Sous le règne de Dioclétien, il y avait un grand nombre de fidèles dans la ville de Chalcédoine, où résidait le proconsul Priscus. Ce magistrat avait pour ami un sophiste nommé Apélianus, qui était rempli d’un zèle impie pour le culte du faux dieu Mars.
Dans le dessein de causer la perte des chrétiens fidèles, Apélianus dit à Priscus : « Souviens-toi, sage proconsul, que, selon les ordres de l’empereur, c’est pour nous tous un devoir de sacrifier à Mars, le plus grand de tous les dieux. » Sur cet avis, le proconsul rendit un édit terrible qu’il fit afficher dans les lieux les plus fréquentés de la ville, et où il s’exprimait ainsi :
« Habitants de Chalcédoine, écoutez l’ordre qui vous est donné. Selon le décret de l’empereur, après nous être purifiés durant huit jours, nous devons offrir un sacrifice au grand dieu Mars. Si quelqu’un refuse d’obéir, par attachement à une autre religion, je le ferai périr dans les supplices. Voici le signal qui sera donné : ‹ Le huitième jour, la trompette sonnera, et tous nous accourrons au temple de Mars pour y offrir religieusement un sacrifice, et nous rendre propice le plus grand de tous les dieux. › »
Or, du moment où cet édit fut proclamé, Apélianus ne fit plus que chercher jour et nuit s’il pourrait découvrir quelqu’un qui ne s’y conformât pas, afin de le poursuivre aussitôt comme un chien par ses aboiements. Selon la teneur du décret, la trompette donnait le funeste signal de se préparer au sacrifice. Quant à ceux dans l’âme desquels habitait Dieu, ils s’étaient retirés dans une maison où ils s’adonnaient à la prière. Avec eux était la vierge sainte Euphémie, fille du sénateur Philophron et de Théodorisiana, femme pieuse qui répandait d’abondantes aumônes parmi les malheureux, et n’attendait sa récompense que de Dieu seul. Apélianus, ministre de Satan, vint trouver le proconsul et lui dit : « Il y a des gens qui sont cachés dans telle maison : ils refusent d’obéir aux édits de l’empereur et à l’ordonnance que tu as rendue. Si on les laisse en paix, ils en gagneront beaucoup d’autres, et les dissuaderont de venir à notre sacrifice, en sorte que notre culte sera tourné en dérision. » Sur cette dénonciation, le proconsul ordonna qu’on les saisît tous. Quand ils furent rassemblés devant le tribunal, Euphémie attirait tous les regards par sa beauté et par la richesse de sa parure, mais bien plus encore par ses vertus qui se reflétaient jusque dans ses traits et dans sa démarche.
Priscus leur dit : « Je vous ordonne à tous d’obéir à notre monarque, et de sacrifier au puissant dieu Mars. » Alors tous, de concert avec la vierge Euphémie, répondirent d’une seule voix :
« Sache, ô proconsul, que nous sommes les serviteurs du Seigneur Jésus Christ, Roi éternel qui est assis au plus haut des cieux : c’est Lui qui a étendu le firmament comme une tente immense ; c’est Lui qui a affermi la terre ; en un mot, c’est Lui qui a créé toutes choses. Nous L’honorons en nous offrant nous-mêmes à Lui comme un sacrifice d’agréable odeur. »
Priscus avant entendu cette réponse, leur dit : « Je m’étonne grandement, lorsque je considère votre air de distinction et les nobles sentiments de vos âmes, je m’étonne que vous vous laissiez ainsi emporter tous par un fol enthousiasme. Croyez-moi plutôt : obéissez au prince ; livrez-vous avec joie aux fêtes splendides qui vont accompagner le sacrifice : par là, vous obtiendrez les bonnes grâces du souverain, et vous recevrez de lui les faveurs qu’il accorde à ses amis. » À ce discours, les généreux athlètes du Christ, laissant voir par la sérénité de leur visage combien était grande la paix de leur âme, se rangèrent comme un chœur angélique autour de la vierge Euphémie, et inspirés de Dieu même, prononcèrent d’une seule voix cette belle réponse :
