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Une histoire de l’Église pour les chrétiens orthodoxes – VI

31 août 2023

Des croyances croisées.

Le conflit Est-Ouest a pris une dimension théologique lorsque les missionnaires allemands (qui ont ajouté le filioque au Credo) et les missionnaires grecs (qui ne l’ont pas fait) ont évangélisé la Bulgarie nouvellement chrétienne, en même temps, à la porte arrière de Constantinople. Rome elle-même n’utilisait pas le filioque, mais le pape Nicolas soutenait pleinement les Allemands en le promulguant. La Bulgarie oscille entre l’ancienne et la nouvelle Rome. Saint Photios a écrit un ouvrage savant sur le filioque, montrant qu’il ne s’agit pas d’une doctrine des saints Pères de l’Église. Le différend n’a cependant pas été résolu, car aucun terme théologique n’avait été choisi pour en discuter. La Bulgarie opte pour l’Orient et le successeur de Nicolas, Jean VIII, rétablit la communion avec Constantinople. Cependant, la fin est loin d’être heureuse : aucun des points de friction, la maîtrise papale et le filioque, n’a été abordé de manière substantielle ; ils ont simplement été rafistolés, tandis que l’ombre projetée par la séparation entre l’Occident et l’Orient s’allongeait et s’approfondissait.

Bamberger Apokalypse

Bamberger Apokalypse – Staatsbibliothek Bamberg Msc.Bibl.140 / Reichenau, circa 1010

Le culte.

Parce que le nom même d’orthodoxie montre que les croyances de l’Église sont inséparablement liées à ses rites (la doxa implique à la fois une croyance juste et un culte juste), un mot d’explication s’impose sur la manière dont nous adorons Dieu.

Le Corps vivant du Christ, la Sainte Église, a grandi et s’est développé comme le fait un corps humain. Dans l’enfance de l’Église, seuls les habitants de la Judée constituaient ce corps. En grandissant, et toujours guidée par l’Esprit Saint, l’Église a acquis une expérience et une sagesse que les Pères ont inscrites dans leurs écrits et dans les saints canons, pour les transmettre aux générations futures. Dans sa vie liturgique aussi, l’Église a mûri, perfectionnant une liturgie qui rassemble le meilleur de l’Écriture, les sacrements légués par les Apôtres, la poésie religieuse, l’art et la musique sacrés — pour offrir à l’âme et au corps, à l’homme complet, tout ce qui peut être offert au service. De même que le Christ était parfaitement omniscient lorsqu’il était enfant, bien qu’il possédât le petit corps d’un enfant, de même l’Église naissante était pleinement consciente de la Foi et en pleine intimité avec l’Esprit Saint, bien que sa liturgie fût quelque peu informe et que les arts liturgiques n’eussent pas été entièrement développés. Comme pour le Christ, la vie de l’Église, une fois achevée sur terre, reprendra dans l’éternité au Ciel. Imparfaite ici, elle sera « sans tache, ni ride, ni rien de semblable » dans le Royaume à venir. [Eph. 5 27].

C’est dans le culte de l’Église que nous nous préparons à cette fête céleste et que nous l’anticipons avec joie, et c’est dans le culte de l’Église que nous trouvons le véritable centre et le cœur de l’Église — et non pas un dirigeant ou une structure organisationnelle en particulier.

 

Diversité liturgique — avantages et inconvénients.

Nous avons déjà vu à quel point le culte chrétien s’est adapté au cours des 200 ans qui ont suivi l’enseignement des Apôtres. Au Xe siècle, un rite de culte très précis s’était établi dans toute la chrétienté ; il n’était cependant pas uniforme d’un endroit à l’autre — au contraire, des traditions distinctes ont été préservées dans différentes régions, et dans ces vastes zones, il y a eu des variations rituelles locales. En Orient, le rite prédominant était le rite byzantin, mais d’autres rites orientaux étaient également répandus. Il y avait la liturgie de saint Marc en Égypte, la liturgie de saint Jacques en Syrie, et d’autres encore. En 1200, sous la pression impériale, le rite byzantin avait largement remplacé les autres rites orientaux au sein de l’Empire. Cette uniformisation forcée du culte a été saluée dans la capitale comme un coup de génie civilisateur, mais elle a été catastrophique pour l’Église du Christ, car son résultat final a été de désaffecter les chrétiens autochtones d’Égypte, d’Éthiopie et de Syrie de l’Église « étrangère » et de les rallier à « leur » Église, aux chefs monophysites qui préservaient les anciens rites de leurs peuples. En Occident, la liturgie de saint Grégoire, le rite romain, a également été exportée d’une main lourde. Charlemagne a ordonné qu’elle supplante le rite gallican dans ses territoires et, vers 1060, le pape l’a imposée aux chrétiens d’Espagne, qui utilisaient leur propre rite mozarabe ou wisigothique. En Occident, comme en Orient, la nouvelle mode de l’uniformisation liturgique a porté des fruits amers ; même l’identité des diverses Églises nationales d’Occident a été si gravement affaiblie qu’elles ont perdu leur capacité d’agir indépendamment de Rome.

