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Saint Jean Chrysostome – Ce qui rend l’année heureuse

30 décembre 2022
Cette homélie fut prononcée le 1er janvier, jour auquel les Romains avaient coutume de faire à leurs amis les petits cadeaux nommés xenia, de donner de grands festins et de se livrer à des réjouissances publiques que souillaient ordinairement les débauches et les superstitions d’un peuple dissolu.

 

 

Ceux qui croient que le moyen de passer toute l’année dans la joie et dans les plaisirs est de s’y livrer dès le premier jour, sont dans une grossière erreur.

La prière comme la charité possède une puissance, une efficacité qui ne se laissent pas restreindre par les lieux et les distances l’une réunit ceux qui sont séparés ; l’autre secourt les absents. Marchons donc sans crainte au combat : à nous aussi une guerre est déclarée aujourd’hui, non point par des Amalécites envahisseurs, ou par des barbares survenus à l’improviste, mais par les démons traînant sur le forum leurs pompes triomphales.

Les veillées diaboliques qui se font aujourd’hui, et les bouffonneries, et les grossiers quolibets, et les sarcasmes échangés entre vous et les danses nocturnes, et les ridicules comédies tiennent notre cité captive plus misérablement que ne ferait le pire ennemi. Nous devrions nous attrister, pleurer, rougir de honte : ceux qui ont péché, à cause de la faute qu’ils ont commise ; ceux qui n’ont pas péché, à cause des turpitudes dont ils voient leurs frères souiller leur conduite : au lieu de cela, la ville rayonne de joie et d’éclat sous ses guirlandes de fleurs ; voyez le forum ! il ressemble à une femme élégante et recherchée qui étale avec orgueil ses plus magnifiques ornements, l’or, les étoffes de prix, les riches chaussures et mille objets du même genre ; chaque marchand, dans son magasin, s’efforce par la richesse de son étalage de surpasser son concurrent. Cette rivalité est sans doute un signe de puérilité ; la marque d’une âme qui ne pense à rien de grand ni d’élevé ; mais elle n’entraîne pas avec soi les plus graves inconvénients ; c’est une sollicitude d’étourdis qui prête à rire aux gens sérieux en effet si vous voulez orner quelque chose, ornez votre cœur et non pas une boutique ; parez votre intelligence et non pas le forum, afin de mériter l’admiration des anges, l’approbation des archanges et les dons rémunérateurs du Seigneur même des anges. L’étalage qui se fait aujourd’hui dans toute la ville provoque d’une part l’envie de rire, et de l’autre la jalousie : le rire, de ceux qui ont le cœur haut placé, la jalousie et l’envie, de ceux qui partagent la même fièvre.

Mais, comme je viens de le dire, ces rivalités de marchands ne sont pas le mal le plus déplorable ; les jeux des tavernes me font plus cruellement souffrir ; ils regorgent d’impiété et d’intempérance : d’impiété, parce que là on consulte superstitieusement les jours, on croit aux augures, on s’imagine qu’en passant dans la joie et le plaisir la nouvelle lune de ce premier mois, on obtiendra de passer de la même façon tout le reste de l’année ; d’intempérance, parce que dès l’aube du jour, hommes et femmes remplissent les bouteilles et les coupes, et boivent le vin eu francs débauchés. Voilà qui est indigne de votre profession de chrétiens, soit que vous le fassiez vous-mêmes, soit que vous le permettiez à vos serviteurs, à vos amis, à vos proches. N’avez-vous pas entendu ces paroles de saint Paul : Vous observez les jours, les mois, les saisons et les années : Je crains pour vous que je n’aie travaillé en vain parmi vous ? (Gal. X, 11.) Du reste, c’est le comble de la sottise de s’imaginer que si le premier jour de l’an se passe dans la joie, toute la suite de l’année lui ressemblera ; non-seulement c’est une sottise ; mais encore une résolution inspirée par le diable lui-même, que de confier la direction de notre vie non pas à notre activité personnelle et à notre zèle, mais à certaines révolutions des astres et des temps.
 

