La foi vivante de l’église orthodoxe, Orthodoxie

L’Orthodoxie et la Religion du futur – IV. La méditation orientale envahit le christianisme

11 novembre 2020

Hiéromoine Seraphim Rose

En réponse à la question de la possibilité d’un « dialogue » du christianisme orthodoxe avec les différentes religions non chrétiennes, le lecteur a reçu le témoignage de trois chrétiens orthodoxes qui confirment, sur la base de la doctrine orthodoxe et de leur propre expérience, ce que l’Église orthodoxe a toujours enseigné :

que les chrétiens orthodoxes n’ont pas du tout le « même Dieu » que les soi-disant « monothéistes » qui nient la Sainte Trinité ; que les dieux des païens sont en fait des démons ; et que les expériences et les pouvoirs accordés par les « dieux » païens sont de nature satanique. Tout cela ne contredit nullement les paroles de saint Pierre, selon lesquelles Dieu ne fait point acception des personnes, mais qu’en toute nation celui qui Le craint et qui pratique la justice Lui est agréable. [Actes X.34–5] ; ou les paroles de saint Paul, que Dieu dans les générations passées a laissé toutes les nations marcher dans leurs propres voies. Mais Il ne S’est pas laissé sans témoignage, faisant du bien en dispensant du Ciel les pluies et les saisons fertiles, remplissant nos cœurs d’aliments et de joie [Actes XIV.15-6]. Ceux qui vivent dans l’esclavage de satan, le prince de ce monde [Jean XII.31], dans les ténèbres qui ne bénéficient pas de la lumière de l’Évangile chrétien — sont jugés à la lumière de ce témoignage naturel de Dieu que tout homme a, malgré leur asservissement.

Pour le chrétien, cependant, qui a reçu la révélation de Dieu, aucun « dialogue » n’est possible avec ceux qui se trouve à l’extérieur de la Foi.

Ne portez pas un même joug avec les infidèles ; car quelle union y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? ou quelle association entre la lumière et les ténèbres ? ou quel accord entre le Christ et Bélial ? ou quelle part entre le fidèle et l’infidèle ? […] C’est pourquoi sortez du milieu d’eux et séparez-vous-en, dit le Seigneur [II Cor. VI. 14-17].

L’appel chrétien est plutôt de leur apporter la lumière du christianisme orthodoxe, comme saint Pierre l’a fait à la maison de Corneille le Centurion, qui craignait Dieu [Actes X.34-48], afin d’illuminer leurs ténèbres et qu’ils rejoignent le troupeau choisi de l’Église du Christ.

Tout cela est assez évident pour les chrétiens orthodoxes qui sont conscients et fidèles à la vérité de la révélation de Dieu dans l’Église du Christ. Mais beaucoup de ceux qui se considèrent comme chrétiens ont très peu conscience de la différence radicale entre le christianisme et toutes les autres religions ; et certains qui ont cette conscience ont très peu de discernement dans le domaine des « expériences spirituelles » — un discernement qui a été pratiqué et transmis dans les écrits patristiques orthodoxes et les vies des saints pendant près de deux-mille ans.

En l’absence d’une telle prise de conscience et d’un tel discernement, la présence croissante des mouvements religieux orientaux en Occident, en particulier au cours des dix ou vingt dernières années, a causé une grande confusion dans l’esprit de nombreux soi-disant chrétiens. Le cas de Thomas Merton vient tout de suite à l’esprit : sincèrement converti au catholicisme romain et au monachisme catholique il y a une quarantaine d’années (bien avant les réformes radicales de Vatican II), il a terminé ses jours en proclamant l’égalité des expériences religieuses chrétiennes avec l’expérience du Bouddhisme Zen et d’autres religions païennes. Quelque chose est « arrivé dans l’air » au cours de ces deux dernières décennies, qui a érodé tout ce qui restait d’une vision chrétienne solide dans le protestantisme et le catholicisme romain et maintenant attaque l’Église elle-même, la Sainte Orthodoxie. Le « dialogue avec les religions non chrétiennes » est le résultat plutôt que la cause de cet « esprit » nouveau.

