La foi vivante de l’église orthodoxe, Orthodoxie

L’Orthodoxie et la Religion du futur – V. La « nouvelle conscience religieuse »

5 décembre 2020

L’esprit des cultes orientaux dans les années 1970

Les trois types de « méditation chrétienne » que nous venons de décrire ne sont que le début; en général, on peut dire que l’influence des idées et pratiques religieuses orientales sur l’Occident autrefois chrétien a atteint des proportions étonnantes au cours de la décennie des années 70. En particulier, l’Amérique, qui était encore « provinciale » d’un point de vue religieux il y a à peine deux décennies (à l’exception de quelques grandes villes) -avec son horizon spirituel largement limité au protestantisme et au catholicisme romain – a connu une prolifération fulgurante de cultes et mouvements religieux orientaux (et pseudo-orientaux).

L’histoire de cette prolifération peut être tracée à partir de la désillusion insatiable de la génération de l’après-Seconde Guerre mondiale, qui s’est manifestée pour la première fois dans les années 1950 sous la forme de la vaine protestation et du libertinage moral de la « beat generation », dont l’intérêt pour les religions orientales fût d’abord plutôt académique et surtout le signe de l’insatisfaction à l’égard du « christianisme ». Vient ensuite une deuxième génération, celle des « hippies » des années 1960, avec sa musique « rock », ses drogues psychédéliques et la recherche à tout prix d’une « conscience augmentée »; désormais, les jeunes Américains se plongent sans réserve dans les mouvements de contestation politique (notamment contre la guerre du Vietnam) d’une part, et la pratique fervente des religions orientales d’autre part. Des gourous indiens, des lamas tibétains, des maîtres zen japonais et d’autres « sages » orientaux sont venus en Occident et ont trouvé une foule de disciples accueillants qui les ont offert un succès au-delà des rêves des swamis occidentalisés des générations précédentes; et les jeunes se sont mis à voyager aux extrémités du monde, jusqu’aux hauteurs de l’Himalaya, pour trouver la sagesse ou le maître ou la drogue qui leur apporterait la « paix » et la « liberté » qu’ils recherchaient.

Dans les années 1970, une troisième génération a succédé aux « hippies ». Extérieurement plus calme, avec moins de « manifestations » et des comportements généralement moins flamboyants, cette génération est entrée plus profondément dans les religions orientales, dont l’influence est devenue plus envahissante que jamais. Pour beaucoup de cette nouvelle génération, la « quête » religieuse est terminée: ils ont trouvé une religion orientale à leur goût et sont maintenant occupés à la pratiquer sérieusement. Un certain nombre de mouvements religieux orientaux sont déjà devenus « indigènes » en Occident, notamment en Amérique: il y a maintenant des monastères bouddhistes composés entièrement de convertis occidentaux, et pour la première fois sont apparus des gourous et maîtres zen occidentaux.

Regardons juste quelques images – des descriptions d’événements réels survenus au début et au milieu des années 1970 – qui illustrent la domination des idées et des pratiques orientales chez de nombreux jeunes Américains (qui ne sont que « l’avant-garde » de la jeunesse du reste du monde). Les deux premières images montrent une implication plus superficielle avec les religions orientales et ne sont peut-être que des restes de la génération des années 60; les deux derniers révèlent l’implication plus profonde caractéristique des années 70.
 

1. Hare Krishna à San Francisco

 

 

Dans une rue bordant le Golden Gate Park dans la section Haight-Ashbury de San Francisco se trouve le temple Krishna Consciousness … Au-dessus de l’entrée du temple se trouvent les lettres en bois de deux pieds de haut ‹ Hare Krishna ›. Dans les deux grandes vitrines se trouvent des couvertures à motifs rouges et oranges.

Les chants et la musique remplissent la rue. À l’intérieur se trouvent des dizaines de peintures aux couleurs vives sur le mur, d’épais tapis rouges sur le sol et l’air est chargé d’une légère fumée. C’est de l’encens, provenant de la cérémonie en cours. Les gens dans la salle scandent doucement des mots sanskrits à peine audibles. La salle est presque pleine, avec une cinquantaine de personnes qui semblent toutes jeunes assises par terre. En avant sont assemblées une vingtaine de personnes vêtues de longues robes amples orange et safran, avec de la peinture blanche sur le nez. Beaucoup d’hommes ont la tête rasée et une queue de cheval. Les femmes qui les accompagnent ont également de la peinture blanche sur le nez et de petites marques rouges sur le front. Les autres jeunes dans la pièce ne semblent pas différents des autres habitants du Haight-Ashbury, avec des bandeaux, des cheveux longs, des barbes et un assortiment varié de bagues, de cloches et de perles, et ils participent avec enthousiasme à la cérémonie en cours. La dizaine de personnes assises à l’arrière semblent être des débutants.

