Histoire, Orthodoxie, Seraphim Rose

Les saints Pères de la spiritualité orthodoxe

27 février 2020

par le père Seraphim Rose

Première partie 

L’inspiration et le guide sûr du vrai christianisme d’aujourd’hui

The Orthodox Word, Vol. 10, No. 5 (Sept.-Oct. 1974), p. 188-195

traduction: hesychia.eu

Souvenez-vous de vos chefs, eux qui vous ont fait entendre la parole de Dieu, et, considérant l’issue de leur carrière, imitez leur foi. Jésus Christ est le même hier et aujourd’hui, il le sera à jamais. Ne vous laissez pas égarer par des doctrines diverses et étrangères. (Hébreux 13,7-9)

Il n’y a jamais eu un tel âge de faux maîtres comme ce pitoyable XXe siècle, si riche en gadgets matériels et si pauvre en esprit et en âme. Chaque opinion concevable, même la plus absurde, même celles rejetées jusqu’alors par le consentement universel de tous les peuples civilisés, a désormais sa plate-forme et son propre « maître ». Quelques-uns de ces maîtres viennent avec des démonstrations ou des promesses de « puissance spirituelle » et de faux miracles, comme le font certains occultistes et « charismatiques » ; mais la plupart des maîtres contemporains n’offrent rien de plus qu’un amalgame tiède d’idées mal digérées qu’ils ont reçues « par infusion », pour ainsi dire, ou de quelque « homme (ou femme) sage » moderne, autoproclamé, qui en sait plus que tous les anciens, simplement en vivant pendant ces temps modernes « illuminés ». En conséquence, la philosophie compte mille écoles et le « christianisme » mille sectes. Où trouve-t-on la vérité dans tout cela, si en effet elle s’y trouve encore, dans notre âge égaré ?


La source du véritable enseignement se trouve en un seul endroit, venant de Dieu lui-même. Elle ne s’est pas tarie au cours des siècles et reste toujours fraîche, demeurant unique et inchangée chez tous ceux qui l’enseignent vraiment, conduisant ceux qui la suivent au Salut éternel. Cet endroit est l’Église orthodoxe du Christ, la fontaine est la grâce de l’Esprit Saint, et les vrais enseignants de la doctrine divine qui émane de cette fontaine sont les Saints Pères de l’Église orthodoxe.

 

Saint Parasceve Piatnisa, saint Grégoire le Théologien, saint Jean Chrysostome et saint Basile le Grand, XVIe siècle.

 

Hélas ! Combien peu de chrétiens orthodoxes le savent et en savent assez pour boire à cette fontaine ! Combien de hiérarques contemporains mènent leurs troupeaux, non pas sur les vrais pâturages de l’âme, les Saints Pères, mais sur les chemins ruineux des sages modernes qui promettent quelque chose de « nouveau » et s’efforcent uniquement de faire oublier aux chrétiens le véritable enseignement des Saints Pères, un enseignement qui, il est vrai, est tout à fait en désaccord avec les fausses idées qui gouvernent les temps modernes.

L’enseignement orthodoxe des Pères n’est pas quelque chose qui appartient à un certain âge, qu’il soit « ancien » ou « moderne ». Il s’est transmis en succession ininterrompue depuis l’époque du Christ et de ses apôtres jusqu’à nos jours, et il n’y a jamais eu un moment où il fut nécessaire de retrouver un enseignement patristique « perdu ». Même lorsque de nombreux chrétiens orthodoxes peuvent avoir négligé cet enseignement (comme c’est le cas, par exemple, de nos jours), ses véritables représentants ont continué de le transmettre à ceux qui avaient faim de le recevoir. Il y a eu des âges patristiques florissants, comme l’époque éblouissante du IVe siècle, et il y a eu des périodes de déclin de la conscience patristique chez les chrétiens orthodoxes ; mais il n’y a pas eu de période, depuis la fondation même de l’Église du Christ sur la terre, où la tradition patristique ne guidât pas l’Église ; il n’y a pas eu de siècle sans ses propres Saints-Pères. St Nicétas Stéthatos, disciple et biographe de saint Siméon le Nouveau Théologien, a écrit : « Il a été accordé par Dieu que de génération en génération il ne devrait pas cesser la préparation par le Saint-Esprit de ses prophètes et amis pour l’ordre de son Église. »