Dans ce chapitre, nous examinerons certains des mouvements religieux orientaux qui ont été influents dans les années 1970, avec un accent particulier sur les tentatives de développer un syncrétisme du christianisme et des religions orientales, en particulier dans le domaine des « pratiques spirituelles ». De telles tentatives citent le plus souvent la Philocalie et la tradition orthodoxe orientale de la prière contemplative comme étant plus proches des pratiques spirituelles orientales que tout ce qui existe en Occident ; il est donc temps de souligner clairement le grand abîme qui sépare l’« l’expérience spirituelle » chrétienne et les expériences non chrétiennes, et pourquoi la philosophie religieuse qui sous-tend ce nouveau syncrétisme est fausse et dangereuse. 1

 

 

1. « La Yoga chrétienne »

 

Le Yoga Hindou est connu maintenant dans les pays occidentaux depuis des décades, et spécialement en Amérique, où il a engendré un nombre incalculable de cultes et aussi une forme populaire de thérapie somatique qui ne possède soi-disant aucun but religieux. Il y a presque vingt années, un moine français bénédictin décrivit ses expériences yogiques comme discipline « chrétienne » ; la description qui suit est tirée de son livre. 2

Le Yoga Hindou est une discipline qui présuppose une conduite de vie sobre, tempérante, et consiste en un contrôle de la respiration couplée avec des positions corporelles qui produisent un état de relaxation dans lequel on peut méditer, habituellement avec l’aide de mantra ou de paroles sacrées qui aident la concentration. L’essence du Yoga n’est pas la discipline en elle-même, mais la méditation qui est son but. L’auteur est correct lorsqu’il écrit :

Les fins du Yoga Hindou sont spirituelles. C’est trahir ceci en l’oubliant et ne retenir que le côté purement physique de cette ancienne discipline, que n’y voir rien de plus qu’un moyen d’obtenir une bonne ou belle santé du corps  (p.54).

À ceci il faut ajouter que la personne qui ne pratique le Yoga que sur un plan purement physique se met dans certaines dispositions et attitudes spirituelles et même expérimente ce qui est, sans aucun doute, sous-jacent en fait à cette pratique ; et c’est ce que nous allons voir plus loin.

Le même auteur continue :

L’Art du yogi est de s’établir soi-même dans un silence complet, de se vider de toute pensée et illusion, d’écarter et de tout oublier si ce n’est cette idée : le moi profond et vrai de l’homme est divin ; il est Dieu, et le reste est silence (p. 63).

Cette idée, bien sûr, n’est pas chrétienne mais païenne, et le but du soi-disant « Yoga chrétien » est d’utiliser la technique du Yoga pour différentes fins spirituelles, pour une méditation « chrétienne ». L’objet de la technique yogique, sous cet aspect, est de relaxer la personne, la contenter, la mettre dans une passivité sans réflexion ni pensée qui la rend alors réceptive à des idées ou des expériences spirituelles.

« Aussitôt que vous avez pris la posture, vous sentirez votre corps se relaxer et éprouverez qu’un bien-être général s’établira en vous » (p.158). « Les exercices produisent une extraordinaire sensation de calme. » (p.6). « Pour commencer, il faut obtenir la sensation que tout son être se déroule, se dépelotonne, qu’un bien-être vous envahit dans une euphorie qui va durer, et c’est ce qui arrive vraiment. Si vos nerfs ont été tendus et irrités, les exercices les calment, et la fatigue disparaît en un rien de temps » (p.49). « Le but de tout ceci est de réduire au silence la pensée elle-même en fermant les yeux à toute sorte de séductions ou d’attraits » (p.55). L’euphorie que donne le Yoga « pourrait très bien être appelé un état de santé qui nous permet de faire plus et mieux sur le plan humain, et ensuite aussi sur le plan religieux, spirituel et chrétien. Le mot le plus approprié pour décrire ceci serait : contentement, satiété ; un contentement qui vient habiter notre corps et notre âme nous prédisposant envers la vie spirituelle » (p.31). La totale personnalité peut être alors changée : « Le Hatha Yoga influence le caractère vers le bien. Quelqu’un, après plusieurs semaines de pratique, admet qu’il ne se reconnaît plus lui-même, et chacun peut noter un changement dans son comportement et ses réactions. Il est plus doux et plus compréhensif. Son visage montre son calme. Il est content…. sa personnalité entière a été modifiée et elle ressent d’elle-même sa nouvelle fermeté et ouverture d’esprit ; de là découle un état permanent d’euphorie et de contentement de soi » (p.50)

