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Des ascètes dans le siècle – Lambrini Vetsios [1918 – †2002] II/II

15 janvier 2023

Lambrini [Λαμπρινής Βέτσιου] est née en 1918 dans le village de Sainte Parascève (région d’Arta). Ses parents, Spiridon Driva et Théodora, étaient parmi les personnes les plus riches du village et ont eu également trois garçons. Lambrini était la plus jeune et ses frères l’aimaient beaucoup grâce à son caractère et à sa bonne conduite envers les autres.

 

Un jour, sans un sou en poche, elle se rendit avec un de ses filleuls en pèlerinage à Corfou pour vénérer saint Spyridon. Avec l’aide de Dieu, ils purent faire l’aller-retour sans que personne ne leur demandât quoique ce fût, ni pour le bus, ni pour le bateau.

La grand-mère Lambrini aimait beaucoup le Christ. Elle luttait davantage qu’une moniale, priait sans cesse et transmettait la grâce divine. De nombreuses personnes allaient la voir pour bénéficier de ses conseils et demander ses prières. Des cars entiers s’arrêtaient de­vant sa pauvre cellule. Elle accueillait tout le monde sans exception, souvent sans aucune interruption pendant la journée.

Les visites chez elle étaient quotidiennes et sans horaires. Chacun arrivait et repartait quand il voulait. Quand elle se retrouvait seule, elle lisait ou priait. Pour se dégourdir un peu, elle sortait marcher, non pas dans le village mais dans son jardin, au milieu des orangers où elle continuait à prier.

Lambrini faisait sans cesse mention de la patience. Elle disait : « Nous, les chrétiens, nous allons traverser de grandes épreuves ici — bas, y compris dans nos propres familles. Il faudra faire preuve de patience, d’amour, et distribuer des aumônes. » Elle recommandait à tous ceux qui avaient des problèmes domestiques de ne pas dis­soudre leur famille. « C’est une tentation », disait-elle.

Aux jeunes qui lui rendaient visite, elle donnait ce conseil : « Tu as décidé de te marier ? Tu vas devoir faire preuve de patience. Et pas seulement une fois, mais de nombreuses fois ! Rendez-vous réguliè­rement à l’église, confessez-vous, communiez et priez. Si vous faites cela, vous irez près du Christ et vous vous réjouirez pour l’éternité. »

Bien qu’elle n’ait pas fait d’études, elle pouvait comprendre et expliquer beaucoup de livres spirituels. Des personnes instruites, y compris des professeurs d’université, allaient écouter la grand-mère Lambrini ; ils avaient de la dévotion pour elle car sa vie était entière­ment consacrée au Christ, et parce qu’ils voyaient la grâce de Dieu à l’œuvre à travers ses actions. Son esprit était souvent absorbé par la prière. Elle assistait aux mystères invisibles du siècle à venir ; elle avait de l’assurance dans sa prière, connaissait les secrets des hommes et prévoyait des évènements futurs.

La grand-mère Lambrini raconte : « Ma fille Stathoula avait plus de dix-huit ans, il était temps de songer au mariage. Les demandes commencèrent à arriver, mais aucun prétendant ne me satisfaisait. C’étaient de bonnes personnes, avec une bonne situation, mais pas tout à fait intègres. En ce temps-là, la jeune fille n’avait pas vraiment son mot à dire quant au choix de son futur époux, et comme j’avais cette responsabilité, je voulais avant toute chose qu’il soit pur, vierge. Stathoula n’avait pas, contrairement à moi, de penchant pour le mo­nachisme, il fallait donc lui trouver un fiancé.

Un soir, je suis allée me coucher et j’ai commencé à lire comme d’habitude, mais j’étais soucieuse parce qu’on ne trouvait pas de fian­cé pour ma fille. Mon mari s’était couché de son côté pour que je ne le dérange pas. Dès qu’il fut endormi, la fenêtre s’est ouverte toute seule, et mon ange gardien est entré. Il a emporté mon esprit, lais­sant mon corps à demi-mort sur le lit. Nous avons marché, marché, sans que je sache où nous allions. Nous sommes arrivés à Prévéza. Mon ange m’a dit : « Ne t’arrête pas ici, nous allons à Leucade. » Moi, je ne savais pas où se trouvait Leucade[1].

Une fois sur l’île, nous nous sommes arrêtés devant la porte d’en­trée d’une maison. Mon ange m’a dit : « Reste là, je vais ouvrir la porte ; regarde à l’intérieur. » Il ouvrit la porte et j’aperçus un jeune homme debout, en costume, de dos. II s’est retourné pour fermer la porte qui lui semblait s’être ouverte toute seule, et je le vis de face. Il ne pouvait pas nous voir car mon ange était un esprit, et moi, j’étais invisible.

« Il te plaît comme fiancé pour ta fille ?

— Il est bien, mais c’est un peu loin…

— C’est un ange, lui aussi, comme moi.

— Ma fille va épouser un ange ? ! »

C’est une femme, me suis-je dit, comment pourrait-elle se marier avec un ange… Mais je compris plus tard qu’il voulait parler de la pureté de son âme.

« À partir de maintenant, tu ne vas plus arranger de rencontres pour ta fille. Peu importe ce que te disent les autres. Tu vas attendre quelques années, le temps de lever quelques obstacles, puis je vais t’amener ce fiancé ; il viendra de lui-même et il trouvera ta fille. »

Nous avons pris le chemin du retour de la même manière. Trois ans plus tard, ma fille et mon fils sont allés chez un pâtissier. Le fiancé se trouvait là. À peine l’avait-il vue qu’il vint la demander en mariage. J’ai compris que c’est lui que Dieu voulait pour elle. Nous l’avons accueilli et j’ai rendu gloire à Dieu pour Sa grandeur. »

Une autre fois, la Mère de Dieu lui montra l’enfer et le paradis. Lambrini raconte :

« En 1982, je me suis trouvée dans la grotte de Sainte-Parascève à Chanopoulou. J’étais en train de prier avec d’autres femmes, et j’ai pensé : « Ah, ma chère grotte, si seulement tu pouvais être à moi… »

« Non non, me dit une voix. Ta grotte à toi est celle de la Vierge.

