Catéchèse, Orthodoxie

Saint Basile le Grand : Lettre CCXLIII – Aux évêques d’Italie et de Gaule, sur l’état des Églises et la confusion qui y règne

19 août 2023

Aux frères vraiment très aimés de Dieu et très désirés, aux collègues qui partagent nos sentiments, les évêques de Gaule et d’Italie, Basile, évêque de Césarée de Cappadoce. Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a bien voulu appeler toute l’Église de Dieu son corps, et qui nous a pris un à un pour faire de nous les membres les uns des autres, nous a donné aussi à tous d’avoir avec tous des relations intimes, selon l’harmonie qui doit régner entre les membres. C’est pourquoi, bien que nous soyons très éloignés les uns des autres par la distance qui sépare nos demeures, nous sommes voisins les uns des autres, si l’on considère notre union.

Donc, puisque la tête ne peut dire aux pieds : « Je n’ai pas besoin de vous »[1], vous non plus de toute façon vous n’aurez pas le cœur de nous repousser, mais vous compatirez d’autant plus aux afflictions auxquelles nous avons été livrés à cause de nos péchés, que nous nous réjouissons avec vous de la gloire qui vous entoure dans la paix dont vous a gratifiés le Seigneur. D’autres fois déjà nous avons crié vers votre amour, pour que vous nous envoyiez du secours et de la sympathie ; mais, parce que notre châtiment n’était pas complet, il vous a été absolu­ment interdit de vous lever pour nous porter secours. Nous cherchons surtout à obtenir que l’empereur qui exerce son commandement sur votre pays soit éclairé lui aussi par votre piété sur la confusion qui règne chez nous ; et si c’est là une tâche désagréable, que du moins quelques-uns de chez vous viennent visiter et consoler les affligés, pour se mettre sous les yeux les souffrances de l’Orient. Celles-ci, vos oreilles ne peuvent les percevoir, parce qu’on ne trouve pas de parole capable de vous faire voir clairement notre situation.

Une persécution nous a saisis, frères très vénérés, et la plus cruelle des persécutions. On chasse les pasteurs pour disperser les troupeaux. Et voici ce qu’il y a de plus pénible : ceux qu’on maltraite acceptent à la vérité leurs souffrances dans la certitude du martyre, mais les peuples n’honorent pas ces athlètes à l’égal des martyrs, parce que leurs persécu­teurs sont affublés du nom de chrétiens. Il n’y a maintenant qu’un seul crime qui soit sévèrement puni : la scrupuleuse fidélité aux traditions des Pères. C’est pour cette raison que les hommes pieux sont chassés de leur patrie et qu’ils sont relégués dans les lieux déserts. Les cheveux blancs n’ins­pirent pas le respect chez les juges d’iniquité, ni l’exercice de la piété, ni la vie vécue selon l’Évangile depuis le jeune âge jusqu’à la vieillesse. Aucun malfaiteur n’est condamné sans preuves, mais des évêques ont été condamnés par le fait de la seule calomnie, et, sans qu’on ait apporté la moindre preuve en faveur des accusations, ils sont livrés aux supplices. Il y en a qui n’ont pas connu d’accusateurs, qui n’ont pas vu de tribunaux, qui n’ont été victimes d’aucune calomnie, et qui, emmenés de force à une heure indue de la nuit, ont été exilés dans les pays lointains, exposés à la mort par les souffrances du désert. La suite est connue de tous, même si nous la taisons : exil de prêtres, exil de diacres, suppression de tout le clergé. Il faut ou adorer l’image, ou être livré au feu cuisant des fouets[2].

C’est le gémissement des peuples, les larmes continuelles à la maison et en public, parce que tous déplorent entre eux leurs malheurs. Personne, en effet, n’a le cœur assez pétri­fié pour qu’il puisse, après avoir été privé de son père, supporter tranquillement son état d’orphelin. Cris gémis­sants dans la ville, cris dans la campagne, sur les routes, dans les déserts. Une seule voix se fait entendre, pitoyable, celle par laquelle tous expriment leurs sombres impressions. La joie nous a été enlevée et aussi la gaîté spirituelle. Nos fêtes se sont changées en deuils, les maisons de prières ont été fermées, les autels sont privés du culte spirituel. Plus de réunions de chrétiens, plus de maîtres à présider, plus d’enseignements de salut, plus de solennités, plus de chant nocturne des hymnes, plus ce bienheureux transport des âmes, qui, grâce aux assemblées religieuses et à la communi­cation des dons spirituels, prend naissance dans les âmes de ceux qui croient dans le Seigneur. C’est à nous qu’il convient de dire : « Il n’y a en ce moment ni prince, ni prophète, ni chef, ni offrande, ni encens, ni endroit pour apporter les fruits devant le Seigneur et obtenir sa miséricorde[3]. ».

