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Maxime le Confesseur – Les étapes de la confession V/V – LE MARTYR (653-662)

18 janvier 2022

À Constantinople on suit attentivement les événements de M Rome. N’ayant pas approuvé le Typos et n’ayant pas été, en conséquence, approuvé lui-même par l’Empereur, le pape Martin fait figure, à Constantinople, d’usurpateur. En réunissant un a concile romain pour anathématiser le Type de la foi promulgué par le basileus, Martin met en question tout l’équilibre politico-religieux de l’Empire chrétien datant de Constantin : les affron­tements les plus vifs aux procès de Martin et de Maxime, jugés pour haute trahison, auront lieu à ce sujet.

 

Avant la fin du Synode, Olympius, l’exarque de Ravenne, est envoyé à Rome avec l’ordre d’arrêter le pape ou, au besoin, de le supprimer. Le synode du Latran risque de prendre l’aspect d’un concile œcuménique et il faut à tout prix l’interrompre en le décapitant. En effet, l’Afrique, tout l’Occident, Chypre et quelques évêques d’Orient autour d’Étienne de Dor, sont représentés ; au Concile ou ont envoyé des lettres d’adhésion ; une telle assemblée a donc un poids d’autorité extrêmement important (Maxime la compte parmi les conciles œcuméniques : PG 91, 137 D), qui représente un danger mortel pour l’équilibre politico-religieux du Typos, par lequel on espère à Constantinople conjurer la dislocation de l’Empire. Mais l’envoyé impérial à Rome n’arrive pas à faire assassiner le pape ; bien plus, il se retourne contre l’Empereur et soulève une révolte contre lui en Italie, avant de mou­rir en 652 en Sicile. Cela ne fait qu’ajouter un élément de plus à la liste de crimes dont Martin et Maxime vont bientôt devoir rendre compte.

En juin 653, un nouvel exarque entre à Rome avec une armée, ; enlève de force, pendant la nuit, le pape Martin malade, réfugié, dans l’église du Latran, et malgré les protestations véhémentes du peuple de Rome, l’emmène prisonnier à Constantinople, où il n’arrive qu’en septembre 653, à demi-mort à cause du voyage et des sévices. En prenant la route du martyre, le pape Martin eut ces paroles admirables :

 

Nous ne voulons et ne pouvons pas opposer de résistance, et je préférerais mourir moi-même dix fois plutôt que de verser le sang d’un homme quel qu’il fût… Je me suis remis entre les mains de l’empereur, car je veux obéir et non me révolter (Mansi X, 852, B C).

 

« En étendant les mains et en se laissant mener là où il ne veut pas aller » (Jn 21, 18), le pape Martin s’est identifié jus­qu’au bout à la vocation de Pierre, dont il a assumé dans l’Église le ministère. Il retrouve d’instinct la dimension sacrificielle de la confession de foi et du ministère épiscopal, telle qu’on la voit admirablement exposée dans les Lettres de S. Ignace d’Antioche. Son procès et sa condamnation n’auront d’ailleurs rien à envier à ceux des victimes de l’Empire païen. Malade, il est traîné à demi-nu et couvert de sang devant un tribunal qui le condamne pour haute trahison et hérésie, puis le livre à la populace, tandis que l’empereur contemple le spectacle, caché derrière la fenêtre grillagée de sa salle à manger.

Le procès est monté d’avance et de faux témoins sont produits. Quand il les voit s’avancer pour jurer, le pape s’écrie :

 

Au nom de Dieu, je vous en prie, ne les faites pas jurer, mais qu’ils disent sans serment ce qu’ils veulent, et vous, faites ce que vous voulez. À quoi bon leur faire perdre en plus leurs âmes par un serment ? (Mansi X, 855 D — 856 A).

 

Quant aux accusations des juges, elles révèlent l’idéologie poli­tico-religieuse qui les sous-tend :

 

Regarde où Dieu t’a conduit et comme il t’a livré en nos mains. Tu as intrigué contre l’Empereur : quel espoir avais-tu ? Voici que tu as abandonné Dieu et Dieu t’a abandonné (Mansi X, 857 A).

