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Saint Jérôme sur le Jeudi Saint II / II

4 mai 2021

Alors Jésus vint avec eux dans un domaine appelé Gethsémani ; Il dit à Ses disciples : Asseyez-vous ici, pendant que J’irai là pour prier.
Et ayant pris avec Lui Pierre et les deux fils de Zébédée, Il commença à être attristé et affligé. Alors Il leur dit : Mon âme est triste jusqu’à la mort ; demeurez ici, et veillez avec Moi.
 

 

Et S’étant avancé un peu plus loin, Il Se prosterna le visage contre terre, priant et disant : Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de Moi ; cependant, qu’il en soit non pas comme Je veux, mais comme Vous voulez.
Et Il vint vers Ses disciples, et les trouva endormis ; et Il dit à Pierre : Ainsi, vous n’avez pas pu veiller une heure avec Moi ? Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la tentation. L’esprit est prompt, mais la chair est faible.
Il S’en alla encore une seconde fois, et Il pria, en disant : Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que Je le boive, que Votre volonté soit faite.
Il revint de nouveau, et Il les trouva endormis ; car leurs yeux étaient appesantis. Et les quittant, Il S’en alla encore, et Il pria pour la troisième fois, en disant les mêmes paroles.
Puis Il vint à Ses disciples, et leur dit : Dormez maintenant et reposez-vous ; voici que l’heure approche, et le Fils de l’homme sera livré aux mains des pécheurs. Levez-vous, allons ; voici que celui qui doit Me trahir approche.
Comme Il parlait encore, voici que Judas, l’un des douze, arriva, et avec Lui une foule nombreuse, armée d’épées et de bâtons, envoyée par les princes des prêtres et par les anciens du peuple. Or, celui qui Le trahissait leur avait donné un signe, en disant : Celui que je baiserai, c’est Lui ; saisissez-Le.
Et aussitôt, s’approchant de Jésus, il dit : Je Vous salue, Maître. Et il Le baisa.
Jésus lui dit : Mon ami, pourquoi es-tu venu ? Alors ils s’avancèrent, mirent les mains sur Jésus, et Le saisirent.
Et voici qu’un de ceux qui étaient avec Jésus, étendant la main, tira son épée, frappa le serviteur du grand prêtre, et lui coupa l’oreille. Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. Penses-tu que Je ne puisse pas prier Mon Père, qui M’enverrait à l’instant plus de douze légions d’Anges ? Comment donc s’accompliront les Écritures, qui annoncent qu’il en doit être ainsi ?
En même temps, Jésus dit à la foule : Vous êtes venus comme après un voleur, armés d’épées et de bâtons, pour vous emparer de Moi ; tous les jours J’étais assis au milieu de vous, enseignant dans le temple, et vous ne M’avez pas arrêté.
Mais tout cela s’est fait afin que ce que les prophètes ont écrit fût accompli. Alors tous les disciples, L’abandonnant, s’enfuirent.
Mais ceux qui avaient arrêté Jésus Le conduisirent chez Caïphe, le grand prêtre, où les scribes et les anciens s’étaient rassemblés.
Or, Pierre Le suivait de loin, jusqu’à la cour du grand prêtre ; et étant entré, il s’assit avec les serviteurs, pour voir la fin.

L’Évangile de Saint Matthieu XXVI.36-58

 

 
 

Commentaires sur l’Évangile de Saint Matthieu
Livre quatrième

« Après cela, Jésus vint avec eux en un lieu appelé Gethsémani, et il dit à ses disciples : Demeurez ici pendant que je m’en irai là pour prier. » [Ibid. 36] Gethsémani signifie « la vallée très grasse ; » c’est là que le Seigneur commanda à ses disciples de demeurer quelque temps, et d’attendre pendant qu’il prierait seul pour tous.

« Et ayant pris avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à être saisi de tristesse et d’affliction. » [Ibid. 37] Ce que nous avons dit plus haut de la passion et de la propassion se re­présente dans le verset actuel. Pour nous convaincre qu’il a vraiment pris la nature humaine, le Seigneur a été vraiment saisi de tristesse ; mais pour que sa passion ne fut pas supérieure à son courage, il a par propassion commencé, à être triste. Car, autre chose est d’être triste, autre chose de commencer à être triste. Or il était triste, non par crainte de la souffrance, lui qui n’était venu que pour souffrir, et qui reprochait à Pierre sa timidité ; mais à cause de l’infortuné Judas, du scandale de tous ses apôtres, du rejet du peuple juif, et de la ruine de la malheureuse Jérusalem. Ainsi Jonas s’attrista jadis de voir se dessécher la citrouille ou le lierre qui lui formait un abri [Jean IV]. Mais si les hérétiques attribuent la tristesse de son âme à sa passion, et non à l’amour qu’il ressent pour ceux qui vont périr, qu’ils disent comment ils expliquent cette parole que Dieu dit par la bouche d’Ézéchiel : « Et en toutes ces choses vous m’avez rempli de tristesse. » [Ezech XVI sec. LXX].