L’importance accordée aux questions liturgiques dans l’histoire chrétienne et dans l’orthodoxie d’aujourd’hui doit sembler extrême à toute personne élevée dans la culture séculière d’aujourd’hui. Cela nous dit cependant une chose : la foi des chrétiens de ces premiers siècles s’exprimait avec force dans leur vie quotidienne et dans la clé de voûte de cette vie quotidienne, la liturgie. Il ne s’agissait pas d’une foi confinée aux marges de la vie, mais d’une foi priée, chantée et vécue chaque jour. Les symboles de la liturgie étaient étroitement identifiés aux doctrines qu’ils exprimaient, à tel point que si une cérémonie ou une prière particulièrement importante dans un rite était absente ou très différente dans un autre rite, l’orthodoxie de ceux qui pratiquaient ce rite pouvait être remise en question. Cette dynamique doit être gardée à l’esprit lorsque nous examinons les vicissitudes de l’histoire de l’Église.

 

La plus grande tragédie du christianisme.

Siècle après siècle, nous nous sommes acheminés vers une rupture dramatique, une scission catastrophique, entre les chrétiens d’Orient et les chrétiens d’Occident. J’espère que les pages précédentes ont suffisamment préparé le terrain pour que ces moments douloureux et décisifs puissent être compris.

Dans les années 800, malgré les différences culturelles et linguistiques, l’art, le culte et la discipline des Églises d’Orient et d’Occident étaient remarquablement similaires, si l’on compare ce terrain commun au fossé qui sépare le catholicisme romain d’aujourd’hui de l’orthodoxie. Cependant, les deux courants menaçants que sont la modification du Credo par le filioque et la poursuite du pouvoir papal menaçaient de déchirer cette unité, ce qu’ils firent d’ailleurs pendant une brève période dans les années 800. Tout au long des années 900, les Byzantins sont préoccupés par la menace musulmane et tendent à s’isoler dans un monde classique de haut niveau culturel et de raffinements de cour. Dans le même temps, les papes de Rome présentaient une image si décrépite sur le plan moral et si faible sur le plan administratif qu’ils n’étaient pas en mesure de prendre des mesures importantes susceptibles d’avoir un impact sur les églises orientales.

 

Prélude au schisme.

À l’approche de l’an 1000, l’Europe centrale continue de se christianiser, principalement grâce aux efforts des moines. Certaines parties de l’Allemagne, de la Pologne et du Danemark actuels acceptaient la foi à cette époque, et en Europe de l’Est, le grand mouvement missionnaire slave lancé par les frères Cyrille et Méthode au IXe siècle mûrissait et portait de riches fruits. Ces deux apôtres des peuples slaves ont traduit la liturgie, les écritures et les écrits spirituels dans la langue slave, ancêtre du russe, du serbe, du polonais et du bulgare modernes. Bien qu’ils aient pris soin d’obtenir le soutien des papes et des patriarches de Constantinople, la mission des frères a été âprement attaquée par les évêques allemands, qui ont insisté sur le fait que les offices ne pouvaient être célébrés qu’en grec, en latin ou en hébreu, puisque ce sont les trois langues inscrites sur le titre au-dessus de la croix du Christ. Les Allemands ont également insisté sur l’ajout du filioque au credo, et lorsque les disciples de Cyrille et Méthode n’ont pas accepté ces choses, ils ont fermé leurs églises et vendu les missionnaires eux-mêmes en esclavage. Tout cela n’augurait rien de bon pour les relations futures entre l’Orient et l’Occident.