« Nous le répétons, ô proconsul, nous sommes les serviteurs du Très-Haut, et nous nous efforçons de vivre irrépréhensibles à ses Yeux dans la foi qu’Il nous a donnée. Notre espérance est d’obtenir l’effet de la promesse qu’Il nous a faite, quand Il a dit : Courage, bon et fidèle serviteur ; parce que tu as été fidèle dans de légères épreuves, Je te donnerai une grande récompense. Toi-même, ô proconsul, tu n’ignores pas que quand quelqu’un a reçu du prince un poste ou un emploi, il travaille avec ardeur pour plaire à celui qui l’a constitué dans cette dignité, afin de mériter ensuite un rang plus honorable. Si donc des hommes mortels déploient un zèle si grand pour servir un roi mortel, à combien plus forte raison ne devons-nous pas nous autres garder l’alliance qu’a faite avec nous le Roi suprême et éternel, afin d’avoir pour notre héritage les biens qu’Il nous a promis ? Ces biens sont purement spirituels, et par là même exempts de corruption ; nous les posséderons avec joie durant toute l’éternité. Fais donc ce que tu voudras ; pour nous, instruits de la grandeur des biens célestes, nous sommes prêts à mourir pour obtenir les trésors que nous réserve le souverain Seigneur de toutes choses. »
Alors le proconsul, changeant de ton, ordonna que chacun des généreux athlètes fût soumis à de cruelles tortures. Chaque jour donc, on les tourmentait par des supplices qu’ils enduraient avec patience, se glorifiant dans le Christ, et s’exhortant les uns les autres à combattre avec courage. Ils exhortaient aussi la magnanime et généreuse Euphémie, en lui disant : « Ô fidèle servante du Christ, toi dont l’âme a été embellie et fortifiée par le don précieux de la foi ; ô vierge sage revêtue du Christ, tu vas recevoir la récompense. Élance-toi dans la carrière parmi les cinq vierges prudentes qui portent leurs lampes toujours allumées à la suite du céleste Époux. » Les tourments des martyrs durèrent ainsi pendant dix-neuf jours ; et dans les intervalles des tortures, on les gardait dans la prison où la grâce du saint Esprit nourrissait et fortifiait leurs âmes. Le vingtième jour, Priscus, après avoir délibéré avec Apélianus, cet homme pervers dont il avait coutume de suivre les conseils, commença l’interrogatoire ; et s’étant assis sur son tribunal, il commanda que l’on amenât les martyrs. Ils s’approchèrent tous ensemble, ayant au milieu d’eux la vierge Euphémie comme un radieux flambeau. Le proconsul leur parla tout d’abord en ces termes : « Dites-moi, jeunes gens, maintenant que vous avez un peu goûté la douleur, êtes-vous prêts à sacrifier au dieu Mars, ou bien refuserez-vous encore d’obéir ? » Mais tous, d’une seule voix, de concert avec la victorieuse Euphémie, répondirent : « Jusques à quand, ô proconsul, te laisseras-tu donc abuser ? Jusques à quand demeureras-tu dans cette erreur funeste qui t’empêche de reconnaître le Dieu tout-puissant par Lequel tu as été créé ? » Alors Priscus dit aux satellites du diable : « Frappez-les au visage, en leur disant : Obéissez, et sacrifiez au dieu Mars. » Les satellites exécutèrent promptement cet ordre. Pendant qu’on souffletait rudement les martyrs, leurs visages paraissaient éclatants de lumière : les bourreaux au contraire furent bientôt épuisés, et devinrent comme morts. Ce que voyant Apélianus, ministre de Satan, il dit au proconsul : « Nous les avons châtiés : il faut maintenant les envoyer à l’empereur. » Le proconsul ayant goûté cet avis, les fit reconduire en prison jusqu’au temps où ils devaient être envoyés à l’empereur. Ils étaient au nombre de quarante-neuf, en sorte que la vierge sainte Euphémie était la cinquantième.
