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Saint Jean de Changhaï —De la vénération des saints d’Occident

13 janvier 2023

« Fixant les limites des peuples selon le nombre de Tes anges et rassemblant Ton Église avec les fils d’Adam dispersés, multiplie en elle Tes saints, comme des étoiles dans les cieux, brillant en Orient et en Occident, au Septentrion et au Midi. »
 

Bamberger Apokalypse – Staatsbibliothek Bamberg Msc.Bibl.140 / Reichenau, circa 1010

 

Ce n’est qu’à une petite partie des saints que sont, dans l’Église, adressés des hymnes liturgiques et une vénération universelle. L’innombrable multitude des autres saints n’est connue et particulièrement vénérée qu’en certains lieux. Ailleurs, ils sont mentionnés en partie dans les récits de leur vie et dans les ménologes, dans lesquels sont indiqués les jours de la célébration de leur mémoire. Les ménologes que l’on commença à constituer durant la deuxième partie du millénaire passé, ont été composés en grande partie par des personnes qui le faisaient de leur propre initiative, et la valeur de ces recueils dépendait de la confiance que l’Église plaçait en leurs auteurs ainsi que de la réception de ces ouvrages par elle. Bien plus tard, l’on commença à constituer les recueils de Vies de saints. Le peuple russe vénérait les saints de Dieu, tant ceux qui brillèrent dans leur terre natale, que ceux qu’ils connaissaient par leurs vies. Les ménologes et les Vies de saints furent corrigés et complétés à plusieurs reprises en Russie sur la base de données recueillies à nouveau. La base des recueils russes actuels de vies de saints est constitué par la Vie des saints de saint Démètre de Rostov, qui est l’une de ses œuvres principales. Par la suite, elle fut éditée et traduite du slavon en russe par le Saint-Synode. Dans les Vies des saints anciens, il est fait mention également de saints dont la mémoire n’est plus célébrée maintenant et qui sont pratiquement inconnus. Le ménologe le plus complet en Russie fut composé par l’archevêque Serge de Vladimir, comprenant de nombreux saints de l’Orient et de l’occident. Quelle que fût la quantité de témoignages en Russie sur les saints ayant brillé en dehors de ses frontières, il apparut, lorsque se produisit le grand exode des Russes de leur patrie, qu’il y avait encore une multitude de saints en dehors de Russie, qui étaient inconnus des chercheurs les plus scrupuleux des Vies de saints, d’après les Vies et les ménologes dont ils disposaient.

Même dans les pays qui leur étaient les plus proches tant géographiquement que par l’esprit et le sang, avaient vécu des saints inconnus en Russie, alors qu’ils avaient un lien direct avec elle par leurs labeurs et par leurs vies. Il en est ainsi des disciples des premiers docteurs des Slaves Cyrille et Méthode, les thaumaturges Nahum, Clément et d’autres encore, qui aidèrent leurs maîtres à traduire les livres liturgiques en langue slavonne.

Saint Jean « le Russe » et saint Pachôme, natifs de Petite Russie, qui tombèrent en captivité chez les Turcs au XVIII° siècle et sont vénérés par l’Église de Grèce, restent inconnus en Russie, bien que faisant partie des saints russes. En dehors de ces saints, il y a également de nombreux saints anciens et nouveaux dans les pays d’Orient, qui jusqu’à présent sont ignorés dans les autres régions. Étant donné que ces pays sont orthodoxes et que ces saints sont glorifiés par les Églises Orthodoxes, il ne pouvait y avoir d’hésitations et de doutes quant à leur vénération au même titre que les autres saints déjà connus en Russie. Avec les habitants de ces pays, la Grèce, la Serbie-Monténégro, la Bulgarie et la Roumanie, tous les Orthodoxes doivent les vénérer et les prier.

