’avaient pas voulu conférer avec lui, parce qu’ils ne voulaient pas parler à un pécheur tel qu’il était. Il pria saint Jérôme d’examiner ses écrits et de les censurer et corriger en maître. Les savants n’ignorent pas la dispute que ces deux saints docteurs eurent ensemble ; il s’agissait de savoir si la représentation que saint Paul fit à saint Pierre, à Antioche, touchant les cérémonies légales, et dont il est parlé dans l’Epître aux Galates, avait été simulée et seulement en apparence, ou véritable. Saint Jérôme soutenait qu’elle n’avait été que simulée, et qu’on ne pouvait combattre cette interprétation sans altérer la vérité du texte de saint Paul. Saint Augustin était d’un sentiment contraire. Saint Jérôme s’en offensa, et lui écrivit une lettre forte, pour ne pas dire aigre et ardente, où il le traite de jeune évêque, peu versé dans l’Ecriture, et qui cherchait, par des opinions nouvelles, à se mettre en crédit au préjudice des anciens Docteurs, qui avaient vieilli dans l’étude des Lettres sacrées. Quoique le sentiment de saint Augustin, fût plus conforme à celui de l’Eglise, il le soutint néanmoins par sa réponse, avec beaucoup d’humilité, de douceur et de respect pour ce grand homme, auquel il se reconnaissait inférieur en doctrine et cette conduite chrétienne fut cause que saint Jérôme changea de sentiment dans ses Dialogues contre les Pélagiens.

Mais les plus belles et les plus éclatantes productions de son humilité, sont les livres intitulés Rétractations et ses Confessions où il fait lui-même le tableau de son esprit et de son cœur. Dans ses Rétractations, il repasse tous les traités qu’il avait faits jusqu’alors avant et après son baptême, durant son sacerdoce et depuis qu’il était évêque, et les corrige avec beaucoup de sévérité et tant d’exactitude qu’il n’omet ni sentence, ni parole, ni syllabe. Dans ses Confessions, il découvre ses plaies avec tant de sincérité, et il représente les désordres de sa jeunesse, qu’il va même rechercher dans les premières années de son enfance, avec tant de clarté, qu’il n’en oublie pas la moindre circonstance ; il n’a pas honte d’y avouer les mauvaises inclinations qui le portaient au vice, et les folies de son imagination qui avaient causé en lui de si grands égarements ; il y déclare ingénument tous les dérèglements de sa vie et les excès où les mauvaises compagnies l’avaient précipité ; il les pèse au poids du sanctuaire, sans se flatter ni déguiser ; il veut bien que tout le monde connaisse sa misère, afin que l’on admire davantage la miséricorde de Dieu sur lui ; enfin, il veut que la postérité sache qu’il a été hérétique, libertin, pécheur, pour nous apprendre, par cette humilité, que la pénitence est glorieuse à Dieu et avantageuse à celui qui la pratique.

Voilà quelle fut la vie du grand Augustin jusqu’à l’âge de soixante-douze ans ; se voyant alors plus épuisé encore par les fatigues qu’il avait souffertes, qu’accablé de vieillesse, il ne pensa plus qu’à se préparer à la mort par la contemplation des choses célestes, auxquelles son âme aspirait avec des ardeurs inconcevables. Pour en avoir plus de loisir, il pria le clergé et le peuple d’agréer, pour son coadjuteur et successeur, le prêtre Erade, dont la piété et la science leur étaient connues aussi bien qu’à lui. Il passa ensuite les quatre années qu’il vécut encore dans des transports continuels d’un très pur amour pour Dieu, sans néanmoins cesser de prêcher à son peuple, et de répondre aux personnes qui le consultaient.

Quelque temps avant la mort de notre Saint, le comte Boniface, qui gouvernait l’Afrique au nom de Rome, brouillé par Aétius avec l’impératrice Placidie, s’en vengea en appelant les Vandales d’Espagne. Saint Augustin lui écrivit pour le détourner de cette trahison. Le comte ne déféra point à ses avis salutaires. Quatre-vingt mille barbares se précipitèrent sur l’Afrique, et par les sacrilèges, les incendies, les larcins et les pillages, sans épargner les choses sacrées non plus que les profanes, ruinèrent en peu de temps tout le pays ; ce qu’il y eut de plus déplorable, c’est qu’après avoir massacré les évêques, les prêtres et les religieux, ils y ramenèrent l’hérésie des Ariens, que notre Saint en avait bannie. Le cœur déchiré de douleur, à la vue des malheurs de sa patrie, notre Saint resta au milieu de son peuple, qu’il tâcha de soulager, de consoler. Quand le troupeau souffre, le bon pasteur ne doit pas s’éloigner. Bientôt les Vandales assiégèrent la ville d’Hippone. Ce fut en cette circonstance que saint Augustin composa la belle oraison, qui commence par ces paroles : Ante oculos tuos, Domine, culpas nostras ferimus, que l’on trouve à la fin des Diurnaux, et que le cardinal Séripand, qui l’avait tirée d’un ancien manuscrit, distribua au Concile de Trente, où il était légat du Pape.