Pendant qu’on les reconduisait en prison, le proconsul accourut comme un loup ravissant qui tombe à l’improviste sur un faible troupeau. Il saisit violemment Euphémie ; car, dans sa lâcheté, n’osant pas se mesurer avec les hommes, il croyait triompher plus facilement d’une jeune fille. La servante du Christ, sans laisser paraître le moindre trouble, leva les yeux au ciel, et s’écria : « Viens à mon secours, Seigneur Jésus Christ ; car j’espère en Toi : que mon espérance ne soit pas confondue. » Priscus l’entendant faire cette prière, lui dit : « N’oublie pas la considération qui est due à ton rang et à ta famille. Tu as cru trop facilement à des paroles trompeuses : c’est une faiblesse naturelle à l’esprit léger des femmes ; laisse de côté ces erreurs et sacrifie au grand dieu Mars. » La généreuse vierge répondit : « Nous faisons peu de cas des honneurs terrestres ; nous recherchons la gloire éternelle pour notre âme, et nous ne pouvons l’acquérir que par la vaillance dans le combat. Me voici donc prête à travailler et à combattre pour obtenir la récompense promise à nos pères. »
Priscus, irrité de se voir vaincu par une femme, ordonna d’apporter une machine garnie de plusieurs roues, afin qu’en y faisant jeter la sainte, il put dans un instant broyer tout son corps. Or, pendant qu’on la traînait vers l’instrument de son supplice, elle insultait au proconsul en disant :
« Impie, combien de fleuves de sang innocent ta cruauté a déjà répandus ! Ministre et fils de Satan, c’est en son nom que tu présides au supplice des saints. Tu fais bien les œuvres de ton maître, quand tu cherches à nous tromper pour nous faire partager ta damnation. Ennemi cruel et perfide, crois-moi, l’instrument inventé par ta malice ne pourra rien sur moi ; car j’ai avec moi le Christ qui me soutient dans cette lutte ; plus tu me feras souffrir, plus j’aurai de droits à son Amour et à sa Protection. »
À peine avait-elle achevé ces paroles, que les bourreaux firent tourner les roues : les membres de la vie parurent brisés, sans que rien pût altérer la paix et la joie qui brillaient sur son visage. Elle commença même à louer Dieu en disant : « Ô Seigneur, Toi qui es la vraie source de la joie des âmes, ô Lumière de vérité qui fait miséricorde à ceux qui T’invoquent en vérité, jette un regard sur moi, ton humble et inutile servante ; délivre-moi des attaques du diable et de son ministre impie, le proconsul Priscus. » Aussitôt un Ange descendu du ciel brisa l’instrument de torture, et frappa les bourreaux d’une si grande faiblesse, qu’ils parurent aussitôt tout abattus et comme défaillants. La sainte au contraire demeura victorieuse et sans blessure, à la grande admiration de tous ceux qui étaient présents.
Le proconsul dit : « Par la fortune de l’empereur et la bonté des dieux, je jure que, si tu ne sacrifies au dieu Mars, je te fais consumer par le feu, afin de t’apprendre que tu ne peux recevoir aucun secours de celui que tu adores. » Euphémie répondit : « Tu me menaces d’un feu qui dure un instant et s’éteint aussitôt ; mais j’ai le cœur trop ferme pour craindre tes menaces. Par le nom, par les victoires des glorieux serviteurs du Christ qui m’ont précédée dans cette carrière du martyre, je jure à mon tour que je foulerai sous mes pieds ton orgueil et ta tyrannie. » Le proconsul effrayé ordonna d’allumer dans une fournaise un feu sept fois plus fort que de coutume, et donna l’ordre à d’autres bourreaux de saisir la vierge et de la jeter au milieu des flammes. Alors Euphémie, montrant un visage riant et paisible, se mit à chanter :
« Sois béni, Seigneur, qui es assis au plus haut des cieux, et qui daigne cependant abaisser tes Regards sur tes plus faibles créatures. Toi que les anges et les vertus des cieux adorent et louent sans cesse, je T’invoque, moi ton humble et petite servante. Aide-moi selon ta Bonté ; soutiens-moi par la force de ton Esprit saint ; montre à cet homme impie, à cet ennemi du Christ, que Tu es le même Dieu qui as envoyé ton ange vers les trois enfants de Babylone pour les délivrer du milieu des flammes. Maintenant donc, Seigneur, jette un regard sur ma faiblesse ; envoie-moi ton Secours, délivre-moi de la gueule du lion, de la cruauté de la bête farouche, des menaces du proconsul ; car ton Nom est glorieux et terrible dans les siècles des siècles. Amen. »
Quand elle eut achevé cette prière, le proconsul donna l’ordre aux bourreaux de la saisir. Ils la prirent donc pour la jeter dans le feu. Mais un des satellites, nommé Sosthène, qui avait un glaive à la ceinture, s’approcha du proconsul lui dit : « Commande, ô proconsul, que je me frappe moi-même ; mais je ne puis porter la main sur cette sainte ; je vois autour d’elle une armée d’hommes vêtus d’habits blancs comme la neige, qui se préparent à la défendre. » Un autre soldat nommé Victor, détachant son baudrier, dit : « Je te prie, ô proconsul, de ne pas m’obliger à exécuter tes ordres : je ne puis me résoudre à toucher cette sainte ; je vois au-dessus de la fournaise des hommes vêtus de blanc qui écartent les flammes, et veillent à la préserver de tout mal. » Le proconsul, pour toute réponse, ordonna de mettre en prison Sosthène et Victor, et de faire venir d’autres soldats pour exécuter ses ordres.