 

Entre-temps, le patriarche Paul agonise et, apprenant la pas­sion du pape, il s’exclame devant l’empereur : « Malheur à moi ! Voilà qui met le comble aux motifs de ma condamnation » et il se tourne vers le mur en ajoutant « N’est-il pas indigne que des évêques subissent de tels traitements ? » (Mansi X, 858 D). Ainsi s’éteint ce prélat qui, comme Sergius et bien d’autres après eux, a essayé, non sans grandeur, d’éviter à la chrétienté une épreuve pascale inéluctable, en faisant fond sur le pouvoir de César. Après la mort de cet ethnarque (décembre 653) qui n’a jamais cessé d’être évêque au fond de lui-même, c’est Pyrrhus qui brigue de nouveau le patriarcat. Pour se justifier de son abjuration du monothélisme devant le pape Théodore, il allègue qu’elle lui a r été arrachée par la force. On essaye de faire avouer cela au pape Martin, qui répond :

 

Vous, mes seigneurs, vous ne connaissez pas l’Eglise de 1 Rome. Je vous dis que quiconque vient là-bas demander l’hospitalité, si misérable soit-il, on lui fournit tout ce qui est utile, et Saint Pierre ne repousse aucun de ceux qui arrivent là-bas les mains vides. Mais on lui donne le pain le plus blanc et des vins divers, et non seulement à lui, mais à tous ceux qui viennent avec lui. Si donc on en use ainsi à l’égard des gens misérables, quand arrive un personnage aussi considérable qu’un évêque (Pyrrhus), quelle réception n’est-il pas en droite d’attendre ? (Mansi X, 859 C).

 

Mais, constatant l’iniquité de la procédure, Martin demande que les débats soient abrégés puisqu’il sait ce qui l’attend de toute façon :

 

Mais à quoi, bon prolonger indéfiniment cet interrogatoire ? Vous me tenez bel et bien en vos mains. Quelles que soient vos intentions, finissez-en avec moi. Avec la permission de Dieu, c’est en votre pouvoir (Mansi X, 859 D).

 

Condamné à l’exil, le pape part pour Cherson (Sébastopol) le 16 mars 654, en disant simplement : « Tout ce qui m’arrive est bien et cela m’arrive à point. Réjouissez-vous de mon sort » (Mansi X, 860 B). Épuisé déjà par les sévices du procès, achevé par la dureté de ce pays sauvage, où il manque même de pain (PL 87, 201-204), le pape s’éteint quelque temps après (septembre 655). Dernier des papes martyrs, il a senti et proclamé, dans un temps où, par la grâce de Dieu, l’Église de Rome était privée de tout pouvoir humain, que la primauté de l’évêque de Rome est essentiellement une primauté de martyre, au sens plénier du mot. Et S. Maxime lui fait écho quand il s’exclame :

 

Le Dieu de l’Univers en proclamant Pierre bienheureux pour l’avoir confessé convenablement (Mt. 16, 18), a montré que l’Église catholique c’est la droite et salutaire confession de Lui-même (PG 90,132 A).

 

