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Saint Grégoire V Patriarche de Constantinople I / III

8 août 2023

« Quand, le 19 février 1807, la flotte anglaise força les Dardanelles, et vint jeter l’ancre devant Constantinople, le Sultan, épouvanté, envoya à son bord, pour négocier, le grec Alexandre Chantzeri. Mais tandis que celui-ci gagnait du temps en pourparlers, la population, dirigée par le général Sébatiani, hérissait de batteries les remparts de Constantinople. Pendant cet intervalle, le Patriarche Grégoire, celui qui fut pendu quinze ans plus tard devant la porte de son palais patriarcal, conduisait, le bâton pastoral à la main, plus de mille ouvriers grecs et travaillait aux fortifications, tout le temps que la flotte anglaise était présente. Il portait lui-même de la terre dans des paniers d’osier, pour les batteries qui s’étendaient tout le long des murailles de Constantinople, jusqu’à l’entrée du Golfe Cératien. Sa récompense pour des preuves si éclatantes de son zèle ne consista qu’en une parole d’approbation ; depuis, son châtiment pour un crime imaginaire fut la mort. L’ardeur que ce vertueux Patriarche montra dans cette circonstance sauva tous les grecs, et peut-être tous les chrétiens à Constantinople, de la rage d’une immense population toute armée, qui voyait pour la première fois ses maisons, ses biens et ses mosquées menacées par les infidèles… »

in Brunet: Grèce depuis la conquête romaine jusqu’à nos jours, p. 413-414

 

Grégoire V, le très saint Patriarche Œcuménique de Constantinople Nouvelle Rome, est né en 1745 à Dimitsana, petite ville du département de Gortyne du Péloponnèse, bâtie sur l’ancienne ville de Teuthide, à 958 mètres d’altitude. À son baptême, il reçut le nom de Georges.

Il fit dans sa patrie des études primaires, sous la direction de son oncle et parrain Mélétios et d’Athanas Rousopoulos, tous deux hiéromoines.

En 1765, âgé de vingt ans, il quitta sa patrie pour Athènes, où il fut, pendant deux ans, l’élève du grand didascale Dimitri Boda. D’Athènes, il se rendit à Smyrne, où il trouva son oncle et parrain le hiéromoine Mélétios et fit de solides études à la célèbre École de la « Bonne Nouvelle ». De Smyrne il alla au monastère des Strophades, petite île de la Mer Ionienne, sur la côte de Ménérisse, où il fut fait moine sous le nom de Grégoire. Un an après, il est à Patmos, pour y suivre les cours de Philosophie et de Théologie du didascale Daniel Kéramès.

Ses études terminées, il revint à Smyrne où le Métropolite Procopios le fit diacre puis prêtre. En 1785, Procopios fut élu Patriarche de Constantinople et Grégoire, Métropolite de Smyrne. Le 14 octobre de la même année, il reçut la consécration épiscopale à Constantinople et gouverna avec sagesse et zèle son diocèse pendant douze ans. Smyrne, aujourd’hui Izmir, est une des sept Églises d’Asie, à laquelle le visionnaire de l’Apocalypse écrit : « Voici ce que dit le Premier et le Dernier, qui était mort et qui est revenu à la vie : Je connais tes tribulations et ta pauvreté (pourtant tu es riche)… Ne t’effraie pas de ce que tu vas souffrir ; voici, le diable va jeter plusieurs des vôtres en prison pour que vous soyez éprouvés, et vous passerez par une tribulation de dix jours. Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie ! Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises : Le vainqueur n’aura rien à souffrir de la seconde mort » (Apoc 2 8-11).

Smyrne était à l’époque une grande ville de commerce d’Asie Mineure, sur le golfe du même nom, à 435 kilomètres de Constantinople. Elle comptait 150 000 habitants, et faisait un grand commerce d’import-export. La ville était partagée en ville haute ou quartier turc et ville basse ou quartier franc. Les hellènes ou roumis formaient la grande majorité de la population. Le golfe de Smyrne forme une rade magnifique, très abritée par le Mont Minas au Sud, le Pragus à l’Est, le Sipyle au Nord ; il a cinquante kilomètres de long sur vingt de large.

Saint Polycarpe, disciple de saint Jean l’Évangéliste, successeur de saint Bucole, illustra comme martyr l’Église de cette ville.

En 1797, l’inoubliable Patriarche Gérasime III démissionna, et Grégoire fut élu à l’unanimité des voix Patriarche de Constantinople, cinquième à porter ce nom. Le 19 avril de la même année, il prit possession de son siège.