— Où se trouve-t-elle ?

— Je vais te la montrer, mais dans quelque temps. »

Le temps est venu cinq années plus tard. En attendant, j’avais beaucoup cherché. Dès que j’entendais parler d’une grotte, je pre­nais une amie avec moi, et j’allais la voir. Le soir, quand je rentrais, j’entendais une voix : « Ce n’est pas celle-ci, ma chère, tu t’es fatiguée en vain. »

Un jour, ma cousine m’a invitée à Arta pour travailler. Là-bas, elle parla d’une grotte quelle devait aller visiter le jour suivant avec des amies. J’ai décidé d’y aller aussi. Nous sommes parties à pied à cinq heures du matin.

La grotte n’était pas visible de l’extérieur, on distinguait seulement deux trous par lesquels on pouvait à peine passer. Il y avait une petite chapelle à côté de l’entrée. J’avais apporté des cierges et des bougies. Je me suis demandé : « Alors, est-ce que ce serait cette grotte-là. » J’ai entendu une voix me répondre : « Je suis ici, à l’intérieur. Prends un cierge et entre. »

Pour échapper à la compagnie des autres femmes, je leur ai dit que j’étais fatiguée et que j’allais m’asseoir un peu pour me reposer. Dès qu’elles furent entrées dans la chapelle, j’ai allumé un cierge et je me suis aventurée dans la grotte. Elle était vaste. C’est alors que j’ai clairement vu la Mère de Dieu ; je me suis inclinée et je l’ai vénérée. Soudain, j’ai oublié tout le reste. Je voulais seulement rester là pour tout le reste de ma vie. Je me prosternais sans cesse devant la Toute-Sainte, qui finit par me dire :

« Ça suffit. Tu vas voir beaucoup de choses ici, tu vas visiter l’autre monde. Ce que tu vas voir, tu vas le raconter à des personnes qui ai­ment ces choses. Si tu constates de l’indifférence, ne dis rien. Et aux femmes qui sont dehors, tu montreras de l’indifférence en sortant. Si elles te posent des questions, tu diras que tu es allée prier dans la grotte. » La Mère de Dieu m’a ensuite emmenée dans une plaine aussi vaste qu’Arta. Je suis arrivée à l’intersection de deux chemins et je lui ai demandé lequel choisir. « Celui que tu veux », m’a-t-elle répondu. J’ai donc emprunté un des chemins.

Tandis que j’avançais, je voyais des banquets, des mariages, des couples d’amoureux, des enfants, et je m’exclamai : « Quel monde magnifique ! » « Ah ! dit la Mère de Dieu, c’est ainsi que les hommes se bercent d’illusions dans le mauvais monde d’en bas. » En entendant cela, je voulus cesser d’avancer, mais la Toute-Sainte me dit : On va continuer, n’aie pas peur. » J’ai repris du courage et j’ai poursuivi mon chemin.

Nous sommes arrivées devant une rivière de feu dont les vagues retombaient sur trois personnes que je connaissais et qui poussaient des cris. La Toute-Sainte me dit : « Ne t’inquiète pas. Ils récoltent maintenant ce qu’ils ont semé pendant leur vie. Est-ce qu’ils t’écou­taient quand tu leur disais quelque chose ? Chaque année, je les sou­lage en les retirant de là entre la Résurrection et la Pentecôte. »

Plus loin, je distinguai une rivière de goudron qui bouillonnait. Là aussi, les âmes de personnes défuntes entraient et sortaient. Leurs vêtements étaient propres, malgré le fait qu’ils traînaient dans le gou­dron. Ces âmes étaient plongées dans du goudron brûlant, et ne pouvaient pas supporter cette douleur.

Je me suis ensuite trouvée devant un grand tonneau, du fond du­quel une âme torturée m’appelait par mon nom. Elle essayait de sortir et me suppliait de tremper mon petit doigt dans l’eau pour lui rafraîchir un peu la bouche. J’ai reconnu la voix de cette personne et je lui dis :

« Tu es là-dedans, toi ? Est-ce pour en arriver là que tu as œuvré sur terre ? Tu te rappelles, devant la Consolatrice à Arta, quand tu revenais du marché et moi de l’église, tu te moquais de moi parce que je croyais à tout ça, à l’enfer et au paradis. Tu affirmais que, quand il meurt, l’homme part comme un mouton, il disparaît… Tu t’en souviens ? Et je te disais beaucoup de choses au sujet de l’enfer et du paradis… As-tu oublié ?

— Je m’en souviens, mais c’est trop tard maintenant. C’est pour ça que tant que tu peux et tant que tu vis, parle aux gens de ton entourage pour qu’ils évitent l’enfer d’ici-bas.

— Et pourquoi m’écouteraient-ils, puisque je ne sais rien moi — même… Combien de fois ne m’as-tu pas maudite quand tu me rencontrais ?

— Mais toi, tu n’as pas ripaillé, ni porté de beaux habits, ni fes­toyé… Tu as lutté et tu sais de quoi il retourne. »

Suite à cela, mon âme fut remplie de compassion pour cette per­sonne. De manière générale, j’étais sensible à la douleur des autres. Si j’apprenais que quelqu’un avait faim, je ne mangeais pas non plus, et si je pouvais, je lui apportais de quoi manger. J’ai commencé à me demander si j’allais lui donner ou non un peu d’eau avec mon doigt. La Toute-Sainte m’avertit : si je lui tendais la main, mon bras serait brûlé jusqu’à l’épaule. J’ai hésité un instant en entendant ça, mais j’avais tant de peine pour cet homme… J’ai demandé à la Mère de Dieu de pouvoir mouiller mon doigt pour lui donner un peu d’eau.