Cette phrase admirable est prononcée pourtant à un moment où à Rome on donne des signes de fléchissement. Le pape Mar­tin a été vite oublié. Dans le temps qui a suivi son procès de décembre 653, Martin a bien profité de la surveillance plus relâ­chée de la prison Diomède, où il est enfermé depuis que les remords du patriarche Paul agonisant lui ont valu d’être gracié de la peine de mort, pour écrire une lettre aux Romains où il leur demande de ne pas procéder à l’élection d’un nouveau Pape, car en son absence il est représenté par l’archidiacre, l’archi­prêtre et le « primicier ». Il y a dans cette phrase sinon une mise en garde du moins une certaine inquiétude concernant l’attitude de ses fidèles. Il n’est pas impossible que des rumeurs aient couru au sujet d’un possible remplacement du pape Martin. La Cour Impériale n’a pas dû être étrangère à cette manœuvre puis­que nous savons que c’est l’exarque de Ravenne, représentant l’empereur en Italie, qui a organisé à Rome l’élection d’un homme conciliant, Eugène 1er, pour remplacer le pape martyr. Le pape Martin veut déjouer la manœuvre et écrit, au début de mars 654, une lettre à un ami de Constantinople où il expose les violences perpétrées contre le pape et demande aux Romains d’exclure toute réélection. Quand la Cour l’apprend elle réagit immédiatement de manière brutale (signe qu’elle préparait quel­que chose qu’elle ne voulait pas voir échouer) en cachant pendant deux jours Martin dans la maison d’un fonctionnaire puis en l’embarquant clandestinement vers un lointain exil en Crimée, le 26 mars 654. Quand la nouvelle de l’exil définitif du pape arrive à Rome, ce qui était plus ou moins dans l’air prend forme rapidement sous la pression de l’exarque : on élit en hâte Eugène et on envoie des apocrisiaires solliciter, à Constantinople, la ratification impériale. A moins que les apocrisiaires n’aient été envoyés pour négocier à l’avance le prix qu’il faudrait payer pour la ratification d’une éventuelle élection. En tous cas, nous savons qu’en août 654 Eugène a été consacré, ce qui implique un consen­tement préalable de l’empereur. Les apocrisiaires romains sont donc arrivés à Constantinople en mai 654. Ainsi Rome accepte un rapprochement qui ressemble assez à un compromis au moment même où est déporté son évêque légitime et au moment où son plus ferme théologien, Maxime, voit s’ouvrir son procès. On n’allait pas manquer de montrer à celui-ci le grotesque de sa situation et de lui reprocher d’être, au sens strict du mot, plus papiste que le pape. Seulement, pour Maxime il ne s’agit pas, et cela depuis le début de sa vie monastique, de politique, ni de diplomatie ecclésiastiques mais de la foi au mystère du Christ qu’il doit confesser.

Tout autre est le point de vue de ceux qui, à Constantinople, doivent le juger. Le procès de Maxime a tout à fait l’allure d’un grand procès politique. H s’agit de lui faire payer tous les dom­mages que sa résistance a causés à l’intérêt de l’Empire. C’est ce que lui dit d’emblée son accusateur :

 

D’après tes actes, il est manifeste aux yeux de tous que tu hais l’empereur et sa politique ; à toi seul, tu as livré aux Sarrasins l’Égypte et Alexandrie, la Pentapole et Tripolis, ainsi que l’Afrique (PG 90, 112 A).

 

La hiérarchie ecclésiastique de la Ville Impériale lui reproche d’ailleurs avec autant de vigueur son opposition à sa politique religieuse, destinée à assurer la cohésion de l’État :

 

Tes paroles ont mis la division dans l’Église, s’écrie Menas. À quoi Maxime répond : Si celui qui cite les textes de la Sainte Écriture et des Pères met la division dans l’Église, quel traitement n’inflige-t-il pas à l’Église, celui qui supprime les dogmes saints, sans lesquels il ne saurait même pas y avoir d’Église ? (117 D).

 

Mais ces politiques n’arrivent pas à voir le problème en dehors de l’optique diplomatique qui joue sur la rivalité entre les sièges de Rome et de Constantinople :

 

Pourquoi aimes-tu les Romains et hais-tu les Grecs ? lui demande-t-on. Il répond : Il nous est commandé de ne haïr personne. J’aime les Romains, car leur foi est la mienne, j’aime les Grecs, car leur langue est la mienne (128 C).

 

Il leur sera néanmoins facile de retourner contre lui son adhé­sion à la confession de foi de Rome, au moment où les légats romains viennent d’arriver et sans se soucier de lui, sont en train d’arranger un « modus vivendi » avec l’Empire :

 

Que peux-tu faire si Rome s’unit à Byzance ? Voici qu’hier sont arrivés les légats de Rome et demain dimanche ils commu­nieront avec le Patriarche ; il va être évident pour tous que c’est toi qui détournais les Romains de l’union ; à coup sûr, si l’on t’éloignait de là l’accord se réaliserait avec les Byzantins. Mais il leur répond : Ceux qui viennent ne peuvent en aucune, manière préjuger de la volonté du Siège de Rome, même s’ils reçoivent la communion, puisqu’ils n’ont pas apporté de lettre destinée au patriarche ; et je ne suis nullement persuadé que les Romains veuillent s’unir aux Byzantins, s’ils ne reconnaissent pas que notre Dieu et Seigneur a par nature la volonté et l’énergie nécessaires à notre salut, selon chacune des deux natures desquelles et en lesquelles il est, et qu’il est. Mais ils lui disent : Et si les Romains se rangent à l’avis des Byzantins, que fais-tu ? Il leur répond : le Saint-Esprit, par la bouche de l’Apôtre, prononce l’anathème même sur des anges, s’ils don­nent quelque prescription Contraire à la prédication des Apôtres (121 B C).

