La Croix
Hauteur de la Croix
Le Père Holzmeister pense qu’il s’agissait d’une croix élevée, « sublimis ». Je me permets de n’être pas de son avis. Son unique argument ne me semble pas entièrement probant. Il croit, en effet, que la croix devait être très haute, pour qu’on ait eu besoin de fixer l’éponge imbibée de vinaigre (la « posca » vinaigrée, boisson ordinaire du soldat romain) au bout d’une tige, pour la porter aux lèvres du Crucifié.
Éliminons d’abord l’hysope, qui est un frêle arbrisseau, même en Palestine, et lisons avec le Père Lagrange, non pas « hussopô », mais « hussô », qui veut dire javelot (Marc et Matthieu parlent d’un roseau « kalamos » [Mc 15,36 ; Mt 27,48], mais le javelot en a assez bien l’aspect). Cet « hussos », le « pilum » romain avait trois pieds de long, environ 90 centimètres, y compris le fer qui avait près d’un pied. Ceci porte l’éponge, à bout de bras, vers 2,50m.
Je pense qu’il s’agit de la « crux humilis ». Il n’y avait aucune raison de planter un stipes spécial, plus haut, même pour se moquer d’un « Roi des Juifs ». On n’en avait pas le loisir et les poteaux banaux attendaient à demeure au Golgotha, champ habituel des supplices. En dehors de Jésus, condamné à l’improviste, ils devaient recevoir, ce jour-là, deux brigands condamnés par jugement régulier. Il s’agit donc d’exécutions banales et bien réglées.
J’imagine des poteaux d’à peu près deux mètres, ce qui permet d’y accrocher aisément le patibulum. Les pieds sont facilement cloués sur le stipes, étant donné la flexion des cuisses et des jambes, que nous calculerons exactement à environ 50 centimètres du sol. La bouche n’est guère plus basse que le patibulum, après l’affaissement du corps, donc à près de deux mètres. Il semble donc plus commode de monter l’éponge sur un pilum, pour la porter à cette hauteur, que de faire l’effort de l’y monter avec la main.
Un autre fait doit être pris en considération, dont ne parle pas le Père : c’est le coup de lance. Il est certain, anatomiquement parlant, que le coup a été donné obliquement, mais très près de l’horizontale. Or, dans mon hypothèse de deux mètres, la plaie est à environ 1,50m du sol. Un fantassin peut donc porter aisément ce coup, en levant simplement les bras. Cela devient impossible, si la croix est plus haute. Or, les soldats étaient certainement des légionnaires, des fantassins. Ils étaient commandés par un centurion, officier d’infanterie; mais ce centurion lui-même était un officier non monté. Or, seul un cavalier aurait pu porter le coup de lance sur un crucifié haut placé. Ceci démonte évidemment les belles cavalcades si impressionnantes de tant de nos peintres, mais me paraît beaucoup plus conforme à la vérité historique.
Me permettrai-je de rappeler le texte d’Eusèbe, cité par le Père Holzmeister lui-même, au début de son travail ? Sainte Blandine « était exposée (sur la croix) en pâture aux fauves », Il s’agissait donc de la croix basse ordinaire, celle des arènes.
« Et pendue sur la croix, elle montrait la ressemblance de Celui qui fut pour eux-mêmes (les martyrs) crucifié ». Cette similitude allait-elle jusqu’à la dimension de la croix ? Je ne voudrais pas torturer le texte, mais il semble le suggérer.
Enfin, on a voulu faire état, en faveur de la croix haute, du verbe « hupsousthai — elevari — être élevé », que Jésus s’applique à lui-même trois fois dans saint Jean, en allusion à sa crucifixion. Dans la troisième, par exemple, il dit : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12,32). Il est évident qu’une croix de la dimension que nous supposons satisfait pleinement au sens de ce verbe.