« Que te dire ? Tu vas te brûler le bras. Mais puisque tu le veux tellement, trempe-le un peu. Moi, je reste à tes côtés.

— Oui, je le veux ; c’est une âme, elle aussi. Il pourrait bien m’ar­river la même chose.

— Que Dieu t’en préserve », me dit-elle.

J’ai trempé mon doigt, et ma main a été brûlée. J’ai eu très mal. J’avais beau souffler dessus, ça ne changeait rien. Depuis, je ne peux plus me servir de ce doigt-là. Il est devenu tout sec. Je ne ressens plus rien, même si on le coupe.

« Les choses que tu vois ici ne doivent pas te plonger dans l’an­goisse. Mais emploie toutes tes forces pour les communiquer aux vivants et pour aider les âmes qui aspirent au ciel.

Avant de repartir de cet endroit, la Toute-Sainte déclara : « Soyez bénis jusqu’à la seconde Parousie de mon Fils. »

Nous sommes ensuite allées dans l’autre monde, celui du bien. C’était une joie d’être là-bas. J’ai reconnu beaucoup de gens et rencontré beaucoup de couples qui avaient vécu dans l’amour ré­ciproque. La Mère de Dieu voulut me montrer d’autres personnes, mais je lui dis : « Pas des jeunes, parce que ça me fait de la peine que les jeunes meurent. » Elle me rassura : « Non, pas des jeunes, des an­ciens, parce que les personnes bonnes meurent âgées. Nous prenons les autres quand elles sont jeunes pour leur éviter de commettre les péchés dans lesquels elles seraient tombées. »

Nous avons rencontré un couple de personnes âgées. La Toute — Sainte me dit : « Leur fils va arriver dans peu de temps, il fait le voyage. » Il venait juste de mourir et son âme était en train de s’élever. Le vieux monsieur se leva et fit une prière devant le Crucifié qui trô­nait un peu plus loin : « Je te remercie, mon Dieu, d’avoir pris mon fils dans la force de l’âge, et de le faire venir ici. » La vieille dame le remercia aussi. « Amen » se fit entendre depuis la Croix.

Les deux anciens se rassirent dans leurs fauteuils, qui étaient, comme leurs lits, tout en or, splendides. En face d’eux, sur une pe­tite table, chacun disposait d’une petite assiette. Moi, je me suis de­mandé : « Que mangent-ils ? » Ils me répondirent : Nous mangeons ce que vous nous apportez pour la Proscomidie. Leur nourriture ressemblait à un mélange de pain bénit et de vin.

Pour les vierges, il existait un lieu à part. J’y ai reconnu d’an­ciennes connaissances, mais elles ne m’ont pas parlé.

Ensuite, la Mère de Dieu me dit : « On va partir maintenant, et on va passer voir une personne qui est arrivée ici suite à une longue maladie. C’était un grand pécheur, mais il a été purifié par sa mala­die. Il a tout supporté sans se plaindre. Son lit n’était pas semblable à celui des autres, car il gardait l’empreinte de toutes les peines qu’il avait endurées. »

Cet homme me dit alors : « Oui, c’est ainsi que notre Mère le dit. Je me suis liquéfié sur ce lit, j’y ai versé tout mon sang. Ce que j’ai enduré, il n’y a que ce lit qui en ait été témoin, ainsi que ma mère qui veillait à mon chevet. »

La Mère de Dieu a continué ; « Puissent tous les hommes venir ici ! Qu’ils se donnent seulement un peu de peine. Sur terre, il y a beau­coup de tentations. Veillez surtout à ce que votre âme ne tombe pas dans le péché. Celui qui se sacrifie pour mon Fils jouira de tous ces biens. Ceux qui œuvrent pour moi sur terre viendront au paradis. Bienheureux celui qui jouira de tous ces biens ! De nos jours cepen­dant, ils sont peu nombreux à venir… Le monde va à sa perte. »

 

Une autre fois, Lambrini vit d’avance la mort de sa nièce. « J’avais reçu l’information selon laquelle ma nièce Cassienne allait mourir le mercredi. Elle est venue me rendre visite le samedi précédent, et m’informa qu’elle s’était mise d’accord avec le prêtre pour que l’on célèbre la Liturgie le mercredi ; elle m’invitait pour que je puisse y participer, car j’avais reçu la bénédiction de l’évêque pour chanter au pupitre en cas de besoin. Je lui dis : « Non, pas mercredi… Ce serait mieux lundi. » Elle insista pour que ce soit le mercredi parce qu’elle s’était déjà engagée auprès du prêtre. Pour lui faciliter la tâche, je suis allée trouver le père moi-même et on a avancé la date. La Liturgie fut célébrée le lundi comme convenu. Nous nous étions préparées et nous avons communié. Cassienne paraissait en pleine forme. Elle m’a remerciée d’avoir aidé pendant l’office et nous nous sommes saluées.

