Hagiographie, Histoire, La voie des ascètes, Luminaires de l'Église, Martyrs, Martyrs et confesseurs du XXe siècle, Orthodoxie, Russie, Synaxaire

Saint hiéromartyr Vladimir (Bogoyavlensky), métropolite de Kiev et de Galicie [†25 janvier 1918]

16 avril 2022

Le métropolite Vladimir est le premier de la longue liste des évêques de l’Église Orthodoxe Russe, torturés et tués pendant la révolution.

Au moment où il était tué à Kiev, en Janvier 1918, un grand concile de l’Église Russe se tenait à Moscou.

La nouvelle du martyre de l’évêque le plus ancien de Russie émut profondément le concile, qui venait justement de choisir la date du 25 Janvier comme jour annuel de prière pour l’âme des martyrs et des confesseurs de la foi, morts en temps de persécution. Or, c’est à cette date précise qu’avait été tué le métropolite Vladimir.

Une commission d’enquête fut nommée, mais elle ne put remplir sa mission, Kiev étant déjà coupé de Moscou.

Une séance solennelle fut consacrée à la mémoire du martyr, sous la présidence du Patriarche de l’Église Russe et avec la participation de tout le clergé de Moscou.

Qui pouvait alors prévoir la multitude des futures victimes de la foi chrétienne en Russie ?


Vassili Nikiphorovitch Bogoyavlensky [Василий Никифорович Богоявленский], le futur métropolite, naquit le 1er Janvier 1848 dans un village de la province de Tambov, où son père était prêtre.

Il fit ses études dans les écoles du clergé, puis au séminaire et les termina en 1874 à la Faculté de théologie de Kiev. Puis il devint professeur dans son séminaire natal de Tambov.

Ordonné prêtre en 1882 et nommé à Kozlov, il se révéla zélé prédicateur et véritable éducateur du peuple.

En 1886, Dieu lui envoya une lourde croix : sa jeune épouse mourait ainsi que leur petit enfant.

Le Père Vassili se retira dans un couvent où il devint moine, sous le nom de Vladimir.

Son séjour au couvent de Kozlov ne fut pas long, car il devait gravir rapidement les échelons de la hiérarchie religieuse.

Déjà en 1888, il reçut le sacre épiscopal et fut nommé évêque de Staroroussky, vicariat du diocèse de Novgorod. En 1891, il fut placé à la tête du diocèse de Samara.

À cette époque, la province de Samara se trouvait plongée dans une misère noire, par suite d’une récolte désastreuse et d’une épidémie de choléra.

En ces jours de détresse, Monseigneur Vladimir fit preuve d’une héroïque grandeur d’âme, en se consacrant entièrement au service des malades et des affamés. Il ranima le courage du clergé et le remplit, grâce à son exemple, d’un esprit de dévouement absolu envers sa population tellement éprouvée. Ce n’est que lorsque cette tempête de misère s’arrêta que Monseigneur cessa son infatigable appel à l’aide.

Pendant les cinq années suivantes, Monseigneur Vladimir, qui avait été nommé archevêque, dirigea l’exarchat de Géorgie. Après quoi, en 1898, il fut nommé métropolite de Moscou, poste qu’il occupa pendant quinze ans.

Dès son arrivée à Moscou, le nouveau métropolite prend d’énergiques mesures pour réveiller le zèle pastoral du clergé. Il se donne comme but de rapprocher ce cler­gé du peuple et de la classe ouvrière, grâce à de fréquents offices religieux, des ser­mons, des causeries religieuses et morales. Il donnait l’exemple lui-même, en se ren­dant souvent dans les fabriques et dans les usines où, après avoir prié, il causait avec les ouvriers. Comme s’il pressentait l’avenir, il leur montrait les dangers de la séduction du socialisme athée. Pareil à un prophète, il semblait prévoir la catastrophe dans laquelle cet enseignement dirigé contre le Christianisme allait précipiter la Russie.

Toute l’activité du métropolite Vladimir à Moscou se traduisait par l’amour et le soin qu’il avait de son troupeau.