En 988, le souverain de la Rus’ de Kiev, saint Vladimir, a conduit sa nation vers le christianisme de forme orientale, une initiative qui allait plus tard fournir à l’orthodoxie un nouveau foyer septentrional. Tant en Orient qu’en Occident, la vie liturgique de l’Église atteint une maturité et une stabilité nouvelles ; en fait, les rites romain[1] et byzantin n’ont pratiquement pas changé après l’an 1000. Sept saints conciles ont été acceptés par les chrétiens d’Orient et d’Occident, et il y avait encore un certain degré d’échange culturel et de bonne volonté de part et d’autre.

 

Le Filioque l’emporte sur Rome.

Après l’an 1000, cependant, une série de papes plus intelligents et mieux organisés ont commencé à raviver les anciennes tensions entre l’Orient et l’Occident. En 1008, le pape Serge publie une déclaration de foi qui contient le filioque. C’était la première fois que Rome l’adoptait formellement, et à Constantinople, la réponse fut de retirer le nom du pape des diptyques (la liste des prières des patriarches considérés comme orthodoxes). En 1014, Henri II, maître de l’Empire romain d’Occident, exigea du pape qu’il inclue le filioque dans le Credo chanté à la messe (auparavant, le Credo n’était pas chanté à la messe à Rome). Le pape hésite d’abord, puis cède. Imprégné des écrits de saint Photios, l’Orient a naturellement refusé cette phrase intruse chaque fois que la question s’est posée.

 

Le grand schisme — 1054 après J.-C.

L’invasion de l’Italie par les Français normands constitue le point culminant de l’histoire. En 1052, les Normands obligent les églises de rite byzantin, nombreuses en Italie, à adopter les coutumes occidentales. L’empereur de Constantinople réagit en fermant toutes les églises de rite occidental qui refusaient d’adopter les coutumes orientales de Constantinople, et elles étaient nombreuses.

Dans cette atmosphère tendue, l’Église romaine adopte en 1053 l’usage du pain azyme à l’autel, une pratique juive qui suscite la méfiance des Orientaux. Les esprits s’échauffent et le pape Léon IX envoie une délégation dirigée par l’homme d’église le plus colérique et le plus dépourvu de tact qui soit, le cardinal Humbert, pour négocier avec le patriarche Michel de Constantinople (qui n’est pas lui-même un modèle de patience). Lorsque Humbert et ses acolytes arrivent à la Nouvelle Rome, ils refusent les politesses habituelles au patriarche et lui remettent un document énumérant leurs exigences, y compris la soumission de tous les patriarches d’Orient au pape. Après ce premier contact, Michel refusa tout simplement de rencontrer la délégation. Très vite, Humbert perdit patience et rédigea une bulle d’excommunication à l’encontre de Michel et de « ceux qui sont en sympathie avec lui ».

Tôt le matin du 16 juin 1054, Humbert et les autres entrèrent dans la cathédrale avant l’office et déposèrent la bulle d’excommunication sur l’autel. Ignorant les diacres qui leur courent après en les suppliant de revenir sur leur décision, ils quittent la ville, secouent la poussière de leurs pieds et se rendent à Rome. Curieusement, le pape Léon, sur l’autorité duquel ils pensaient agir, était mort trois mois avant qu’ils ne prononcent leur sentence à l’encontre de Michel. Le patriarche, quant à lui, convoque un concile d’évêques qui excommunie Humbert et « tous ceux qui sont responsables » de l’incident. La communion entre Rome et l’Orient est alors brisée de manière irréversible.

Dans les années 1080, les patriarches orientaux firent appel au pape pour qu’il entame la procédure habituelle de rétablissement de la communion entre deux églises : ils le supplièrent de rédiger une confession de foi, du type de celle que saint Grégoire le Grand avait écrite à saint Jean le Jeûneur, en accord avec les Pères de la Foi et la tradition orthodoxe. Ils devaient ensuite affirmer que le pape était le plus honoré des patriarches, mais il n’en fut rien. Le pape a rétorqué avec colère que ni lui ni sa foi ne pourraient jamais être remis en question par des hommes mortels.

Schisme ou querelle de famille ?