Les choses sont plus complexes en Occident. Le christianisme y fut prêché durant les premiers siècles, et ce par les apôtres eux-mêmes. Au cours de nombreux siècles, et ce par les apôtres eux-mêmes. Au cours de nombreux siècles, l’Orthodoxie y restait ferme, et les confesseurs orientaux s’y rendaient, venant chercher de l’appui au moment des hérésies (saint Athanase le Grand et saint Maxime le Confesseur). Là brillèrent de nombreux martyrs et religieux, renforçant l’Église. Mais comme colonnes et hiérarques en même temps, la séparation et la déchéance de l’Occident de l’Église universelle une ont obscurci ici la vérité et l’ont mélangée avec l’erreur. Il devenait nécessaire d’établir qui, parmi ceux qui étaient ici vénérés comme colonnes et hiérarques de la foi l’était réellement. Il ne pouvait être question de laisser des particuliers s’en charger, mais la responsabilité en incombait aux diocèses, qui devaient s’en occuper. Les résolutions des conférences des évêques russes concernant la vénération des saints d’Occident ne constitue pas pour autant la canonisation de ces derniers, mais l’indication que le saint donné était vénéré jusqu’à la chute de l’Occident et que, par conséquent, il est n saint vénéré par l’Église orthodoxe.

L’absence, en Orient, d’hymnes et de témoignages sur un saint ne signifie en aucun cas le refus de reconnaître sa sainteté. En effet, même les saints vénérés en Orient, qui y ont brillé, n’ont pas tous, loin s’en faut, d’offices qui leur sont dédiés. Presque chaque jour, le synaxaire et le prologue mentionnent des saints à qui sont dédiés des offices mais également d’autres saints. Nombreux sont ceux pour lesquels aucun jour de fête n’a été prévu, bien qu’ils soient mentionnés dans certains offices, par exemple dans celui de « tous les saints qui ont vécu dans l’ascèse[1] », ou encore qu’ils soient connus et vénérés en dehors de tout office. La vie de nombreux martyrs, ascètes et autres saints est connue de Dieu seul. Tous ensemble sont glorifiés le Dimanche de tous les saints, comme il est dit dans le synaxaire de cette fête. Les saints, inconnus jusqu’à ce jour (ou actuellement) en Orient, mais vénérés en Occident, appartiennent par leur vie terrestre à des siècles différents et ont été glorifiés de différentes façons.

Il s’agit des martyrs des premiers siècles, des ascètes et des hiérarques. Les deux dernières catégories se fondent entre elles, car nombreux sont les ascètes qui devinrent ensuite évêques. En ce qui concerne les premiers, les martyrs, il ne peut y avoir de doutes. Par leurs souffrances pour le Christ ils sont des martyrs tout comme les autres qui sont vénérés par l’Église, et certains d’entre eux sont même mentionnés dans des ménologes russes de qualité. Nous ne les citons maintenant que parce qu’ils sont inconnus de la plupart des laïcs, qui n’utilisent que des ménologes et des calendriers abrégés. Il s’agit, par exemple, de saint Pothin, évêque de Lyon ainsi que des autres martyrs lyonnais. Il est indispensable d’attirer l’attention des fidèles qui vivent maintenant à proximité des lieux de leurs exploits et de leurs saintes reliques, afin qu’ils prennent conscience de ces trésors spirituels inestimables, ainsi que d’appeler les ouailles orthodoxes à les vénérer. L’Occident regorge de ces martyrs. Dès les premières décennies de notre exil des pèlerinages ont été organisés sur des initiatives privées aux lieux saints locaux, mais ils sont encore ignorés chez beaucoup qui connaissent pourtant d’autres lieux célèbres.
 

 
À Marseille, depuis des temps immémoriaux, le martyr Victor est fort vénéré. Il a souffert avec ses gardiens Alexandre, Félicien et Longin, amenés par lui à la foi Ses reliques reposent jusqu’à présent dans cette ville, et la description détaillée de son martyre a été conservée. Sur leur tombeau, saint Jean Cassien le Romain a érigé son monastère, dans lequel il vécut dans l’ascèse et trépassa. Dans le ménologe orthodoxe se trouvent plusieurs saints martyrs avec le nom de Victor, mais il apparaît à la lecture de leurs souffrances qu’il s’agit de martyrs différents.