Mais tout cela n’est que la préparation au but qui est, lui, spirituel et qui commence à se réaliser lui-même en un court espace de temps : « Devenir contemplatif est une question de semaines, ma prière a pris une tournure toute nouvelle et particulière » (p.7). « Plus je deviens extraordinairement calme, note l’auteur, plus j’entre facilement en prière et plus je m’envole rapidement vers les cieux » (p.13). « La pratique du Yoga accroît la souplesse et la réceptivité, et de cette façon nous ouvre davantage dans les échanges personnels entre Dieu et l’âme ce qui façonne le chemin pour la vie mystique » (p.31). Même pour les « yogis apprentis » la prière devient comme sucrée et « embrasse la personne toute entière » (p.183). On se relaxe et devient « prêt à trembler sous le souffle de l’Esprit-Saint, et recevoir ainsi aussi bien qu’accueillir ce que Dieu dans sa Bonté pense bon pour nous d’expérimenter » (p.71). « Nous devons préparer notre être à ce qu’il doit être pris, ravis – et cela est très certainement une des plus hautes formes de la contemplation chrétienne » (p.72). « Chaque jour les exercices, et en fait la discipline ascétique toute entière de mon Yoga, me rend plus aisé le déversement de la grâce du Christ en moi. Je sens grandir ma faim de Dieu, ma soif pour la vertu, et mon désir d’être Chrétien dans le plein sens du mot » (p. 11).

Quiconque a lu un exposé sur « l’illusion spirituelle » reconnaîtra immédiatement ce processus d’illusion dans cette description de ce « Yoga chrétien » précisant les mêmes caractéristiques qui marquent les illusions des disciples du mouvement « charismatique » : le même effort pour « des sentiments sacrés et divins », la même ouverture et désir d’être « pris », ravis par l’esprit, la même recherche non pas de Dieu mais des « consolations spirituelles », la même auto-intoxication qui est prise malencontreusement pour « un état de grâce », le même incroyable bien-être qui devient « contemplatif » ou « mystique », les mêmes soi-disant « révélations mystiques » et états pseudo-spirituels. Celles-ci sont les caractéristiques communes de tous ceux qui se trouvent dans cet état particulier de déception spirituelle. Mais l’auteur du Yoga chrétien, en étant un moine bénédictin, ajoute certaines « méditations » particulières qui le dévoile comme étant rempli de l’esprit des réflexions catholiques romaines à travers les siècles récents, avec son libre jeu de fantaisies brodées sur des thèmes chrétiens. Par exemple, lorsque, méditant sur la Divine Liturgie de la veille de la Nativité, il commence à voir le Divin-Enfant dans les bras de Sa Mère :

 Je regarde fixement, rien de plus. Les images, les associations d’idées comme Roi —Sauveur —Lumière —Aura —Berger —Enfant —Lumière de nouveau s’enchaînent les unes après les autres, et disparaissent dans le passé… Toutes les pièces de ce puzzle sacré prises ensemble ne forment plus qu’une idée en moi… la vision silencieuse du mystère plénier de la Nativité  (pp.161-162).

Quiconque ayant un tant soit peu de connaissance sur la discipline spirituelle orthodoxe verra que ce pitoyable « Yogi chrétien » a glissé par la trappe ouverte par un démon, qui n’est pas le moindre, à guetter sur le chemin de celui qui part à la recherche « d’expériences spirituelles » : il n’a en fait, même pas vu un « ange de lumière » mais a tout simplement donné libre cours à ses propres imaginations religieuses. C’est le résultat d’un cœur et d’un esprit totalement non préparés au combat spirituel et aux tromperies démoniaques. De telles « méditations » sont pratiquées actuellement dans un grand nombre de couvents et monastères romains catholiques.