Ceux qui vinrent s’appelaient, l’un César, l’autre Varius. Ils saisirent la victorieuse Euphémie, et la jetèrent au milieu des flammes ; mais les ministres de Dieu, les anges de paix, la reçurent, écartant de part et d’autre les flammes qui dévorèrent aussitôt le soldat nommé César. La sainte se tenait donc debout au milieu de la fournaise ardente comme dans un agréable palais ; et voyant le Christ, Roi du ciel et de la terre, elle dit :
« Sois béni, Dieu de nos pères, qui n’as pas méprisé ma prière, qui as daigné abaisser sur moi les regards de ta Miséricorde, qui as brisé les dents du lion furieux, qui as fait fleurir en moi ta Justice, et qui par ton saint Esprit, as éloigné de moi les attaques du serpent infernal. Ô Toi qui sauve ceux qui espèrent en Toi, donne-moi la grâce de combattre si généreusement devant Toi, que j’obtienne la vie éternelle. »
Elle sortit ensuite de la fournaise, recommandant au Seigneur Jésus Christ les gardes qui s’étaient refusés à la saisir.
Alors le proconsul dit : « Qu’on la reconduise en prison jusqu’à demain. Pendant ce temps, je réfléchirai sur le supplice que je dois choisir pour lui ôter la vie. » Euphémie se retira donc en louant Dieu. Or les généreux soldats du Christ se réjouissaient de la constance qu’avait montrée cette bienheureuse vierge, et ils disaient : « Sois béni, Seigneur, dans tous les siècles, Toi qui as accordé à ta servante le bonheur de s’offrir elle-même à Toi en sacrifice, à l’exemple de nos pères dans la foi qui ont mérité la récompense éternelle en confessant ton saint Nom. » Ce fut en ce moment que le proconsul fit amener devant son tribunal Sosthène et Victor, et il leur dit : « Sacrifiez aux dieux. » Ils répondirent :
« Il est vrai, ô proconsul, que, séduits par l’esprit des ténèbres auquel tu rends hommage, nous avons été longtemps éloignés du vrai Dieu. Mais maintenant, grâce à la victorieuse Euphémie, nous croyons en Celui qui a dissipé les ténèbres de nos âmes, qui seul peut détruire la sentence de mort encourue par nous, en nous délivrant de l’ennemi de toute vérité, et en nous recevant au nombre de ses saints. Continue donc de servir avec zèle Satan ton maître ; frappe-nous : nous n’obéissons pas à tes ordres impies, ni aux édits de tes empereurs : nous refusons de sacrifier à tes divinités fausses et impures. »
Sur cette réponse des généreux confesseurs, le proconsul ordonna qu’on les jetât dans l’arène pour y combattre les bêtes. Ils y furent donc jetés ensemble, et firent cette prière : « Seigneur tout-puissant, qui es grand et redoutable, qui, par ton Pouvoir, conserve tout ce que Tu as créé ; Toi qui as fait sortir du néant l’immensité des mers, qui as affermi la terre par ton Verbe ; Toi qui as fait éclater la lumière en dissipant les ténèbres ; Toi qui as surmonté les douleurs de la mort et qui as vaincu le dragon, garde-nous sains et saufs ; préserve-nous contre la fureur de cet homicide, et accorde-nous de posséder en paix ton héritage. » Aussitôt se fit entendre une voix qui disait : « J’ai exaucé votre prière. » Ils se recommandèrent donc à Dieu, et tout aussitôt, ils rendirent l’âme. Ce que voyant le proconsul, il se leva et s’en alla dans le prétoire. Les deux saints martyrs furent enlevés par les chrétiens, et déposés avec honneur dans un lieu convenable. Le lendemain matin, le proconsul se prépara à interroger la vierge Euphémie. Elle sortit de sa prison comme une victime choisie pour le Christ, chantant et disant : « Seigneur, je Te chanterai un cantique nouveau sur la terre ; je Te glorifierai, ô mon Dieu, selon mes forces ; je chanterai des hymnes à ton Nom, je célébrerai ta Gloire au milieu des peuples infidèles, et j’obtiendrai pour mon héritage une place dans ton royaume. »
