D. L’orthodoxie doit-elle rejoindre l’apostasie ?
Aujourd’hui, quelques prêtres orthodoxes, dirigés par le p. Eusebius Stephanou, essaieraient de nous persuader que le « renouveau charismatique », même s’il a commencé et se poursuit principalement en dehors de l’Église orthodoxe, est néanmoins « orthodoxe », et on nous avertit même de « ne pas rester à l’extérieur ».
Mais quiconque a étudié ce mouvement dans les œuvres de ses principaux représentants, dont beaucoup ont été cités ci-dessus, ne peut douter que ce « renouveau », serait-il par absurde « chrétien », est entièrement protestant en son origine, son inspiration, son intention, sa pratique, sa « théologie » et sa fin. C’est une forme de « renouveau » protestant, phénomène qui ne préserve qu’un fragment du christianisme véritable, substituant à la fois originelle une hystérie émotionnelle « religieuse » dont la victime tombe dans l’illusion fatale qu’elle est « sauvée ». Si le « renouveau charismatique » diffère du renouveau protestant, ce n’est qu’en ajoutant une nouvelle dimension, les phénomènes crypto-spiritistes plus spectaculaires et plus objectifs que le simple renouveau subjectif.
Ce fait évident est confirmé de manière frappante par l’examen de ce que le p. Eusebius Stephanou essaie de faire passer pour un « renouveau orthodoxe » dans son périodique The Logos.
Ce prêtre orthodoxe informe ses lecteurs que « l’Église orthodoxe ne participe pas à l’éveil chrétien contemporain » 1. Il voyage lui-même maintenant pour organiser des réunions de type renouveau protestant, avec « des appels à l’autel » protestants, accompagnés de « sanglots et larmes » habituels 2. P. Eusèbe lui-même, avec une impudeur « charismatique » typique, nous informe que « je remercie et loue Dieu d’avoir répandu une partie de la lumière de son Esprit dans mon âme en réponse aux prières incessantes que j’ai fait monter nuit et jour » 1 ; et plus tard, il se déclare ouvertement « prophète » 3. Il ne mentionne absolument rien de l’interprétation orthodoxe des événements apocalyptiques, et pourtant il répète l’interprétation fondamentaliste protestante de Billy Graham du « ravissement » [Rapture] qui doit précéder la période du « millénaire » : « Le jour de la grande tribulation approche. Si nous restons fidèles au Christ, nous serons sûrement appelés à être avec lui au son du cri joyeux du ravissement et nous serons épargnés par l’horrible destruction qui doit s’abattre sur le monde » 4 5. Et pourtant, même les fondamentalistes ne sont pas tous d’accord sur cette erreur 6, qui n’a aucun fondement dans les Saintes Écritures 7 et enlève à ceux qui la suivent toute nécessité d’être vigilants contre la tromperie de l’Antichrist, dont ils s’imaginent qu’ils seront épargnés.
Tout cela n’est même pas de la pseudo-orthodoxie ; c’est tout simplement du protestantisme, et même pas le meilleur type de protestantisme. On cherche en vain dans la revue du p. Eusèbe Stephanou des indications que son « éveil » s’est inspiré des sources de la tradition ascétique orthodoxe : les vies des saints, les saints Pères, les Offices de l’Église, l’interprétation orthodoxe de la Sainte Écriture. Certains « charismatiques » orthodoxes, il est vrai, utilisent certaines de ces sources – mais hélas ! ils les mélangent avec « de nombreux autres livres écrits par des chrétiens fervents impliqués dans le mouvement charismatique » 8 et les lisent ainsi de manière « charismatique » : comme tous les sectaires, lisant dans les écrits orthodoxes ce qu’ils ont appris de leur nouvel enseignement, qui vient de l’extérieur de l’Église.