Le fait que ce livre se conclue sur un article écrit par le traducteur Français de la Philocalie et contienne des citations textuelles provenant de la Philocalie, révèle seulement l’abysse qui sépare ces dilettantes de la vraie spiritualité orthodoxe, qui est totalement inaccessible à un de nos « sages » modernes. Une preuve suffisante en est sa totale inaptitude à comprendre la Philocalie, illustrée par le fait que l’auteur donne le nom de « prière du cœur » (qui est dans la tradition orthodoxe l’accomplissement le plus élevé de la prière spirituelle, acquise par très peu, après de nombreuses années de lutte ascétique et d’humilité véritable) à cette supercherie, cette pratique facile qui consisterait seulement à réciter des syllabes en rythme avec les battements du cœur (p.196).
Nous commenterons plus profondément les dangers de ce « Yoga chrétien » lorsque nous noterons ce qu’il possède en commun avec les autres formes de « Méditation orientale » qui sont proposées aux chrétiens de nos jours.

II Zen « chrétien ».

 

Une pratique religieuse orientale encore plus populaire nous est offerte dans le livre d’un prêtre catholique irlandais : William Johnston, le Zen Chrétien3. L’auteur part plus ou moins de la même situation que celui de Yoga Chrétien : un sentiment de déception dans la chrétienté occidentale, un désir de lui donner une dimension de contemplation et de méditation.

« Beaucoup de gens, déçus par les vieilles formes de prières, par les antiques formes de dévotions qui fonctionnaient si bien dans le passé, sont à la recherche de quelque chose qui satisferait leur aspiration d’un cœur dévotionnel moderne » (p.9). « Prendre contact avec le Zen…. m’a ouvert de nouvelles échappées, m’a appris qu’il existe des possibilités dans le Christianisme que je n’avais pas même soupçonnées. » On peut « pratiquer le Zen comme une voie d’approfondissement et d’élargissement de la foi chrétienne. » (p.2).

La technique japonaise du Zen est très similaire à celle du Yoga Hindou, duquel elle est originellement dérivée, bien qu’elle se soit légèrement simplifiée. Il y a les mêmes postures de base (mais sans la variété des positions yogiques), les techniques de respiration, la répétition des noms sacrés si nécessaire, aussi bien que d’autres techniques particulières au Zen. Le but de ces techniques est le même que celui du Yoga : abolir la pensée rationnelle et atteindre à un état de calme, de silence, de méditation. Les positions assises « entravent le raisonnement discursif et la pensée » et rendent capable de « descendre au centre de l’être sans image en une méditation silencieuse » (p.5), « au royaume magnifique de profondeur de la vie psychique » (p.17), « à un profond silence intérieur » (p.16). L’expérience ainsi atteinte est quelque chose de semblable à celle obtenue par l’absorption de drogues, pour « les personnes qui ont utilisé des drogues et ne comprennent au début que peu de choses à propos du Zen, jusqu’à l’instant où elles découvrent qu’il existe une certaine profondeur de l’esprit à explorer » (p.35). Et alors cette expérience nous ouvre à « une nouvelle approche du Christ, une approche qui est moins dualiste et plus orientale » (p.48). Même ceux qui débutent dans le Zen peuvent atteindre « une sensation d’union ainsi qu’une atmosphère de présence surnaturelle » (p.31), une saveur de « silence mystique » (p.30) ; bien que dans le Zen, l’état de contemplation, ne soit atteint que d’une manière restrictive par quelques « mystiques » seulement, il peut être « élargi à tous » et « tous peuvent avoir une vision, tous peuvent atteindre le Samadhi » (l’Extinction illuminatrice) (p.46).

