Jusqu’à récemment, Ioan Ianolide était un nom connu uniquement des anciens prisonniers politiques et des initiés de l’histoire récente de la Roumanie. Personnalité complexe, intellectuel d’une grande finesse, mais avant tout homme spirituel, Ioan Ianolide fut membre du « groupe mystique » de la prison d’Aiud puis de celle de Tg. Ocna.
Ianolide est resté dans la conscience de ses camarades de souffrance, à côté de son ami Valeriu Gafencu — surnommé « le Saint des prisons » —, de Marim Naidim et de Virgil Maxim, symbole de la résistance par la foi.
Horia Brad
La notoriété d’Ianolide n’a commencé à croître qu’à la fin de 2006, 20 ans après sa mort, lorsque, grâce aux efforts de la communauté des moniales du monastère de Diaconești – Bacău et de la maison d’édition Christiana, son livre Le Retour au Christ a été publié. Le volume de plus de 500 pages est immédiatement devenu un best-seller, avec 15 000 exemplaires vendus en quelques mois. Un vrai phénomène, si l’on tient compte du fait que sur les prisons communistes en Roumanie ont été écrits précédemment de bons livres, ainsi que sur Valeriu Gafencu — sujet de prédilection de l’auteur — et sur l’interprétation théologique du communisme et de la souffrance du système concentrationnaire (par exemple dans l’Hymne pour la croix portée [Imn pentru crucea purtată], par Virgil Maxim, ou dans Confessions du marais du désespoir [Mărturisiri din mlaștina disperării], par Dumitru Bordeianu). Cependant, le Retour au Christ est celui qui fascine et sa légende est apparue avant la publication du volume.
Dans ces conditions, bon nombre de ceux qui s’intéressent à la littérature concentrationnaire se demandent qui était Ioan Ianolide. Dans son ouvrage il n’y a que très peu d’informations sur lui-même. Humble, il a préféré s’attarder sur les visages lumineux qu’il a connu en prison, sur les pensées, les soucis, les idées, propres ou partagés par ses compagnons de détention, mais surtout sur la présence de Dieu dans la cellule.
La virtuosité littéraire évidente dans le livre a attiré l’attention sur l’auteur et, en l’occurrence, le public a tenté d’en savoir plus.
Grâce à la bonne volonté de Mme Eleonora Colgiu, sœur de Valeriu Gafencu, et amie intime d’Ianolide jusqu’à sa mort, nous avons appris une partie de la biographie de celui qui a écrit le Retour au Christ.
Ioan Ianolide est né en 1919, à Dobrotești – Teleorman, dans une famille très riche et pieuse. Le fait que dans son village natal il y avait de nombreux bergers riches, dont une partie d’origine macédonienne, et en raison de la sonorité moins commune de son nom, Ianolide passa pour un Macédonien. Mais il était roumain du nord du Danube. Au lycée, Ianolide était préoccupé par le sort du pays et a rejoint les Confréries de la Croix [Frățiile de Cruce], une organisation de jeunesse appartenant au Mouvement Légionnaire [Mișcarea Legionară]. En 1941 [à 22 ans], après la soi-disant « rébellion légionnaire », il fut arrêté avec des dizaines de milliers de jeunes de tout le pays, à cause de son appartenance au Mouvement Légionnaire. Il était en deuxième année à la Faculté de droit de Bucarest. Il a été condamné à 25 ans de prison malgré le fait qu’il était innocent. En prison, il a rencontré Valeriu Gafencu 1, avec qui il s’est lié d’amitié dès le premier instant. Ils ont été emprisonnés à Aiud.
En 1945, le gouvernement a ordonné que les prisons soient autofinancées grâce au travail des détenus. Un an plus tard, la direction de la prison d’Aiud ensemble avec les représentants des 8 000 légionnaires détenus là-bas leur accorda l’autorisation de sortir en groupe pour les travaux agricoles. Les représentants des légionnaires se sont engagés qu’aucun détenu ne tenterait de fuir et, en effet, ils ont tous tenu parole. Les groupes se sont organisés selon les affinités personnelles, et Ianolide et Gafencu se rendirent à Galda de Jos — Alba, dans les vignobles, où ils avaient un régime de semi-liberté. Autrement dit, le jour ils travaillaient dans les champs, mais le reste du temps ils s’organisaient librement : ils étaient autorisés à se rendre au village, à écrire à la maison, à recevoir des visites, à lire. Valeriu Gafencu a été visité assez souvent par sa mère et ses sœurs. « Notre sœur Valentina était plus âgée, elle avait 24 ans et elle écrivait plus souvent à Valeriu. Je pense que Valeriu lisait ces lettres à Ioan et il est tombé ainsi amoureux d’elle », nous a dit Mme Eleonora Colgiu. En 1946, Ioan s’est fiancé à Valentina Gafencu, au manoir du vignoble Galda. Les camarades de Ioan ont organisé une cérémonie spéciale avec un prêtre et un tapis de fleurs sauvages. Les deux ont promis de se marier et d’être l’un avec l’autre jusqu’à ce que la mort les sépare. « Même si Ioan devait purger 20 ans de prison, nous espérions tous qu’il serait libéré plus tôt », explique Mme Colgiu.