« Alors il leur dit : Mon âme est triste jusqu’à la mort ; demeurez ici et veillez avec moi. » [Ibid. 38] Ce qui est triste, c’est son âme ; et elle est triste, non pas à cause de la mort, mais jusqu’à la mort, jusqu’à ce’ qu’il ait par sa passion délivré ses apôtres. S’il leur dit : « demeurez ici et veillez avec moi, » ce n’est pas qu’il leur interdise de dormir, le moment n’en serait guère opportun quand le combat est imminent ; mais il veut leur défendre le sommeil de l’infidélité et L’engourdissement de l’esprit. Que ceux donc qui soutiennent que l’âme de Jésus n’était pas une âme raisonnable, nous expliquent comment il a pu être triste, et connaître la durée de sa tristesse. Car bien que les animaux privés de raison puissent être tristes, ils ne connaissent cependant ni les causes de leur tristesse, ni le temps pendant lequel elle doit se prolonger.

« Et s’étant avancé un peu plus loin, il se prosterna le visage contre terre, priant et disant : Mon Père, s’il est possible, que ce calice, s’éloigne de moi, mais néanmoins qu’il en soit, non comme je le veux, mais comme vous le voulez. » [Ibid. 39] Après avoir dit aux apôtres de demeurer et de prier avec lui, le Seigneur s’éloignant un peu, se prosterne le visage contre terre ; par cette posture de son corps, il montre l’humilité de son âme ; et il dit dans un langage caressant : « Mon Père, » et il demande que, si cela est possible, le calice de sa passion, dont nous avons parlé tout à l’heure, passe loin de lui. Ce n’est point par crainte de la souffrance qu’il le demande, mais par miséricorde pour le peuple autrefois privilégié : il voudrait que le calice qu’il doit boire, lui soit présenté par un autre que par lui. Aussi est-ce avec intention qu’il dit, non pas : « que le calice, » mais « que ce calice s’éloigne de moi, » c’est-à-dire, le calice du peuple juif qui ne peut avoir, en me faisant mourir, l’excuse de l’ignorance, puisqu’il pos­sède la Loi et les Prophètes qui chaque jour lui parlent de moi. Toutefois, rentrant en lui-même, comme Dieu et Fils de Dieu, il accepte ce qu’il venait comme homme de repousser avec effroi : « Mais néanmoins qu’il en soit, non comme je le veux, mais comme vous le voulez. » Que se fasse, dit-il, non ce que désire et demande ma nature humaine, mais ce pourquoi je suis par votre volonté descendu sur la terre.

« Il vint ensuite vers ses disciples ; il les trouva endormis, et il dit à Pierre ; Ainsi vous n’avez pu veiller une heure avec moi » [Ibid. 40] L’apôtre qui disait plus haut : quand tous les autres se scandaliseraient à votre sujet, pour moi je ne me scandaliserai jamais, est endormi, et chez lui, le sommeil a été plus fort que le chagrin.

« Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la tentation » [Ibid. 41] Il est impos­sible que l’âme humaine ne soit pas tentée. Aussi disons-nous [dans l’Oraison Dominicale : « Ne nous induisez pas dans la tentation que nous ne pourrions supporter ». [Matth VI.13 / Luc XI.4]. Ainsi nous ne refusons pas absolument la tenta­tion, mais nous demandons la force de suppor­ter la tentation. Il ne dit donc point présente­ment : « Veillez et priez, afin de ne pas être tentés », mais : « afin que vous ne tombiez point dans la tentation, » c’est à dire, afin que la ten­tation ne soit pas plus forte que vous, et ne vous enserre pas dans ses liens. Par exemple, le mar­tyr qui verse son sang pour rendre témoignage au Sauveur, est, il est vrai, tenté ; mais il n’est point pris dans les filets de la tentation ; tandis que celui qui renie sa foi, tombe dans les pièges de la tentation.