L’auteur de Zen Chrétien parle du renouveau du Christianisme, mais il admet que l’expérience dont il parle peut être pratiquée par tout le monde, chrétien ou non chrétien. « Je pense qu’il existe comme une base spirituelle pour l’illumination qui n’est ni chrétienne, ni bouddhiste, ni quelque chose d’autre. Cela est juste humain » (p.97). En effet, lors d’une convention sur la méditation dans un temple Zen près de Kyoto, « la chose surprenante à propos de cette réunion fut l’absence de foi commune. Personne ne sembla vraiment intéressé par ce à quoi croyait ou ne croyait pas l’autre, et personne, autant que je m’en souvienne, ne prononça même le nom de Dieu » (p.69). Ce caractère agnostique de la méditation possède un grand avantage pour les buts « missionnaires », car

de cette manière-là méditation peut être enseignée à des personnes qui n’ont pas ou peu de foi –à ceux qui sont troublés dans leurs consciences ou qui ont peur que Dieu soit mort. Ces personnes-là peuvent toujours s’asseoir et respirer. Pour elles la méditation devient une recherche, et j’ai rencontré… des gens qui ayant commencé sur cette voie ont trouvé finalement Dieu. Non le Dieu anthropomorphique qu’ils avaient rejeté, mais le Grand-Être en lequel nous vivons, nous nous déplaçons, nous existons  (p.70).

La description faite par l’auteur de « l’illumination » zen devrait paraître vraiment maigre, comparée à l’expérience « cosmique » décrite dans le précédent chapitre :

 Je crois qu’en nous il existe des torrents et des torrents de joie qui peuvent être déversés par la méditation — parfois ils peuvent se jeter avec une force incroyable, inondant toute la personnalité par un sentiment extraordinaire de bonheur qui vient d’on ne sait où  (p.88).

En fait, revenu des États-Unis après vingt années passées au Japon, l’auteur fut très étonné de constater que les expériences des Pentecôtistes étaient si proches de celles du Zen, et il reçut lui-même le « Baptême de l’esprit » lors d’un meeting « charismatique » (p.100). L’auteur conclut :

Me retrouver dans le mouvement charismatique, avec ses impositions des mains, ses prières communes, la charité de la communauté, me fit réaliser que tout ceci pouvait renforcer la maîtrise du pouvoir psychique, celui-là même qui donne l’illumination à celui ou celle qui a pratiqué avec assiduité zazen  (Pratique physique du Zen) (pp. 92-93).

Peu de mots suffisent à réfuter ces vues, fondamentalement identiques à celles de l’auteur de Yoga Chrétien, moins ésotériques seulement et plus populaires. Quiconque croit que l’expérience agnostique et païenne du Zen peut être utilisée pour « un renouveau du contemplatif au sein du Christianisme » (p.4) sûrement ne sait rien de la grande tradition orthodoxe de la contemplation, qui présuppose une foi ardente, une croyance exacte, une intense lutte ascétique ; et le même auteur n’hésite pas une seconde à se référer une nouvelle fois à la Philocalie ainsi qu’aux « grandes écoles orthodoxes » pour appuyer son propos, statuant qu’elles aussi conduisent à l’état « de silence contemplatif et de paix » et sont un exemple de « Zen au sein de la tradition chrétienne » (p.39), et il se fait l’avocat de l’utilisation de la Prière de Jésus pendant la méditation Zen pour ceux qui le veulent (p.28). Une telle ignorance est clairement dangereuse, et tout particulièrement lorsqu’elle est le fait d’un professeur qui invite les étudiants, lors de ses cours ou ses conférences, en guise d’expérience « mystique », à « s’asseoir en position zazen pendant quarante minutes tous les soirs » (p.30). Combien de faux mais sincères prophètes mal guidés prêchent actuellement dans le monde non pas pour le bénéfice de leurs adeptes mais pour les conduire en fait à un désastre psychique et spirituel ! C’est ce que nous allons voir plus précisément dans la conclusion ci-dessous.

 

III Méditation transcendantale

 

La technique de méditation orientale connue sous le nom de « Méditation Transcendantale » (ou MT en raccourci) a atteint un tel sommet de popularité en quelques années, particulièrement aux États-Unis, et est préconisée si outrageusement avec une telle désinvolture de ton, que n’importe qui, parmi les étudiants sérieux en religions contemporaines, sera enclin de prime abord à écarter cela comme un simple produit sur-médiatisé et gonflé de l’industrie publicitaire américaine, caractéristique de sa manière traiter la vie humaine comme un spectacle. Mais cela serait une erreur que de croire qu’en ses revendications profondes elle ne diffère pas d’une manière prononcée d’avec le Yoga ou le Zen, et une observation plus précise de ses techniques révèle qu’elle possède en fait un authentique caractère oriental, plus qu’aucun autre système syncrétique comme le Yoga chrétien ou le Zen chrétien.