Le chant (mantra) a augmenté en rythme et en volume. Deux filles en longues robes safran dansent maintenant sur le chant. Le maître de cérémonie commence à scander les paroles du chant en sanskrit … Le groupe entier les répète les mots tentant de maintenir l’intonation et le rythme du maître. De nombreux participants jouent des instruments de musique. Le maître de cérémonie bat le tambour au rythme de son chant. Les deux danseuses qui se balancent jouent des cymbales. Un jeune homme souffle dans un coquillage; un autre bat un tambourin … Sur les murs du temple se trouvent plus d’une douzaine de tableaux représentant des scènes de la Bhagavad-Gita.

La musique et les chants deviennent de plus en plus forts et rapides. Le tambour bat sans cesse. Beaucoup de fidèles poussent des cris solitaires, les mains levées, au milieu du chant général. Le chef s’agenouille devant une photo du « maître spirituel » du groupe posée dans un petit sanctuaire près de l’avant de la salle. Le chant culmine dans un crescendo bruyant et la salle devient silencieuse. Les célébrants s’agenouillent, la tête au sol, pendant que le chef prononce une courte prière en sanskrit. Puis il crie cinq fois: « Toute gloire aux fidèles rassemblés », que les autres répètent avant de s’asseoir. » 1

C’est l’une des cérémonies typiques du mouvement « Krishna Consciousness », qui a été fondé en Amérique en 1966 par un ancien homme d’affaires indien, A.C. Bhaktivedanta, afin d’apporter la discipline hindoue du bhakti yoga aux jeunes désorientés et en quête de spiritualité d’Occident. La phase initiale de l’intérêt pour les religions orientales (dans les années 50 et au début des années 60) avait mis l’accent sur la recherche intellectuelle sans beaucoup d’implication personnelle; cette nouvelle phase exige au contraire une participation sans réserve. Le bhakti yoga signifie s’unir au « dieu » qu’on a choisi, en l’aimant et en le vénérant, et en changeant toute sa vie pour en faire l’occupation centrale de celle-ci. Grâce aux moyens irrationnels d’adoration (chants, musique, danse, dévotion), l’esprit est « élargi » et la « conscience de Krishna » est atteinte, ce qui – si suffisamment de gens le font – est censé mettre fin aux troubles de notre âge désordonné et inaugurer une nouvelle ère de paix, d’amour et d’unité.

Les robes lumineuses des « Krishnas » sont devenues un spectacle familier à San Francisco, en particulier le jour de chaque année où l’immense idole de leur « dieu » traversait le Golden Gate Park jusqu’à l’océan, accompagnée de tous les signes de la dévotion hindoue – une scène typique pour l’Inde païenne, mais quelque chose d’inouï pour l’Amérique « chrétienne ». De San Francisco, le mouvement s’est étendu au reste de l’Amérique et à l’Europe occidentale; en 1974, il y avait 54 temples de Krishna dans le monde, dont beaucoup près des collèges et des universités (les membres du mouvement sont presque tous très jeunes).

Le décès récent du fondateur du mouvement a soulevé des questions quant à son avenir; et en effet, ses membres, bien que très visibles, ont été plutôt peu nombreux. En tant que « signe des temps », cependant, le sens du mouvement est clair, et devrait être très dérangeant pour les chrétiens: de nombreux jeunes d’aujourd’hui recherchent un « dieu » à adorer, et ils sont prêts à accepter la forme la plus flagrante de paganisme.
 

2. Guru Maharaj-ji à l’Astrodome de Houston

 

 

À l’automne 1973, un certain nombre de gourous orientaux de la nouvelle école, dirigés par Maharishi Mahesh Yogi avec son « TM », étaient venus en Occident et avaient rassemblé des disciples, pour disparaître par la suite des yeux du public après un bref moment de popularité. Guru Maharaj-ji fût le plus spectaculaire et, pourrait-on dire, scandaleux de ces gourous. Âgé de quinze ans, il avait déjà été proclamé « Dieu », sa famille (sa mère et ses trois frères) formait la « Sainte Famille », et son organisation (la « Divine Light Mission ») avait des communautés (ashrams) partout en Amérique. Ses 80 000 adeptes (« premies »), comme les adeptes de Krishna, devaient renoncer aux plaisirs du monde et méditer afin d’atteindre une conscience « élargie » qui les rendait parfaitement paisibles, heureux, dans un état de « béatitude » – un état d’esprit dans lequel tout semble beau et parfait tel qu’il est. Pendant une initiation spéciale au cours de laquelle ils « reçoivent la connaissance », les disciples perçoivent une lumière intense et trois autres signes à l’intérieur d’eux-mêmes, qui les serviront d’objets de méditation pour la suite 2. En plus de cette « connaissance », les disciples sont unis par la croyance que Maharaj-ji est le « Seigneur de l’Univers » venu inaugurer une nouvelle ère de paix pour l’humanité.