Le mercredi, tôt le matin, le frère de Cassienne l’a appelée au télé­phone pour qu’elle l’accompagne à la clinique, car son épouse Olga était sur le point d’accoucher. Cassienne y est allée, mais peu après la naissance, elle a fait un œdème pulmonaire aigu et s’est endormie dans le Seigneur. C’est pour cela que je vous dis que nous ne savons pas quand nous allons mourir. »

Elle nous rapporta aussi l’évènement suivant : « C’était le tren­tième jour qui suivait la dormition de la petite fille (âgée de sept ans) d’une amie. Le soir, comme d’habitude, j’étais assise dans mon lit, occupée à lire, tandis qu’à côté de moi, mon mari s’était déjà endormi. C’est alors qu’un ange est entré par la fenêtre, apportant cette petite fille tout de blanc vêtue. Je lui ai demandé ce qu’elle voulait encore de ce monde pécheur, et elle me répondit : « Je suis venue pour te voir. Je n’ai réussi à trouver personne pour écouter ma plainte. Mes parents me forçaient à manger pour que je guérisse, alors que je ne manquais de rien. C’est le Seigneur qui a voulu me prendre. Maintenant que je suis morte, je devrais être au paradis, mais deux obstacles m’en empêchent. L’un est causé par mes parents, et l’autre, par moi. Commençons par le premier : cela ne fait même pas quarante jours que je suis morte, et ma mère se trouve déjà en­ceinte. Cela n’aurait pas dû arriver. Mon âme est encore en chemin, je n’ai pas passé tous les péages. Je sais qu’ils m’ont beaucoup pleurée, mais ça n’aurait pas dû se produire. Ils espèrent qu’ils vont me res­susciter de cette façon, mais c’est un garçon qu’ils vont avoir, pas une fille comme ils pensent. Leur comportement a engendré le tourment de mon âme. En ce qui concerne l’obstacle dont je suis moi-même la cause, le voici : la dernière fois que je suis allée à l’école avant de mourir, je n’avais pas de craie ni d’ardoise pour écrire. Une camarade de classe m’a prêté une craie ainsi qu’une nouvelle ardoise, mais je ne les lui ai pas rendues. Demande à ma maman d’en acheter des neuves et de les lui apporter. Pour l’heure, en échange du grand bien que tu vas apporter à mon âme, je vais t’emmener avec moi pour que tu voies la salle que le Seigneur a préparée pour nous, les vierges, nous qui avons épousé le Christ. »

Nous sommes sorties par la fenêtre et nous nous sommes élevées dans les hauteurs. L’ange nous accompagnait en tenant la petite fille par la main. Nous sommes arrivés au paradis. Il y avait plein de maisons magnifiques. Nous sommes allés devant la maison des vierges, mais elle ne me laissa pas rentrer à l’intérieur. Elle avança et me dit : « Toi, tu es encore sur terre, tu ne peux pas entrer ici. » J’ai tout de même pu apercevoir les vierges par la fenêtre, certaines jeunes, d’autres non. Elles portaient des vêtements resplendissants. Elles me dirent : « Ici, nous n’avons jamais d’hiver, ni de pluie, ni de nuit. Nous sommes toujours au printemps. » Une simandre retentit, signifiant l’heure pour elles d’aller prier, et pour nous celle de repar­tir. J’aurais voulu rester, moi aussi, pour apprendre comment elles prient, mais la fillette me dit : « Vous, vous avez les prêtres, les pères spirituels et ils vous disent tout ce qu’il faut. »

L’ange me raccompagna sans dire un mot. Je vis mon corps à demi-mort sur le lit à côté de mon mari. Je suis retournée dans mon corps, j’ai laissé le livre sur la table et je me suis endormie. Le matin, nous devions aller travailler dans le champ de coton, mais je n’ai pas eu la force de m’y rendre. Pendant trois jours, je me suis sentie très fatiguée et j’avais le teint blême.

J’avais demandé à la petite fille : « Si toi, pour une ardoise et une simple craie, tu traverses autant de difficultés, que va-t-il se passer pour nous qui avons commis tant de fautes. » Elle m’avait répon­du : « Cette ardoise et cette craie pèsent sur mon âme autant qu’une charge de cent kilos, tout comme le péché de mes parents. »

C’est pour cela qu’il ne faut rien devoir à personne dans cette vie, si nous voulons jouir des biens du paradis. »

Pendant la Divine Liturgie ou quand elle communiait, Lambrini avait parfois des expériences parmi lesquelles elle dévoila les suivantes :

« Tout ce que nous offrons pendant la Proscomidie — le vin, les bougies, les noms[2] —, des anges les prennent et les portent là-haut.

Une fois, je suis allée à l’église Sainte-Catherine où l’on célébrait la fête d’un saint. J’ai donné au prêtre un petit papier sur lequel étaient inscrits des noms à commémorer. Après la Liturgie, j’ai aperçu mon petit papier par terre devant le sanctuaire. J’en ai été contrariée et j’ai dit : « Ah mon Dieu, ma sainte Catherine, je suis venue ici mais les noms n’ont pas été lus… »

La nuit suivante, une belle jeune femme (sainte Catherine) est venue me voir dans mon sommeil et m’a dit : « Tu as eu peur, ma chère, que les noms n’aient pas été lus ? Pourtant, c’est moi-même qui les ai lus, peu importe que le prêtre ne les ait pas lus. » Elle tenait un papier dans sa main et me le montra. Je reconnus que c’était celui que j’avais écrit et que j’avais donné au prêtre pour la Proscomidie. »

« Le matin, lorsque la Liturgie commence, tout est très beau. Quand le moment de la communion arrive, toute l’église se remplit d’esprits angéliques. Je les vois comme des éclairs. Les anges ailés déambulent avec leurs beaux visages, comme nous les hommes. Eux, dans les hauteurs, et nous, sur terre. Le prêtre proclame d’un côté, le chantre psalmodie de l’autre, et les anges sortent tous pour escorter le prêtre.

Ensuite, quand le saint Calice sort du sanctuaire, je vois le Christ devant les Portes Saintes, et au moment où le prêtre proclame « Avec crainte de Dieu… », le Christ dit : « C’est moi qui suis ici » en mon­trant le saint Calice.