Selon un des rapports officiels de ce mouvement 4, « La méditation Transcendantale » fut apportée aux États-Unis (où elle a remporté son plus éclatant succès) par un yogi Indien plutôt non-conventionnel, Maharishi Mahesh Yogi, et commença à croître sensiblement à partir de 1961. En 1967 elle reçut une large publicité lorsque des chanteurs populaires comme les Beatles s’y convertirent et s’adonnèrent aux drogues ; mais ils quittèrent rapidement le mouvement (tout en continuant à pratiquer la méditation), et le Maharishi atteignit son point le plus bas l’année suivante lorsque sa tournée américaine, ensemble avec celle d’un autre groupe de chanteurs convertis les « Beach Boys », fut annulée pour défaillance financière. Le mouvement lui-même, cependant, continua de croître et, vers 1971, il comptait 100 000 adeptes, avec 2000 instructeurs spécialement entraînés, devenant ainsi de loin le plus important mouvement de « Spiritualité orientale » des États-Unis.

En 1975, le mouvement atteint son apogée, avec environ 40 000 apprentis par mois et plus de 600 000 adeptes au total. Au cours de ces années, il a été largement utilisé dans l’armée, les écoles publiques, les prisons, les hôpitaux et par les groupes chrétiens, y compris les paroisses de l’archidiocèse grec en Amérique, comme une forme prétendument neutre de « thérapie mentale » compatible avec tout type de religion, croyance ou pratique. Le cours « TM » est spécialement adapté au mode de vie américain, offrant des cours spécialement taillés à la manière américaine de vivre, à l’intitulé alléchant de « comment réussir spirituellement sans effort véritable » (p.17), et caractérisés par le Maharishi lui-même comme une technique qui est « juste comme de se brosser les dents » (p.104).

Le Maharishi fut très vivement critiqué par les autres Yogis Hindous pour s’être moqué de l’ancestrale tradition indienne du Yoga en rendant cette pratique ésotérique accessible au grand nombre pour de l’argent (Les frais en 1975 pour le cours étaient de 125 $, 65 $ pour les étudiants et progressivement moins pour les lycéens, les élèves et les très jeunes enfants).

Dans ses buts, présuppositions et résultats, « MT » ne diffère pas sensiblement du Yoga ou Zen chrétien, elle diffère d’eux surtout dans la simplicité de ses techniques, dans sa philosophie toute entière, et dans la facilité avec laquelle ses résultats sont obtenus. Comme eux,

« MT ne réclame aucune foi, compréhension, code moral, ou aucun accord avec des idées ou une philosophie » (p.104) ; c’est une technique pure et simple, qui est « basée sur la tendance naturelle de l’esprit à vouloir sans cesse se rapprocher d’un plus grand bonheur, d’un plus grand plaisir… Durant la méditation transcendantale, votre esprit est censé suivre ce qui vous est le plus naturel et le plus agréable » (p.13). « La méditation transcendantale est d’abord une pratique, ensuite une théorie. Il est essentiel qu’au début l’individu ne pense plus du tout selon un mode intellectuel » (p.22).