Forme de la croix
La croix de Jésus était-elle en T ou en † ? Il semble, pour le Père Holzmeister, que les Pères de l’Eglise aient opté pour la †, mais il ne déduit cette opinion que de certaines comparaisons qu’ils font de la croix ; par exemple, avec Jacob bénissant, les bras étendus, Éphraïm et Manassé. Un seul texte est un peu plus précis, celui de saint Irénée, qui compte cinq extrémités (cornua) à la croix, y compris le sedile. En somme, nous ne trouvons dans la Patrologie aucune affirmation bien nette dans ce sens. Par contre, Dom Leclerc cite trois textes du Pseudo-Barnabé, d’Origène et de Tertullien, où la forme de la croix en T ne fait pas de doute. Tertullien rappelle le passage d’Ézéchiel, où le Seigneur ordonne à celui-ci de marquer le front des hommes de Jérusalem d’un Tau (c’est le nom du T grec), ajoutant que c’était une préfiguration du signe de la croix, que les chrétiens tracent sur leur front (Ez 9,4).
« Les Évangiles, écrit le Père Holzmeister, n’indiquent en rien la forme de la croix. Le titulus qui était, dit saint Matthieu, ‹ epanô tés kephalès autou — au-dessus de sa tête ›, ne prouve pas que le stipes dépassait en haut le patibulum ».
Cela ne soulève, en effet, aucune difficulté. Le titulus était fixé au patibulum du T par une tige de bois et quatre clous, comme je l’ai réalisé pour bien des crucifix ; il pouvait même empiéter un peu sur une face du patibulum et être cloué directement sur lui. On trouvera ces deux aspects chez plusieurs peintres (Roger de La Pasture).
Il est même très possible que la saillie du titulus au-dessus du patibulum ait été à l’origine de la forme des croix grecque et latine. (Ces deux adjectifs n’ont d’ailleurs aucune signification géographique). La vraie croix grecque classique présente, au-dessus du patibulum croisant par le milieu le stipes, une deuxième barre oblique, qui représente le titulus. La corne supérieure de saint Irénée serait donc le titulus.
Il faut d’ailleurs se rappeler que, lorsque parurent les premiers crucifix, encore très rares, fin Ve siècle (ivoire du British Museum), VIe siècle (porte de Sainte-Sabine, Évangéliaire de Rabula), il y avait déjà près de deux siècles que la crucifixion avait été abolie par Constantin (313, au plus tard 330) et que les artistes n’avaient jamais vu un crucifié. Saint Augustin, à l’aube du Ve siècle, déclare qu’on n’a pas crucifié à Rome depuis très longtemps. La forme a donc été choisie par les artistes pour des motifs qui n’ont rien à voir avec la réalité : raisons esthétiques ; facilité de placer le titulus bien visible au-dessus de la tête de Jésus. Les deux formes seront toujours représentées dans l’art de toutes les époques, au gré des artistes.
Du VIe au XIIe siècle, la production orientale est de beaucoup la plus importante. Elle comprend beaucoup de petits objets, des ampoules (Bobbio, Monza), des encensoirs, qui portent souvent la †. On la retrouve aussi dans des fresques, comme à Santa Maria Antiqua, au Forum (VIIIe siècle). Cependant les grandes compositions qui se répandent à partir du XIe siècle comportent très souvent le T. Il en est ainsi à Saint-Luc en Phocide, à Daphni, à Aquilée, à Santa Maria in Vescovio. Je mets à part les crucifix byzantins, occupant une petite place au milieu d’un grand cadre cruciforme, dont les extrémités et les flancs s’élargissent en petits tableaux accessoires ; tel le crucifix de Saint-Damien, à Assise.
Quand la peinture se réveille en Italie, aux XIIe et XIIIe siècles, les primitifs emploient plutôt la †, avec Duccio et Cimabue, par exemple. Mais au Xe et au XVe siècle, le T recommence à florir avec Pietro Lorenzetti, à l’église inférieure d’Assise ; Giotto, à l’Arena de Padoue ; Fra Angelico, à San Marco de Florence. Tous trois fixent le titulus par une tige étroite sur le patibulum.
En France, les sculpteurs gothiques utilisent plutôt la †, Mais le T domine franchement, au XVe siècle, dans toutes les écoles de peinture, qu’elles soient provençale, bourguignonne, parisienne ou du Nord ; Bréa, Bellechose, Fouquet l’emploient généralement. En pays wallon, le grand Roger de le Pasture ne peint que lui. En Allemagne, Albert Durer préfère aussi le T. De même Jérôme Bosch, en Hollande et Memlinck, en Flandre. Au XVIe siècle, quelques artistes restent fidèles au T, comme Quentin Metsys. Mais, au XVIIe, dans tous les pays, la croix latine l’emporte ; généralement très élevée, dans les compositions pompeuses et grandiloquentes, qui s’éloignent de plus en plus de la vérité et de la piété. On peut cependant voir encore quelques T, chez Lebrun (au Louvre) et chez Rembrandt. Nos artistes modernes y reviennent volontiers. Mais remontons maintenant aux origines.