Le plus instructif est pour nous, les derniers chrétiens, de nous inspirer des saints Pères de notre époque, ceux qui vécurent dans des conditions similaires aux nôtres tout en conservant intact et inchangé l’enseignement toujours frais de l’Église, qui n’est pas destiné à une race ou à une époque limitée, mais a été délivré pour tous les âges, jusqu’à la fin du monde, et pour le peuple entier de chrétiens orthodoxes.

 

Avant d’examiner deux des saints Pères récents, précisons cependant que pour nous, chrétiens orthodoxes, l’étude des saints Pères n’est pas un exercice savant. Une grande partie de ce qui passe pour un « renouveau patristique » à notre époque n’est guère plus qu’un jouet de savants hétérodoxes et de leurs imitateurs « orthodoxes », dont aucun n’a jamais « découvert » une vérité patristique pour laquelle il était prêt à sacrifier sa vie. Une telle « patrologie » n’est que l’érudition rationaliste qui a choisi l’enseignement patristique comme sujet, sans jamais comprendre que le véritable enseignement des saints Pères contient les vérités dont dépendent spirituellement notre vie ou notre mort.

De tels érudits pseudo-patristiques passent leur temps à prouver que « pseudo-Macaire » était un hérétique messalien, sans jamais comprendre ni pratiquer l’enseignement purement orthodoxe du vrai saint Macaire le Grand ; que « pseudo-Denys » était un faussaire prémédité de livres dont les profondeurs mystiques et spirituelles dépassent totalement ses accusateurs ; que les vies profondément chrétiennes et monastiques des saints Barlaam et Josaphat, transmises par saint Jean Damascène, ne sont rien d’autre qu’une « nouvelle version de la légende du Bouddha » ; et une centaine de fables similaires fabriquées par des « experts » pour un public crédule qui n’a aucune idée de l’atmosphère agnostique dans laquelle se font de telles « découvertes ». Là où il y a de sérieuses questions concernant certains textes patristiques (ce qui, bien sûr, il y en a), elles ne seront certainement pas résolues en les renvoyant à de tels « experts », qui sont totalement étrangers à la vraie tradition patristique, et ne font que gagner leurs vies à ses frais.

Lorsque des érudits « orthodoxes » récupèrent l’enseignement de ces savants pseudo-patristiques, ou font leurs propres recherches dans le même esprit rationaliste, le résultat peut être tragique ; car de tels érudits sont considérés par beaucoup comme des « porte-parole de l’orthodoxie » et leurs déclarations rationalistes font partie d’une perspective « authentiquement patristique », trompant ainsi de nombreux chrétiens orthodoxes. Le père Alexander Schmemann, par exemple, tout en affirmant se libérer de la « captivité occidentale » qui, dans son ignorance de la véritable tradition patristique des derniers siècles (que l’on trouve plus dans les monastères que dans les centres universitaires), s’imagine avoir complètement dominé la théologie orthodoxe des temps modernes, est lui-même devenu le prisonnier des idées rationalistes protestantes concernant la théologie liturgique, comme l’a bien souligné le père Michael Pomazansky, un véritable théologien patristique d’aujourd’hui. Malheureusement, un démasquage aussi clair doit encore être fait du pseudo-spécialiste des saints Pères et de la spiritualité russe, G. P. Fedotov, qui imagine que saint Serge « fut le premier saint russe qui peut être qualifié de mystique » (ignorant ainsi les quatre siècles de pères russes également « mystiques » qui l’ont précédé), cherche inutilement « l’originalité » dans « l’œuvre littéraire » de saint Nil de Sora (montrant ainsi qu’il ne comprend même pas le sens de la tradition en orthodoxie), calomnie le grand saint orthodoxe, Tikhon de Zadonsk, comme « le fils du baroque occidental plutôt que l’héritier de la spiritualité orientale », et avec des grands efforts essaie de faire de saint Séraphim (qui fait partie si intégralement de la tradition patristique qu’il se distingue à peine des grands Pères du désert égyptien) en un phénomène « uniquement russe » qui fut « le premier représentant connu de cette classe d’anciens vénérables (стáрец) en Russie », dont « l’approche spirituelle est sans précédent dans la tradition orientale » et qui était « le précurseur de la nouvelle forme de spiritualité qui devait succéder au monachisme simplement ascétique ».