Un autre martyr, vénéré depuis les premiers temps du christianisme, est saint Alban, dont les reliques reposent jusqu’à maintenant près de Londres. La description détaillée de ses exploits a été conservée. Dans certaines anciennes chroniques ecclésiastiques est mentionnée la légion de saint Maurice, qui a souffert pour le Christ dans les montagnes de Suisse de la même façon que la compagnie de saint André le Stratilate en Orient. Ce saint Maurice ne peut être confondu avec son homonyme, qui fut martyrisé avec son fils Photin, car il est évident qu’il en diffère tant par le lieu que par ses origines.

Saint Saturnin, évêque, a sanctifié Toulouse par son sang, après avoir été traîné, attaché à un taureau, dans les rues de cette cité, pour le Christ au milieu du III° siècle.

Ce sont là tous ces martyrs, dont le sang fut la semence du Christ, ces martyrs, que l’Église chante quasiment chaque jour dans ses tropaires (martyrikon) et ses stichères et dont on fait mémoire là où ils souffrirent et offrirent pour semence leur sang. Ils souffrirent à l’instar des autres « martyrs du monde entier », qui ont revêtu l’Église de « pourpre et de lin fin » (tropaire de la fête de tous les saints). Les continuateurs des martyrs dans l’affermissement de la foi et de la piété en Occident, comme en Orient, furent les hiérarques et les ascètes. Le monachisme occidental naissant fut étroitement lié à l’Orient. Des témoignages à son sujet et à celui de ses fondateurs ont été conservés dans les œuvres de leurs disciples ou d’auteurs qui leur étaient contemporains.

L’un des principaux foyers spirituels de l’Occident fut le monastère de Lérins. La vie de son fondateur, saint Honorat, nous est connue par le panégyrique rédigé par son disciple saint Hilaire, évêque d’Arles. Nous y apprenons que saint Honorat voyagea en Égypte et en Palestine avec son frère, puis, à son retour, fonda son monastère à Lérins. Il accomplit de son vivant nombre de miracles. A ce monastère furent liés saint Paulin de Nole, sur la recommandation duquel vint s’y établir saint Eucher, qui nous laissa toute une série d’œuvres, dont la Vie de saint Maurice et des saints martyrs de la légion thébaine, que nous avons mentionnés plus haut. À Lérins vécut aussi un certain temps saint Jean Cassien, qui fonda ensuite son monastère à Marseille. Il convient de remarquer que saint Jean Cassien, vénéré par toute l’Église orthodoxe, bien que sa mémoire ne soit commémorée qu’une fois tous les quatre ans, n’est reconnu que localement dans l’Église catholique-romaine. Sa mémoire y est vénérée, certes chaque année, mais seulement à Marseille. Ce qui reste de ses reliques après leur destruction au moment de la révolution française, se trouve en l’église du saint hiéromartyr Victor. Dans le même monastère vécut saint Vincent de Lérins, vénéré bien plus en Orient qu’en Occident. Docteur de l’Église, il trépassa en 450 et nous laissa son œuvre sur la Sainte Tradition[2]. Par l’intermédiaire du monastère de Lérins, l’Angleterre et l’Irlande sont liés également avec l’Orient, car le monastère était le soutien spirituel de saint Augustin de Cantorbéry, illuminateur de l’Angleterre, ainsi que de ses compagnons d’ascèse. Saint Patrick, l’illuminateur de l’Irlande, y vécut également un certain temps. Le monastère fondé par saint Colomban en Irlande se trouvait en relation et en communion avec les monastères orientaux encore au XI° siècle et, selon certaines sources, un certain temps après la rupture de l’Occident avec l’Orient.

Les ruines de ce monastère avec les reliques de son saint fondateur existent jusqu’à nos jours, et un pèlerinage (orthodoxe russe) y eut lieu récemment, qui laissa une profonde impression sur ses participants, de même que la vie détaillée de saint Colomban. D’autres saints, Colomban, Fridolin et Gall, partirent d’Irlande, arrivèrent dans la Suisse actuelle au VII° siècle et œuvrèrent en Gaule ainsi qu’en Italie du Nord à l’affermissement du christianisme et à la défense de l’Orthodoxie contre les hérétiques. Durant leur vie, ils accomplirent des miracles et prédirent l’avenir. Leurs vies détaillées ont été conservées dans les monastères de ces contrées et leur mémoire est vénérée dans les lieux qui sont liés à eux jusqu’à nos jours.