Il serait intéressant, en effet, de savoir comment les chrétiens des tout premiers siècles se représentaient la croix. Malheureusement celle-ci était, dans tout le monde romain, un tel objet d’horreur et d’infamie, qu’on n’osait pas l’exhiber, même aux yeux des fidèles. Toute la catéchèse apostolique était avant tout une prédication triomphante de la Résurrection. Les premiers crucifix (Ve, VIe siècles) seront des images triomphales du Christ vivant, placé devant la croix. Au moyen âge seulement se développeront l’image et le culte de la Passion, l’idée mystique de la compassion.
On trouve cependant de rarissimes représentations du crucifix sur des gemmes gravées des premiers siècles. Sur l’une, Jésus a les bras en croix, mais celle-ci est invisible. Sur deux autres, la croix semble être en T. Sur une cornaline du British, le Christ est debout, les bras écartés ; une barre transversale est derrière lui, au-dessus de ses épaules et de ses mains. Il a beaucoup plus l’air d’un condamné portant son patibulum à la mode romaine, que d’un crucifié. Enfin, le célèbre graffito du Palatin, grossier dessin satirique, qui représente un chrétien adorant un crucifié à tête d’âne (c’était une calomnie ordinaire des païens) montre, nettement dessinée au trait, une croix en T.
Dans les catacombes, la croix est extrêmement rare. On en citait une vingtaine et les fouilles récentes n’ont guère accru ce nombre. Ce sont des croix nues, sans corps, bien entendu, exprimées par des traits analogues aux lettres des inscriptions voisines. Presque toujours, et constamment dans les deux premiers siècles, la croix est symbolisée par des images moins faciles à comprendre pour des non-initiés. […]
Comme on le voit, les renseignements sur la croix de Jésus sont bien rares et assez imprécis. Mais ici encore je ne vois aucune raison pour qu’on ait fabriqué à son intention une croix spéciale. Celle qui l’attendait était une quelconque des croix du Golgotha. C’était donc non seulement une croix de hauteur moyenne, mais une croix en T, comme l’étaient normalement les croix romaines, de l’avis des archéologues.
Les dernières heures
Les crucifiés mouraient tous asphyxiés.
Le travail du Dr Le Bec, mon prédécesseur comme chirurgien à Saint-Joseph (« Le supplice de la Croix », avril 1925, loc. cit.), contient déjà sur ce fait des notions précises, exactes et complètes. Pour lui, la fixation des bras relevés, donc en position d’inspiration, entraîne une relative immobilité des côtes et une grande gêne de la respiration ; le crucifié a la sensation d’un étouffement progressif. (Chacun peut constater que cette position prolongée, sans aucune traction sur les mains, entraîne déjà une dyspnée des plus désagréables). Le cœur doit travailler davantage; ses battements se précipitent et s’affaiblissent. Il s’ensuit une certaine stagnation dans les vaisseaux de tout le corps. Et « comme, d’autre part, l’oxygénation se fait mal dans les poumons qui fonctionnent insuffisamment, la surcharge en acide carbonique provoque une excitation des fibres musculaires et comme conséquence, une sorte d’état tétanique du corps entier ».
Tout ceci est parfaitement exact, physiologique, et logiquement déduit. Le Bec a eu l’immense mérite, en 1925, d’imaginer de toute pièce cette théorie qui coïncide strictement avec la réalité. Il n’en pouvait pas faire, heureusement pour la France, la preuve expérimentale, mais il prévoyait tout ce que les tristes observations d’Hynek devaient confirmer, tout ce que celui-ci avait déjà vu pendant la guerre de 1914, mais qu’il ne devait publier que dix ans après l’article de Le Bec.
C’est en effet au Dr Hynek, de Prague, que nous devons la triste confirmation de la thèse de Le Bec et c’est la contribution personnelle et importante de cet auteur à l’étude de la Passion. Car lui, il a vu de ses yeux ce dont Le Bec a eu la très belle intuition (Dr Hynek : « Le martyre du Christ », traduction française, 1937. Édition originale tchèque, novembre 1935).