 

L’acuité visuelle pour les choses passées est de 20/20, comme le dit le proverbe, et lorsque nous regardons les événements de 1054, nous pouvons détecter une rupture décisive entre l’Occident et l’Orient chrétiens. Toutefois, les termes initiaux du schisme se limitaient à une dispute entre Rome et Constantinople, et il existe des signes de rapprochement entre d’autres parties de l’Orient et de l’Occident chrétiens à cette époque. Par exemple, les pèlerins occidentaux qui se rendaient en Terre sainte recevaient encore la communion du clergé grec sur les lieux saints. Dans l’esprit de nombreux chrétiens, la querelle entre l’ancienne et la nouvelle Rome aurait pu n’être qu’une nouvelle altercation familiale du genre de celles qui se sont déjà produites et qui peuvent toujours se reproduire. Pourtant, le schisme de 1054 a été permanent, pour plusieurs raisons :

 

Le filioque : avant 1054, le filioque causait des troubles, mais les papes s’y opposaient fermement dans l’ensemble, ce qui apaisait les Églises orientales. Après 1014, le filioque a envahi Rome même et les papes ont commencé à ordonner aux Orientaux de l’adopter. En 1054, c’était la seule question dogmatique sur laquelle Rome et l’Orient n’étaient pas du tout d’accord. Peu après 1054, les théologiens occidentaux se sont empressés de justifier le changement de Credo par un certain nombre d’opinions « dogmatiques », cimentant ainsi l’erreur en place.

Le pouvoir papal : Comme nous l’avons vu précédemment, l’unité Est-Ouest a été gravement menacée au IXe siècle par les conflits de pouvoir du pape Nicolas Ier. Après un siècle de sommeil, une série de papes du XIe siècle a ravivé les feux impies de l’ambition, et le pouvoir papal a atteint son apogée au XIIIe siècle. À Rome, les prétentions papales sont devenues tellement ancrées qu’aucune voix modératrice n’a pu être trouvée pour réconcilier le pape et les patriarches.

Disparité des coutumes : Les Grecs se méfiaient déjà de certaines innovations liturgiques adoptées à Rome, comme le pain azyme (1053) et les baptêmes à immersion unique (dans certaines régions). Cette méfiance était souvent portée à l’encontre de l’Occident sans distinction, et dans certains cercles, elle avait atteint un degré de fébrilité inégalé. Les anciennes coutumes occidentales, telles que l’omission du chant de l’« alléluia » pendant le Carême, la manière de préparer le pain et le vin pour l’Eucharistie, etc. étaient âprement attaquées.

 

Les croisades – 1096 à 1290 après J.-C.

 

L’Église est souvent affectée non pas tant au niveau intellectuel ou dogmatique qu’au niveau des tripes. Ce fut certainement le cas lorsque l’ombre portée du Grand Schisme s’est approfondie au fil du temps, et le principal catalyseur est généralement considéré comme étant les croisades. Les croisades, bien sûr, étaient des guerres saintes occidentales, et l’Église occidentale promettait l’absolution des péchés aux soldats qui mouraient au combat. La première croisade a été lancée par le pape Urbain II (1096) et a permis de capturer une grande partie du Levant et d’y établir un royaume latin. Bien entendu, des évêques latins sont installés là où des évêques grecs avaient gouverné et, pour la première fois, les effets pratiques du schisme se font sentir en Orient. Les évêques sont opposés aux évêques, les autels aux autels, et tous deux prétendent représenter l’unique Église du Christ. Après la deuxième croisade, lancée par Bernard de Clairvaux, les Occidentaux vivant à Constantinople sont massacrés (1186). Les émotions sont évidemment vives, mais le coup de grâce à tout espoir de réconciliation entre l’Occident romain et l’Orient byzantin est porté en 1204, lorsque les participants à la quatrième croisade tournent leurs armes non pas contre les musulmans, mais contre leurs coreligionnaires chrétiens.

 

Le sac de Constantinople — 1204 après J.-C.

 

Pendant trois jours, en 1204, le sang des chrétiens coule dans les rues de la Nouvelle Rome, alors que ses églises et ses objets sacrés sont profanés. Des prostituées sont placées sur les autels des églises et de nombreuses reliques et autres objets sacrés sont détruits au nom de la papauté. Il est difficile pour les Occidentaux d’imaginer l’horreur ressentie par les chrétiens orthodoxes face à cette violence ; aujourd’hui encore, elle continue de couver.

 

Deux Églises.