La technique que le Maharishi (Grand Sage en hindi) a combinée est invariablement la même pour tous les centres « MT » à travers le monde : Après deux lectures introductrices, on paye les honoraires et alors commence « l’initiation », apportant avec elle sans en avoir l’air une étrange collection d’articles, toujours les mêmes : trois morceaux d’un fruit sucré, au minimum six fleurs fraîches, et un mouchoir propre (p.39). Ceux-ci sont placés dans un panier et emportés dans une petite « salle d’initiation » où ils sont mis sur une table devant un portrait du gourou Maharishi duquel est reçue l’initiation yogique ; sur la même table brûlent une bougie ainsi que de l’encens. Le disciple se retrouve seul dans la pièce avec son professeur qui, lui, doit avoir reçu l’initiation personnellement et directement du Maharishi lui-même. La cérémonie, qui commence devant le portrait, dure une demi-heure et se compose de douces récitations en sanskrit (qui n’ont aucune signification possible pour le disciple) et d’un chant qui nomme les « Maîtres » passés du Yoga ; à la fin de la cérémonie, l’initié reçoit un mantra, un mot sanskrit secret qu’il devra répéter indéfiniment pendant ses exercices de méditation, et qu’aucune personne ne connaîtra à part lui et son maître (p.42). La traduction anglaise de cette cérémonie n’est jamais révélée aux initiés ; elle n’est disponible que pour les enseignants et les initiateurs eux-mêmes. Elle est contenue dans un manuel non publié intitulé « The Holy Tradition », et son texte a maintenant été imprimé par le « Spiritual Counterfeits Project » à Berkeley sous la forme d’une brochure. Cette cérémonie n’est rien d’autre qu’une cérémonie hindoue traditionnelle d’adoration des dieux (puja), y compris le gourou déifié du Maharishi (Shri Guru Dev) et toute la lignée des « Maîtres » par lesquels il a lui-même reçu son initiation. La cérémonie se termine par une série de vingt-deux « offrandes » faites au gourou du Maharishi, chacune se terminant par les mots « Je m’incline devant Shri Guru Dev ». L’initiateur lui-même s’incline devant un portrait de Guru Dev à la fin de la cérémonie et invite l’initié à faire de même ; alors seulement ce dernier est initié. (La révérence n’est pas absolument requise de l’initié, mais les offrandes le sont.)

De cette façon l’agnostique moderne, la plupart du temps d’une manière inconsciente, a été introduit dans le royaume des pratiques religieuses hindoues et a pu offrir un sacrifice à un dieu, au gourou divinisé Maharishi. Sur le plan spirituel, c’est peut-être cette chute dans le péché, plutôt que les techniques psychiques par elles-mêmes qui expliquent le succès foudroyant de la « MT ».

Une fois initié, l’étudiant de la « MT » médite deux fois par jour pendant vingt minutes chaque fois (précisément le même laps de temps que celui préconisé par l’auteur de Yoga chrétien), laissant l’esprit errer librement, et répétant le mantra aussi souvent qu’il peut y penser ; fréquemment, une de ses méditations est contrôlée par son instructeur. Très vite, même parfois au premier essai, on commence à entrer dans un nouveau niveau de conscience, qui n’est ni sommeil ni éveil : le stade de la « Méditation Transcendantale ».

« La méditation transcendantale vous procure un état de conscience comme vous n’en avez jamais connu auparavant, et proche de cet état de Zen développé après de nombreuses années d’études intenses » (p.115). « En contraste avec toutes ces années que l’on doit passer avec des maîtres d’autres disciplines et du yoga, et qui offrent les mêmes résultats que ceux prônés par les adeptes de la MT, les professeurs disent que la MT peut être apprise en quelques minutes » (pp.110-111).

Quelqu’un qui a expérimenté cela le décrit comme « un état de satisfaction complète » semblable à celui que procurent les drogues (p.85), mais le Maharishi lui-même décrit cela en des termes hindous traditionnels :

« Cet état est bien au-delà de toute vision, entendement, sensation, odeur ou goût — au-delà de toute pensée et appréhension. Cet état est sans manifestation, absolu, pure conscience de l’être dans son stade ultime de vie » (p.23). « Lorsqu’un individu a développé cette capacité d’atteindre cet état profond de niveau de conscience, et ce d’une manière permanente, on dit qu’il a atteint la conscience cosmique, le but de tous les méditants » (p.25).

Dans les stages avancés de « MT » les positions de base du Yoga sont enseignées, mais elles ne sont pas absolument nécessaires au succès, aucune préparation ascétique n’est également demandée. Lorsque quelqu’un atteint « l’état transcendantal de l’être », tout ce qui lui est demandé est de maintenir journellement ses doubles exercices, puisque cette forme de méditation ne représente pas, comme aux Indes, un mode de vie séparé, mais une discipline pour ceux qui mènent une vie active en ce monde. Le signe particulier du Maharishi réside dans le fait qu’il offre cet état de conscience à tout un chacun, et non pas à seulement quelques élus.