Nous recevons alors véritablement la chair du Seigneur. C’est-à-dire que, dans le saint Calice, c’est vraiment Lui ! Il se fait aussi petit qu’un tout petit enfant, minuscule, avec une toute petite tête, des petits bras, des petites jambes, Lui, le Christ tout entier… À l’in­térieur de la sainte cuiller[3], il y a un tout petit être humain. Et il se donne à toi, à moi, aux autres.

Qui sommes-nous pour recevoir cela ? Et pourtant, nous le rece­vons tous, pécheurs, impurs, mauvais, méchants, meurtriers…

Quand tu te diriges vers le saint Calice pour communier, garde la tête baissée ; pense à qui tu vas trouver face à toi, qui tu es sur le point de rencontrer. Ne regarde pas ce que font les uns et les autres.

Concentre-toi seulement sur le saint Calice. C’est le Christ Lui — même qui le tient, ce n’est pas le prêtre. C’est le Christ qui donne cette toute petite parcelle, et c’est Lui qui discerne qui est prêt à h recevoir. Il ne la donne pas à celui qui n’en est pas digne. Penses-tu qu’à ce moment-là tout le monde communie vraiment ? Non, il n’en est pas ainsi. Seulement celui qui s’est préparé reçoit les Saints Dons. Au moment où tu vas communier, il faut que tu voies le Christ. Tu n’as pas besoin de le voir réellement, mais aie-le au moins à l’es­prit. Ensuite, beaucoup de gens sortent de l’église avant la fin delà Liturgie, avant le « Par les prières de nos saints Pères… » Reste donc un peu pour recevoir la bénédiction. En sortant de la Liturgie, il n’est pas convenable d’aller chez d’autres gens parce qu’on perd la béné­diction. Ce n’est pas bien de sortir et d’aller au marché, par exemple. Si tu as vraiment besoin de quelque chose, demande à quelqu’un qui y va de te l’acheter. Et si tu dois absolument sortir, garde les yeux baissés, fais ce que tu as à faire et rentre chez toi sans tarder. »

« Pour pouvoir communier, il faut se préparer une semaine à l’avance, entre autres par le jeûne. »

La grand-mère Lambrini avait de l’assurance dans sa prière. Les gens qui traversaient des épreuves lui demandaient de prier pour eux et constataient des améliorations.

Un de ses cousins, qui était à l’agonie, ne rendait pas son der­nier souffle. C’était un calvaire pour lui, parce qu’à chaque fois qu’il semblait mourir, il reprenait vie de nouveau. Sa femme demanda à Lambrini de venir prier pour le malade. Celle-ci hésita parce qu’elle craignait de le faire mourir, mais elle y alla finalement et discuta un peu avec lui. Son cousin était une bonne personne, mais il buvait. Elle l’incita à se confesser, puis, pendant qu’elle priait, il rendit pai­siblement son âme.

Son petit-fils, âgé de cinq ans, était tombé malade. Ses parents l’avaient envoyé se faire soigner en Russie et s’apprêtaient à s’y rendre une deuxième fois pour lui faire subir une seconde intervention. La grand-mère Lambrini ne voulait pas qu’ils y aillent, parce qu’elle savait que même s’il survivait, il ne guérirait jamais. Le dernier soir, elle entra dans sa chambre et éclata en sanglots, implorant Dieu dans sa prière : « Prends-le sur Ton trône, dans les Cieux, au lieu de l’emmener en Russie ! C’est un petit ange. Et rends-moi digne, mon Dieu, de voir mon petit-fils se lever de ton trône pour venir me prendre, moi aussi. »

Elle entendit un « oui » dans sa prière et remercia le Christ. À trois heures du matin, le petit garçon s’endormit dans le Seigneur. Si grand-mère en pleura de joie et prépara le nécessaire pour confec­tionner une prosphore.

La grand-mère Lambrini n’avait jamais renoncé à son désir d’em­brasser la vie monastique. Ainsi, après la dormition de son mari, elle décida de concrétiser ce souhait. Âgée d’environ soixante-dix ans, elle se rendit dans un monastère de la région où, selon la règle quelle reçut du père spirituel, elle restait chaque année cinquante jours au moment de Pâques, quarante jours pour la Nativité et quinze jours pour la Dormition de la Mère de Dieu. Elle demanda elle-même à rester définitivement au monastère, mais comme le père spirituel était mort entre-temps, les moniales refusèrent. Une fois encore, avec patience et obéissance, la grand-mère Lambrini accepta leur décision et retourna paisiblement chez elle, où elle poursuivit ses combats et se prépara à sa dormition.

 

Témoignages

André Nicolas de Kolomodia près d’Arta raconte :

« Mes parents, et surtout ma grand-mère, me parlaient depuis que j’étais petit de la grand-mère Lambrini et de ses charismes. Ma grand-mère en particulier, la suivait partout, dans toutes les églises où elle allait, et marchait avec elle pendant des heures pour atteindre n’accordais pas une grande importance à tout ce que j’entendais au sujet de ses interminables prières, son maigre temps de sommeil (deux heures par jour), ses charismes… Je la res­pectais seulement comme une simple grand-mère quelle était. Mais ensuite, en grandissant, j’ai compris qu’elle se soumettait avec joie à de durs et grands combats (jeûnes, veilles). À chaque fois quelle communiait à l’église, je remarquais que son visage resplendissait. Quand elle me croisait, après la Divine Liturgie, elle me caressait doucement la tête, et je ressentais à cet instant que je ne touchais plus terre. Tout cela contribuait à ce que je souhaite passer plus de temps avec elle.