 

Le Synaxaire des trois hiérarques, 1073. Miniature provenant de la collection Sviatoslav.

Malheureusement, les conséquences d’une telle pseudo-érudition font surface dans la vie réelle ; les âmes crédules qui prennent ces fausses conclusions pour véritables commencent à travailler pour un « réveil liturgique » sur des fondations protestantes, transforment saint Séraphim (ignorant ses enseignements « incommodes » concernant les hérétiques, qu’il partage avec toute la tradition patristique) en yogin hindou ou en « charismatique » et, en général, s’approchent des saints Pères comme la plupart des savants contemporains, sans respect ni crainte, comme s’ils étaient au même niveau, comme s’il s’agissait d’un exercice d’ésotérisme ou d’un jeu intellectuel, au lieu de montrer le respect dû à un guide de la vie véritable et du salut.

 


Mais les vrais érudits orthodoxes ne sont pas ainsi ; pareillement, dans la véritable tradition patristique orthodoxe l’enseignement authentique et immuable du vrai christianisme se transmet en succession ininterrompue, aussi bien de façon orale qu’écrite, de père spirituel à fils spirituel, d’enseignant à disciple.

Au XXe siècle, un hiérarque orthodoxe se démarque surtout par son orientation patristique — l’archevêque Théophane de Poltava (†1940, le 6 février). Un des fondateurs de l’Église russe libre en dehors de la Russie, est peut-être l’architecte en chef de sa position intransigeante et traditionaliste. Dans les années où il fut vice-président du Synode des évêques de cette Église (les années 1920), il a été largement reconnu comme celui qui a été le plus tourné vers les Pères parmi les théologiens russes à l’étranger. Dans les années 1930, il se retira dans un isolement complet, pour devenir un deuxième Théophane le Reclus ; et depuis lors il a été, malheureusement, très largement oublié.

Heureusement, sa mémoire a été gardée précieusement par ses disciples et ses fidèles, et ces derniers mois, l’un de ses principaux disciples, l’archevêque Averky du monastère de la Sainte-Trinité à Jordanville, New York, a publié sa biographie avec un certain nombre de ses sermons. Dans ces sermons, on peut voir clairement la crainte et la révérence du hiérarque devant les saints Pères, son attitude filiale envers eux et son extrême humilité qui ne se contentera que lorsqu’il ne transmettra rien de lui-même, mais seulement les idées et les paroles mêmes des Saints-Pères. Ainsi, dans un sermon au dimanche de la Pentecôte, il dit :

« L’enseignement de la Sainte Trinité est le summum de la théologie chrétienne. Par conséquent, je ne prétends pas énoncer cet enseignement avec mes propres mots, mais je l’ai énoncé avec les mots des saints théologiens et porteurs de Dieu et grands Pères de l’Église : Athanase le Grand, Grégoire le Théologien et Basile le Grand. Les miennes sont uniquement les lèvres, mais les paroles et les pensées leur appartiennent. Ils présentent le festin divin, et je ne suis que le serviteur de leur banquet divin. »