Il montrait, tout particulièrement, un ardent souci pour les êtres considérés comme moralement perdus et pour les alcooliques.

Ennemi déclaré de l’alcoolisme, il prêchait la sobriété, donnait des causeries, éditait des feuillets et des brochures sur ce sujet.

Monseigneur s’occupait des pauvres, des veuves et des orphelins qu’il habillait, mais il aimait cacher le bien qu’il faisait.

Ceux qui ne le connaissaient pas de près le jugeaient sec et peu accessible. Il est vrai que son visage semblait tendu et portait un voile de mélancolie. Par une modestie innée, jointe à une certaine timidité, il essayait de ne pas se faire remarquer, ce qui pouvait passer pour de la froideur aux yeux étrangers, mais voici le portrait que faisait de lui, à cette époque, un dignitaire de l’Église.


« Doux et modeste, ne recherchant jamais rien pour lui-même, amoureux de la vérité, intègre, Monseigneur Vladimir, petit à petit et sans bruit, est arrivé au sommet de la hiérarchie ecclésiastique.

Lors de la période d’ébranlement et de trahison des années 1904-1905, quand toute la Russie chancelait, quand bien rares étaient ceux qui restaient fidèles à leur devoir et à leur serment ou qui demeuraient fermes dans la défense de l’Église Orthodoxe, Monseigneur Vladimir sut, par son autorité, ranimer Pâme de la Russie nationale et religieuse ; il fut un solide rempart de P Église et de la Patrie. Chacun sentait quel appui sûr était ce pasteur juste et intègre qui ne changerait pas, ne céderait pas, qui ne trahirait pas la vérité.

Ces hautes vertus de notre premier dignitaire religieux peuvent être comparées aux pierres précieuses, car leur rareté en fait le prix à notre époque de défaillance morale».

Monseigneur Vladimir portait un intérêt tout spécial aux futurs prêtres, avec lesquels il aimait avoir des entretiens paternels. Il constatait que, pour les jeunes séminaristes, le climat spirituel n’était plus le même que celui de leurs aînés et avait tristement changé.

Voici ce qu’il déclarait un jour à ces jeunes :

« Vos aînés, en entrant au service de l’Église, avaient un idéal et se contentaient de peu dans la vie.

Vous dites que le pain de l’Église est devenu sec ; cela arrive parfois et le pain dur est peu fait pour de jeunes dents, mais il faut, avant tout, penser, non à ce que vous pouvez recevoir du peuple pour vivre, mais à ce que vous pouvez lui donner.

Le peuple est pauvre, sa vie est rongée par l’alcoolisme et la débauche et il erre dans les taillis épais des sectes et du schisme.

En lui apportant la vraie lumière de l’Évangile, vous améliorerez sa situation matérielle et il pourra vous témoigner sa reconnaissance !

Une œuvre aussi belle ne peut-elle pas compenser les privations de la vie ? Qu’y a-t-il de plus beau que d’apporter aux âmes la paix de Dieu ?»

En 1912, lorsque mourut Monseigneur Antoine, primat de l’Église Russe et métropolite de Pétersbourg, alors capitale de l’empire, c’est Monseigneur Vladimir qui fut nommé à ce poste.

Au moment de quitter Moscou, le métropolite exprima la profonde émotion qu’il ressentait, en partant d’une ville à laquelle tant de liens le rattachaient, et sa tristesse de se séparer de son troupeau bien-aimé.

« Quand un arbre est transplanté, c’est alors qu’il se rend compte de la profondeur des racines qui l’attachent à sa terre… Ainsi en est-il pour moi. Je ressens douloureusement le poids de ma séparation d’avec Moscou grâce à l’aide de laquelle j’ai pu grandir spirituellement au cours des quinze années où j’y ai vécu, mais ‹ Que la volonté de Dieu soit faite ! › »

Monseigneur Vladimir dirigera pendant trois ans le diocèse de Pétersbourg.

Ce furent des années excessivement difficiles pour l’Église, années qui voyaient grandir l’influence de forces ténébreuses, liées à Raspoutine.