« L’esprit est prompt, mais la chair est faible. » Ceci est à l’adresse des âmes téméraires qui s’imaginent pouvoir faire tout ce qu’elles croient. Ainsi, plus nous nous sentons de confiance dans la vivacité de notre esprit, et plus nous avons à redouter la fragilité de notre chair. Et cependant selon l’Apôtre, c’est par l’esprit que nous faisons mourir les œuvres de la chair. [I Pierre III]

« Il s’en alla une seconde fois et pria en disant : Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite. » [Ibid. 42] Il prie pour la seconde fois, et il demande que si Ninive ne peut être sauvée, sans que la citrouille se dessèche, la volonté de son père soit faite, laquelle n’est pas opposée à la volonté du Fils, puisque c’est le Fils qui dit par la bouche du Pro­phète : « Pour faire votre volonté ô mon Dieu, c’est ce que j’ai voulu ». [Psalm XXXIX.9]

« Il revint de nouveau et les trouva endormis, car leurs yeux étaient appesantis. Et les quittant il s’en alla encore, et pria pour la troisième fois, disant les mêmes paroles. » [Ibid. 43, 44]. Il prie seul pour tous, comme il souffre seul pour tous. C’était le renoncement tout proche qui alanguissait et appesantissait ainsi les yeux des apôtres.

« Alors il vint trouver ses disciples et leur dit : Dormez maintenant, et reposez-vous ; voici l’heure qui approche, et le Fils de l’homme va être livré entre les mains des pécheurs ». [Ibid. 45 / Matth. XVIII / II Corinth XIII] Après avoir prié une troisième fois, afin que toute parole soit confirmée par l’autorité de deux ou trois témoins, et obtenu que la crainte qui allait saisir ses apôtres, fut suivie d’une péni­tence expiatoire, tranquille du côté de sa passion, il s’avance vers ses persécuteurs et s’offre volontairement à la mort ; il dit à ses apôtres :

« Levez-vous, allons, celui qui doit me livrer est bien près d’ici. Comme il parlait encore, voilà que Judas, l’un des douze, arriva, et avec lui une grande troupe de gens armés d’épées et de bâtons, qui avaient été envoyés par les princes des prêtres et par les anciens du peuple. » [Ibid. 46-47]. Si nous ne voulons pas être sur­pris comme des gens qui ont peur et reculent, marchons de nous-mêmes à la mort, afin de donner à ceux qui doivent souffrir après nous le spectacle de la confiance et de la joie…

« Or, celui qui le trahissait leur avait donné un signe en disant : Celui que je baiserai, c’est lui-même, saisissez-vous de lui. » [Ibid. 48] Le mal­heureux Judas, indigne pourtant de commiséra­tion, montre en tout la même infidélité ; il la montre en trahissant son maître et son Seigneur ; il la montre en attribuant à un pouvoir magique, et non à la toute-puissance divine les miracles qu’il lui a vu faire. Peut-être aussi, avait-il entendu parler de sa transfiguration sur la montagne, et craignait-il que par une transformation du même genre, il ne s’échappât des mains des valets qu’il avait amenés. Il leur donne donc un signe qui le leur fera connaître, et ce signe est un baiser.

« Aussitôt donc s’approchant de Jésus, il lui dit : Je vous salue, Maître, et il le baisa. » [Ibid. 49] Assurance effrontée et criminelle ! appeler Maître et baiser celui qu’il livre. Il garde pourtant encore quelque chose du respect du disciple, puisqu’il ne le livre pas lui-même bru­talement à ses persécuteurs, et se contente de le désigner par un baiser. Tel est le signe dont Dieu marquait Cain, pour l’empêcher d’être mis à mort par ceux qui l’auraient rencontré. [Genes. IV]

« Jésus lui répondit : mon ami, dans quel but êtes-vous venu ? Alors ils s’avancèrent, portèrent les mains sur Jésus et le saisirent. » [Ibid. 50] Le mot « mon ami, » doit être « par antiphrase » ou du moins dans le sens attribué à cette parole que nous avons lue plus haut : « Mon ami comment êtes-vous entré ici sans avoir la robe nuptiale ? » [Matth XXII.12]

« Alors un de ceux qui étaient avec Jésus, étendant le bras, tira son épée, en frappa un serviteur du prince des prêtres, et lui coupa l’oreille. » [Ibid. 51] Un autre évangéliste nous apprend que cela fut fait par Pierre, agissant en cela avec la même impétuosité que d’habitude. Le serviteur du prince des prêtres s’appelait « Malchus, » et l’oreille coupée était l’oreille droite. Disons en passant que « Malchus, » c’est — à-dire « le roi » le peuple juif, roi autrefois, est devenu le serviteur de l’impiété et de la vora­cité des prêtres. Il a perdu l’oreille droite, de sorte qu’il entend par la gauche toutes les petitesses de la lettre ; mais le Seigneur a rendu l’oreille droite à ceux d’entre les Juifs qui ont voulu croire en lui, et de ce peuple esclave a fait une race royale et sacerdotale.

