Prières pour ceux qui sont morts hors de l’Église orthodoxe
La manière dont l’Église prie pour ses enfants fidèles qui sont morts a été exposée plus haut 1. En général, l’Église suit le principe bien exprimé par le métropolite Philarète de Moscou. Il écrivait : « Les non-orthodoxes, par le fait de leur non-orthodoxie, ont rompu leurs liens avec la communion des Mystères de l’Église orthodoxe. À ceci correspond l’absence de leur commémoration au sacrement de l’Eucharistie ». Par conséquent, à la divine Liturgie, l’Église ne fait pas de commémoration particulière des non-orthodoxes, et surtout pas pour les morts, qui ne peuvent plus devenir membres de l’Église.
Comment alors, un chrétien orthodoxe peut-il exprimer le désir de son cœur chrétien, qui lui suggère de prier pour ses parents et amis, morts en dehors de l’Église ?
La réponse de l’Église à cette question est à la fois stricte et compatissante, comme nous pouvons le voir dans l’article suivant, dernière partie d’un article plus long exposant les raisons pour lesquelles l’Église ne prie pas pour les non-orthodoxes à la Liturgie. Il est écrit par un des grands hiérarques orthodoxes de notre siècle, un des pères fondateurs de l’Église des Catacombes de Russie dans les années 1920, le métropolite Joseph de Pétrograd. Voilà ce qu’il écrivait en 1901, dans le périodique russe Lectures profitables à l’âme, alors qu’il était hiéromoine.
Les chrétiens orthodoxes peuvent-ils et comment peuvent-ils prier pour ceux qui ne le sont pas ?
Par le métropolite Joseph de Pétrograd
Au sujet de la sévérité de notre Église orthodoxe à l’égard de la commémoration des chrétiens hétérodoxes, nous ne voulons pas dire que notre sainte Église demande à ses enfants de ne pas prier pour eux du tout et en aucun cas. L’Église nous interdit seulement une prière arbitraire, c’est-à-dire comme nous le souhaitons et pensons. Notre mère, l’Église orthodoxe, nous enseigne que parmi nous, tout, et donc la prière en elle-même, doit être fait décemment et en ordre : Que tous se fasse décemment et avec ordre [I Co XIV.40].
Ainsi nous prions pendant nos services religieux, souvent sans le savoir ou le comprendre nous-mêmes, pour tous les hommes, quelle que soit leur nationalité, nous prions pour le monde entier, de façon générale. Nous prions précisément de la façon dont Jésus Christ a enseigné à ses disciples, à l’aide de la prière qu’Il leur donna : Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au Ciel. Cette prière globale comprend en elle-même tous nos besoins et ceux de nos frères de sang, même si ces frères selon la chair sont hétérodoxes.
Ici, nous implorons notre Dieu si bon et tout-puissant pour les âmes des défunts chrétiens non-orthodoxes aussi, afin qu’Il fasse d’eux selon sa sainte Volonté. Car le Seigneur sait infiniment mieux que nous, à qui et comment montrer sa Miséricorde.
Ainsi, chrétiens orthodoxes, quel que soit votre rang, que vous soyez laïcs ou prêtres de Dieu, si durant un service religieux, il vous vient un ardent désir de prier pour un « Charles » ou un « Édouard » proche de vous, agissez ainsi : Lorsque la prière du Seigneur est lue ou chantée, soupirez pour lui vers Dieu et dites :
« Que ta sainte Volonté se réalise en lui, ô, Seigneur ». Et limitez-vous à cette prière. Ainsi, vous aurez prié comme le Seigneur vous l’a enseigné, et croyez que votre prière sera mille fois plus agréable à Dieu et profitable à votre âme que toutes vos commémorations arbitraires à l’Église.
Maintenant, disons quelques mots de la prière privée. Dans notre sainte Église orthodoxe, on connaît plus d’un exemple de prière privée venant d’un adorateur de Dieu qui ont aidé les âmes de défunts d’une autre religion, et même de païens.