 

Mais rien ne peut venir à bout du « réalisme » de ces hommes qui ne peuvent même pas imaginer que l’Esprit puisse mettre en question les faits accomplis issus de leur pouvoir : c’est par une phrase révélatrice que le juge croit pouvoir clore ce procès :

 

Tu ne sais pas ce que tu dis, abbé : ce qui est fait est fait (128 D).

Séparé d’Anastase, qui est expédié à Perbéris aux confins de la Thrace, Maxime est déporté à Bizya, autre ville de Thrace suffi­samment proche de Constantinople pour pouvoir être convoqué à nouveau. En effet, Pyrrhus est mort. Le nouveau patriarche Pierre est arrivé à un compromis avec les légats de Rome : la consécration d’Eugène est autorisée et en échange il recevra la lettre synodale monothélite que lui envoie Pierre. Mais Maxime s’interpose une fois de plus sur le chemin de l’accommodement diplomatico-religieux : il fait écrire par Anastase une lettre d’aver­tissement qui devance les apocrisiaires, tant et si bien qu’à leur arrivée le pape Eugène est poussé par le peuple en révolte à refu­ser la synodique de Pierre et, tout en se faisant consacrer, à pro­longer le schisme. Les autorités impériales, prenant conscience du danger que représente Maxime, décident, en août 656, de chan­ger de tactique et envoient vers son exil deux habiles diplomates (un noble et un évêque de la Cour) pour le circonvenir. Ils sont forcés d’avouer ce qui les pousse à demander l’adhésion de Maxime :

 

Voici que tout l’Occident et ceux qui en Orient ont mauvais esprit, tiennent les yeux fixés sur toi ; puisque tous sans excep­tion se révoltent à cause de toi, ne consentant pas à se récon­cilier avec nous à cause de la foi… Nous savons, de façon sûre, que si tu es en communion avec le siège de notre Ville, ils reviendront à l’unité, tous ceux qui, à cause de toi et de ton enseignement, se sont séparés de notre communion (161 D — 164 A).

 

Pour obtenir l’adhésion de celui qui est devenu aux yeux de tous le Confesseur de la foi, l’empereur est prêt à couvrir d’hon­neur celui qu’il traîne depuis trois ans de cachot en cachot. Il lui promet :

 

Nous irons en personne à la Porte de Bronze, nous te salue­rons, nous te donnerons notre main, avec beaucoup d’honneur et de gloire nous t’introduirons dans la Basilique et en per­sonne nous te placerons là où sont d’ordinaire placés les empereurs ; en même temps nous célébrerons la synaxe, en même temps nous participerons aux mystères purs et vivifiants du corps et du sang vivifiants du Christ. Le héraut te procla­mera notre Père (161 D — 164 A).

 

Ce langage aurait pu ébranler un Pyrrhus. H ne fait vibrer aucune corde dans le cœur de Maxime qui habite depuis de longues années dans l’apatheia monastique. Mais le langage dans lequel il répond à l’empereur, cette folie de la Croix que Dieu a établie comme Sagesse, est encore plus étrangère à ses interlo­cuteurs :

 

Que l’empereur et le Patriarche acceptent donc d’imiter la condescendance de Dieu ; qu’ils adressent au Pape de Rome, l’un un rescrit rogatoire, l’autre une supplique synodale ; et sans aucun doute, du moins selon l’usage de l’Église, le Pape, vous accordant cette grâce à cause de votre droite confession de foi, se réconciliera avec vous (153 D).