Le métropolite Vladimir mena avec droiture et fermeté un ardent combat contre ces forces mauvaises.

Ce combat se montrait vraiment tragique, à cause de l’incompréhension pénible et fatale qui séparait les meilleurs milieux de la société russe du métropolite d’une part, et de l’impératrice Alexandra Féodorovna d’autre part.

Ce fut cet ardent amour maternel de la tsarine, torturée par la maladie de son fils bien-aimé et sa crainte de le perdre, que mirent à profit les forces obscures.

Raspoutine avait été présenté un jour à la famille impériale en tant que guérisseur susceptible d’améliorer la santé du petit prince. Sous un aspect de piété, ce paysan guérisseur était un homme hypocrite et débauché. Il prit rapidement un ascendant sans cesse croissant sur l’esprit de la souveraine, qui finit par le vénérer comme un homme de Dieu capable de faire de vrais miracles pour son fils. Elle ne voulut jamais croire autre chose et Raspoutine en profita pour faire croître son influence qui ne connut bientôt plus de bornes.

Quand cette influence commença à se faire sentir jusque dans les affaires de l’Église, Monseigneur Vladimir considéra qu’il ne lui était plus possible de se taire et fit demander une audience à l’empereur.

II était très rare pour un évêque d’être reçu personnellement par le tsar, car les questions à traiter entre l’Église et lui passaient par les mains d’un Haut-procureur qui était son délégué au Saint-Synode.

Monsieur Sabler, le Haut-procureur du moment, ayant appris de quoi il s’agissait, avertit Monseigneur Vladimir que la question était très délicate, mais le métropolite se prépara à remplir sans défaillance son devoir de dirigeant de l’Église et de loyal sujet.

L’audience ayant été accordée, le métropolite exposa, avec clarté et courage, le problème à l’empereur. Il lui montra la boue qui entourait le nom de Raspoutine, les histoires équivoques qui circulaient à son sujet, parla des calomnies funestes qui unissaient le nom de l’aventurier à des noms révérés, éclaboussant ainsi le trône lui-même. Il lui fit voir le danger mortel apporté par l’emprise de cet aventurier, tout spécialement dans le domaine de l’Église.

Après l’avoir écouté, l’empereur répondit au métropolite qu’il avait sans doute raison à bien des égards, mais que l’impératrice, en tant que mère, ne voudrait jamais croire de telles choses.

Quand la tsarine apprit cette entrevue et connut les accusations portées contre le guérisseur de son fils, elle fut très irritée et répondit qu’elle n’admettrait jamais qu’on puisse faire aucune supposition malpropre visant le sage et pieux Grégoire qui, plusieurs fois, avait sauvé de la mort le petit prince malade, lors de ses terribles crises d’hémophilie.

Elle accusa le métropolite de ne pas être un loyal sujet puisqu’il avait pu faire état de calomnies et de racontars et les rapporter à l’empereur ; elle rejeta même l’idée que la conduite de Raspoutine pourrait jeter le moindre voile sur la réputation de la famille impériale.

Il est vrai que la vie de la famille impériale était d’une pureté absolue, mais la boue associée au nom de Raspoutine avait réussi à pénétrer dans certains milieux proches du Palais ; c’est ce qu’avait essayé de montrer à l’empereur Monseigneur Vladimir et que la tsarine ne voulut en aucun cas admettre.

Telle fut la tragédie de ces terribles années.

Tombé en disgrâce en 1915, le métropolite Vladimir fut éloigné de la capitale ; on le nomma à Kiev, où son nouveau troupeau le reçut avec amour et respect, voyant en sa personne l’évêque puni pour son amour de la vérité.

En tant que métropolite de Kiev, Monseigneur Vladimir dut bientôt repartir pour Pétersbourg afin d’y présider la réunion du Saint-Synode.

Quand il rentra à Kiev, en 1917, la vie religieuse y subissait déjà une pression révolutionnaire, tout se disloquait. L’Ukraine se séparait de la Russie et voulait en séparer aussi son Église et la rendre autonome et indépendante du Saint-Synode. Une assemblée diocésaine réunie à Kiev et se disant « ukrainienne », s’occupait de cela.