Dans un autre sermon, l’archevêque Théophane présente les raisons de son effacement devant les Saints-Pères — une caractéristique typique des grands transmetteurs de l’enseignement patristique, même de grands théologiens, tels que l’archevêque Théophane, mais qui est interprétée de manière erronée par les savants du monde moderne comme un « manque d’originalité ». Dans son sermon du dimanche des Saints-Pères du Sixième Concile œcuménique, prononcé en 1928 à Varna, Bulgarie, il offre aux fidèles « une parole sur la signification des Saints-Pères et Maîtres de l’Église pour nous, chrétiens. En quoi consiste leur grandeur, et de quoi dépend leur signification particulière pour nous ?

L’Église, chers fidèles, est la maison du Dieu vivant, le pilier et le fondement de la vérité (I Tim. 3:15). La vérité chrétienne est préservée dans l’Église, dans la Sainte Écriture et dans la Sainte Tradition, mais cela nécessite une préservation et une interprétation correctes. La signification des Saints-Pères se trouve précisément dans ceci : qu’ils sont les conservateurs et interprètes les plus capables de cette vérité en vertu de la sainteté de leur vie, de leur profonde connaissance de la parole de Dieu et de l’abondance de la grâce du Saint-Esprit qui habite en eux ! » Le reste de ce sermon n’est composé que de citations des Saints-Pères eux-mêmes (Sts. Athanase le Grand, Basile le Grand, Siméon le Nouveau Théologien, Nicetas Stethatos) pour soutenir ce point de vue.

L’Évêque de Jamburg Théophane en 1910

Le dernier saint Père que l’archevêque Théophane cite longuement dans son sermon est quelqu’un de proche, temporellement, son prédécesseur dans la transmission de la tradition patristique authentique en Russie — Mgr Ignace Briantchaninov. Il a une double signification pour nous aujourd’hui : non seulement il est un saint Père presque contemporain, mais aussi sa recherche de la vérité est très similaire à celle des chercheurs de vérité sincères d’aujourd’hui, et il nous montre ainsi comment il est possible pour « l’homme moderne éclairé » de se détourner de l’esclavage dominant des idées et des modes de pensée modernes, pour se tourner vers l’atmosphère pure de la patristique, c’est-à-dire de véritables idées et modes de pensée chrétiens orthodoxes. Il est extrêmement inspirant pour nous de lire le récit de l’évêque Ignace lui-même, décrivant comment un ingénieur militaire a rompu l’emprise du « savoir moderne » et est entré dans la tradition patristique, qu’il a reçue, en plus des livres, directement d’un disciple du Bienheureux Paissy Velitchikovsky, et qu’il nous a transmise à son tour.

« Quand j’étais encore étudiant », l’archevêque Théophane cite Mgr Ignace, « il n’y avait ni amusements ni distractions pour moi ! Le monde ne présentait rien de séduisant pour moi. Mon esprit était entièrement plongé dans les sciences, et en même temps je brûlais du désir de découvrir où se trouvait la vraie foi, où était le véritable enseignement, étranger aux erreurs à la fois dogmatiques et morales.
En même temps, mon regard avait perçu les limites de la connaissance humaine dans les sciences les plus élevées et pleinement développées. En arrivant à ces limites, j’ai demandé aux sciences : ‹ Que proposez-vous qu’un homme puisse appeler le sien ? L’homme est éternel, et ce qui lui appartient doit être éternel. Montrez-moi cette possession éternelle, cette vraie richesse, que je pourrais emporter avec moi au-delà de la tombe ! Jusqu’à présent, je ne vois que la connaissance qui se termine avec la matière, qui n’existera plus après la séparation de l’âme et du corps. ›

Dans sa recherche, le jeune homme s’enquiert tour à tour des mathématiques, de la physique, de la chimie, de la philosophie, montrant sa profonde familiarité avec elles ; puis de la géographie, la géodésie, les langues, la littérature ; mais il constate qu’ils appartiennent toutes à la terre. En réponse à son questionnement existentiel, il reçut la même réponse que des chercheurs similaires reçoivent dans notre XXe siècle encore plus « éclairé » : « Les sciences étaient silencieuses ».