A la fin, consumé de tristesse, n’en pouvant plus, il dit aux évêques : « Mes frères et mes pères, prions ensemble afin que ces malheurs cessent, ou que Dieu me retire de ce monde ». Quelque temps après, il se mit au lit, pris d’une fièvre violente, causée par la douleur qui inondait son âme, et bientôt on vit avec effroi qu’il allait mourir. Ce cœur si tendre et si fort prit alors ce je ne sais quoi de plus affectueux et de plus tendre encore. Il employa ses dernières forces à dicter, pour les évêques d’Afrique, une lettre admirable, où il les engageait à ne pas abandonner leurs peuples, à leur donner l’exemple de la résignation et de la patience, à souffrir et à mourir avec eux et pour eux. Ce fut son dernier écrit, et comme le chant du cygne ; et il était digne de ce grand cœur d’avoir, sur le bord de sa tombe, un tel cri d’amour.

Cependant le peuple d’Hippone apprend qu’Augustin va mourir. Aussitôt sa maison est piégée. Les fidèles veulent voir une dernière fois leur évêque. Les malades se pressent autour de son lit. Les mères apportent leurs enfants pour qu’il les bénisse. Emu de ces témoignages d’affection, le mourant offrait à Dieu ses prières avec ses larmes. Un père lui ayant demandé d’imposer les mains sur la tête de son enfant et de le guérir. « Si j’avais le pouvoir de guérir, » dit en souriant le doux vieillard, « je commencerais par moi-même. » Néanmoins, le père insistant, il mit sa main sur la tête de l’enfant, qui fut guéri.

Mais déjà Augustin ne tenait plus à la terre. Il échappait aux embrassements de son peuple. Emporté par l’amour de Dieu qui le consumait, et tout à la fois retenu par le souvenir de ses péchés, que quarante années d’expiation n’avaient pu lui faire oublier, il employait ses dernières heures à achever la purification de son âme. Il avait fait écrire sur de grandes bandes d’étoffe et placer contre la muraille les Psaumes de la pénitence, et de son lit, dans les derniers jours de ses souffrances, il lisait ces versets avec d’abondantes et continuelles larmes.

« Et afin », dit Possidius, « que nul ne l’interrompît dans cette suprême méditation, dix jours environ avant sa mort, il nous conjura de ne plus laisser entrer personne dans sa chambre, sinon à l’heure de la visite des médecins. On lui obéit religieusement, et ces dix derniers jours, ce grand homme les passa dans un silence absolu, seul avec Dieu, et dans un mélange singulier de repentir et d’amour ».

Enfin, l’heure dernière approchant, tous les évêques se réunirent une dernière fois autour de son lit et, parmi leurs embrassements et leurs soupirs, l’âme du saint vieillard s’envola dans le sein de Dieu, le 28 août 430. Il y avait soixante-seize ans que Monique l’avait mis au monde, quarante-trois ans qu’elle l’avait converti par ses larmes, et quarante-deux qu’elle l’attendait dans le ciel.

« Saint Augustin ne fit point de testament », dit Possidius, « parce que, s’étant fait pauvre pour Jésus Christ, il n’avait plus rien à donner ; » il laissa pourtant deux grands trésors à l’Eglise, les œuvres qu’il avait composées et les Ordres qu’il avait institués. Dieu fit voir, par une protection singulière, combien ses livres lui devaient être chers car les Vandales ariens ayant, environ un an après sa mort, pris et saccagé la ville d’Hippone, ne purent jamais mettre le feu à sa bibliothèque, quoique, n’ignorant pas combien il leur avait été contraire, ils fissent leurs efforts pour cela, parce que les anges, comme le rapporte Baronius, les empêchèrent de causer à l’Eglise cette perte qui aurait été irréparable. Pour les Ordres religieux qu’il a fondés, et qui se partagent en plus de soixante Congrégations différentes de l’un et l’autre sexe, on peut dire qu’ils sont des trésors immenses d’où l’Eglise a de tous temps tiré de puissants secours.
 

 

CULTE ET RELIQUES

Son corps fut enterré à Hippone, dans l’église Saint-Etienne, qu’il avait fait bâtir. En 498, les Vandales menaçant sa tombe, ses saintes reliques furent pieusement emportées en Sardaigne par des évêques d’Afrique exilés, et déposées à Cagliari, dans la basilique de Saint — Saturnin, et dans une urne ou sépulcre de marbre blanc encore subsistant. Deux siècles plus tard, ce précieux trésor tomba au pouvoir des Sarrasins avec l’île de Sardaigne. Luitprand, roi des Lombards, le racheta et le fit transporter à Pavie le 5 des ides d’octobre 722 ; on le déposa dans le triple souterrain de la basilique de Saint-Pierre-du-Ciel-d’Or. La garde en fut confiée, jusqu’au pape Innocent III, aux disciples de Saint-Benoît. A cette époque ils furent remplacés par les Chanoines réguliers, auxquels furent adjoints, en 1326, les Ermites de Saint-Augustin. On visite avec admiration, dans cette église, l’Arche, monument en marbre, élevé par les Ermites de Saint-Augustin vers le milieu du 14 e siècle. Les restes d’Augustin demeurèrent ensevelis avec les plus insignes honneurs dans la basilique de Saint-Pierre-du-Ciel-d’Or, à Pavie, jusqu’en 1695, époque à laquelle ils furent découverts et de nouveau exposés à la vénération des fidèles. L’église de cette abbaye ayant été changée en hôpital, on transporta dans la cathédrale la châsse précieuse qui renfermait ses ossements. L’authenticité de ces reliques fut confirmée par Benoît XIII en 1728. Les reliques et le monument de saint Augustin, gardés jadis par les Chanoines réguliers que l’empereur Joseph II supprima en 1781, et par les Augustins que les révolutionnaires d’Italie abolirent en 1799, furent transportés de l’église Saint-Pierre, dans la cathédrale, ou on les vénère encore. Ce monument est placé dans une chapelle latérale, du côté de l’épître. Le devant est en forme d’autel, et l’on y célèbre la liturgie.