Pendant trois jours en novembre, 1973, la « Divine Light Mission » a loué l’Astrodome de Houston (une immense arène sportive entièrement couverte par un dôme) afin de mettre en scène « l’événement le plus sacré et le plus significatif de l’histoire de l’humanité ». Les « Premies » du monde entier devaient se rassembler pour adorer leur « dieu » et commencer la conversion de l’Amérique (à travers les médias, dont les représentants étaient soigneusement invités) au même culte, commençant ainsi le nouvel âge de l’humanité. À juste titre, l’événement a été appelé « Millenium ’73 ».

Rennie Davis, un manifestant de gauche des années 60 et l’un des « Chicago Seven », accusés d’incitation à des émeutes à la Convention nationale démocrate de 1968, est un exemple typique des disciples convaincus de Maharaj-ji. Il a passé l’été 1973 à donner des conférences de presse et des discours à quiconque voulait l’écouter, disant à l’Amérique: « C’est le plus grand événement de l’histoire et nous dormons débout … J’ai envie de crier dans les rues. Si nous savions qui il était, nous ramperions à travers l’Amérique sur nos mains et nos genoux pour reposer nos têtes à ses pieds. »3

En effet, le culte du Maharaj-ji s’exprime dans une prostration complète devant lui, la tête contre le sol, accompagnée d’une phrase sanskrite d’adoration. Une formidable ovation a salué son apparition au « Millenium ’73 », il s’est assis au sommet d’un grand trône, couronné par une immense « couronne d’or de Krishna », alors que le tableau de score de l’Astrodome faisait clignoter le mot « G-O-D ». Les jeunes « premies » américains pleuraient de joie, d’autres dansaient sur scène, un groupe de musique jouait « Le Seigneur de l’Univers » – adapté d’un ancien hymne protestant 4.

Tout cela se passe, répétons-le – dans l’Amérique « chrétienne ». Il y a là quelque chose qui dépasse le simple culte des « dieux » païens. Jusqu’à il y a très peu d’années, un tel culte d’un homme vivant aurait été inconcevable dans un pays « chrétien »; maintenant, c’est devenu une chose ordinaire pour des milliers de « chercheurs » religieux en Occident. Ici, nous avons déjà eu un aperçu de l’adoration de l’Antichrist à la fin des temps – celui qui s’assiéra dans le temple de Dieu, se faisant lui-même passer pour Dieu [II Thes. II.4].

« Millenium ’73 » semble avoir été le sommet de l’influence du Maharaj-ji. Finalement il n’y a eu que 15 000 adeptes à avoir assisté (beaucoup moins que prévu), et il n’y a pas eu de « miracle » ou de signe spécial pour indiquer que le « nouvel âge » ait réellement commencé. Un mouvement si dépendant de la publicité médiatique et tellement lié au goût populaire d’une génération bien définie (la musique du « Millenium ’73 » était principalement composée de chansons populaires de la « contre-culture » des années 1960) peut prévoir se démoder assez rapidement; et le récent mariage de Maharaj-ji avec son secrétaire a encore affaibli sa popularité en tant que « dieu ».

D’autres mouvements « spirituels » de notre temps semblent moins soumis aux caprices de la mode populaire et plus révélateurs de l’influence profonde que les religions orientales atteignent maintenant en Occident.
 

3. Yoga tantrique dans les montagnes du Nouveau-Mexique

 

 

Dans une clairière herbeuse à une altitude de 2500m. dans les montagnes Jemez du nord du Nouveau-Mexique, un millier de jeunes Américains (la plupart d’entre eux âgés de 20 à 25 ans) se sont réunis pour dix jours d’exercices spirituels au moment du solstice d’été en juin 1973. Ils se lèvent tous les jours à quatre heures du matin et se rassemblent avant le lever du soleil (enveloppés dans des couvertures contre le gel du matin) pour s’asseoir par terre en rangées devant une scène extérieure. Ensemble, ils commencent la journée avec un mantra en punjabi (une langue d’origine sanskrite) afin de se préparer aux pratiques spirituelles qui vont suivre.