Le métropolite avertit les partisans du projet que l’affaire ne profiterait qu’aux ennemis intérieurs et extérieurs de l’Église. Il invita le clergé et les laïcs à être très prudents dans l’exercice de leur lourde responsabilité au sein de cette assemblée diocésaine et les conjura d’éviter toute animosité ou division. Malgré cela, Monseigneur Vladimir eut à supporter des outrages et des offenses graves.

En automne, l’Ukraine se proclama indépendante et l’on mit sur pied un gouvernement transitoire de l’Eglise ukrainienne, dont un évêque retraité, Monseigneur Alexis Dorodnytsine prit la tête.

Ce directoire de l’Église ukrainienne illégale entreprit une refonte de toute la vie ecclésiastique traditionnelle.

Des commissaires ukrainiens furent chargés de surveiller les bureaux des évêchés et de contrôler le patriotisme ukrainien de l’Église, à laquelle on ordonna de remplacer le nom du Patriarche Tikhon qui venait d’être choisi au concile de Moscou, comme chef de l’Église, par le nom de l’archevêque Alexis, tête de la nouvelle Église ukrainienne.

Au moment où se produisait cette « réforme », Monseigneur Vladimir se trouvait au loin de nouveau, car il avait dû partir pour Moscou afin d’y prendre part au Grand concile de l’Église. On chercha comment faire pour l’empêcher de rentrer à Kiev, ce qui alarma la population orthodoxe de la capitale ukrainienne.

Une grande assemblée de Conseils des paroisses fut convoquée ; elle protesta énergiquement contre la constitution de cette nouvelle Église ukrainienne, anti-canonique. Sur ce, Monseigneur Vladimir rentra.

Ce vieil homme de soixante-dix ans commença d’être en butte à toutes sortes de persécutions de la part des ennemis de l’Église.

Le premier acte de ces révoltés consista à mettre, avec un honteux sans-gêne, le métropolite à la retraite.

Le 9 Décembre 1917, une « commission ecclésiastique » créée par la nouvelle Église séparatiste, se transporta chez lui, pour lui signifier verbalement que les nouveaux dirigeants désiraient prendre possession de leurs fonctions et que sa présence à Kiev était devenue indésirable. Le métropolite fit rédiger par son secrétaire la mise en demeure qu’on venait de lui faire oralement, mais les délégués refusèrent catégoriquement de signer un acte écrit.

Peu de temps après cette affaire, de nouveaux visiteurs se présentèrent, tard dans la nuit, au couvent où demeurait Monseigneur. Le prêtre Fomenko, membre du nouveau Conseil ecclésiastique, était accompagné d’une escorte militaire.

Avec une politesse pleine d’égards, cet ecclésiastique proposa à Monseigneur Vladimir de devenir le chef et le Patriarche de la nouvelle Église ukrainienne.

Le métropolite exprima sa stupéfaction devant une telle volte-face, mais il en comprit rapidement la cause : les visiteurs nocturnes exigeaient, en échange, cent mille roubles, pris sur les fonds de l’évêché métropolitain.

Monseigneur répondit que ces fonds appartenaient à tout le diocèse qui, seul, pouvait en disposer. La conduite des visiteurs changea du tout au tout et se fit si menaçante alors, que le métropolite, qui était seul avec eux, se hâta d’appeler un moine pour éloigner les indésirables personnages. Ceux-ci, néanmoins, continuèrent à faire du vacarme chez lui pendant plus d’une heure.

Nous savons, grâce au témoignage du lieutenant Kravtchenko, ce que ressentait le métropolite en traversant ces dures épreuves car il lui avait déclaré un jour : ne crains rien et je suis prêt, à tout moment, à donner ma vie pour l’Eglise du Christ et pour la Foi Orthodoxe, si je puis empêcher ses ennemis de se moquer d’elle.

« Je souffrirai jusqu’au bout pour que la Foi Orthodoxe puisse se maintenir en Russie, là où elle a commencé »

Ayant dit ces mots, Monseigneur pleura amèrement.