En 1948, des étudiants d’Aiud, dont Ianolide et Gafencu, ont été transférés à Pitesti, où une « rééducation » était en cours de préparation — un système sinistre de déshumanisation par la torture. À partir de ce moment, personne n’a su rien d’eux. Les détenus se sont vu interdire tout contact avec le monde extérieur, ils n’étaient pas autorisés à écrire à leurs familles ni à recevoir de lettre, colis ou visite. Heureusement pour eux, Ianolide et Gafencu ont échappé à la « rééducation », car entre-temps ils avaient contracté la tuberculose. Dieu les a probablement protégés juste pour en faire un exemple de fidélité.
Ils ont été transférés à Văcărești, en 1949, où ils n’ont reçu aucun soin, et un an plus tard, à Târgu Ocna — dans un hôpital pénitentiaire réservé à ceux qui devaient mourir. La nourriture était un peu meilleure et l’air était respirable, il y avait moins de lits dans la cellule, et surtout, les détenus n’étaient pas torturés. Ils n’ont toujours pas reçu d’assistance médicale, mais on pouvait introduire des médicaments en contrebande dans le pénitencier. Une tentative de commencer la « rééducation » à Târgu Ocna a échoué à cause du groupe Gafencu-Ianolide, qui s’est opposé par son influence spirituelle et l’exemple de la prière. Gafencu et Ianolide avaient appris la « prière du cœur » à Aiud, et ici ils se sont révélés très forts spirituellement. Comme on le sait, Gafencu est mort en prison, le 18 février 1952. Ianolide décrit dans son livre le passage vers la vie éternelle de Gafencu comme s’il s’agissait de la mort d’un saint, auquel le Ciel a montré ses signes. Ianolide a survécu à la maladie et à la détention et a été libéré en 1964 par décret d’amnistie générale. C’était un été qui semblait appartenir au Paradis. Il pouvait voir le ciel clair et sans grillage pour la première depuis 23 ans. Il est descendu à la gare du Nord à Bucarest et a cherché Valentina. Il lui avait fait savoir qu’il allait être libéré. Il a attendu longtemps sur le quai de la gare, son âme de plus en plus lourde. Au début, il pensait qu’il était en retard, puis lentement, lentement, la douleur s’est installée dans son âme. Il a marché jusqu’au domicile de certains parents, qui l’ont accueilli convenablement. Là, il a appris que Valentina s’était mariée un an plus tôt. Elle l’a attendu pendant 18 ans, ne sachant pas s’il était encore en vie, mais a finalement cédé aux pressions familiales et a épousé Neculai Elefteriu, qui venait juste d’être libéré de captivité en URSS.
Un peu plus tard, Ioan et Valentina se sont de nouveau rencontrés. Ils ont accepté leur situation de victimes d’un système criminel. Leur amour était toujours vivant, mais ils ne pourraient plus jamais être libres. Ils sont restés amis, se traitant avec beaucoup d’appréciation et de respect. Quelques années plus tard, Ianolide a épousé une femme à son goût, Constanța. Les familles des deux anciens fiancés ont entretenu des relations cordiales jusqu’à la fin. Les sœurs de Gafencu demandaient à Ioan Ianolide de leur raconter des histoires de prison et en particulier sur le « Saint des prisons ». Ianolide demeurait silencieux, seuls ses yeux brillaient de larmes. « Je ne soupçonnais pas qu’Ion écrirait secrètement sur sa vie en prison. Nous étions vraiment surprises qu’il n’écrive pas, qu’il ne se révolte pas de cette manière à propos de ce qui lui est arrivé. Mais il le faisait en secret, afin de nous protéger de la main de la Securitate », explique Mme Eleonora Colgiu.
Ioan Ianolide a écrit et caché plusieurs milliers de pages manuscrites dans trois lampadaires, qu’il a lui-même fabriqués. Après sa mort, le 5 février 1986, les manuscrits sont passés de main en main pendant de nombreuses années, d’un prisonnier politique à un autre, jusqu’à ce qu’ils atteignent le monastère de Diaconești. Dans une note de valeur testamentaire laissée dans le manuscrit, Ianolide lui-même espérait que les moines s’occuperaient de son livre, car ils étaient les plus capables de le comprendre.
Rost , no. 49, mars 2007, pp. 13-14
Traduction : hesychia.eu
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