Rappelons-nous le récit de saint Macaire d’Égypte.
L’abbé Macaire a dit : « Marchant un jour dans le désert, je trouvai une tête de mort, gisant sur le sol. Comme je la remuais avec mon bâton de palmier, la tête me parla. Je lui dis : ‹ Toi, qui es-tu ? › La tête me répondit : ‹ J’étais grand prêtre des idoles et des païens demeurant en ce lieu ; mais toi, tu es Macaire, le porteur de l’Esprit. Quelle que soit l’heure où tu es ému de pitié pour ceux qui sont dans le châtiment et où tu pries pour eux, ils sont un peu soulagés. › Le vieillard lui dit : ‹ Quel est le soulagement et quel est le châtiment ? › La tête lui dit : ‹ Autant le ciel est éloigné de la terre [Is LV.9], autant il y a le feu au-dessous de nous, nous-mêmes nous trouvant dans le feu, des pieds jusqu’à la tête. Et nul ne peut en voir un autre face à face, mais la face de chacun est collée au dos d’un autre. Lors donc que tu pries pour nous, chacun peut voir un peu la face de l’autre. Tel est le soulagement. › Et le vieillard dit en pleurant : ‹ Malheur au jour où l’homme est né ! › Le vieillard lui dit : ‹ Y a-t-il un autre supplice pire que celui-là ? › La tête lui dit : ‹ Il y a un supplice plus grand en dessous de nous. › Le vieillard lui dit : ‹ Et qui sont ceux qui s’y trouvent ? › La tête lui dit : ‹ Nous qui n’avons pas connu Dieu, nous bénéficions d’un peu de pitié ; mais ceux qui ont connu Dieu et l’ont renié sont au-dessous de nous. ›. Alors le vieillard, prenant la tête, l’enterra. 2
Du récit de ce saint père, nous pouvons voir premièrement que sa prière pour les païens qui souffrent en enfer n’était pas une prière publique de l’Église, mais une prière privée. C’était la prière d’un solitaire, habitant du désert, priant dans le fond secret de son cœur. Cette prière peut nous servir d’exemple en nous encourageant à prier pour les non-orthodoxes vivants et morts, à la façon de saint Macaire, dans notre prière privée, chez nous. Ceci constitue un encouragement et non un modèle, car le saint ne nous a pas dit comment il priait pour les païens et ne nous a pas enseigné comment le faire. Ceci constitue aussi un exemple en cela que saint Macaire pria pour les païens, non d’une façon arbitraire, mais de la manière dont l’Esprit de Dieu, qui résidait en son cœur pur, l’avait instruit. Non seulement l’Esprit saint l’instruisit-Il à ce sujet, mais encore Il l’obligea à prier pour le monde entier — pour tous les hommes, les vivants et les morts, trait caractéristique de tous les cœurs aimants, des adorateurs de Dieu — comme l’apôtre saint Paul l’écrivait aux Corinthiens : Notre cœur s’est dilaté. Vous n’êtes pas à l’étroit au dedans de nous [II Cor VI.11 — 12].
Ainsi, nous voyons que les chrétiens orthodoxes peuvent prier pour les chrétiens non — orthodoxes, vivants ou morts, à l’aide d’une prière privée, chez eux, et non, rappelons-le encore et toujours, à l’aide d’une prière arbitraire, non de la façon dont nous pensons et désirons (pour ne pas attirer sur nous la Colère de Dieu, au lieu de sa bonne Volonté), mais selon l’instruction de gens qui ont l’expérience de la vie spirituelle.