Il y a d’abord plusieurs heures de kundalini yoga – une série d’exercices physiques intenses, de chants et de méditations visant à acquérir le contrôle conscient des processus du corps et de l’esprit et à se préparer à « réaliser Dieu ». Ensuite, il y a la cérémonie de levée de deux drapeaux: le drapeau américain et le « drapeau de la nation du Verseau » – cette « nation » étant le peuple pacifique de « l’ère du Verseau », ou du millénaire, pour lequel ce culte se prépare – accompagné du chant de « God Bless America » et d’une prière pour la nation américaine. Après un repas végétarien (typique de presque tous les nouveaux cultes) et des conférences sur des sujets spirituels et pratiques, tous se préparent pour une longue séance de yoga tantrique.

Le yoga tantrique a été très peu connu et presque jamais pratiqué en Occident jusqu’à présent. Toutes les autorités s’accordent à dire qu’il s’agit d’un exercice extrêmement dangereux, toujours pratiqué par un homme et une femme ensemble, qui évoque une énergie psychique très puissante, nécessitant une surveillance et un contrôle étroits. Soi-disant, il n’y a qu’un seul maître du yoga tantrique vivant sur la terre à la fois; les exercices du « Solstice » au Nouveau-Mexique ont été dirigés par le « Grand Maître Tantrique » de nos jours, Yogi Bhajan.

Tous, habillés de façon identique en blanc, s’assoient en longues lignes droites, les hommes en face des femmes, serrés épaule contre épaule et dos à dos. Environ dix lignes doubles s’étendent à partir de la scène, chacune de 25 mètres de long; les assistants s’assurent que les lignes sont parfaitement droites pour assurer le « flux » approprié du « champ magnétique » yogique.

Le chant des mantras commence avec des chants spéciaux invoquant un gourou disparu qui est le « protecteur spécial » de Yogi Bhajan. Le Yogi lui-même, un homme impressionnant – 1m90, avec une grande barbe noire, vêtu d’une robe blanche et d’un turban – apparaît et commence à parler de son rêve pour « une nouvelle nation, belle et créative » en Amérique qui peut être construite par le préparation spirituelle des gens aujourd’hui; les exercices tantriques, qui sont une clé de cette préparation, transforment les gens d’une « conscience individuelle » habituelle à la  « conscience de groupe » et enfin à la « conscience universelle ».

Les exercices commencent. Ils sont extrêmement difficiles, impliquant de forts efforts physiques et une douleur intense, et évoquent des émotions de peur, de colère, d’amour très fortes. Tout le monde doit faire exactement la même chose en même temps; les positions difficiles sont maintenues pendant de longues périodes; les mantras et les exercices compliqués doivent être exécutés en coordination précise avec son partenaire et avec tout le monde dans sa propre rangée; chaque exercice peut durer de 31 à 61 minutes. La conscience individuelle disparaît dans l’activité de groupe intense et de fortes séquelles se font sentir – épuisement physique et parfois paralysie temporaire, épuisement émotionnel ou exaltation. De plus, puisque les conversations sont interdites au « Solstice », il n’y a aucune possibilité de donner un sens rationnel à l’expérience en la partageant avec d’autres; le but est d’effectuer un changement radical en soi.

Après les cours de l’après-midi dans des matières telles que les arts orientaux d’autodéfense, la médecine pratique et la nutrition, et la gestion d’un ashram, il y a une session du soir (après un autre repas) de « chant spirituel »: des mantras sanskrits sont chantés en rythme folk et « rock », le « festival de rock » et le « culte joyeux » dans une langue étrangère sont réunis – une partie de l’effort de Yogi Bhajan pour rendre sa religion « amérindienne » 5.

La religion décrite ci-dessus est une adaptation moderne de la religion sikh du nord de l’Inde, jointe à plusieurs pratiques de yoga. Appelée la «3HO» (Healthy-Happy-Holy Organization), elle a été fondée en 1969 à Los Angeles par Yogi Bhajan, qui était à l’origine venu en Amérique pour occuper un poste d’enseignant et n’est devenu qu’incidemment un chef religieux lorsqu’il a découvert que ses cours de yoga attiraient les « hippies » du sud de la Californie. Combinant la recherche « spirituelle » des « hippies » avec sa propre connaissance des religions indiennes, il a formé une religion « américaine » qui diffère de la plupart des religions orientales par l’accent mis sur une vie pratique dans ce monde (comme les sikhs en Inde, qui sont pour la plupart une classe marchande); le mariage et une vie familiale stable, un emploi responsable et des services rendus aux autres sont exigés de tous les membres.