Son austérité, sa modestie, la simplicité de sa table et celle de son vêtement, son désintéressement quant à l’argent, son zèle brûlant pour la foi, sa sagacité dans les affaires ecclésiastiques, son activité énergique, son mépris des obstacles et des difficultés, son caractère stable et inflexible, forcèrent l’admiration et le respect de tous.

À cette époque, le Patriarcat de Constantinople se trouvait dans une situation très difficile et périlleuse, à cause des mouvements pour la libération des « roumis », qui avaient lieu ici et là. Les interventions des puissances européennes en faveur des chrétiens, le détachement de certaines régions de l’empire ottoman habitées par des chrétiens (fondation des états de la presqu’île balkanique), éveillèrent la méfiance des Turcs à l’égard des chrétiens qui se trouvaient sous leur domination. Le Patriarche de Constantinople était, depuis la chute de la Reine des Villes, le Chef suprême religieux et politique des « roumis » ou chrétiens orthodoxes en Turquie et le seul interlocuteur valable auprès de la Sublime Porte. Il était installé par le Sultan ou par le Grand Vizir ou premier ministre. Le Patriarche était responsable, devant le Sultan, de l’ordre et de la soumission que lui-même et les chrétiens devaient à l’État. Un patriarche soupçonné de désobéissance ou d’insoumission était immédiatement soit déposé, soit exilé, soit condamné à mort. D’où le grand nombre de patriarches, au temps de la turcocratie, qui se succédaient sur la chaire constantinopolitaine après de brèves patriarchies. Le Patriarche Joachim 1er fut déposé et déchu de sa chaire en 1564 ; Cyrille Lukaris fut condamné à mort en 1638 ; Cyrille Kontarès fut exilé à Carthage en 1639 puis assassiné ; Parthénios II en 1651 et Parthénios III en 1657 furent assassinés ; Néophyte V fut condamné aux galères en 1707 ; Jérémie III fut jeté en prison puis exilé à Mytilène en 1723 ; Grégoire V fut pendu en 1821 ; Anthime III en 1824, Chrysanthe en 1826 et Agathange en 1830 furent exilés.

En 1798, les Français occupaient les Îles connues sous le nom des Sept Îles ou Îles Ioniennes, dont les principales, en effet au nombre de Sept, étaient Corfou, Raxo, Sainte Maure, Thiaki, Céphalonie, Zante, et Cérigo. De ce poste avancé de la République Française, partaient des émissaires qui allaient exciter l’esprit des roumis, – déformation du nom de romains, que les turcs donnaient aux citoyens de l’Empire chrétien romain de saint Constantin le Grand, à ces roumis toujours ouverts à ces instigations, toujours trop disposés à prendre les promesses pour des engagements réels. Ces roumis étaient attirés par un vaste projet : attaquer l’empire turc sur plusieurs points à la fois : À l’ouest, débarquer des troupes françaises dans la province de Chimaera, et sur la côte de Parga, pour soulever l’Albanie ; à l’Est, descendre par le golfe de Volo pour appuyer les combattants du Mont Olympe, tandis qu’au Sud, Maïna donnerait au Péloponnèse le signal de la guerre. Ali Pacha qui apprit ces projets en informa le Sultan. Il fit enfermer tous les Français qui se trouvaient dans ses états, confisqua leurs biens et leurs marchandises, et se hâta de conclure une double alliance avec l’Angleterre et la Russie. Le Sultan mit sur pied une expédition militaire pour rétablir l’ordre et ramener les roumis à l’obéissance et à la soumission, dans la province de Prévéza à l’entrée du Golfe d’Arta.

C’est alors que le divin Grégoire intervint, connaissant les méthodes et les résultats pour ses concitoyens de ce genre d’expédition. Il obtint du Sultan la mission de ramener l’ordre et de faire cesser les troubles suscités chez les roumis par les Français. Le Protosyncelle Johannicos le Byzantin fut dépêché comme légat à Arta. Il ramena ses concitoyens à la raison et revint à Constantinople, porteur d’un rapport rédigé par le Juge Turc d’Arta qui attestait que le calme était revenu, que l’ordre régnait partout. Dans d’autres rapports, le peuple exprimait sa fidélité, son obéissance et sa soumission au Sultan. Grégoire V remit ces rapports au Sultan, réussit à fléchir la colère du souverain et à rendre vaine la campagne militaire qu’il redoutait.

Au temps de la patriarchie de Grégoire V, beaucoup d’évêques résidaient à Constantinople et refusaient de vivre dans leurs diocèses, dont ils touchaient prébendes et bénéfices. Grégoire les obligea d’aller vivre au milieu de leurs troupeaux, dans leurs diocèses. Dépités, ils le calomnièrent et l’accusèrent d’être un homme autoritaire, violent, incapable d’imposer aux chrétiens la soumission au Sultan. Dès ce moment, Grégoire devint un personnage douteux ; sur lui allaient peser désormais tous les soupçons. Après une patriarchie qui dura dix-huit mois 1797-1798, le Sultan finit par l’exiler à Chalcédoine. Grégoire signa une démission toute formelle et partit pour son exil. En route, un contr’ordre l’envoya à Drama, une ville de Macédoine.