Deux faits ont mis le Dr Hynek sur la voie de cette explication :
1° […]
2° Le souvenir d’un supplice, ou d’une punition grave, comme on voudra, observé dans l’armée austro-allemande ; il y était mobilisé pendant la guerre de 14-18, comme tchèque. Cette punition, qu’on appelle « aufbinden », et que les Nazis se sont bien gardés d’oublier, consiste à suspendre par les deux mains le condamné à un poteau. Ses pieds peuvent à peine toucher terre par les pointes. Tout le poids du corps, c’est la chose importante, tire donc sur ces deux mains fixées en l’air. On voit au bout d’un certain temps apparaître des contractions violentes de tous les muscles, qui aboutissent à un état permanent de contracture, de rigidité en contraction de ces muscles. C’est ce qu’on appelle vulgairement des crampes. Chacun sait combien elle sont douloureuses, et qu’on ne peut les faire cesser qu’en tirant le membre dans le sens opposé aux muscles contractés.
Ces crampes commencent dans les avant-bras, puis les bras, s’étendent aux membres inférieurs, au tronc. Très rapidement, les grands muscles qui produisent l’inspiration, grands pectoraux sternocleidomastoïdiens, diaphragme, sont envahis. Il en résulte que les poumons se gorgent d’air, mais ne parviennent plus à le faire sortir. Les muscles expirateurs, contracturés eux aussi, sont plus faibles que les inspirateurs (l’expiration, en temps ordinaire, se fait presque automatiquement et sans effort musculaire, par l’élasticité des poumons et de la cage thoracique).
Les poumons étant ainsi fixés en inspiration forcée et ne pouvant plus se vider, il s’ensuit que l’oxygénation normale du sang qui y circule ne peut plus se faire et que l’asphyxie se déclenche chez le patient, aussi bien que si on l’étranglait. Il est dans l’état d’un emphysémateux en pleine crise d’asthme. C’est aussi le tableau que provoque une maladie microbienne, le tétanos, par intoxication des centres nerveux. Et c’est pourquoi ce syndrome de contracture généralisée, quelle que soit sa cause déterminante, et il y en a d’autres, est appelée « tétanie ».
Notons de plus que le défaut d’oxygénation du sang pulmonaire entraîne dans les muscles, où il continue à circuler, une asphyxie locale, une accumulation d’acide carbonique dans ces muscles, (Le Bec le disait bien), qui, par une sorte de cercle vicieux, augmente progressivement la tétanisation des mêmes muscles.
On voit donc le patient, la poitrine distendue, présenter tous les symptômes de l’asphyxie. Sa figure rougit, se violace ; une sueur profuse coule de son visage et de toute la surface de son corps. Si l’on ne veut pas faire mourir le malheureux, il faut le dépendre. La simple punition ne pouvait pas, dit Hynek, durer plus de dix minutes. On l’a depuis poussée jusqu’à l’assassinat dans les camps de déportation hitlériens. […]
Comment donc le crucifié pouvait-il échapper momentanément à ces crampes et à cette asphyxie, pour survivre quelques heures, voire 2 ou 3 jours ? Cela ne pouvait se faire qu’en soulageant la traction sur les mains, qui semble la cause initiale et déterminante de tout le phénomène.