Depuis sa fondation en 1969, « 3HO » s’est étendu à plus de 100 ashrams (communautés qui servent de lieux de rassemblement pour les participants non-résidents) dans les villes américaines, ainsi qu’en Europe et au Japon. Bien qu’extérieurement il soit tout à fait distinct des autres nouveaux cultes orientaux (les membres à part entière du culte deviennent formellement des sikhs et portent ensuite le turban sikh caractéristique et des vêtements blancs), « 3HO » en fait partie par l’attirance qu’il exerce sur les ex-« hippies », par le rôle central accordé à la conscience « élargie » (ou « universelle » ou « transcendantale »), et en se considérant comme une « avant-garde » spirituelle censée amener un nouvel âge millénaire (que la plupart des groupes voient en termes astrologiques comme l’« Âge du Verseau »).

En tant que secte qui prône une vie relativement normale en société, « 3HO » est tout aussi bien un « signe des temps » que les cultes hindous qui favorisent une « évasion » évidente; elle prépare ses adeptes à une Amérique « saine, heureuse et sainte », sans la moindre référence au Christ. Quand des Américains convaincus et « heureux » parlent calmement de Dieu et de leurs devoirs religieux sans parler du Christ, on ne peut plus douter que l’ère « post-chrétienne » est vraiment arrivée.
 

4. Formation Zen dans le nord de la Californie

 

 

Dans les montagnes boisées du nord de la Californie, à l’ombre de l’immense mont Shasta – une montagne « sacrée » pour les premiers habitants indiens, et longtemps un centre d’activités et d’habitations occultes, en augmentation à nouveau depuis quelque temps – il y a depuis 1970 un monastère bouddhiste zen. Bien avant 1970, il y avait eu des temples zen dans les grandes villes de la côte ouest où les Japonais s’étaient installés, et il y avait eu des tentatives de fondation de monastères zen en Californie; mais « Shasta Abbey », comme on l’appelle, est le premier monastère zen américain à succès. (Dans le bouddhisme zen, un « monastère » est avant tout une école de formation pour les « prêtres » zen, hommes et femmes.)

À l’abbaye de Shasta, l’atmosphère est très ordonnée et professionnelle. Les visiteurs (qui sont autorisés à faire des visites guidées à des heures fixes, mais qui ne peuvent pas fraterniser avec les résidents) découvrent les moines ou les stagiaires en robe noire traditionnelle et la tête rasée; chacun semble savoir exactement ce qu’il fait, et un sens clair de sérieux et de dévouement est présent.

La formation elle-même est un programme strict de cinq ans (ou plus) et permet aux diplômés de devenir « prêtres » et enseignants de zen et de diriger des cérémonies bouddhistes. Comme dans les écoles laïques, les stagiaires paient des frais de pension (175 $ par mois, payables en avance pour chaque mois – déjà un moyen d’éliminer les candidats peu sérieux!), mais la vie elle-même est celle de « moines » plutôt que d’étudiants. Des règles strictes régissent la tenue vestimentaire et le comportement, les repas végétariens sont pris en silence en commun, aucun visiteur ou conversation oisive n’est autorisé; la vie se concentre sur la salle de méditation, où les stagiaires mangent et dorment en plus de méditer, et aucune pratique religieuse non zen n’est autorisée. La vie est très intense et concentrée, et chaque événement de la vie quotidienne (même le lavage et la toilette) a sa prière bouddhiste, qui est récitée en silence.

Si l’abbaye appartient bien à une secte zen Soto « réformée » – pour souligner son indépendance vis-à-vis du Japon et son adaptation aux conditions de vie américaines – les rites et les cérémonies respectent la tradition zen japonaise. Il y a la cérémonie pour devenir bouddhiste, les rites aux équinoxes célébrant la « transformation de l’individu », le cérémonial d’« alimentation des fantômes affamés » (souvenir des morts), la cérémonie du « jour du fondateur » pour exprimer sa gratitude aux transmetteurs du Zen jusqu’au maître actuel, le festival de l’illumination de Bouddha, et d’autres. L’hommage est rendu en s’inclinant devant les images de Bouddha, mais l’accent principal de l’enseignement est sur la « nature de Bouddha » en chacun.