L’évêque Alexis Dorodnitsyne, ukrainien de naissance, que les siens venaient de proclamer chef de la nouvelle Église séparatiste, avait été chassé de son diocèse de Vladimir par ses ouailles, qui n’admettaient pas son amitié avec Raspoutine.

Il était alors venu s’installer à Kiev où il avait poussé l’audace jusqu’à venir habiter dans le même couvent que le métropolite Vladimir, à la Laure des grottes.

Là, il se mit à monter l’esprit des moines contre Monseigneur Vladimir, afin d’obtenir sa destitution et de prendre sa place.

Les moines commencèrent à faire mille petits ennuis au métropolite ; s’il devait aller quelque part, on ne trouvait pas de chevaux pour sa voiture, l’autre évêque s’en servait et tout ainsi. L’ambiance voulue par Dorodnitsyne fut bientôt tellement insupportable que le métropolite en arriva à se sentir dans son couvent comme dans une citadelle assiégée, ce qui ne l’empêcha pas de rester ferme comme un roc.

Courageux et probe, Monseigneur Vladimir considérait l’ancien archevêque Alexis comme un véritable criminel spirituel et comme un rebelle dangereux pour l’Église. Ce dernier admit plus tard la vérité de ce jugement et se repentit devant l’Église, après avoir été chassé par ces mêmes ukrainiens. Il mourut à Novorossisk, en 1920.

Après les premiers troubles, la vraie guerre civile commençait à Kiev, en 1920. Le drapeau rouge, démoniaque emblème de sang, hissé en 1917 sur la terre russe, amenait partout avec lui des torrents de sang innocent, le fratricide et l’iniquité, de même que la destruction des églises de Dieu et l’anéantissement de toute chose sacrée.

À Kiev, les anciens enfants spirituels de Monseigneur Vladimir, transformés en bêtes sauvages, se tournèrent contre leur Père. Ils le conduisirent vraiment à la mort.

Dès le 15 Janvier, les bombes des deux parties adverses se mettent à pleuvoir sur le célèbre couvent de la Laure, résidence du métropolite Vladimir. Les Bolcheviks s’en emparèrent le 23 Janvier au soir et s’y livrèrent immédiatement à la violence et au pillage.

Des hordes d’individus se ruèrent dans les chapelles, chapeau sur tête et cigarette au bec. Avec des cris et des invectives, ils commencèrent à perquisitionner partout, sans attendre la fin des offices, en jurant et en profanant tout ce qui était sacré. Ils déchaussèrent et déshabillèrent les vieux moines, dans la cour, et se mirent à les battre avec des fouets de cuir tout en les abreuvant de quolibets et de moqueries.

Durant ces douloureuses journées, le métropolite Vladimir ne cessait de prier à l’église ou chez lui.

Le 21 Janvier, il célèbre dans l’église du couvent sa dernière Liturgie et le 24 Janvier, son dernier office : des prières glorifiant l’Assomption de la Vierge. Chacun remarque sa ferveur et sa concentration.

Ce même jour, des révolutionnaires pénétrèrent dans le couvent sous la conduite d’un matelot-commissaire. Ils s’installèrent au réfectoire pour y dîner mais le pain noir des moines leur déplut et ils le jetèrent à terre en disant qu’ils n’étaient pas des cochons.

— « Nous vous donnons le pain qui est le nôtre », répondirent les religieux.

À tous les repas pris par eux au réfectoire, les révolutionnaires troublaient, par leur propagande, l’esprit des novices déjà travaillés par les déclarations de l’archevêque rebelle Dorodnitsyne.

– « Pourquoi ne faites-vous pas des comités chargés de présenter vos réclamations ?

— Où va l’argent qui afflue au couvent avec tous les pèlerins ?»

Les novices répondirent que l’argent ne servait qu’à nourrir leurs supérieurs… Par leurs plaintes, ils collaborèrent au meurtre du métropolite.

La nuit du 24 au 25 Janvier fut alarmante. Quelques individus armés firent une nouvelle et minutieuse perquisition ; ils emportèrent les objets de valeur et l’argent trouvé chez le trésorier et chez le sous-prieur.