 

Le vrai moyen d’être heureux toute l’année, c’est de la commencer et de la continuer dans la crainte du Seigneur et l’observation de ses commandements.

L’année vous sera bonne tout entière, non pas si vous vous enivrez à nouvelle lune ; mais si ce jour-là, comme les autres jours, vous vous conduisez selon l’ordre Dieu. Un jour ne diffère pas d’un autre jour ce n’est point par sa nature que le jour est ou mauvais, mais par notre activité ou notre paresse. Pratiquez la justice, et le jour vous sera bon ; si vous commettez le péché, il sera pour vous une source de maux et de tourments. Si vous comprenez sagement ces choses, si vous êtes disposés à répandre chaque jour l’aumône avec la prière, vous aurez toute une année de bonheur ; au contraire, si, négligeant le soin de votre propre vertu, vous confiez le bonheur de votre vie aux influences chimériques des commencements de mois et des nombres de jours, vous resterez dénués des biens qui conviennent à votre nature. Le démon connaît cela ; et, comme il s’étudie à briser en vous l’effort et le travail pour la vertu, à éteindre le zèle de votre âme, il vous apprend à attribuer à l’influence des jours le succès ou l’insuccès de vos affaires.
 

 

Les jours ne se divisent pas en jours heureux et jours néfastes.

Qu’un homme se persuade que les jours sont par eux-mêmes ou bons ou mauvais ; dès lors, le mauvais jour venu, il ne prendra plus souci de faire aucune bonne action, comme si l’influence inévitable de ce jour funeste devait rendre son travail inutile et sans profit ; par contre, le bon jour étant arrivé, il ne fera rien du tout, comme si l’influence favorable devait neutraliser les funestes effets de sa paresse. De la sorte il sacrifie des deux côtés son salut ; il en néglige le soin, d’une part comme inutile, de l’autre comme superflu ; en conséquence il passe sa vie dans l’insouciance et le péché. Il faut donc déjouer les artifices du démon, puisque nous les connaissons ; rejetons loin de nous la coutume détestable d’observer les jours, de craindre les uns et d’avoir confiance dans les autres. Ce n’est pas seulement pour nous jeter dans une lâche nonchalance que l’esprit de malice invente tous ces artifices, mais encore pour tourner en dérision les œuvres de Dieu ; il veut entraîner nos âmes à l’impiété aussi bien qu’à la paresse.
 

 

Celui qui a la conscience pure est toujours en fête ; celui qui l’a chargée de crimes est toujours misérable, quoi qu’il fasse

Sortons de là et regardons comme certain qu’il n’y a rien de mauvais que le péché, rien de bon que de pratiquer la vertu et de servir Dieu en tout et toujours. La joie de l’âme vient non pas de l’ivresse, mais de la prière intérieure ; non pas du vin, mais de la parole sainte qui nous éclaire. Le vin produit la tempête, la parole de Dieu fait le calme ; il introduit le tumulte en nous, elle en chasse le trouble ; il obscurcit l’intelligence, elle en illumine les ténèbres ; il amène des chagrins avant lui inconnus, elle dissipe ceux que nous avions auparavant. Rien n’enfante la joie et l’allégresse autant que les enseignements de cette sagesse chrétienne qui nous apprend à dédaigner les choses présentes pour aspirer à celles de l’avenir, à ne regarder comme stable et solide rien de ce qui est humain, ni richesses, ni puissance, ni honneurs, ni train de maison. Voilà la vraie philosophie, qu’elle vous guide et vous ne serez jamais rongés par l’envie quand vous verrez un riche ; vous ne vous laisserez point abattre quand vous tomberez dans la pauvreté. Vous vivrez ainsi dans une fête perpétuelle. Le chrétien doit passer dans l’allégresse non-seulement tel mois, telle nouvelle lune, tel dimanche ; sa vie tout entière doit être une fête appropriée à sa nature. Quelle est cette fête qui lui convient ? Écoutons saint Paul : Célébrons donc notre fête, non pas avec le vieux levain de la malice et de la corruption, mais avec le pain nouveau de la sincérité et de la vérité. (I Cor. V, 8.) Si vous avez la conscience pure, vous célébrerez une fête sans fin, nourris des plus belles espérances, délectés par l’attente des biens éternels. Si, au contraire, vous n’avez pas une conscience tranquille, si vous êtes inquiétés par le remords de vos crimes, vous auriez beau célébrer toutes les réjouissances possibles, votre sort ne vaudrait pas mieux que celui des plus misérables. À quoi peut me servir l’éclat d’un beau jour, si les reproches de ma conscience obscurcissent mon âme ? Voulez-vous donc tirer quelque profit de la nouvelle lune ? Faites ceci : dès que vous verrez l’année tirer vers sa fin, rendez grâces au Maître qui vous a conduits à une nouvelle période du temps ; faites pénétrer la componction dans votre cœur ; dressez le compte de votre vie ; dites-vous à vous-mêmes « Les jours fuient et disparaissent, les années s’écoulent, la majeure partie de mon existence est achevée : qu’ai-je fait de bon ? Est-ce que je vais partir d’ici les mains vides, sans une œuvre de justice ? Le tribunal de Dieu est à ma porte, et voilà que ma vie décline vers la vieillesse. »