Le pape Grégoire XVI ayant, en 1837, érigé un siège épiscopal à Alger, le premier évêque, Mgr Dupuch, voulut obtenir pour son diocèse des reliques de saint Augustin. Il adressa à l’évêque de Pavie une demande qui fut favorablement accueillie. Une portion notable des ossements du saint Docteur fut remise à Mgr Dupuch, qui, chargé de ce précieux dépôt, se rendit à Toulon pour retourner en Algérie. Là, il s’embarqua avec Mgr Donnet, archevêque de Bordeaux, et NN. SS. les évêques de Châlons, de Marseille, de Digne, de Valence et de Nevers, le 25 octobre 1842, et les saintes reliques furent portées solennellement de l’ancienne cathédrale de Toulon au vaisseau. Après une heureuse navigation qui dura trois jours, le vaisseau entra dans la rade de Boue, où il y eut un Office solennel. Le dimanche 30 octobre, les mêmes prélats transférèrent les reliques dans le lieu où fut jadis Hippone, et les déposèrent dans un monument élevé à la mémoire du saint Docteur et orné de sa statue.

On ne rapporte point que saint Augustin ait fait d’autres miracles durant sa vie que d’avoir délivré des énergumènes par la force de ses prières et de ses larmes, et d’avoir rendu la santé à un malade par l’imposition de ses mains ; mais on en raconte un assez grand nombre qui ont été faits à son tombeau, et que l’on peut voir dans sa vie, composée par le R. P. Simplicien de Saint-Martin religieux de son Ordre. On y trouvera une chose prodigieuse touchant le cœur de saint Augustin. Cet auteur, fondé sur la foi des autres historiens de son Institut, écrit que saint Sigisbert, évêque en Allemagne, demandant à Dieu avec ferveur qu’il lui plût de lui donner quelque relique de ce grand Docteur, auquel il portait une singulière dévotion, l’ange gardien du même Saint lui apparut et, lui présentant un vase de cristal, où il y avait un cœur, il lui dit ces paroles : « Après la mort du bienheureux Augustin, évêque d’Hippone, j’ai pris son cœur par le commandement de Dieu et l’ai préservé de corruption jusqu’à maintenant ; voici que je vous l’apporte, afin que vous lui rendiez la vénération qui lui est due ». Sigisbert, ravi d’avoir reçu du ciel un si riche trésor, assembla le peuple pour en rendre à Dieu des actions de grâces solennelles, et par une merveille aussi surprenante que glorieuse à l’amour dont cet homme de feu avait brûlé durant sa vie mortelle, à ces paroles du Te Deum : Sanctus, Sanctus, Sanctus, son cœur commença à se remuer, comme s’il eût été encore animé des flammes de la charité et du grand zèle qu’il avait fait paraître pour la gloire de la très sainte Trinité. Ce qui est encore plus admirable, c’est que ce même prodige se renouvelait tous les ans à la vue de tout le monde, au jour de la Sainte-Trinité, lorsque ce précieux cœur étant mis sur l’autel, on y chantait la liturgie ; c’est peut-être un des motifs pour lesquels les Papes ont permis aux religieux de son Ordre de chanter, au jour de sa fête, la préface de la Sainte — Trinité. On dit encore que pas un hérétique ne pouvait entrer impunément dans l’église pendant que son cœur y était exposé. On avait coutume de faire toucher à ce saint cœur, d’autres petits cœurs que l’on gardait comme des reliques ; l’illustre Augustin de Jésus à Castro, primat des Indes, nous en a fourni une preuve authentique, lorsque, par commission de Grégoire XIII, visitant le monastère de Munich, en Bavière, il trouva, parmi les saintes reliques, une petite chasse d’argent, dans laquelle était un cœur de fer entouré d’un cercle d’or avec cette inscription sur un parchemin : « Cœur qui a été appliqué sur le vrai cœur de saint Augustin ; il est de fer pour montrer sa grande constance il est entouré d’or pour signifier les ardeurs de sa charité. »


 

Les Petits Bollandistes. Vies des Saints. Septième édition, tome dixième, p. 279-314, Bloud et Barral, libraires, Paris, 1876
Version électronique disponible sur le site des Vrais Chrétiens Orthodoxes Francophones

 


 

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