Il existe de nombreuses histoires à propos de la « MT », avec des détails récurrents dans chaque cas : l’accoutumance aux drogues disparaît, les familles sont réunies, on devient plus heureux et en meilleur santé ; les professeurs de « MT » sont toujours souriants, bouillonnent littéralement de bonheur. Généralement, la « MT » ne remplace pas d’autres religions, mais renforce la croyance en presque tout. Les « chrétiens », qu’ils soient protestants ou catholiques trouvent également que cela donne plus de sens et d’approfondissement à leur pratique et à leur croyance (p.105)

Le succès rapide et facile de la « MT », bien qu’il soit symptomatique de l’influence décroissante du christianisme sur l’humanité contemporaine, a également conduit à son déclin précoce. Peut-être plus que tout autre mouvement de « spiritualité orientale », il a eu le caractère d’une « mode », et le but annoncé du Maharishi « d’initier » l’humanité tout entière est évidemment voué à l’échec. Après l’année de pointe de 1975, les inscriptions aux cours « MT » ont régulièrement diminué, à tel point qu’en 1977 l’organisation a annoncé l’ouverture d’une toute nouvelle série de cours « avancés », visiblement conçus pour regagner l’intérêt et l’enthousiasme du public. Ces cours sont destinés à conduire les initiés aux « siddhis » ou « pouvoirs surnaturels » de l’hindouisme : traverser les murs, devenir invisible, léviter et voler dans les airs, etc. Les cours ont généralement été accueillis avec cynisme, même si une brochure « MT » présente une photographie d’un méditant « en lévitation » (voir Time Magazine, le 8 août 1977, p. 75). Si les cours (qui coûtent jusqu’à 3000 dollars) produiront ou non les résultats revendiqués — qui sont du domaine des « fakirs » traditionnels de l’Inde — la « MT » elle-même se révèle comme une phase passagère de l’intérêt occulte dans la seconde moitié du vingtième siècle. Déjà, de nombreux exemples ont été publiés d’enseignants et de disciples de « MT », affligés des maladies courantes de ceux qui se mêlent de l’occulte : maladie mentale et émotionnelle, suicide, tentative de meurtre, possession démoniaque.5

En 1978, un tribunal fédéral des États-Unis a décidé que la « MT » était bien de nature religieuse et ne pouvait être enseignée dans les écoles publiques. Cette décision limitera sans aucun doute davantage l’influence de la « MT », qui, cependant, continuera probablement d’exister comme l’une des nombreuses formes de méditation que beaucoup considèrent comme compatibles avec le christianisme — un autre triste signe des temps.6


 

Hieromonk Seraphim Rose, Orthodoxy and The Religion of the Future, p. 62-78, Saint Herman of Alaska Brotherhood, Platina, California, 1979
Traduit de l’anglais par Thierry Cozon
Version électronique disponible sur le site de La Voie Orthodoxe
Publié ici avec l’aimable autorisation de l’Archiprêtre Quentin de Castelbajac

 


Vous avez relevé une erreur dans le contenu de cette page, et vous souhaitez la signaler ? Pour cela, surlignez-la, puis appuyez simultanément sur les touches Ctrl + Entrée. Nous procéderons aux corrections si nécessaire et dès que possible.


 

  1. traduction: hesychia.eu
  2. J. M. Dechanet, Christian Yoga, Harper & Row, New York, 1972; first English translation, 1960
  3. Christian Zen, Harper & Row, New York 1971
  4. Jhan Robbins and David Fisher, Tranquility without Pills [All about Transcendental Meditation], Peter H. Wyden, Inc., New York, 1972
  5. traduction: hesychia.eu
  6. traduction: hesychia.eu

Sur le même thème

Pas de commentaire

Laisser un message

Rapport de faute d’orthographe

Le texte suivant sera envoyé à nos rédacteurs :