Le maître zen de l’abbaye de Shasta est une femme occidentale (la pratique bouddhiste le permettant): Jiyu Kennett, une Anglaise née de parents bouddhistes en 1924, qui a reçu une formation bouddhiste dans plusieurs traditions d’Extrême-Orient et une « ordination » dans un monastère Soto Zen au Japon. Elle est venue en Amérique en 1969 et a fondé le monastère l’année suivante avec quelques jeunes adeptes; depuis lors, la communauté s’est développée rapidement, attirant principalement des jeunes hommes (et femmes) dans la vingtaine.

La raison du succès de ce monastère – en dehors de l’attrait naturel du Zen pour une génération insatisfaite par le rationalisme et le simple apprentissage extérieur – semble résider dans la mystique de la « transmission authentique » de l’expérience et de la tradition zen, que l’« Abbesse » fournit grâce à sa formation et à sa certification au Japon; ses qualités personnelles d’étrangère et de bouddhiste de naissance, toujours en contact étroit avec l’esprit contemporain (avec un esprit pratique très « américain »), semblent sceller son influence auprès de la jeune génération américaine convertie au bouddhisme.

Le but de la formation zen à l’abbaye de Shasta est de remplir toute la vie de « pur Zen ». La méditation quotidienne (parfois jusqu’à huit ou dix heures par jour) est le centre d’une vie religieuse concentrée et intense qui mène, soi-disant, à « une paix et une harmonie durables du corps et de l’esprit ». L’accent est mis sur la « croissance spirituelle » et les publications de l’abbaye – un journal bimensuel et plusieurs livres de l’abbesse – révèlent un degré élevé de conscience des faux-semblants et de la falsification spirituelles. L’abbaye s’oppose à l’adoption des coutumes nationales japonaises (par opposition aux coutumes bouddhistes); met en garde contre les dangers du « saut d’un gourou à un autre » et de l’adoration à tort du Maître Zen; interdit l’astrologie, la divination (même le « I Ching »), les voyages astraux et toutes les autres activités psychiques et occultes; se moque de l’approche académique et intellectuelle (par opposition à l’approche pratique) du Zen; et met l’accent sur le travail acharné et la formation rigoureuse, avec le bannissement de toutes les illusions et fantasmes sur soi-même et la « vie spirituelle ». Les discussions sur des questions « spirituelles » par de jeunes « prêtres » zen (comme relatées par le Journal de l’abbaye) semblent, dans leur ton sobre et savant, remarquablement comme des discussions entre de jeunes convertis et moines orthodoxes sérieux. En termes de formation et de perspectives intellectuelles, ces jeunes bouddhistes semblent assez proches de beaucoup de nos convertis orthodoxes. Le jeune chrétien orthodoxe d’aujourd’hui pourrait bien se dire: « J’y aurai pû être moi-même sans l’intervention de la grâce divine », à cause de la perspective spirituelle si authentique et convaincante de ce monastère zen, qui offre presque tout ce que le jeune d’aujourd’hui en quête spirituelle pourrait désirer, – à l’exception, bien sûr, du Christ, le vrai Dieu, et du salut éternel que Lui seul peut donner.

Le monastère enseigne un bouddhisme qui n’est pas « une discipline froide et distante », mais qui est rempli « d’amour et de compassion ». Contrairement aux exposés habituels sur le bouddhisme, l’abbesse souligne que le centre de la foi bouddhiste n’est pas le « néant » ultime, mais un « dieu » vivant (qu’elle prétend être l’enseignement bouddhiste ésotérique): « Le secret du Zen … c’est savoir avec certitude, par soi-même, que le Bouddha Cosmique existe. Un vrai maître est celui ou celle qui ne vacille pas dans sa certitude et son amour pour le Bouddha Cosmique … J’ai été ravi quand j’ai finalement su avec certitude qu’Il existait; l’amour et la gratitude en moi ne connaissaient aucune limite. Je n’ai jamais ressenti non plus un tel amour qui sortait de Lui; Je veux tellement que tout le monde le ressente aussi. » 6

 

Il y a actuellement quelque soixante-dix prêtres en formation à l’abbaye de Shasta et dans ses « prieurés secondaires », principalement en Californie. Le monastère est maintenant dans une étape d’expansion rapide, à la fois sur son propre terrain et dans sa « mission » auprès du peuple américain; il y a un mouvement croissant de bouddhistes laïcs qui font de l’abbaye leur centre religieux et y viennent souvent, avec des psychologues et d’autres personnes intéressées, pour des retraites de méditation de durée variable. Avec leurs publications, conseils et enseignements dans les villes californiennes, un projet d’école pour enfants et un foyer pour personnes âgées – l’abbaye de Shasta progresse en effet dans son objectif de « développer le bouddhisme zen en Occident ».