Puis, « pour une réponse satisfaisante, une réponse vraiment nécessaire et vivifiante, je me suis tourné vers la foi. Mais où étais-tu caché, ô vraie et sainte foi ? Je ne pouvais pas te reconnaître dans le fanatisme [papisme] qui ne portait pas le sceau humble de l’Évangile ; cela transpirait la passion et l’orgueil ! Je ne pouvais pas te reconnaître dans l’enseignement arbitraire [protestantisme] qui se séparât de l’Église, créant son nouveau système propre, proclamant vainement et fièrement la découverte d’une nouvelle vraie foi chrétienne, dix-huit siècles après l’Incarnation de Dieu le Verbe ! Oh ! Dans quelle lourde perplexité mon âme se trouvait-elle ? Combien tout cela l’écrasait ? Les doutes se sont élevés en vagues contre elle, nourris par ma propre méfiance, par la méfiance envers tout ce qui vociférait, criait autour de moi, à cause de mon manque de connaissance, de mon ignorance de la vérité.

Et j’ai commencé souvent, avec des larmes, à implorer Dieu de ne pas me livrer comme un sacrifice sur l’autel de l’erreur, mais de me montrer le bon chemin qui guidera invisiblement mon esprit et mon âme jusqu’à Lui. Et, ô merveille ! Soudain, une pensée se dressa devant moi… Mon cœur s’y lança, comme appelé par un ami. Cette pensée m’inspira à étudier la foi par les sources — à l’aide des écrits des Saints-Pères ! ‹ Leur sainteté, › la pensée m’a dit, ‹ se porte garante de leur fiabilité : choisissez-les pour vos guides. › J’ai obéi. J’ai trouvé les moyens d’obtenir les œuvres des saints qui ont plu à Dieu, et avec empressement j’ai commencé à les lire, à les étudier en profondeur. En lisant certains, j’en reprenais d’autres, les lisais, les relisais, les étudiais. Qu’est-ce qui m’a surtout frappé dans les œuvres des Pères de l’Église orthodoxe ? C’était leur harmonie, leur merveilleuse, magnifique, harmonie. Dix-huit siècles, à travers leurs lèvres, ont témoigné d’un seul Enseignement unanime, un enseignement divin !

Quand, par une claire nuit d’automne, je contemple le ciel bien aimé, parsemé d’étoiles innombrables, si diverses en taille, mais illuminées comme d’une seule lumière, alors je me dis : telles sont les écrits des Pères ! Quand un jour d’été je regarde sur la vaste mer, recouverte d’une multitude de navires avec leurs voiles déployées comme les ailes de cygnes blancs, des navires qui courent toutes sous un seul vent vers un seul but, vers un seul port, je me dis : tels sont les écrits des Pères. Quand j’entends un chœur harmonieux à plusieurs voix, dans lequel des voix diverses chantent une seule chanson divine en harmonie, alors je me dis : tels sont les écrits des Pères !

Et quel est l’enseignement que j’y trouve ? Je trouve un enseignement répété par tous les Pères, à savoir que le seul chemin vers le salut est le respect inébranlable des instructions des Saints-Pères.

‹ Avez-vous vu ›, disent-ils, ‹ quelqu’un trompé par un faux enseignement, se perdant à cause d’un mauvais choix dans les efforts ascétiques ? – sachez qu’il a suivi son propre ego, sa propre compréhension, ses propres opinions, et non pas l’enseignement des Pères › (Dorothée de Gaza, Œuvres spirituelles, Instructions, V-65, p. 259, les Éditions du Cerf, Paris, 1963), qui forme la tradition dogmatique et morale de l’Église. L’Église offre à ses enfants sa tradition comme un trésor inestimable.