Parmi les saints ascètes de la Gaule franque se distinguent particulièrement sainte Geneviève et saint Cloud. Sainte Geneviève naquit en 423 et trépassa en 512. Depuis son enfance, elle manifesta sa piété, passant toute sa vie dans la prière et dans une tempérance extrême. Saint Germain d’ Auxerre perçut sa vocation alors qu’elle était encore enfant et la bénit pour se consacrer à Dieu. Elle fut liée spirituellement à saint Syméon le Stylite qui avait entendu parler d’elle. Elle accomplit beaucoup de miracles de son vivant, dont le plus célèbre est le salut de Paris, obtenu par ses prières, de l’invasion des Huns et d’Attila. Le souvenir de ce miracle n’est pas seulement conservé par la tradition, mais est marqué par une colonne élevée sur le lieu où s’arrêta Attila. Elle est considérée comme la protectrice de Paris et de la France. Ni la destruction de la majeure partie de ses reliques par la révolution, ni la lutte contre la foi, ne purent interrompre cette vénération.

Saint Cloud était originaire d’une famille royale, qui périt lors de luttes internes. Lors de son adolescence, il comprit toute la vanité de la gloire terrestre et ne voulut point faire valoir ses droits, mais fit sa profession monastique et vécut dans l’ascèse la plus stricte. Il vécut un certain temps dans l’isolement complet, et un monastère se constitua autour de lui. L’église de ce monastère détient ses reliques jusqu’à nos jours. Il s’endormit dans le Seigneur au milieu du VI° siècle.

La grand-mère de saint Cloud était sainte Clotilde, reine des Francs, qui éduqua son petit-fils. Pour la France, elle revêt la même importance que sainte Olga pour la Russie ou sainte Ludmilla pour la Bohême, ou encore sainte Hélène pour l’Empire romain. Grâce à elle, son mari Clovis fut baptisé, puis s’affirma définitivement dans l’Orthodoxie. Par sa vie, ses enseignements et ses prières, elle prêcha et affermit le christianisme en France. Après la mort de son époux, elle passa sa vie dans la tempérance et dans le souci de ceux qui étaient frappés par le malheur. Prévenue par la Providence de son trépas, elle s’endormit dans le Seigneur le 3 juin 333. Ses reliques étaient conservées et portées durant les processions jusqu’à la révolution française, durant laquelle elles furent brûlées. Il n’en reste plus que des parcelles.

Les hiérarques œuvrèrent beaucoup à l’affermissement du christianisme en Gaule, où il avait été prêché déjà du temps des Apôtres, et à la lutte contre les hérésies qui s’y étaient manifestées. Saint Martin, évêque de Tours, fut particulièrement glorifié. Sa biographie se trouve dans les Vies de Saints de saint Démètre de Rostov, sous le 12 novembre, et non le 11 novembre, jour de son trépas et de sa commémoration. Son maître fut saint Hilaire de Poitiers, vénéré universellement aussi.
 

 
Saint Martin, dont la mémoire est largement vénérée, collabora non seulement à l’illumination de la Gaule, mais aussi de l’Irlande, puisque saint Patrick fut son proche parent et se trouvait sous son influence spirituelle.

Saint Patrick se distingua par une vie fort stricte, et, à l’instar de saint Martin, son œuvre de hiérarque était associée à des labeurs monastiques. Durant sa vie, il fut glorifié par de nombreux miracles, qui aidèrent à la conversion des Irlandais. Il fut considéré comme saint dès son trépas, qui se produisit en 491 ou 492 et fut entouré de miracles témoignant de sa sainteté. Avec les Irlandais vinrent dans ce pays deux colonnes de l’Eglise des Gaules, saint Germain d’Auxerre et saint Loup de Troyes pour lutter contre le pélagianisme. Tous deux furent glorifiés par leurs prédications hardies et la préservation de leur troupeau contre les barbares, ainsi que par de nombreux miracles lors de leur vie et après leur trépas.