Une histoire vécue illustrera notre exemple. Au cours de sa vie, l’ancien d’Optina, Léonide (qui mourut en 1841,) avait un disciple, Paul Tambovtsev. Le père de ce disciple mourut malheureusement d’une mort violente — il se suicida. Son fils bien-aimé fut profondément bouleversé en apprenant la nouvelle et déversa ainsi sa douleur devant l’Ancien :
« La mort malheureuse de mon père est pour moi une lourde croix. Oui, je suis maintenant sur la croix, et ces souffrances m’accompagneront jusqu’à ma mort. J’imagine l’éternité, terrible pour les pécheurs, où l’on ne peut pas se repentir, et je suis tourmenté par la perspective des tourments éternels qui attendent mon père qui mourut sans se repentir. Dis-moi, père, comment puis-je me consoler de mon présent chagrin ? »
L’Ancien lui répondit :
« Confie à la fois toi-même et le destin de ton père à la Volonté de Dieu qui est très sage et tout-puissante. Ne cherche pas à comprendre les merveilles du Très — Haut. Efforce-toi, par l’humilité de la sagesse, de te fortifier à l’intérieur des limites d’une tristesse modérée. Prie le Créateur de toute bonté, remplissant ainsi le devoir d’amour et l’obligation d’un fils. »
À la question : « Comment doit-on prier pour de tels cas ? » l’Ancien répondit :
Dans l’esprit des vertueux et des sages, prie ainsi : Recherche, ô, Dieu, l’âme perdue de mon père, et si cela est possible, aie pitié ! Tes jugements sont insondables. Ne juge pas ma prière comme un péché, mais que ta sainte Volonté soit faite ! Prie simplement ainsi, sans compter, en remettant ton cœur dans la Main droite du Très-Haut. Bien sûr, ce n’était pas la Volonté de Dieu que ton père eût une mort si cruelle, mais maintenant il est entièrement à sa Merci. Lui, qui peut jeter à la fois l’âme et le corps dans les brûlantes fournaises, exalte et abaisse, donne la mort et ramène à la vie, nous envoie aux enfers et nous en retire. En même temps, Il est si miséricordieux, tout-puissant, rempli d’amour, que les grandes qualités de tous ceux qui sont nés sur terre ne sont rien devant sa très haute Bonté. Par conséquent, tu ne devrais pas être démesurément affligé. Tu te diras ceci : ‹ J’aime mon père, et par conséquent je suis inconsolable, ceci est juste ›. Mais Dieu l’aimait et l’aime bien plus que tu ne l’aimes. Aussi, il ne te reste plus qu’à laisser le destin éternel de ton père à la Bonté et à la Miséricorde de Dieu, Lui qui est si miséricordieux, s’Il le veut, mais qui peut Lui résister ?
Ainsi, cette prière privée, à dire à la maison ou dans sa cellule, celle qui a été donnée à son disciple par l’Ancien Léonide, expert en vie spirituelle, peut servir d’exemple à un chrétien orthodoxe comme modèle de prière, lorsqu’il prie pour un chrétien non-orthodoxe proche de lui. Par exemple, on peut prier en disant :
Seigneur, aie pitié, s’il est possible, de l’âme de ceux qui ont rejoint la vie éternelle hors de ta sainte Église orthodoxe, en particulier de (prénoms des êtres qui me sont chers… de mes parents selon la chair…) Grande est ta Miséricorde. Insondables sont tes Jugements. Ne considère pas cette prière comme un péché, mais que ta sainte Volonté soit faite. Amen.
Prions donc d’un cœur aimant à l’aide de la prière que nous indique le métropolite Joseph, faisons aussi brûler des cierges à l’intention des mêmes défunts, accomplissons de bonnes œuvres, faisons des prosternations pour eux.
Ainsi, en obéissant à ce que l’Église demande, nous remplirons nos devoirs d’amour et d’obéissance, nous remettant tous et remettant tout à la Miséricorde de notre Dieu.
Traduction de Catherine Pountney
Publié en format numérique sur le site des Vrais chrétiens orthodoxes francophones
Nous tenons à remercier l’archimandrite Cassien pour la permission de reproduire ici cet ouvrage.
- Chapitre 10
- Les sentences des pères du désert, collection alphabétique traduite et présentée par Dom Lucien Regnault, p.186-7, Solesmes, 1981
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