Le soir du 25 Janvier, le groupe armé, conduit par le matelot-commissaire, revint encore dîner et demanda si les fameux comités avaient été constitués, puis le grossier matelot, un vrai fanatique, s’emporta, se mit à crier et à blasphémer en menaçant de faire tuer tous les moines, si les grottes du couvent ne contenaient rien d’intéressant à emporter. On lui répondit d’aller les visiter lui-même puisqu’il ne croyait pas ce qu’on lui disait. Quelques mois plus tôt, les sans-Dieu avaient déjà visité et profané ces grottes, en perçant à coups de poignards les saintes reliques qui y reposaient. Ceci fait, ils avaient sorti, avec leurs baïonnettes, les corps des bienheureux de leurs châsses et, en les insultant, les avaient placés debout, têtes en bas.

Le repas terminé, le matelot s’écria en sortant du réfectoire : « Vous ne reverrez plus votre métropolite ! »

Il était six heures et demie du soir.

Les futurs bourreaux se dirigèrent vers l’appartement du métropolite et tirèrent trois violents coups de sonnette. On vint leur ouvrir.

– « Où est Vladimir, le métropolite ? » demanda le matelot. « Nous voulons lui demander pourquoi il ne permet pas de créer des comités, comme partout ailleurs ; nous devons lui parler ».

Le métropolite qui se trouvait au rez-de-chaussée, chez le prieur, arriva et demanda ce que l’on désirait. En réponse, trois des bourreaux l’emmenèrent dans la chambre où ils restèrent avec lui un certain temps, tandis que des gardes étaient placés devant la porte. Puis, on lui ordonna de monter chez lui.

Lorsqu’il passa près du sous-prieur Ambroise et de l’évêque Féodor, qui se tenaient dans un coin, Monseigneur, levant les mains, leur dit :

– « Ils veulent déjà me fusiller, voyez ce qu’ils m’ont fait ! »

Arrivé au pied de l’escalier menant à l’étage, le métropolite s’arrêta pour dire à ses bourreaux : « Si vous voulez me fusiller, faites-le ici ! » – « Qui veut te fusiller ? Allons marche ! » cria le matelot.

Parvenu dans l’appartement du métropolite, on le fit entrer dans sa chambre à coucher dont les portes furent fermées. Une vingtaine de minutes s’écoulèrent, qui furent mises à profit par les tortionnaires pour mettre à mal leur victime en l’étranglant avec la chaîne de sa croix épiscopale, tout en se raillant de lui et en essayant de lui extorquer de l’argent. Les frères-servants trouvèrent plus tard, sur le plancher, des débris de chaîne cassée ainsi que différents objets qu’on lui avait arrachés, parmi lesquels, une petite icône en argent.

La porte se rouvrit. Monseigneur Vladimir, encerclé par trois bourreaux, en sortit revêtu de sa soutane, coiffé de sa haute et blanche coiffure monacale de métropolite et portant au cou l’icône-médaillon de la Vierge.

Quand Monseigneur arriva sur le perron, son vieux frère-servant Philippe s’approcha de lui pour lui demander sa bénédiction, mais le matelot le repoussa en criant : « Fini de s’incliner devant les buveurs de sang ! »

Monseigneur s’approcha alors du frère qu’il bénit et embrassa, puis il lui dit « Adieu » (mot qui en russe veut aussi dire « pardonne ! »).

Sortant alors un mouchoir, il s’essuya les yeux.

Philippe rapporta que le métropolite, lorsqu’il repartit, était aussi calme qu’avant de célébrer la Divine Liturgie.

Oublié de ses frères, entouré d’assassins, ce vieil homme innocent, bon et modeste marcha sereinement à la mort.

Sur la route menant hors des terres du couvent, Monseigneur avançait en faisant des signes de croix puis, en vue de la mort qui arrivait, il se mit à chanter l’hymne du Vendredi-Saint sur l’enterrement du Christ :

« Joseph d’ Arimathée Te dépose au sépulcre et Te dit avec larmes :

— Je Te contemple, Toi qui as volontairement subi pour moi la mort. Quel chant ferai-je entendre en l’honneur de Ton trépas ?