Il est assez vrai, certainement, qu’un renouveau orthodoxe serait souhaitable de nos jours, où de nombreux chrétiens orthodoxes ont perdu le sel du vrai christianisme, et la vie chrétienne orthodoxe vraie et fervente est en effet rarement observable. La vie moderne est devenue trop confortable ; la vie mondaine est devenue trop attrayante ; pour beaucoup, l’orthodoxie est devenue simplement une question d’appartenance à une organisation ecclésiale ou d’accomplissement « correct » de certains rites et pratiques extérieurs. Il y aurait grand besoin d’un véritable renouveau spirituel orthodoxe ; mais ce n’est pas ce que nous voyons dans les « charismatiques » orthodoxes. Tout comme les militants « charismatiques » parmi les protestants et les catholiques romains, ils sont pleinement en harmonie avec l’esprit du temps ; ils ne sont pas en lien vivant avec les sources de la tradition spirituelle orthodoxe, préférant les techniques du renouveau protestant actuellement à la mode ; ils font partie du courant dominant du « christianisme » apostat d’aujourd’hui : le mouvement œcuménique. Au début de l’année 1978, l’archevêque Iakovos de l’archidiocèse grec d’Amérique du Nord et du Sud a finalement donné son approbation officielle aux activités du p. Eusebius Stephanou, y compris la permission pour lui de prêcher partout spécifiquement sur les « dons du Saint-Esprit » ; ainsi l’organisation ecclésiale par l’intermédiaire de son représentant le plus moderniste et œcuméniste s’associe au « renouveau charismatique », reflétant la parenté profonde qui les unit. Mais le vrai christianisme n’est pas là.
Il y a eu de véritables « renouveaux » orthodoxes dans le passé : on pense immédiatement à Saint Cosmas d’Aitolie, qui marchât de village en village dans la Grèce du XVIIIe siècle et inspira le peuple à revenir au vrai christianisme de leurs ancêtres ; ou à Saint-Jean de Cronstadt dans notre propre siècle, qui a apporté le message séculaire de la vie spirituelle orthodoxe aux populations urbaines de Pétersbourg. Ensuite, il y a les instructeurs monastiques orthodoxes qui étaient véritablement « remplis de l’Esprit » et ont laissé leur enseignement aux moines et aux laïcs de ces derniers temps : on pense au grec saint Syméon le Nouveau Théologien au Xe siècle, et au russe saint Séraphim de Sarov dans le XIXe. Saint Syméon est mal utilisé par les « charismatiques » orthodoxes (il parlait d’un Esprit différent du leur !) ; et saint Séraphim est invariablement cité hors contexte afin de minimiser son insistance sur la nécessité d’appartenir à l’Église orthodoxe pour avoir une vraie vie spirituelle. Dans la « Conversation » de saint Séraphim avec le laïc Motovilov sur « l’acquisition du Saint-Esprit » (que les « charismatiques » orthodoxes citent sans les passages ici en italique), ce grand saint nous dit : « La grâce du Saint-Esprit, quand elle est donnée à nous tous, fidèles du Christ, dans le sacrement du saint Baptême, est scellée par le sacrement de la Chrismation sur les principales parties du corps, tel que désignées par la Sainte Église, dépositaire éternelle de cette Grâce. » Et encore : « Le Seigneur écoute également le moine et le simple laïque chrétien, à condition qu’ils soient tous deux orthodoxes. »
Contrairement à la vraie vie spirituelle orthodoxe, le « renouveau charismatique » n’est que le côté expérientiel de la mode « œcuménique » dominante — un christianisme contrefait qui trahit le Christ et son Église. Aucun « charismatique » orthodoxe ne pourrait s’opposer à la prochaine « Union » avec ces mêmes protestants et catholiques romains avec lesquels, comme le dit le chant « charismatique » interconfessionnel, ils sont déjà « un dans l’Esprit, un dans le Seigneur », et qui les ont guidés vers leur expérience « charismatique ». L’« esprit » qui a inspiré le « renouveau charismatique » est l’esprit de l’Antichrist, ou plus précisément ces « esprits du diable » des derniers temps, dont les « miracles », préparent le monde au faux Messie.
Hieromonk Seraphim Rose, Orthodoxy and The Religion of the Future, pp. 211-215, Saint Herman of Alaska Brotherhood, Platina, California, 1979
Traduction: hesychia.eu
- février 1972, p. 19
- avril 1972, p. 4
- avril 1972, p. 3
- Voir, pour comparaison Billy Graham, World Aflame, Doubleday [Pocket Cardinal Ed.], New York, 1966, p. 178 ; C. H. Mackintosh, The Lord’s Coming, Moody Press, Chicago, pp. 30–31; et bien d’autres fondamentalistes
- avril 1972, p. 22
- Voir Kurt Koch, Day X , Kregel Publications, Grand Rapids, Mich., p. 116-7
- I Thess. IV.16-17 se réfère à la deuxième venue du Christ, qui, selon les Saints Pères, aura lieu après les « afflictions » et le règne d’Antichrist.
- Logos, mars 1972, p. 16
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