Chantant ainsi des psaumes, des cantiques et des hymnes de louange à Dieu, elle arriva devant le tribunal, et le proconsul lui dit : « Jusques à quand veux-tu donc courir ainsi à ta perte ? Notre grand dieu te sera propice, si tu veux l’adorer. Laisse-toi donc fléchir, et sacrifie. » La vierge répondit :
« Si j’obéissais à ces êtres obscurs et ténébreux qui ne sont pas des divinités, si je sacrifiais aux démons muets et sourds auxquels vous rendez vos hommages, c’est alors, ô le plus injuste et le plus inconséquent des hommes, je mériterais bien qu’on m’appelât folle et insensée. Quant à toi, ô ennemi du Christ et ami du serpent, tu mérites doublement le feu éternel, puisque tu t’efforces d’y entraîner les autres avec toi. Mais tu ne réussiras pas aujourd’hui ; car j’ai en moi la Grâce du Christ qui me fortifiera toujours. »
Priscus ordonna qu’on lui préparât un redoutable instrument de supplice. C’était une fosse remplie de pierres aiguës et de pointes acérées, recouverte seulement d’un peu de terre, comme les pièges qu’on tend aux bêtes sauvages, afin qu’en la faisant passer à l’improviste dans ce lieu, elle tombât dans la fosse, et que son corps y fût déchiré en mille manières. Quand ce piège impie fut dressé, Euphémie s’avança vers lui tranquille et joyeuse ; car elle avait déjà trop souvent vu la mort en face pour pouvoir se laisser dominer par la crainte. À l’approche du lieu fatal, les soldats la poussaient fort rudement, afin qu’elle tombât dans le piège ; mais les anges la portèrent dans leurs mains, en sorte qu’elle passa sans aucun accident. Les satellites, au contraire, tombèrent dans la fosse et y périrent ; ce qui réalisa cette parole de l’Écriture : « Le pécheur a été pris dans les filets qu’il avait tendus et cachés lui-même. » Quant à la sainte, elle recommença ses prières, en disant :
« Ô Dieu tout-puissant, Toi qui connais les cœurs, Toi qui donnes des trésors impérissables que les voleurs ne sauraient enlever ; Toi qui as étendu le firmament et affermi la terre sur ses bases, qui as créé toutes choses d’une seule parole par notre Seigneur Jésus Christ ; Toi qui, par un seul acte de ta Volonté, as fait briller la lumière, qui as envoyé ton Fils pour détruire les douleurs de la mort, et pour enchaîner le prince et le chef de l’impiété ; Toi qui as daigné venir au secours de tes serviteurs qui combattent contre le diable pour la gloire de ton saint Nom, et qui fortifies en eux la foi ; Toi qui as toujours été mon soutien, délivre mon âme, et par les prières de tes saints qui combattent pour Toi dans la prison, garde ta servante et daigne m’aider par la force de ton Esprit saint, parce que Tu ne repousses que les pécheurs endurcis, et Tu n’abandonnes jamais ceux qui espèrent en Toi. »
Le proconsul, témoin de tout ce qui s’était passé, ordonna qu’on amenât la vierge devant son tribunal, et lui dit : « Tu sais, ô Euphémie, que, malgré la noblesse de ta naissance et la grandeur de ton rang, tu as cédé à des suggestions perfides, et que maintenant tu t’obstines à demeurer dans l’erreur. Tu as osé me résister, à moi qui représente ici l’empereur lui-même. Maintenant donc, agis comme une femme honnête et sensée : pardonne-moi les traitements sévères que j’ai dû exercer à ton égard, et sacrifie au dieu Mars, afin de ne pas faire le déshonneur de ta famille. » Euphémie, pleine de la Sagesse du Christ, répondit au proconsul :