« Mais Jésus lui dit : Remettez votre épée à sa place, car tous ceux qui se serviront de l’épée périront par l’épée. » [Ibid. 52] Et quoique ce ne soit pas en vain que le glaive soit porté par celui qui est chargé d’exécuter les vengeances du Seigneur contre celui qui fait le mal, néanmoins quiconque prendra l’épée, périra par l’épée. Par quelle épée ? par cette épée flamboyante qui est brandie devant le paradis, [Genes. III] et par cette épée spirituelle, qui fait partie de l’armure de Dieu. [Ephes. VI]

« Pensez-vous que je ne puisse pas prier mon Père, et qu’il ne me donnerait pas aussitôt plus de douze légions d’anges ? Comment donc s’ac­compliront les Écritures qui déclarent qu’il faut que cela se passe ainsi ? » [Ibid. 53, 54] Je n’ai pas besoin de l’aide des douze apôtres, fussent-ils tous disposés à me défendre, moi qui puis avoir à mon secours douze légions de l’armée angélique. La légion, chez les anciens, compre­nait six mille hommes. Nous avons trop peu de temps pour entreprendre d’expliquer ce nombre. Qu’il nous suffise de dire que c’est une figure, que douze légions font soixante-douze mille anges, autant qu’il y a de peuples parlant une langue différente. Ce que le Sauveur ajoute dénote un cœur qui ne recule pas devant la souffrance puisque ce serait en vain que les prophètes auraient rendu leurs oracles, si le Seigneur ne prouvait, en les accomplissant par sa Passion, qu’ils ont dit la vérité.

« En ce moment, Jésus dit à cette troupe de gens : Vous êtes venus ici avec des épées et des bâtons pour me prendre comme si j’étais un voleur ; j’étais tous les jours parmi vous, ensei­gnant dans le temple, et vous ne m’avez pas arrêté. » [Ibid. 55] C’est une folie, dit-il, de venir chercher avec des épées et des bâtons celui qui se remet volontairement entre vos mains, de se servir d’un traître et de venir la nuit l’arrêter, comme s’il se cachait et voulait se dérober à vos regards, celui qui chaque jour enseigne dans le temple. Mais je comprends que vous vous êtes réunis con­tre moi dans les ténèbres parce que votre puis­sance est une puissance de ténèbres.

« Mais tout cela s’est fait afin que les Écritures des prophètes fussent accomplies. Alors les dis­ciples l’abandonnèrent tous et s’enfuirent » [Ibid. 56] Quelles sont les Écritures des Prophè­tes ? « Ils ont percé mes mains et mes pieds. » [Psalm XXI.17] et ailleurs : « Il a été conduit comme une brebis au sacrifice, » [Isa LIII.7] ; Et encore dans un autre endroit : « Il a été conduit à la mort à cause des iniquités de mon peuple. » [Ibid. sec. LXX]

« Les gens s’étant saisi de Jésus, l’em­menèrent chez Caïphe, prince des prêtres, où les Scribes et les anciens étaient assemblés. » [Ibid. 57] Moïse avait établi par l’ordre de Dieu, que les pontifes se succéderaient de père en fils, et que l’on observerait pour les prêtres l’ordre généalogique. [Exod. XXIX] Josèphe rapporte que le Caïphe dont il est ici question, avait acheté d’Hérode le souverain Pontificat pour une année. Il n’y a donc rien de surprenant que ce pontife illégitime prononce des jugements injustes.

« Pierre le suivait de loin, jusque dans la cour du prince des prêtres. » [Ibid. 58]. Il sui­vait de loin, l’apôtre qui devait renier le Sei­gneur.

« Et y étant entré, il s’assit avec les domes­tiques pour voir la fin. Cependant les princes des prêtres et tout le conseil cherchaient un faux témoignage contre Jésus pour le faire mourir. Et ils n’en trouvaient point, quoique plusieurs faux témoins se fussent présentés. » [Ibid. 59, 60]. Pierre, poussé par l’affection du disciple pour son maître, ou par un sentiment de curiosité humaine, voulait savoir ce que le grand prêtre allait décider par rapport au Sei­gneur ; s’il le condamnerait à mort, ou s’il le renverrait après l’avoir fait battre de verges. Et voilà en quoi Pierre se distingue des dix apôtres. Ceux-ci s’enfuient ; lui, de loin, il est vrai, suit cependant le Sauveur.

 

 


 

Œuvres complètes de Saint Jérôme traduites en français et annotées par l’abbé Bareille, Tome dixième, pp. 86-94, Louis Vivès, Libraire-Éditeur, Paris, 1884

 


 

 

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