Cette pensée m’a été envoyée par Dieu, de qui vient tout don, et qui, par les bonnes pensées initie chaque bonne chose… Cette pensée a été pour moi le premier port au pays de la vérité. Ici mon âme a trouvé le repos parmi les vagues et les vents. Cette pensée est devenue la pierre angulaire de la construction spirituelle de mon âme. Cette pensée est devenue mon étoile directrice. Elle a commencé à illuminer constamment pour moi le chemin très difficile et très douloureux, étroit et invisible, de l’esprit et du cœur, vers Dieu. J’ai regardé le monde religieux à travers cette pensée, et j’ai vu : la cause de toutes les erreurs consiste dans l’ignorance, dans l’oubli, dans l’absence de cette pensée.

La lecture des Pères m’a clairement convaincu que le salut dans le sein de l’Église russe orthodoxe était incontestable, pendant que les religions de l’Europe occidentale en sont privées, car elles n’ont préservé dans leur ensemble ni la doctrine dogmatique ni la doctrine morale de l’Église du Christ depuis son commencement. Elle m’a révélé ce que le Christ a fait pour l’humanité, en quoi consiste la chute de l’homme, pourquoi un Rédempteur était nécessaire, en quoi consiste le salut procuré par le Rédempteur.

Elle m’a appris qu’il faut développer, sentir, voir le salut en soi-même, sans quoi la foi en Christ est morte, et le christianisme est un mot et un nom sans effet !

Elle m’a demandé de considérer l’éternité en tant qu’éternité, devant laquelle mille ans de notre vie terrestre ne sont rien, encore moins notre propre vie qui se mesure par les dizaines d’années. Elle m’a enseigné que la vie terrestre doit être une préparation pour l’éternité… Elle m’a montré que toutes les occupations terrestres, les plaisirs, les honneurs, la prééminence, sont des jouets vides, avec lesquels jouent des enfants adultes et par lesquels ils perdent la bénédiction de l’éternité… Tout cela, les Saints-Pères l’ont exposé avec une clarté absolue dans leurs merveilleux écrits. »

L’archevêque Théophane conclut son exhortation patristique par cet appel :

« Frères, que cette bonne pensée [l’adoption des Saints-Pères pour guides] soit votre étoile directrice aussi au temps de votre navigation sur les vagues de la mer de notre vie terrestre ! »

 


 

La vérité de cet appel, comme celle des paroles inspirées de l’évêque Ignace, n’a pas faibli au cours des décennies qui se sont écoulées depuis leur énonciation. Le monde s’est engagé profondément sur le chemin de l’apostasie de la vérité chrétienne, et il devient de plus en plus clair que la seule alternative à ce chemin de perdition est d’emprunter le chemin de la vérité sans compromis que les Saints-Pères nous ont montré.

Le Roi Abgar recevant le Mandylion, avec les saints : Paul de Thèbes, Antoine,
Basile et Ephrem, Xe siècle.

 

Mais nous devons aller vers les Saints-Pères non seulement pour « en savoir plus sur eux » ; si nous ne faisons pas plus que cela, nous ne sommes pas en meilleur état que les savants oisifs des universités inertes de cette civilisation moderne en voie de perdition, même lorsque ces écoles sont « orthodoxes » et que les théologiens érudits qui les composent définissent et expliquent précisément la « sainteté », la « spiritualité » et la « théose », mais n’ont pas l’expérience nécessaire pour parler directement au cœur des âmes assoiffées et réveiller en elles le désir du combat spirituel, ni les connaissances requises pour détecter l’erreur fatale des « théologiens » académiques qui parlent de Dieu avec la cigarette, ou le verre de vin, à la main, ni le courage d’accuser les hiérarques apostats « canoniques » de leur trahison du Christ.