 

Rêveurs, les deux ambassadeurs se demandent en partant :

 

Est-ce que l’empereur acceptera d’envoyer une supplique ? Mais Maxime leur dit : Il le fera sans aucun doute s’il consent à imiter Dieu et à s’humilier avec Lui pour notre salut ; voici ce qu’il doit considérer : Si Dieu, qui par nature nous sauve, j ne nous a pas sauvés avant de consentir à s’humilier, comment l’homme, qui par nature est sauvé, sera-t-il sauvé ou sauvera — t-il les autres sans s’humilier ? (160 B C)

 

Cette phrase admirable, qui rassemble toute la doctrine de Maxime sur le salut et la divinisation par la kénose de la Personne du Sauveur et des sauvés, reste incompréhensible pour ceux qui n’y voient que le discrédit de l’autorité souveraine de l’empereur. Pour eux, revenir à la confession de foi du Synode du Latran, est une défaite que le pouvoir impérial, déjà assez ébranlé, ne peut pas se permettre. Et de nouveau les deux « logiques » s’affrontent :

 

Le synode de Rome n’a pas d’autorité, car il a eu lieu sans l’ordre de l’empereur, objectent-ils. Et Maxime s’exclame : Si ce sont les ordres des empereurs qui ratifient les synodes passés et non la foi orthodoxe, que l’on accepte aussi les synodes qui se sont opposés à la consubstantialité, puisqu’ils ont eu lieu sur l’ordre de l’empereur… et bien plus tard le second synode d’Éphèse présidé par Dioscore ; tous ceux-là furent, en effet, réunis sur l’ordre des empereurs et cependant tous furent condamnés à cause du caractère sacrilège des doc­trines impies qu’ils ratifièrent… La pieuse règle de l’Église reconnaît comme approuvés et saints les synodes qu’a distingués leur orthodoxie (145 C — 148 A).

 

En désespoir de cause, les deux courtisans essayent de se rabattre sur un ultime compromis : que Maxime pense ce qu’il veut pourvu qu’il n’en fasse pas état publiquement.

 

Garde en ton cœur ce que tu veux, nul ne t’en empêche, lui dit son ancien accusateur du procès, Troïlus. Mais Maxime lui répond : Mais Dieu n’a pas placé le salut tout entier dans le cœur de l’homme, lorsqu’Il a dit « Celui qui me confesse (devant les hommes, je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux » [Mt 10, 32]. Si donc Dieu, les Prophètes et les Apôtres de Dieu ordonnent que les voix des saints confessent ce Mystère qui est grand, qui est redoutable, qui sauve l’Univers, il est impossible, de quelque manière que ce soit, de réduire au silence la voix qui le proclame, de peur que ne soit compromis le salut de ceux qui gardent le silence [165 A — B].

 

De telles paroles qui sonnent à leurs oreilles comme une provo­cation, sont de celles qui ne peuvent que faire éclater la colère qui bouillonnait déjà sous les bonnes manières de ces gens du monde :

 

Ils se lèvent tous et, obéissant à la colère, ils l’accablent de toute façon, en lui arrachant la Barbe, en le poussant, en le jetant comme un ballon, en le couvrant de crachats de la tête aux pieds ; et cette pluie de crachats ne cessa pas avant que ses vêtements en soient couverts. L’évêque se lève et dit : H n’aurait pas fallu agir ainsi, nous devions seulement écouter sa réponse et aller la rapporter à notre bon maître. Les affaires canoniques se traitent d’une autre manière [164 C].

 

La tentative de conciliation ayant tourné court, les ambassadeurs reviennent aux menaces et dévoilent du même coup les arrière-pensées qui avaient motivé leur visite : le refus du pape Eugène de recevoir la lettre synodale du patriarche Pierre.

 

Sache bien, seigneur abbé, que si nous rencontrons une légère détente dans la situation politique, nous saurons vous rassembler, par la Sainte Trinité, avec le Pape qui en ce moment s’enfle d’orgueil, avec tous ceux qui parlent là-bas et avec le reste de tes disciples ; et tous nous vous fondrons au creuset, comme a été fondu Martin [168 B].

 

Pour celui qui s’avance maintenant par le martyre à la ren­contre de Celui qui vient, le misérable étalage de passions et de craintes d’une prétendue justice humaine est déjà situé dans l’horizon de la liturgie eschatologique de la Croix :

 

Ils se levèrent pour aller déjeuner. Et ils rentrèrent irrités, la vigile de l’Exaltation de la précieuse et vivifiante Croix. Le jour suivant [jour de la fête] le consul Théodose revint auprès de Maxime, lui ôta tout ce qu’il avait, en lui disant au nom de l’Empereur : Puisque tu n’as pas accepté l’honneur, il s’éloi­gnera de toi [168 A].

 

Accompagné une partie du chemin par une foule nombreuse de fidèles, le Confesseur est conduit auprès de son disciple Anastase, dans la lointaine prison de Perbéris.