De Drama il fut transféré au Monastère de la Grande Grotte des Kalabrytes du Péloponnèse. Avant d’y arriver, un autre ordre lui indiqua le Monastère des Ibères au Mont Athos. Pendant son séjour à la Sainte Montagne, qui dura environ cinq ans, il visita skytes et monastères, prêchant sans relâche la Parole de Dieu, réglant les différends entre moines et monastères, donnant avant tout, le bon exemple de la vie vertueuse et parfaite du moine qu’il était. Néophyte III, patriarche pour la seconde fois, le remplaça de 1798 à 1801. Il était monté sur la chaire patriarcale pour la première fois en 1789, puis en avait été chassé pour cinq ans. Néophyte déposé à son tour, Callinique le remplaça sur le trône patriarcal. Au début du XIXe siècle, le parti francophile domina Sur l’intervention de l’Ambassadeur de France, les Hospodars de Moldavie et de Valachie, Alexandre Mourousi et Constantin Ypsilanti furent dénoncés comme russophiles, déchus et remplacés par Alexandre Soutzou et Scarlatou Callimaque. Ces derniers conseillèrent au Patriarche Callinique V de démissionner. Faible de caractère, ce Patriarche démissionna le 22 septembre 1806. Le 24 du même mois, l’assemblée générale des Évêques, en présence du Grand Logothète Alexandre Manou et des responsables des organisations laïques se réunit. Grégoire V fut élu, pour la seconde fois, à l’unanimité, Patriarche de Constantinople et rappelé de son exil. Le 18 octobre de la même année, le clergé et le peuple l’acclamèrent dans l’enthousiasme.

Pendant sa seconde patriarchie, le divin Grégoire reprit et continua son ancienne activité ecclésiastique et nationale. Il exigea des évêques d’être présents aux réunions du synode ou, en cas d’empêchement, d’envoyer leur avis par écrit. Il demanda aux villes et aux villages d’ouvrir de nouvelles écoles et d’améliorer celles qui existaient. Aux évêques et aux higoumènes, il ordonna d’accomplir leurs devoirs et leurs charges ecclésiastiques avec application. L’imprimerie qu’il avait fondée l’occupa également beaucoup.

En 1807, il édita et réédita les onze homélies sur les six jours de saint Basile le Grand, qu’il avait traduites en grec de son époque, pendant son séjour en Athos. En 1807, la Turquie entra en conflit avec la Russie. Craignant de voir les « roumis » soutenir les Russes, le Sultan obligea le Patriarche Grégoire de rédiger une Encyclique à l’adresse des chrétiens pour leur conseiller de rester tranquilles. Pour éviter un massacre, le Patriarche obtempéra. En mars de la même année, l’Amiral russe Semiavine envoya des manifestes aux chrétiens de l’Empire Ottoman et, en accord avec l’armatole de Thessalie Nico Tsara, souleva les « roumis » contre les turcs. Le Sultan demanda encore au Patriarche d’intervenir pour appeler au calme ses concitoyens, mais d’autres émissaires russes, arrivés en Olympe, suscitèrent un autre soulèvement dont le prêtre Euthyme Vlahavan prit la tête. Le Sultan exigea à nouveau l’intervention du Patriarche et Vlahavan se soumit. Le 8 juillet 1808, à la suite d’une émeute à Constantinople, le Sultan Salim fut déposé par les Janissaires de Mustapha Baïractar. Mustapha mit sur le trône le Sultan Mahmout et exigea le départ de Grégoire V. Le 10 septembre 1808, le Patriarche démissionna et se retira au monastère de la Transfiguration dans les Îles des princes, où il resta un an. Sans élection synodale, par simple décret du Vizir, Callinique V remonta, pour la seconde fois, sur la chaire patriarcale, mais pour une courte durée, car, dix mois après, il en fut chassé et remplacé par Jérémie IV de 1809 à 1813. Jérémie exila Grégoire à la Sainte Montagne et le Patriarche reprit, au Monastère des Ibères, sa vie de simple moine et les études qu’il aimait. De sa retraite athonite, il suivait avec attention et intérêt les affaires ecclésiastiques et internationales.

 


 


Les nouveaux martyrs, Éditions de la fraternité Saint Grégoire Palamas, Paris, 1987, p. 36-75

Traduction Père Ambroise Fontrier

 

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