Méditez ces pensées à l’occasion de la nouvelle lune, réfléchissez de la sorte sur la succession rapide des années. Ayez toujours présente à l’esprit la pensée du dernier jour, afin qu’on ne vienne pas vous dire la parole prononcée par le Prophète contre les Juifs : Leurs jours se sont dissipés dans le vide et leurs années se sont enfuies rapidement. (Psaum. LXXVII, 33.) Cette fête dont je vous parle, fête perpétuelle qui n’attend pas le retour des années et qui ne se mesure pas à la révolution du temps, est le partage du pauvre aussi bien que du riche ; elle n’exige ni argent ni abondance des choses matérielles, mais la vertu toute seule. Vous n’avez pas d’argent ? Consolez-vous, vous avez un trésor plus abondant que toutes les richesses, un trésor que rien ne peut détruire, ni disperser, ni épuiser : la crainte de Dieu. Regardez le ciel et le ciel des cieux ; voyez la terre, l’océan, l’atmosphère, les races d’animaux, les espèces de plantes, les hommes, enfin ; considérez les anges et les archanges, et toutes les puissances célestes : tout cela est au pouvoir de votre Maître. Il est impossible qu’un serviteur ne soit jamais pauvre auprès d’un maître si riche, quand il possède son amitié. — Observer les jours n’est pas le fait d’un sage chrétien : c’est une superstition païenne. Vous avez pris rang dans la céleste cité, vous avez été admis au royaume de Dieu, vous vous êtes mêlés au peuple angélique ; là resplendit une lumière qui ne s’éteint jamais dans les ténèbres, un jour qui ne se termine jamais en nuit, lumière éternelle, jour perpétuel ! Fixons-y nos regards. Cherchez les choses d’en-haut, les choses du ciel où Jésus-Christ siège à la droite de Dieu. (Coloss. III, 1.) Vous n’avez rien de commun avec ce monde où s’accomplissent le cours et les révolutions du soleil et des temps ; si vous menez une bonne vie, la nuit vous sera le jour ; ceux, au contraire, qui passent leur temps dans la débauche, l’ivrognerie, l’intempérance, changent leur jour en ténèbres profondes ; non pas que le soleil leur fasse défaut ; mais la débauche couvre leur âme d’une épaisse nuit. Avoir des jours pareils en admiration, y prendre plus de plaisir qu’en toute autre époque, illuminer la place publique et l’orner de guirlandes, c’est une puérile démence. Si vous êtes affranchis de cette imbécillité, si vous êtes parvenus à l’état d’hommes, si vous êtes citoyens du royaume de Dieu, n’allez plus allumer au forum une lumière matérielle, mais allumez dans vos esprits la lumière spirituelle ; que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos œuvres et rendent gloire à votre Père céleste. (Matth. V, 16.) Cette lumière vous procurera une magnifique compensation. Ce n’est pas votre porte qu’il faut couronner de fleurs en guirlandes ; arrangez et embellissez votre vie de telle sorte que vous puissiez recevoir de la main du Christ, et poser sur votre front la couronne de justice. Ne faites rien à la légère, rien à l’étourdie : saint Paul ordonne que nous accomplissions toutes nos actions pour la gloire de Dieu. Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. (I Cor. X, 31.)