Saint Germain d’ Auxerre mourut en 439. Ses reliques restèrent intactes durant des siècles, avant que les calvinistes ne les détruisent. Saint Loup, qui est mentionné par saint Jean, métropolite de Tobolsk, dans son Héliotropion, fit sa profession monastique à Lérins, et se trouva alors sous la direction spirituelle de saint Honorat. Celui-ci fut nommé par la suite évêque d’Arles, dont le premier évêque et fondateur de l’Église locale fut saint Trophime, disciple de l’Apôtre Paul. Quant à saint Loup, il fut élu évêque de la ville de Troyes, tout en continuant à vivre dans une stricte ascèse protégeant sa cité d’Attila et ayant accompli nombre de miracles, il trépassa en 479. Ses reliques ont été conservées jusqu’à la Révolution française, où elles furent brûlées, seule une petite partie en ayant été préservée.

Un siècle plus tard vécut saint Germain, évêque de Paris. Depuis les temps anciens, sa vie nous est parvenue, d’après laquelle il est clair qu’il se distingua par sa piété depuis son enfance, qui fut très difficile. Ayant effectué sa profession monastique au monastère de saint Symphorien, il vécut dans une ascèse particulièrement sévère, passant une grande partie de son temps dans la prière. Glorifié par les miracles, il devint par la suite évêque de Paris, où il continua à vivre de la même façon, y ajoutant les labeurs pastoraux et les œuvres charitables. Alors qu’il était âgé, il reçut la révélation de son trépas prochain, qui eut lieu le 28 mai 576. Ses reliques furent longtemps conservées, mais on n’a pu établir le lieu où elles se trouvent actuellement. Son nom est porté par une église qui existe jusqu’à maintenant, dont la construction avait commencé par ses soins, sur l’emplacement d’un temple païen dédié à Isis, en l’honneur du saint martyr Vincent. De son temps fut également construite une église en l’honneur de saint Germain d’Auxerre, qu’il vénérait beaucoup et imitait. Ses œuvres et sa vie affermirent définitivement le christianisme en France.

Dans ce pays brillèrent toute une foule de hiérarques et d’ascètes, de colonnes de l’Orthodoxie et de docteurs de la piété. Plus tard commença l’illumination par le christianisme de l’Europe du Nord-Est. Avec lui sont liées les œuvres pastorales de saint Anschaire, évêque de Hambourg et ensuite de Brême.

La vie de saint Anschaire (ou Oscar) fut rédigée par son disciple l’archevêque Rimbert, et elle nous est parvenue. Il naquit en 801. À l’âge de dix-sept ans, il eut une vision l’appelant à servir Dieu. Élevé au monastère, il accomplit sa profession monastique à l’âge de douze ans. Les visions qu’il avait reçues l’incitèrent à vivre de façon ascétique, puis à partir prêcher aux païens qui peuplaient l’Europe du Nord. Ayant commencé à vivre à Hambourg alors qu’il avait vingt et un ans, il partit ensuite au Danemark, où il baptisa le roi et son peuple. De là, il partit en Suède. En 831, il fut sacré évêque de Hambourg et de tous les peuples du Nord. Sa prédication s’étendit à la Suède, au Danemark et aux Slaves peuplant l’Allemagne du Nord actuelle. Il était plein de zèle et était prêt à souffrir pour le Christ. Affligé de ne point avoir reçu la couronne du martyre, il fut consolé par une voix du Ciel et s’endormit paisiblement dans le Seigneur le 3 février 865. Il associa ses labeurs apostoliques à la perfection intérieure et, de temps à autre, il vivait dans la solitude. Il était plein de miséricorde, distribuant la charité là où elle était nécessaire, dès qu’il en avait connaissance, ne tenant pas compte des distances. Il se préoccupait particulièrement des étrangers, des veuves et des orphelins.