Un été, tandis que je venais de terminer ma première classe du pri­maire, la grand-mère Lambrini accompagnée de quelques femmes se rendit dans l’église des Taxiarques dans le village de Loutrotopos, près d’Arta. J’y suis allé moi aussi, avec ma mère. Nous nous sommes installés dans l’église où nous sommes restés dormir. Dans la nuit, pendant que la grand-mère chantait, tenant un livre dans ses mains, je me suis levé et j’ai fait le tour de l’église. Elle n’était éclairée que par quelques cierges allumés. J’ai ouvert la porte du sanctuaire et je suis entré à l’intérieur. J’ai avancé vers l’autel, mais je me suis arrêté net. J’avais entendu des bruits de pas qui s’approchaient. J’ai alors remarqué deux ou trois ombres autour de l’autel qui se sont dirigées vers moi et m’ont complètement entouré. J’ai eu si peur que je suis vite ressorti du sanctuaire. Ma mère, qui s’était mise à ma recherche, me gronda en me retrouvant. La grand-mère Lambrini lui dit : « Ne le gronde pas. C’est un petit enfant sans péché. Si tu savais quelles puissances angéliques l’ont entouré ! » J’ai compris qu’elle avait vu la même chose que moi, bien qu’elle se soit trouvée en dehors du sanc­tuaire. Cette nuit-là, j’ai réalisé que la grand-mère Lambrini n’était pas un être humain comme les autres.

Une fois parvenu à l’âge adulte (l’Ancienne, quant à elle, avait plus de quatre-vingts ans), je suis retourné lui rendre visite. Je l’ai trouvée dans sa cour, près de la fontaine ; avant de la saluer, j’ai remarqué que la courbure de son dos s’était accentuée. Comme si elle avait lu dans ma pensée, elle releva la tête au même instant et me lança : « Tu as vu, mon petit enfant, comment je suis devenue, à force de passer toute la journée penchée dans les livres, avec beaucoup de prières et de repentir, pour essayer d’obtenir, moi aussi, une petite place dans la maison du Seigneur. »

Elle se distinguait par sa grande humilité. Elle disait : Moi, je ne suis rien. Une pauvre paysanne illettrée. » Malgré son peu d’instruc­tion, elle était très à l’aise en compagnie de personnes cultivées. Elle disait en dix minutes ce que d’autres ne parvenaient pas à exprimer en plusieurs heures. Je me souviens que notre professeur de théologie avait essayé de nous expliquer ce qu’était un miracle. Il y avait passé une demi-heure, sans que nous ayons finalement compris grand- chose. Quand j’ai interrogé la grand-mère Lambrini à ce sujet, elle me dit : « C’est très simple : ce qui est impossible à l’homme est pos­sible à Dieu. »

À cette époque, à la télévision, on nous montrait les églises de Chypre sous occupation turque, transformées en étables ou en en­trepôts. J’ai demandé à la grand-mère ce que le Seigneur pensait de tout cela. Son visage s’assombrit et elle me répondit : « Depuis que les Turcs ont transformé Sainte-Sophie en mosquée, la Mère de Dieu n’est plus à l’intérieur de l’église ; elle se tient près de la porte, et elle pleure. Elle pleure sans cesse parce qu’on lui a pris sa maison. Si tu pouvais voir comment pleure la Toute-Sainte, tu en perdrais le sommeil pendant plusieurs jours… » Elle fut saisie par l’émotion pendant quelques instants, puis elle reprit : « Tu vas voir ce que va bientôt subir la Turquie. » En effet, de graves séismes survinrent quelques mois plus tard[4].

Je lui demandai un jour s’il existait en Grèce des personnes ayant le même don quelle. Après avoir regardé le ciel un instant, elle me répondit : « Oui, il y en a, parce que notre foi est vivante. L’un d’entre nous est très élevé aux yeux du Seigneur. Il réside à la frontière al­banaise. J’y suis allée cinq ou six fois ; j’y étais encore la semaine dernière. » Elle rayonnait de joie en évoquant cela.

Parfois, elle mentionnait des événements qui allaient avoir lieu dans le futur. Par exemple : « Tu verras des choses que tu ne peux pas imaginer. Tu vas voir des vagues hautes comme des maisons de deux étages détruire des villes, des villages, et peu nombreux sont ceux qui survivront. » Quelques mois après sa mort, un tsunami provoqua la mort de plusieurs milliers de personnes. « Tu verras des enfants partir en excursion scolaire, et le diable sortir sa faux pour les emporter avec lui ». Effectivement, l’accident d’un car scolaire de Macédoine survint peu après et causa de nombreuses victimes. En 1980, elle annonça des évènements qui se réalisent aujourd’hui : « Vous laisserez vos voitures au garage parce que le carburant deviendra trop cher. » « Les femmes accoucheront rarement par les voies naturelles. » « Les gens se marieront par le biais d’un simple contrat. » Elle me disait aussi : « Il ne faut pas que je t’en révèle davantage, parce que ce serait une faute. Pour chaque chose que je te dis, le Seigneur me donne sa permission. »

Quand je lui ai rendu visite le 7 septembre 2002, elle semblait m’attendre. Elle m’annonça : « Dans quelques jours, je vais quitter cette vie. Si tu savais avec quelle joie j’attends cet instant. » Elle me prodigua de nombreux conseils, parmi lesquels celui de jeûner le mercredi et le vendredi, de ne pas travailler les jours de fêtes, de par­ticiper aussi souvent que possible à des agrypnies… Puis elle ajouta : « Quand tu auras besoin de moi, tu viendras sur ma tombe. Ce sera là ma maison désormais. Tu me demanderas de l’aide et j’intercéde­rai pour toi auprès du Seigneur. Il faut seulement que ta demande soit conforme à la parole de Dieu. » »

Vassiliki Tsourmanas de Komméno, près d’Arta, témoigne :

« La première fois que j’ai entendu parler de Lambrini et de ses dons spirituels, c’était dans une église d’Arta. J’ai éprouvé le vif désir de la rencontrer. Avec une de mes amies qui la connaissait déjà, nous sommes allées la voir, dans sa pauvre petite maison. Depuis ce jour — là, jusqu’à sa dormition, soit pendant quarante ans environ, je l’ai presque toujours suivie à l’occasion des pèlerinages et des Liturgies quelle organisait dans les églises où nous passions parfois la nuit.