Mais, direz-vous, comment est-il possible de boire et de manger pour la gloire de Dieu ? Comment ? Eh bien ! allez chercher un pauvre, et, en sa personne, donnez à Jésus-Christ place et part à votre table. Ce n’est pas seulement le manger et le boire que, selon le conseil de l’Apôtre, nous devons rapporter à la gloire de Dieu, mais encore tout le reste de nos actions ; ainsi, aller au forum, rester à la maison, sont deux choses qu’il faut faire servir à la gloire de Dieu : de quelle manière ? Lorsque vous vous rendez à l’église, lorsque vous allez prendre part à la prière commune et à la distribution de l’enseignement spirituel, vous faites une démarche pour la gloire de Dieu. Restez-vous à la maison ? ce peut être encore pour Dieu ; et comment ? Lorsque vous entendez le bruit des rassemblements tumultueux et des pompes diaboliques, lorsque la place publique se remplit de gens sans mœurs et sans frein, fuyez cette foule et ce sera pour Dieu que vous garderez le logis. De même que vous pouvez pour Dieu sortir ou demeurer chez vous, de même vous pouvez pour la gloire de Dieu donner à votre prochain le blâme et l’éloge.

Comment peut-on, pour la gloire de Dieu, louer ou blâmer quelqu’un ? Je m’explique. Souvent vous allez vous asseoir dans les boutiques, vous voyez passer des hommes sans probité et sans vertu, hauts du sourcil, bouffis de vanité, qui traînent derrière eux une troupe de parasites et de flatteurs, qui s’enveloppent de vêtements superbes et de toutes les fantaisies du luxe : ce sont des pillards et des avares. Alors, si vous entendez quelqu’un s’écrier : « Voilà un personnage dont j’envie le sort ; qu’il est heureux ! » protestez, blâmez ce mot, fermez la bouche à cet étourdi, prenez en pitié cet homme et gémissez sur son sort voilà un blâme qui tourne à la gloire de Dieu. Le blâme, en cette circonstance, devient pour tous les assistants une leçon de sagesse et de vertu ; il leur enseigne à ne pas admirer si sottement ce qui ne sert qu’à la vie matérielle. Demandez à celui qui a parlé pourquoi il trouve si heureux le personnage en question ; Est-ce parce qu’il possède un beau cheval dont le frein étincelle d’or ? Est-ce parce qu’il a de nombreux domestiques ? Est-ce parce qu’il porte de splendides vêtements, et qu’il se vautre quotidiennement dans l’ivrognerie et la volupté ? Mais c’est précisément pour tout cela que je le trouve malheureux, misérable, digne de toutes mes larmes ! de voir que vous ne pouvez louer rien qui fasse partie de lui-même ; vous louez son cheval et le frein, vous louez ses habits, toutes choses extérieures qui ne tiennent nullement à sa personne. Dites, qu’y a-t-il de plus misérable qu’un homme qui ne mérite d’éloges que pour des chevaux, des harnais, des vêtements splendides, des esclaves bien bâtis et bien étoffés, mais rien pour lui personnellement ? Qu’y a-t-il de plus pauvre qu’un homme qui, ne possédant rien en propre, rien qu’il puisse emporter de ce monde, tire toute sa valeur et tout son lustre des choses extérieures ? Notre ornement personnel, notre richesse personnelle, ce ne sont ni les chevaux, ni les esclaves, ni les vêtements, mais la force d’âme, l’abondance des bonnes œuvres, et l’assurance de la conscience en face de Dieu.
 

 


« Homélie sur les Calendes »

 Saint Jean Chrysostome, Œuvres complètes traduites pour la première fois en français sous la direction de M. Jeannin. Tome deuxième, p. 449-453, Arras, 1887


 

 

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