Mais en juin 657, le pape Eugène, auquel les interlocuteurs de Maxime à Bizya réservaient un sort comparable à celui de Mar­tin. Le nouvel élu, Vitalien, envoie ses légats à l’empereur. Ce geste de conciliation est apprécié à la Cour Impériale à un moment où les Arabes menacent à la fois Constantinople, l’Afrique et l’Italie. L’Empereur confirme l’élection du Pape et lui envoie de riches présents, dont un évangéliaire en lettres d’or, avec une lettre où il évite toute formule litigieuse [Mansi XI, 14]. Vitalien adresse alors à Pierre, le patriarche, une lettre synodale où il évite de condamner le Typos, d’où celui-ci conclut qu’il professe les mêmes sentiments que lui. Grâce à cette double dissimulation, le schisme est supprimé, et le nom du Pape figure de nouveau dans les diptyques de Constantinople, d’où il avait été rayé depuis Honorius.

Estimant que l’union recherchée depuis le Pacte d’Alexandrie [633] est finalement faite et que Rome a tacitement entériné lé monothélisme, le Patriarche Pierre fait venir encore une fois Maxime devant lui pour l’écraser par le triomphe définitif de sa diplomatie ecclésiastique. Cela se passe à la mi — Pentecôte, le 18 avril 658. Maxime décrit l’entrevue dans une lettre à ? Anastase et celui-ci la retransmet à Rome avec un petit billet où il invite les Romains à la fermeté dans la foi [133 A – 134 A]. Le Patriarche s’est présenté dans le cachot de Maxime pour lui dire :

 

De quelle Église es-tu : de celle de Constantinople, Rome, Antioche, Alexandrie ou Jérusalem ? Car voici qu’elles et leurs diocèses se sont unis. Si tu es donc de l’Église catho­lique, unis-toi aussi, de peur qu’en innovant une voie étrangère à la Vie, tu ne subisses ce que tu n’as pas prévu. Mais Maxime lui répond : Le Dieu de l’Univers, en proclamant Pierre bien­heureux pour l’avoir confessé convenablement [Mt 16, 18], a montré que l’Église Catholique c’est la droite, et salutaire confession de Lui-même [PG 90,132 A].

 

Voilà la confession suprême qui coïncide eschatologiquement avec l’être même de l’Église : « L’Esprit et l’Épouse disent : viens ! » [Apoc. 22, 17]. À cela le Patriarche, allant jusqu’au bout de sa logique, répond par la menace suprême :

 

L’Empereur et le Patriarche ont décidé que si tu ne te soumets pas, tu seras anathématisé par précepte du Pape. À quoi Maxime répond : Que ce-que Dieu a déterminé avant tous les siècles trouve en moi sa fin, Lui rendant la gloire qu’Il connait dès avant tous les siècles [132 C].

 

En 662, cette fin eschatologique prévue par Dieu dès avant les âges sous la figure de l’Agneau [I P 1, 20], que Maxime n’a pas cessé d’accueillir dans son être au long du chemin de sa vie, imprime définitivement son sceau sur le corps du Confes­seur et en fait un martyr, c’est-à-dire un témoin du Ressuscité. Convoqué devant un synode monothélite, il est condamné à être flagellé, puis on lui arrache la langue et on lui coupe la main droite. Il a quatre-vingt-deux ans. On le déporte avec son fidèle Anastase dans le pays des Lazes, et là on l’enferme dans une forteresse sur un des monts du Caucase [dans l’actuelle Géorgie] où il meurt le 13 août 662. C’est de Phasis, ville de ce même pays des Lazes, qu’Héraclius avait tiré Cyrus en 626 pour faire de lui le Patriarche d’Alexandrie qui, sur la base de la « formule miracle » du monoénergisme, devait restaurer l’unité de l’Église et, du même coup, permettre à l’Empire de se survivre. Entre la survie et la Résurrection, Maxime avait, déjà à cette époque-là, chois la seconde.

Garrigues, Juan Miguel, Maxime le Confesseur – La charité, avenir divin de l’homme, Éditions Beauchesne, Paris, 1976, p. 64-81

Livre consultable au format numérique dans la bibliothèque de l’Archive Internet

 


 

 

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