L’Ancienne Lambrini passait beaucoup de temps à lire et à prier. Elle dormait très peu. Un jour, je lui ai demandé de m’aider car mon mari jouait aux cartes et négligeait notre foyer. Nous étions dans une impasse. « Ne crains rien, me dit-elle, le Seigneur Jésus-Christ va tout mettre en ordre. Il suffit que tu aies foi en Lui. » Elle me demanda de me réveiller chaque nuit à trois heures du matin pendant quarante jours, de prier et de faire quarante métanies. Elle me donna quelques prières à lire, et me dit qu’elle prierait elle aussi pour que le Seigneur nous aide.

Je fis donc comme elle me l’avait prescrit, en cachette de mon mari, et quarante jours plus tard, tout changea subitement. Mon mari cessa de jouer aux cartes, il commença à se préoccuper de notre famille et de nos champs, et nos finances s’améliorèrent.

Une fois, j’ai passé la nuit dans une église avec 1 Ancienne Lambrini et d’autres femmes. Quand elle eut fini ses prières, elle s’allongea pour dormir. Moi, je ne trouvais pas le sommeil. J’entendis alors Lambrini gémir dans son sommeil, comme si elle était en train de travailler péniblement. Cela dura un petit moment. Je me suis levée et j’ai touché ses mains et ses pieds : c’était comme si je touchais le corps d’un défunt… Je compris que son esprit était parti de son corps. Au petit matin, je l’entendis de nouveau, comme si elle était essoufflée. « Elle doit être revenue maintenant », ai-je pensé. À son réveil, je lui demandai : « Tu es partie cette nuit ? Où es-tu allée ? » Elle me donna la réponse suivante : « J’ai emmené unetelle (une des femmes de notre groupe), et je l’ai présentée au Seigneur. »

Quelque temps plus tard, j’ai été confrontée à un sérieux pro­blème de santé : cela faisait six mois que de fortes douleurs de dos me clouaient au lit. J’avais beau consulter médecin sur médecin, mon état empirait au point de ne plus pouvoir bouger. Un jour, l’Ancienne Lambrini est venue me rendre visite. « Ne t’inquiète pas, me dit-elle, tu seras parfaitement guérie très bientôt. » Le même jour, une de mes amies me dit qu’avant de venir chez moi, Lambrini avait passé beaucoup de temps à l’église, agenouillée devant l’icône de la Dormition de la Mère de Dieu, à laquelle l’église est dédiée. Quelques jours plus tard, grâce à l’aide d’un certain médecin, j’ai pu remarcher normalement. Depuis ce jour, c’était il y a dix-huit ans, je n’ai plus jamais éprouvé le moindre souci.

Bien que l’Ancienne Lambrini se soit endormie dans le Seigneur, je continue à l’invoquer quand je traverse des moments difficiles, et je ressens toujours son aide. Un été, j’ai souffert de terribles maux de tête et de vertiges, peut-être à cause de la canicule. J’ai imploré son aide un soir, avant de me coucher. Cette nuit-là, je l’ai vue dans mon sommeil. Elle s’est mise au-dessus de moi et m’a recouverte d’un drap. Le lendemain matin, je me suis levée débordante de santé ! »

Maria Dragatakis d’Arta rapporte ceci : « J’ai beaucoup appris au contact de la grand-mère Lambrini, en participant aux pèlerinages quelle organisait ou en l’accompagnant à ses innombrables nuits de prière. Elle m’appelait « mon enfant », et ça m’allait droit au cœur. Avec patience, elle écoutait les problèmes que je lui confiais et aux­quels elle trouvait toujours une solution. Elle menait une sainte vie et elle était très humble. Je ne sais par où commencer… Par l’aide quelle apporta à ma mère ? Par ses prédictions et les prières quelle fit pour mes enfants ? Par sa sollicitude envers moi ? Suite à une opération chirurgicale, j’avais perdu le sommeil. Me sentant perdue et désespérée, je suis allée frapper à sa porte en pleine nuit pour lui demander de l’aide. Je l’ai trouvée en train de prier, trempée de sueur, à genoux au milieu de cierges et de bougies allumés. Elle me demanda : « Mon enfant, que t’arrive-t-il le soir ? » Elle me bénit d’un signe de croix et je me suis sentie apaisée. Je souhaite que tout aille bien pour la grand-mère Lambrini, là où elle se trouve maintenant, et qu’elle intercède pour nous tous. »

A. G. raconte :

« J’ai connu l’Ancienne Lambrini quand j’étais pe­tit, parce qu’elle venait régulièrement chez nous pour rendre visite à ma grand-mère grabataire. Je la prenais pour une simple grand-mère sans instruction, mais comme certains parlaient d’elle avec dévo­tion, je lui ai rapporté une bénédiction de mon premier pèlerinage au Mont-Athos en 2002. En entrant dans sa petite cellule, j’ai eu l’impression de me trouver face à un géant. Je me suis rendu compte, sans pouvoir expliquer comment, que cette grand-mère était très éle­vée spirituellement, tellement élevée qu’en dépit de son apparence physique toute fluette, il m’était difficile de la contempler.