 

À partir de ce moment-là, tout le monde a compris que le schisme n’était pas une question d’évêques qui ne pouvaient pas s’entendre, mais de deux groupes de croyants différents — les orthodoxes, qui s’accrochaient obstinément à la foi de leurs ancêtres, et les catholiques papaux occidentaux qui, après s’être séparés de l’Église apostolique, ont évolué avec une rapidité surprenante vers une religion différente aussi bien du christianisme occidental d’avant le schisme et de l’orthodoxie orientale. L’impact fut dévastateur tant pour les chrétiens occidentaux, qui perdirent le contact avec la foi orthodoxe, que pour les chrétiens orientaux, qui virent le nombre de communiants de l’Église chuter et (pire que tout) la foi orthodoxe en vint à être considérée comme une affaire orientale, plutôt que comme une foi universelle, embrassant tous les peuples et toutes les cultures — comme les Saints Pères l’avaient toujours comprise.

Étant donné qu’après le schisme de Rome, la foi que nous professons a été préservée exclusivement dans les pays orientaux, l’histoire de notre Église sera largement orientale à partir de maintenant. Néanmoins, nous nous tiendrons au courant des événements qui ont façonné l’Église catholique romaine afin que la situation actuelle et le renouveau de l’orthodoxie parmi les chrétiens occidentaux au 20e siècle puissent être compris et appréciés.

 

Le haut Moyen Âge.

Au cours du XIIe siècle, l’Église grecque s’efforce de résister à l’expansion géographique de l’islam. L’Empire byzantin a déjà perdu beaucoup de sa taille et de son influence, en grande partie parce que ses frontières continuent d’être absorbées par la sphère musulmane. Mais à mesure que la chrétienté grecque se rétrécissait, l’Église gagnait de nouvelles ailes par la conversion des peuples slaves. Le XIIe siècle, par exemple, a été l’âge d’or du christianisme en Rus’ (l’actuelle Russie et l’Ukraine). Les caractéristiques de cet âge d’or méritent d’être soulignées : une foi profonde au sein de la population, des efforts inlassables de la part de la hiérarchie de l’Église pour éradiquer les anciennes pratiques païennes, une ferveur missionnaire, une présence monastique saine avec une orientation charitable plutôt que légaliste, et la pénétration de l’orthodoxie dans tous les domaines de la vie de la population. Un incendie à Kiev en 1124 a détruit 600 églises, ce qui donne une idée de l’attention portée au culte divin par les habitants de cette ville. Au cours du même siècle, les chrétiens serbes, un autre peuple slave, ont formé une nation orthodoxe forte sous la direction de saint Sava.

 

L’évolution de l’Occident.

Pendant ce temps, dans l’Occident désormais hétérodoxe, la papauté accumulait son pouvoir avec audace et calcul. Les papes acquièrent le droit de nommer et de déposer les rois et les empereurs, et s’arrogent la seule autorité d’inscrire les saints au calendrier de la nouvelle Église catholique romaine. Des changements rapides balaient l’Occident, ce qui a incité un historien à dire qu’un chrétien primitif se serait senti chez lui dans l’Église occidentale du XIe siècle, mais pas à sa place dans celle du XIIe siècle. L’accent a été mis sur les émotions dans la vie spirituelle, une tendance qui s’est renforcée au cours du Moyen-Âge et qui a donné lieu à des phénomènes fantastiques tels que les stigmates (l’apparition de blessures censées ressembler à celles du Christ sur le corps des personnes en état d’extase ou de transe).[2] Une autre conséquence a été que la centralité de la résurrection du Christ a été usurpée par l’accent mis sur la mort du Christ. Dans la dévotion populaire, le Christ était davantage considéré comme un compagnon souffrant que comme l’Homme-Dieu. Dans l’art, l’iconographie mystique qui soulignait les qualités divines et instruisait théologiquement le peuple fut de plus en plus remplacée par un art passionnel[3], qui dépeignait de manière familière, mondaine et réaliste des événements de grande joie ou de pathos dans la vie du Christ, de la Vierge Marie et des saints.

 

L’Église occidentale se réorganise.