Saint Anschaire accomplit de nombreuses guérisons durant sa vie, mais, faisant preuve d’humilité, se considérait pécheur. Il s’efforçait d’accomplir en secret ses bonnes œuvres et ses miracles. Mais la grâce divine qui reposait sur lui était si évidente, et la vénération qu’on lui témoignait était si grande, que deux ans après son trépas, il fut déjà compté au nombre des saints, et son nom fut déjà mentionné dans les ménologes en 870. Ses reliques incorrompues furent conservées à Hambourg jusqu’à la Réforme. Elles furent alors enterrées, seule une partie en étant préservée. Sa vie et la force de la grâce divine se manifestant par lui, comme sa glorification au nombre des saints, lorsque l’Occident constituait une partie de l’Église orthodoxe universelle, ne peuvent laisser de doute qu’il fut un saint de Dieu. L’archevêque Alexandre[3] a réuni tous les témoignages le concernant en langue allemande, émanant tant de sources catholiques que protestantes, qui confirment tout ce que nous avons exposé ici sur saint Anschaire, évoquant les œuvres, la douceur et les vertus de cette grande figure, de même que ses miracles. Nous avons reçu aussi sa vie détaillée en langue danoise. Il convient seulement, relativement aux objections de l’un de nos confrères, de montrer qu’elles sont sans fondements. D’abord aucune donnée ne nous permet de supposer que saint Anschaire ait été l’instrument du trône romain pour affermir sa souveraineté et qu’il ait été le promoteur de ces idées qui menèrent à la séparation de Rome. Tous les efforts pour trouver quelque indication dans les sources disponibles ont été vains, menant au contraire à des conclusions inverses, puisque les catholiques contemporains les auraient utilisées, louant saint Anschaire pour cela, si tel était le cas.
 

 
La sainteté de saint Anschaire ne peut être mise en doute du seul fait que son nom est absent des ménologes et des livres liturgiques grecs. Cela ne signifie en rien sa négation par l’Église d’Orient. Des ménologes et livres liturgiques sont de même absents les contemporains de saint Anschaire, les saints Cyrille et Méthode, quoique connus à Constantinople. Des livres grecs sont absents l’illuminateur de la Bulgarie saint Boris-Michel — qui reçut le baptême des Grecs eux-mêmes —, sainte Ludmilla de Bohême — baptisée par saint Méthode — et aussi saint Wenceslas. Il n’y a pas non plus saint Vladimir, ni les saints Boris et Gleb ni Pierre de Moscou, glorifiés avec la bénédiction du patriarche de Constantinople. De tous les saints russes ne sont mentionnés dans les ménées grecques, sous le synaxaire et sans office, que saint Jean de Novgorod et Barlaam de Choutinsk. Dans l’Église d’Hellade est vénérée la mémoire de la sainte princesse Olga, qui a un tropaire et un kondakion différents de ceux en vigueur dans l’Église russe. Tout cela, par conséquent, ne signifie pas que nous ne devons pas vénérer les saints glorifiés en Russie, de même que cela ne veut pas dire que les Grecs nient leur sainteté ! Il y a aussi beaucoup de saints grecs, dont les noms sont ignorés des ménées et des ménologes, mais dont la mémoire est célébrée localement, de même que leur office. Saint Anschaire ne poursuivait pas des buts politiques mais servait le Christ et le sceau de son apostolat est constitué par les pays qu’il amena au Seigneur. Le fait que ces pays abandonnèrent plus tard l’Orthodoxie ne diminue pas son ministère, à l’instar de la Moravie et de la Pannonie évangélisés par saint Méthode. En différents lieux du monde, les justes du Christ ont servi Dieu seul, menés par un seul esprit, et ont été glorifiés ensemble par Lui. La vague de la Réforme et de la Révolution a détruit leurs reliques en Occident, de même que lorsqu’elle parvint chez nous, elle toucha par son sacrilège les saints russes aussi. Elle s’efforça d’anéantir leur mémoire, comme Julien l’Apostat brûla les reliques des saints moines. Mais ils triomphent dans l’Église céleste, et nous devons encore plus célébrer leurs labeurs, glorifiant ainsi Dieu qui accomplit par eux des miracles.
 

 

B. Le Caro, Saint Jean de Changhaï (1896-1966) et son temps, L’Âge d’Homme, Lausanne, 2006, p. 256-266

 


 
[1] Office du Triode de Carême

[2] Le Commonitorium, ou comment distinguer la vraie foi de l’hérésie

[3] De Berlin et d’Allemagne (+1973)

 


 

 

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