Notre conversation prit des allures de festin spirituel. À cette époque, j’étais fortement préoccupé par le débat qui avait cours au sujet des nouvelles cartes d’identité. Avant que j’aie le temps de dire quoi que ce soit, elle déclara : « Nous ne devons pas accepter les cartes d’identité avec la puce électronique[5]. » Lors de mes visites ultérieures et jusqu’à sa dormition, j’ai eu l’occasion de constater qu’elle était dotée des charismes de clairvoyance et de prévoyance. Elle mention­nait des faits que la logique humaine ne pouvait pas concevoir ou des évènements qui concernaient mon avenir et qui se vérifièrent. Il arri­va plusieurs fois qu’une question me vienne à l’esprit pendant qu’elle discutait avec d’autres personnes ; elle interrompait sa conversation au même instant, répondait à mon interrogation, puis reprenait sa discussion.

En mai 2002, elle m’annonça qu’elle allait partir quelques mois plus tard. Quand elle vit à quel point cela m’affectait, elle ajouta : « Oh, je dis ça comme ça… Quelques mois, ça peut être quelques années… » Mais elle mourut effectivement quelques mois plus tard, en octobre 2002. Son âme partit rejoindre le Seigneur quelle avait tant aimé depuis toujours. »

 

Dormition

Le dernier dimanche où elle se rendit à l’église, elle communia et lut chez elle les prières d’action de grâce. Le lundi, elle étala tous ses livres sur son lit. Un à un, elle les ouvrit, en lut un passage, les bénit d’un signe de croix, les embrassa et les mit de côté. Elle les salua à sa manière, eux qui avaient été sa plus précieuse compagnie pendant de nombreuses années. Le mardi, elle invita sa fille à venir dire la Paraklisis avec elle. En terminant, elle dit : « Je te remercie, ma Toute-Sainte, de m’avoir permis de dire cette Paraklisis. Parce que j’ai encore beaucoup de prières à faire avant jeudi. » Sa fille lui de­manda ce qu’elle avait prévu de faire ce jeudi, ce à quoi elle répondit : « Je vais aller à l’endroit pour lequel j’ai travaillé, si j’ai bien travail­lé… » Le mercredi, elle demanda à voir ses petits-enfants. « Demain, je vais partir », leur annonça-t-elle. Le soir, elle dit à l’une de ses nièces : « Maintenant, je vais partir. Va prévenir Stathoula qu’elle ne le prenne pas mal. Je demandais à Dieu de me laisser vivre jusqu’à ce que Stathoula ait mûri et soit en mesure de comprendre ce que c’est que l’autre vie. »

Elle se releva sur son lit un instant, ouvrit grands ses bras et dit à tous ceux qui se trouvaient là : « Venez maintenant, allons tous ensemble à Jérusalem ! » Elle les prit tous dans ses bras, puis elle fit le signe de croix sur son oreiller, se signa la poitrine et s’allongea.

Stathoula demanda à tout le monde de sortir, puis avec son mari, ils allumèrent des cierges et lurent les prières, suivant scrupuleuse­ment la consigne que sa mère lui avait laissée. Quand ils eurent ter­miné les prières, ils entendirent un léger soupir, et Lambrini Vetsios rendit son âme à Dieu, comme un petit oiseau, en ce jeudi 17 oc­tobre 2002.

Aujourd’hui encore, beaucoup de gens viennent se recueillir sur son tombeau et le vénèrent. Ils y prient et y puisent du courage.

Une femme, à qui Lambrini prodiguait ses conseils, était très in­quiète parce que son mari devait subir une grave intervention car­diaque. Après avoir vénéré son tombeau et avoir prié avec son mari, elle vit dans son sommeil la grand-mère Lambrini lui dire : « Ne t’inquiète pas. Ton mari va guérir. Seulement, avant d’aller à l’hôpi­tal, tu vas préparer une prosphore et tu vas l’apporter à l’église. » Elle confectionna une prosphore et tout se passa bien.

Telle était Lambrini Vetsios. Une ascète faisant de grands jeûnes, des agrypnies quotidiennes, priant et étudiant sans relâche. Elle ai­mait le Christ, parlait de lui sans cesse et toutes les cellules de son corps étaient habitées par Lui. La grâce quelle avait reçue lui per­mettait de venir en aide aux gens. Elle fut digne de contempler, pen­dant cette vie terrestre, le paradis et l’enfer. Pendant qu’elle priait, elle recevait la visite du Christ, de la Mère de Dieu, des saints, et s’entretenait avec eux. Elle connaissait les évènements à venir et pré­disait que des années difficiles nous attendaient. Elle avait de la peine pour les petits enfants et se lamentait : « S’ils savaient ce qu’ils vont endurer ! » Mais elle ajoutait sans tarder : « À la grâce de Dieu. Le Seigneur viendra en aide aux Chrétiens. » Elle précisait que le Christ ne lui permettait pas d’en dire davantage.

Mémoire éternelle !

[1] Leucade est une île de la mer ionienne située à environ 130 km du village de Lambrini

[2] Les noms des vivants et des défunts qui sont commémorés

[3] Qui sert à donner la Communion

[4] En août et en novembre 1999, la Turquie fit frappée par deux séismes majeurs provoquant respectivement la mort de 20 000 et de 900 personnes, pour un total d’environ 50 000 blessés.

[5] Un débat passionné agita la Grèce dans les années 2000, au moment de la mise en circulation de nouvelles cartes d’identité conformes aux normes européennes, ne mentionnant plus I appartenance religieuse et comportant un code électronique. Certains ont vu dans la numérisation des identités un premier pas vers le « χάραγμα », la marque de la Bête mentionnée dans l’Apocalypse 13, 16-18.


Hiéromoine Euthyme, Ascètes au milieu du monde, Traduit du grec par Marie Davean, Grands spirituels orthodoxes du XXe siècle, Éditions des Syrtes, Genève, 2021, p. 293-309

 


 

 

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