— Je magnifie Tes souffrances ; je chante Ta sépulture ainsi que Ta résurrection et je m’écrie : ‹ Gloire à Toi ! ›».

Arrivé hors des terres du couvent, c’est en auto que Monseigneur Vladimir fut transporté jusqu’au lieu d’exécution, nous raconte un témoin.

Quand on le fit descendre, il demanda : « Est-ce ici que vous allez me fusiller ? »

– « Hé ! Quoi ! Faut-il faire des cérémonies avec toi » ? lui répliqua l’un des gardes.

Le métropolite demanda la permission de prier.

« En vitesse, seulement » ! lui cria-t-on.

Ayant levé les mains vers le ciel, Monseigneur Vladimir dit à haute voix :

« Seigneur ! Pardonne-moi tous mes péchés, volontaires et involontaires et reçois mon âme dans Ta paix ». Ensuite, formant de ses deux bras une croix, il bénit ses bourreaux en leur disant : « Que le Seigneur vous pardonne ! »

Dans un silence mortel, soudain, retentirent des coups de feu, perceptibles jusqu’au couvent.

– « C’est Monseigneur qu’on fusille ! », dit un novice.

– « Non ! Les coups de feu sont trop nombreux », dit un autre.

Le calme régna cette nuit-là au couvent où tout le monde dormit d’un profond sommeil. Nul ne soupçonnait qu’à mille pas de là, les corps du supérieur et du Père de la Laure gisaient dans une mare de sang…

C’est seulement à l’aube que les moines apprirent, par des femmes venues à la prière du matin, que le métropolite fusillé reposait dans un petit champ, non loin du couvent.

Le mort gisait sur le dos, recouvert d’un manteau. L’icône de la Vierge, la croix de la coiffure monacale, la montre et les chaussures du supplicié avaient disparu.

Les frères prirent une civière pour aller chercher le corps et le ramener au couvent. Un court service de Requiem fut célébré sur place puis un des religieux s’apprêta à soulever le cadavre. À cet instant, une dizaine de soldats et d’ouvriers armés se ruèrent sur les lieux du crime en vociférant contre le mort et en empêchant ceux qui étaient venus de l’emporter. – « Vous allez l’enterrer ! C’est pour en faire des reliques que vous le voulez ! Il restera ici ! Qu’on le jette à la fosse ! », criaient ces enragés en s’emparant du cadavre percé de balles.

De pieuses femmes arrivées sur ces entrefaites, se mirent à pleurer et à prier en disant : « Que Dieu accueille en Son Royaume ce confesseur et ce martyr ! » – « Quel royaume ? », hurlaient les possédés. « Sa place est en enfer, au plus profond de l’enfer ! » Sur quoi, ils emportèrent le corps.

Dans l’histoire de l’Église Russe, le métropolite Vladimir est le seul prélat qui occupa l’un après l’autre les trois sièges les plus élevés de l’Église Russe, à Moscou, à Pétrograd, à Kiev.

En 988, saint Vladimir, Grand-Prince de Kiev, qui s’était converti à la foi chrétienne et avait reçu le baptême, invitait tout son peuple à se faire baptiser aussi.

Là, dans les eaux du Dniepr, la Russie, par le baptême, entrait dans l’Église Chrétienne.

En 1918, également à Kiev, le métropolite Vladimir recevait, par son martyre, le nouveau baptême auquel était conviée la Russie Chrétienne : le baptême du sang, couronne glorieuse de l’Église Russe.

 


 

Archiprêtre Michel POLSKY, LES NOUVEAUX MARTYRS DE LA TERRE RUSSE

Traduction abrégée et adaptée de Marie Ellenberger-Romensky, Éditions Résiac, Montsurs, 1976, p. 7-16

 


 

 

Sur le même thème

Pas de commentaire

Laisser un message

Rapport de faute d’orthographe

Le texte suivant sera envoyé à nos rédacteurs :