« Tyran, pourquoi ta face est-elle remplie d’amertume et de ruse ? Bête féroce cachée sous la peau de la brebis, tes paroles sont pleines de mensonge. Ô paroles dorées, plus amères que l’absinthe ! Je ne serai pas assez insensée pour abandonner le trésor de ma vie et m’attacher au diable. Ne te flatte donc pas, ô proconsul, de pouvoir m’amener à offrir des sacrifices aux démons : tu ne me feras pas avouer qu’ils soient des dieux. Comment seraient-ils des dieux, ces personnes inventées à plaisir, qui n’ont même jamais existé ? Et toi es-tu donc assez fou pour croire immortels ceux qui n’ont jamais eu la vie, et pour leur offrir des sacrifices ? Je n’écouterai pas tes paroles trompeuses ; hâte-toi de faire ce qu’il te plaira. Je désire arriver, par le moyen des supplices que tu me prépares, au séjour de la vie éternelle, où se trouve le chœur des anges, où le Christ donne la palme et la couronne à ses fidèles serviteurs, où l’Esprit saint remplit les âmes d’un fleuve intarissable de vérité. »
Le proconsul en fureur ordonna qu’on la battît de verges. Pendant qu’on la frappait, elle dit : « Ô misérable, tes verges ne me touchent point : tu es abattu, tu ne peux résister, ta tyrannie est vaincue. » Cependant Apélianus, cherchant avec le proconsul de nouveaux moyens d’attaquer cette vierge généreuse, ordonna d’apporter des scies aiguës et des poêles rougies au feu, afin qu’après lui avoir scié tous les membres, on pût les lui brûler séparément. Quand tout fut prêt, on amena la sainte, et on la jeta sous le tranchant des scies ; mais aussitôt elles se brisèrent ; le feu s’éteignit, et aucun de ces instruments de supplice ne put rien contre la sainte ; car les anges étaient avec elle. Alors le proconsul et son perfide conseiller, voyant que la servante du Christ triomphait de tous leurs efforts, résolurent enfin de l’exposer aux bêtes.
On amena donc Euphémie dans l’arène, au milieu de laquelle se tenant debout, elle dit :
« Seigneur, ta Miséricorde est connue de tous ceux qui invoquent ton Nom. Daigne donc recevoir mon âme ; et de même que Tu as eu pour agréable le sacrifice de notre père Abraham, daigne recevoir l’esprit de ton humble servante. »
À ces mots, elle fit le signe de la croix, invoquant le Nom du Seigneur. Les lions lancés contre elle vinrent lécher ses pieds ; d’autres animaux féroces qu’on lâcha ensuite en firent autant. Mais afin que son glorieux martyre fût enfin consommé, une de ces bêtes sauvages la mordit, et lui fit une légère blessure. Alors une voix se fit entendre du ciel : « Monte, Euphémie, viens prendre ta place, reçois ta récompense ; car tu as combattu généreusement, tu as achevé ta course, tu as conservé la foi. » Au son de cette voix, il se fit un grand tremblement de terre, en sorte que tous en furent ébranlés. La sainte dit : « Rends, Seigneur, au perfide proconsul ce qu’il mérite, et daigne assister tes serviteurs. » Ayant prononcé ces paroles, elle remit son âme au Christ.
Sa mère Théodorisiana et son père Philophron enlevèrent son corps, et l’ensevelirent dans un sépulcre neuf, à quatre milles de Chalcédoine. Le proconsul envoya à l’empereur, sous bonne garde, les autres saints qu’il avait fait jeter en prison ; car lui-même était tombé malade, et déjà se trouvait en grand danger de mort.
Le martyre de sainte Euphémie s’accomplit, à la Gloire de Dieu le Père, de notre Seigneur Jésus Christ et du saint Esprit, le seizième jour de septembre.
Nous marquons ce jour comme devant être célébré par ceux qui conservent la sainte mémoire de la vierge Euphémie, que son courage rendit martyre du Christ sous le proconsul Priscus.
Nous tous donc qui, à l’honneur de Dieu, célébrons la mémoire de cette sainte, glorifions Dieu le Père tout-puissant, et adorons Jésus, Maître du ciel et de la terre, dans l’unité de l’Esprit saint ; car à Lui convient la gloire, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.
Version électronique [html] disponible sur le site des Vrais chrétiens orthodoxes
Publiée ici avec l’aimable autorisation de l’archimandrite Cassien
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