Nous devons plutôt aller vers les Saints-Pères, afin de devenir leurs disciples, pour recevoir l’enseignement de la vraie vie, qui est le salut de notre âme, tout en sachant qu’en faisant cela, nous perdrons la faveur de ce monde et deviendrons des exclus. Si nous faisons cela, nous trouverons la sortie du marais trouble de la pensée moderne, qui est précisément basé sur l’abandon de l’enseignement des Pères. Nous découvrirons que ce sont les Saints-Pères les plus « contemporains », en ce qu’ils parlent directement du combat du chrétien orthodoxe d’aujourd’hui, offrant des réponses aux questions cruciales de vie et de mort qu’un chercheur universitaire a même peur de poser – et quand il les pose, il donne une réponse inoffensive qui « explique » ces questions à ceux qui sont simplement curieux à leur sujet, mais qui ne sont pas assoiffés de vérité.

Nous trouverons de véritables conseils des Pères, enseignant l’humilité et la méfiance à l’égard de notre vaine sagesse mondaine, que nous avons inspirée avec l’air de ces temps pestilentiels, en faisant confiance à ceux qui ont plu à Dieu et non au monde. Nous trouverons en eux de vrais pères, qui manquent tellement de nos jours quand l’amour s’est refroidi de beaucoup (Matthieu 24:12) — des pères dont le seul but est de conduire leurs enfants vers Dieu et à son royaume céleste, où nous marcherons et converserons avec ces hommes angéliques dans une inexprimable joie éternelle.

Il n’y a pas de problème de notre époque troublée qui ne puisse trouver sa solution par une lecture attentive et respectueuse des Pères : que ce soit le problème des sectes et des hérésies qui abondent aujourd’hui, ou les schismes et les « juridictions » ; que ce soit la prétention à la vie spirituelle mise en avant par le « réveil charismatique » ou les tentations subtiles du confort et de la commodité modernes ; qu’il s’agisse de questions philosophiques complexes telles que « l’évolution » ou les questions morales simples de l’avortement, de l’euthanasie et du « contrôle des naissances » ; qu’il s’agisse de l’apostasie raffinée du « Sergianisme », qui propose une organisation ecclésiastique à la place du Corps du Christ, ou de la grossièreté du « rénovationisme », qui commence par « réviser le calendrier » et se termine par « le protestantisme de rite oriental ». Dans toutes ces questions, les Saints-Pères et nos Pères vivants qui les suivent sont notre seul guide certain.

L’évêque Ignace et d’autres pères récents nous ont indiqué à nous, les derniers chrétiens, quels sont les saints Pères les plus importants à lire, et dans quel ordre. Ces indications seront données accompagnées par les enseignements des Saints Pères et des informations sur les traductions en anglais des Pères dans les prochains numéros de The Orthodox Word. Que ce soit une inspiration pour nous tous de placer l’enseignement patristique comme pierre angulaire à la construction de nos propres âmes, afin d’hériter la vie éternelle ! Amen.
À suivre

Comment lire les saints Pères

 


 

 

Saint Jean Chrysostome

Saint Jean Chrysostome (panneau provenant d’une Déisis), XVe siècle.

 

Car ceux qui semèrent la parole dans le commencement étaient des gens simples et sans instruction, mais ils ne disaient rien d’eux-mêmes et communiquaient au monde ce qu’ils avaient reçu de Dieu ; et nous aussi aujourd’hui nous ne donnons rien de nous-mêmes, mais nous prêchons à tous ce que nous avons reçu des apôtres. Et ce n’est point non plus par le raisonnement que nous persuadons; mais, par les divines Écritures et par les signes d’alors, nous faisons accepter ce que nous disons. Et les apôtres ne convainquaient pas seulement par des signes, mais aussi par la parole; et leur parole était fortifiée par les signes et par les témoignages de l’Ancien Testament, et non par l’habileté du langage.

Saint Jean Chrysostome, Commentaire sur la première lettre de saint Paul aux Corinthiens, Homélie VI-2, Traduction sous la direction de M. Jeannin, Arras, 1887

 


 

 

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