Le corps, après la crucifixion, s’affaissait et descendait, comme nous le verrons, notablement, en même temps que les genoux se fléchissaient davantage. Le patient pouvait alors prendre point d’appui sur les pieds fixés au stipes, pour remonter tout le corps et ramener les bras, descendus dans l’affaissement autour de 65°, vers l’horizontale. La traction sur les mains était ainsi fortement réduite. Les crampes diminuaient et l’asphyxie disparaissait momentanément, par reprise des mouvements respiratoires… Puis, la fatigue des membres inférieurs survenait, qui forçait le crucifié à redescendre et l’asphyxie survenait à nouveau. Toute l’agonie se passait donc dans une alternative d’affaissements et de redressements, d’asphyxie et de respiration. Nous en verrons la matérialisation sur le Linceul, dans la double coulée sanguine verticale qui sort du trou de la main, avec un écartement angulaire de quelques degrés. L’une correspond à la position d’affaissement et l’autre à l’effort de relèvement. […]
Les bourreaux avaient un moyen sûr d’achever les crucifiés, c’était de leur rompre les jambes. Le moyen était souvent utilisé à Rome et bien connu. Nous le trouvons dans Sénèque et dans Ammien Marcellin. Origène atteste que cela se faisait « suivant la coutume romaine ». C’était le « crurifragium ». Le mot a été peut-être inventé par Plaute : « Continuo is me ex Syncerasto Crurifragium fecerit », dit l’esclave Syncerastus. « Il me ferait aussitôt changer mon nom de Syncerastus en Jambes cassées » (Poenulus, v. 886). C’est ce « crurifragium » que les Juifs, pressés de faire disparaître les trois corps avant la nuit, vont demander à Pilate : « Ina kateagôsin autôn ta skelè, kai arthôsin — qu’on leur rompît les jambes et qu’on les enlevât » (Jn 19,31). […]
Ce que nous savons maintenant de la tétanie et de l’asphyxie des crucifiés jette une lumière aveuglante sur ce procédé d’achèvement. Les suppliciés ne pouvaient résister à cette asphyxie qu’en se redressant sur l’appui des pieds. Si on leur rompt les jambes, ils sont dans l’impossibilité absolue de se redresser. Dès lors l’asphyxie les prend tout entiers et définitivement; c’est la mort dans un délai très court, comme nous l’avons vu. Quant à ceux qui avaient le sedile, le brisement des jambes devait aussi leur rendre plus difficile le redressement du corps. Mais si on leur mettait le croc entre les cuisses, c’était pour les faire souffrir plus longtemps ; il n’était donc pas question pour eux de crurifragium.
Pour Jésus, nous verrons, en étudiant les plaies des mains, les raisons anatomiques qui me font affirmer sa suspension simplement par trois clous, sans aucun autre support.
Disons tout de suite, pour ne pas mélanger cette étude avec celle des plaies, que cette asphyxie est singulièrement illustrée par les traces qu’elle a laissées sur le Linceul. Ou, pour mieux dire, la tétanisation et l’asphyxie, qui sont indubitables pour un médecin, prouvent que les empreintes du Linceul sont conformes à la réalité: ce corps est mort comme un corps crucifié.
Nous y voyons en effet les deux grands pectoraux, les plus puissants muscles inspirateurs, en contraction forcée, élargis et remontés vers les clavicules et les bras. Toute la cage thoracique est même remontée et fortement distendue, dans une inspiration maxima. Le creux épigastrique (creux de l’estomac) est enfoncé, déprimé, par cette élévation et par cette distension en avant et en dehors du thorax ; et non pas par la contraction du diaphragme, comme l’écrit Hynek. Il oublie que le diaphragme, grand muscle inspirateur, lui aussi, tendrait à soulever l’épigastre, dans une respiration abdominale normale. Avec cette distension et cette élévation forcée des côtes, il ne peut que refouler vers le bas la masse abdominale ; et c’est pourquoi l’on voit, au-dessus des mains croisées, saillir l’hypogastre, le bas-ventre. On ne voit guère les sternocleidomastoïdiens, autres muscles inspirateurs, cachés qu’ils sont par la barbe ; mais la tête nettement fixée en inclinaison antérieure, comme cela doit se faire par leur contracture.
Les longues coulées de sang, qui descendent des carpes aux coudes, semblent bien suivre les sillons très marqués oui séparent les longs muscles extenseurs de la main, sur des avant-bras contracturés. Les cuisses montrent de fortes saillies musculaires, qui, sur un corps d’ailleurs parfaitement galbé, évoquent, elles aussi, la contracture tétanique.
Sur la face postérieure, la colonne cervicale semble bien inclinée en avant, contrairement à sa courbure normale, ce qui cadre avec l’image antérieure. D’autre part, la région lombaire, qui devrait présenter une courbe à concavité postérieure, la lordose lombaire, apparaît aplatie, avec saillie des apophyses épineuses, comme l’a bien vu le Docteur Gedda.
Pierre Barbet, La Passion de Jésus Christ selon le chirurgien, Médiaspaul, Paris, 2011



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