L’abbesse et ses disciples ont une attitude condescendante envers le christianisme; ils respectent la Philocalie et les autres textes spirituels orthodoxes, reconnaissant l’orthodoxie comme la plus proche d’eux parmi les entités « chrétiennes », mais se considèrent comme étant « au-delà de choses telles que la théologie, les disputes doctrinales et les ‹ -ismes › », qui ne font pas partie selon eux de la « Vraie Religion » 7.

Le Zen n’a, en fait, aucun fondement théologique, reposant entièrement sur « l’expérience » et tombant ainsi dans « l’erreur pragmatique » déjà notée plus haut dans ce livre, dans le chapitre sur l’hindouisme: « Si ça marche, ça doit être vrai et bien. » Le Zen, sans aucune théologie, n’est pas plus capable que l’hindouisme de faire la distinction entre les expériences spirituelles bonnes et mauvaises; il ne peut qu’énoncer ce qui semble être bon parce qu’il apporte « paix » et « harmonie », tel que jugé par les pouvoirs naturels de l’esprit et non par la révélation – tout le reste est rejeté comme plus ou moins illusoire. Le Zen fait appel à la fierté subtile – si répandue aujourd’hui – de ceux qui pensent pouvoir se sauver eux-mêmes et n’ont donc besoin d’aucun Sauveur en dehors d’eux-mêmes.

De tous les courants religieux orientaux d’aujourd’hui, le Zen est probablement le plus sophistiqué intellectuellement et le plus sobre spirituellement. Avec son enseignement de la compassion et d’un « Bouddha cosmique » aimant, c’est peut-être l’idéal religieux le plus élevé que l’esprit humain peut atteindre – sans le Christ. Sa tragédie est précisément qu’il n’y a pas de Christ en lui, et donc pas de salut, et sa sophistication et sa sobriété mêmes empêchent effectivement ses disciples de rechercher le salut en Christ. Dans sa manière calme et compatissante, c’est peut-être le plus triste de tous les rappels de l’époque « post-chrétienne » dans laquelle nous vivons. La « spiritualité » non chrétienne n’est plus une importation étrangère en Occident; c’est devenu une religion américaine qui s’enracine profondément dans la conscience de l’Occident. Soyons avertis de ceci: la religion du futur ne sera pas un simple culte ou une secte, mais une orientation religieuse puissante et profonde qui sera absolument convaincante pour l’esprit et le cœur de l’homme moderne.
 

5. La nouvelle « spiritualité » contre le christianisme

 

 

On pourrait multiplier les exemples des nouveaux cultes orientaux en Occident; chaque année en trouve de nouvelles, ou de transformations nouvelles d’anciennes versions. En plus des cultes ouvertement religieux, la dernière décennie a surtout vu une augmentation des « cultes de la conscience » laïques, comme les appelle un magazine d’information populaire 8. Ces groupes de « psychothérapie » comprennent le « Erhard Seminars Training » créé en 1971, « Rolfing », « Silva Mind Control » et diverses formes de « rencontre » et de « biofeedback », qui offrent toutes une « libération des tensions » et un « captage des capacités cachées » de l’homme, exprimés dans un jargon « scientifique » contemporain plus ou moins plausible. On se souvient aussi d’autres mouvements de « conscience » qui sont devenus moins à la mode aujourd’hui, de la « Christian Science » à la « Science of Mind » en passant par la « Scientology ».

Tous ces mouvements sont incompatibles avec le christianisme. Il faut absolument dire aux chrétiens orthodoxes de ne pas s’en approcher.

Pourquoi parlons-nous si catégoriquement?

1. Ces mouvements n’ont aucun fondement dans la tradition ou la pratique chrétienne, mais sont le produit pur des religions païennes orientales ou du spiritisme moderne, plus ou moins dilués et souvent présentés comme « non religieux ». Leur enseignent de la vie spirituelle n’est pas seulement erroné, non conforme à la doctrine chrétienne; ils conduisent aussi leurs disciples, que ce soit à travers des expériences religieuses païennes ou des expériences psychiques, sur un chemin spirituel erroné qui aboutit à un désastre spirituel et psychique, et finalement à la perte définitive de son âme.