Nous écrivons ces choses à des hommes qui les connaissent, parce qu’il n’y a aucune partie de la terre à ignorer désormais nos malheurs. Aussi ne faut-il pas croire que nous faisons ce discours pour vous instruire ou pour éveiller votre sollicitude. Nous savons que vous ne pourrez jamais nous oublier, pas plus que la mère ne peut oublier les fils de son sein[4]. Mais puisque ceux qui sont tenaillés par une douleur ont coutume d’alléger en quelque manière leurs souffrances par leurs gémissements, nous le faisons nous aussi. Nous nous déchargeons, peut-on dire, du poids de notre chagrin, tandis que nous faisons savoir à votre charité nos malheurs de toutes sortes, dans l’espoir que peut-être, plus fortement excités à prier pour nous, vous toucherez le Seigneur et vous le ferez se réconcilier avec nous. Si les afflictions qui nous accablent étaient seules, nous nous serions donné à nous-mêmes le conseil de nous taire et de nous réjouir des souffrances endurées pour le Christ, parce que « les souffrances de ce temps n’ont pas de proportion avec la gloire future qui sera révélée en nous.[5] » Mais nous craignons qu’un jour le mal n’augmente, et que, telle une flamme qui s’avance à travers la matière embrasée, après avoir consumé ce qui l’avoisine, il n’atteigne les parties plus éloignées. En effet le mal de l’hérésie absorbe tout de proche en proche, et il est à craindre que, après avoir dévoré nos Églises, il ne se glisse jusqu’à la partie saine de votre territoire. C’est peut-être parce que le péché a sur­abondé chez nous, que nous avons été livrés les premiers en pâture aux dents cruelles des ennemis du Christ ; c’est peut-être aussi, ce qui est plus vraisemblable, parce que l’Évangile du royaume, après avoir commencé dans nos régions, s’est propagé dans toute la terre, que l’ennemi commun de nos âmes fait tous ses efforts pour que les paroles de l’apostasie, qui ont pris naissance dans les mêmes régions, se répandent dans toute la terre. En effet c’est sur ceux pour qui a brillé la lumière de la connaissance du Christ, que cet ennemi médite de faire venir les ténèbres de l’impiété.

Considérez donc nos souffrances comme vôtres, en vrais disciples du Seigneur. Ce n’est pas pour l’argent, ce n’est pas pour la gloire, ce n’est pas pour quelque autre bien temporel que nous guerroyons : c’est pour l’héritage commun, pour le trésor ancestral de la foi saine, que nous tenons ferme dans le combat. Prenez part à notre douleur, vous les amis de vos frères, parce que chez nous les bouches des hommes pieux sont fermées, et que se sont déliées les langues hardies et blasphématrices de tous ceux qui pro­fèrent l’iniquité contre Dieu. Les colonnes et le soutien de la vérité sont dans la dispersion ; nous, qu’on a méprisés à cause de notre petitesse, nous n’avons plus la liberté de parler. Combattez pour les peuples, et ne considérez pas seulement votre situation : ne vous dites pas que vous êtes à l’ancre dans des ports tranquilles, parce que la grâce de Dieu vous procure un abri contre toutes les tempêtes provo­quées par les vents de la perversité. Non, tendez la main à celles des Églises qu’agite l’ouragan, de peur que pour avoir été abandonnées elles ne subissent un jour le nau­frage complet de la foi. Pleurez sur nous, parce que le Fils Unique est blasphémé et qu’il n’y a personne pour contre­dire le blasphémateur. L’Esprit-Saint est rejeté et celui qui pouvait confondre l’impie est chassé. Le polythéisme règne. Il y a chez eux un grand Dieu et un petit. L’expression Le Fils n’est pas, croient-ils, un nom de nature, mais la désignation d’une certaine dignité. L’Esprit-Saint ne complète pas la Sainte Trinité et ne participe pas à la divine et bienheureuse nature : c’est une créature quelconque, qui s’est ajoutée, au hasard et comme cela s’est trouvé, au Père et au Fils. « Qui donnera de l’eau à ma tête et une source de larmes à mes yeux ?[6] » et je pleurerai pendant bien des jours sur le peuple, qui est poussé à sa perte par ces doctrines per­verses. On séduit les oreilles des plus simples : elles ont pris désormais l’habitude de l’impiété hérétique. On nourrit les petits enfants de l’Église avec les enseignements impies. Que devront faire ces hommes en effet ? Ce sera le baptême conféré par eux, l’escorte qui accompagne ceux qui s’en vont, la visite des malades, la consolation des affligés, l’aide apportée à ceux qui peinent, les secours de toute sorte, la participation aux mystères : toutes choses qui, réalisées par ces gens-là, deviennent pour les peuples le lien de leur union avec eux. C’est pourquoi d’ici à peu de temps, même si l’on nous accorde quelque liberté, il n’y aura plus d’espoir que ceux qui furent si longtemps prisonniers de la fraude puissent être rappelés à la connaissance de la vérité.

Pour toutes ces raisons nous aurions dû accourir nombreux vers votre gravité et vous exposer chacun l’état de ses affaires. Mais il y a un fait qui, à lui seul, doit être pour vous une preuve de la situation malheureuse où nous nous trouvons, c’est que nous ne sommes mêmes pas maîtres d’entreprendre un voyage. Si en effet quelqu’un, ne fût-ce que pour le temps le plus court, s’éloignait de son Église, il laisserait les peuples sans défense devant les dresseurs d’embûches. Mais par la grâce de Dieu nous avons envoyé un homme qui en vaut beaucoup, notre très pieux et très aimé frère Dorothée le comprêtre : il est capable de suppléer par son récit tout ce qui a échappé à notre lettre, parce qu’il a suivi tous les événements avec une scrupuleuse attention, et c’est aussi un zélé défenseur de la foi droite. Accueillez-le pacifiquement et renvoyez-le bientôt. Qu’il nous apporte de bonnes nouvelles de votre zèle, celui que vous avez pour secourir vos frères !

[1] I Cor., XII, 21.

[2] Daniel, III, 10, 11.

[3] Daniel, III, 38, 39.

[4] Isaïe, XLIX, 15.

[5] Rom., VIII, 18.

[6] Jérémie, IX, 1.

Saint Basile, Lettres, Tome III, Société d’édition « Les belles lettres », Paris, 1966, p. 68-73

 


 

 

 

Sur le même thème

Pas de commentaire

Laisser un message

Rapport de faute d’orthographe

Le texte suivant sera envoyé à nos rédacteurs :