Au Haut Moyen Âge, un nouvel ordre se manifeste dans l’Église catholique, de haut en bas. Au lieu d’un collège d’évêques dirigeants, parmi lesquels se trouvaient des métropolites et des patriarches honoraires, comme l’envisageaient les sept conciles, la hiérarchie se caractérise par un collège d’évêques dirigeants, soumis à un pape puissant. L’Occident a tenu de nombreux conciles, les considérant comme œcuméniques, la participation des orthodoxes n’étant pas jugée nécessaire. De nouveaux ordres religieux ont été inventés pour permettre aux hommes et aux femmes de poursuivre des objectifs particuliers (par exemple, les cisterciens ont été créés pour permettre le travail manuel, les dominicains pour la prédication, les franciscains pour la mendicité, les chartreux pour la solitude, etc.) Le sacerdoce marié a été vigoureusement supprimé à cette époque et a disparu de l’expérience quotidienne du christianisme. Le culte de l’Église est désormais considéré comme l’apanage exclusif du clergé, et l’idée d’une messe non chantée ou à laquelle personne n’assiste en dehors du prêtre lui-même fait son chemin. Sur le plan tactique, le pape commence à nommer des légats et des cardinaux pour le représenter dans toute l’Europe ; ils ont souvent plus d’autorité que l’évêque ou l’archevêque local. Une doctrine du purgatoire est élaborée et, peu après, une doctrine des indulgences, qui est pratiquement achevée en 1300. Le légalisme régnait en maître, les chrétiens ordinaires donnant de l’argent à des fonds de construction pour récupérer 200 ou 300 jours de leur peine au Purgatoire (et, avec le temps, les indulgences ont été assaillies par l’inflation). L’enseignement officiel sur la nature de la sorcellerie a fait volte-face et les dirigeants catholiques romains en sont venus à croire que les sorcières avaient de véritables pouvoirs indépendants, qu’elles pouvaient voyager de manière surnaturelle et qu’elles pouvaient prendre diverses formes à volonté. La discipline du jeûne des chrétiens d’Occident a connu un déclin persistant et une approche plus légale du jeûne, les autorités locales accordant des « dispenses » de jeûne ou des « commutations » en échange de dons ou de labour. L’Eucharistie a été perçue différemment. À l’origine, le pain et le vin de l’Eucharistie étaient principalement considérés comme la présence mystique du Christ parmi les chrétiens, un sujet de prière, de louange et de chant, et la prise de la Communion. L’Eucharistie était une action. La vision occidentale médiévale des éléments eucharistiques, tant populaire qu’officielle, était celle d’une Chose à adorer objectivement, quelque chose à « visiter », quelque chose à « accompagner », quelque chose à présenter au peuple pour le culte, quelque chose à transporter en dehors de la liturgie, même à transporter comme personnage ou accessoire dans les drames religieux — l’Eucharistie comme un Objet, même si elle est grandement honorée. Progressivement, le sens de la présence du Christ parmi ses fidèles a été remplacé par un sens plus restreint de sa présence dans le pain eucharistique exclusivement. La nature de l’Eucharistie en tant qu’effort communautaire a été oubliée, et la messe est devenue un moment de dévotion privée. Le dernier changement qui mérite d’être mentionné est que la raison humaine en est venue à occuper une place plus importante dans la théologie occidentale. Le rationalisme, dans une tentative de mariage avec la chrétienté, a donné naissance à la scolastique, un système de doctrines philosophiques et théologiques interconnectées, englobant les sphères de l’astronomie et du droit canon ainsi que le dogme chrétien. Il ne faut pas oublier que tout cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. La dérive du clergé et du peuple romain/occidental du christianisme orthodoxe vers ce que l’on appelle aujourd’hui le catholicisme a été spectaculaire, mais graduelle et progressive comparée, par exemple, à l’explosion protestante. Alors que le changement caractérisait l’Occident, les fidèles orthodoxes orientaux sont restés tenacement immuables dans leur expression du christianisme.

[1] Il s’agit de l’ancien rite romain. Pie V a considérablement réduit ce rite avec son rite tridentin réformé et, après le concile Vatican II, les restes épuisés de ce rite ont été complètement éliminés de l’Église catholique romaine en 1969.
[2] Le phénomène des stigmates remonte au début du XIIIe siècle dans l’Église romaine et se retrouve dans les religions musulmane et anglicane, mais pas dans la Sainte Orthodoxie.
[3] Les exemples les plus pertinents de cette tendance sont les crucifix décharnés et grotesques du XIVe siècle.


 

P. hiéromoine Aidan (Keller)

Les éditions St. Hilarion Press, 2002

Traduction : hesychia.eu

 


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