 

2. Plus précisément, l’expérience de la « tranquillité spirituelle » qui est le fruit de divers types de méditation, que ce soit sans contenu religieux spécifique (comme le prétendent la « TM », certaines formes de yoga et de zen, et les cultes séculiers) ou avec un contenu religieux païen (comme dans Hare Krishna, la « Divine Light Mission », « 3HO », etc.), est une entrée dans le domaine spirituel « cosmique » où le côté le plus profond de la personnalité humaine entre en contact avec des êtres spirituels réels. Ces êtres, dans l’état déchu de l’homme, sont premièrement les démons ou les esprits déchus les plus proches de l’homme. 9 Les pratiquants bouddhistes zen eux-mêmes, malgré toutes leurs mises en garde sur les « expériences » spirituelles, décrivent leurs rencontres avec ces esprits (mêlées aux fantasmes humains), tout en soulignant qu’ils ne « s’accrochent » pas à eux. 10

 

3. L’« initiation » aux expériences du domaine psychique que procurent les « cultes de la conscience » font participer les disciples à quelque chose qui échappe au contrôle conscient de la volonté humaine; ainsi, une fois « initié », il est souvent très difficile de se détacher des expériences psychiques indésirables. De cette manière, la « nouvelle conscience religieuse » devient un ennemi du christianisme bien plus puissant et dangereux que toutes les hérésies du passé. Lorsque l’expérience est mise en valeur au-dessus de la doctrine, les garanties chrétiennes normales qui protègent contre les attaques des esprits déchus sont supprimées ou neutralisées, et la passivité et « l’ouverture » qui caractérisent les nouveaux cultes en ouvrent littéralement une personne à l’instrumentalisation par les démons. Des études sur les expériences de nombreux « cultes de la conscience » montrent qu’il y a une progression graduée en eux d’expériences qui au début sont « bonnes » ou « neutres » à des expériences qui deviennent étranges et effrayantes pour finir clairement dans le domaine démoniaque. Même le côté purement physique des disciplines psychiques comme le Yoga est dangereux, car ils sont dérivés des attitudes et expériences psychiques et prédisposent les pratiquants aux dimensions psychiques de la pratique du Yoga, qui constituent son but premier.

Le pouvoir de séduction de la « nouvelle conscience religieuse » est si grand aujourd’hui qu’elle peut s’emparer d’une personne alors même qu’elle croit rester chrétienne. Ceci est vrai non seulement de ceux qui se livrent aux syncrétismes superficiels ou aux combinaisons du christianisme et des religions orientales qui ont été mentionnés ci-dessus; c’est également vrai pour un nombre croissant de personnes qui se considèrent comme de fervents chrétiens. La profonde ignorance de la véritable expérience spirituelle chrétienne à notre époque produit une fausse « spiritualité » chrétienne dont la nature est étroitement liée à la « nouvelle conscience religieuse ».

Au Chapitre VII, nous examinerons longuement et attentivement le courant le plus répandu de la « spiritualité chrétienne » d’aujourd’hui. Nous y verrons la perspective effrayante d’une « nouvelle conscience religieuse » prenant possession de chrétiens bien intentionnés, même orthodoxes – à un tel point que nous ne pouvons nous empêcher de penser à la spiritualité du monde contemporain dans les termes apocalyptiques de la « grande illusion » qui trompera presque toute l’humanité avant la fin des temps. Nous reviendrons sur ce sujet à la fin de ce livre.

 


 

Hieromonk Seraphim Rose, Orthodoxy and The Religion of the Future, p. 79-97, Saint Herman of Alaska Brotherhood, Platina, California, 1979
Traduction: hesychia.eu

 


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  1. Charles Glock et Robert Bellah, The New Religious Consciousness, University of California Press, Berkeley, 1976, pp. 31-32
  2. (The New Religious Consciousness, p. 54
  3. Robert Greenfield, The Spiritual Supermarket, Saturday Review Press, New York, 1975, p. 43
  4. The Spiritual Supermarket, pp. 80, 94
  5. The New Religious Consciousness, pp. 8–18
  6. The Journal of Shasta Abbey, Jan.- Feb., 1978, p.6
  7. (Journal, Jan. –Feb., 1978, p. 54
  8. U.S. News and World Report, 16 février 1976, p. 40
  9. Voir l’exposition de Mgr Ignatius Briantchaninov sur l’enseignement orthodoxe sur la perception spirituelle et sensorielle des esprits et l’ouverture des « portes de la perception » de l’homme dans The Orthodox Word, no.82, 1978
  10. voir Jiyu Kennett, How to Grow a Lotus Blossom, Shasta Abbey, 1977 – la description d’un maître zen de ses visions proches-de-la-mort

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