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Sévérien de Gabala – Le Dieu qui s’abaisse

23 avril 2022

La création, et dans son ensemble et dans sa disposition parti­culière, proclame la miséricorde et l’amour de Dieu. Car il n’est pas de chose visible qui ne proclame sa bonté : le ciel, la terre, la mer, le monde visible et l’univers invisible, tout doit à la miséricorde de Dieu son devenir, son être et sa conservation. C’est donc à bon droit que le bienheureux David proclame la miséricorde de Dieu à partir de sa bonté : « Le Seigneur est miséricordieux et juste, notre Dieu est compatissant ».
 

 

Il associe la justice à la bonté et il appelle bon celui qui est juste afin que, si tu l’entends appeler juste, tu craignes le jugement, si tu l’entends appeler bon, tu recoures au repentir. Il se refuse à isoler la bonté comme à présenter la justice toute seule. S’il avait annoncé la justice seule, ce serait la condamnation de ceux qui se fient à la miséricorde; s’il n’avait parlé que de la bonté, ce serait pour les pécheurs la voie ouverte au mépris. « Il est bon, compa­tissant et juste. » Il a donc uni la bonté à la justice et il a placé au commencement et à la fin du verset la miséricorde.

Tout en effet a commencé à partir de la bonté et s’est terminé dans la bonté. Le ciel a été produit par la bonté de Dieu et non pour l’utilité de Dieu. Depuis la création du ciel il ne s’est pas écoulé six mille ans, mais avant les cieux, avant ces siècles infinis et qui n’ont pas de commencement, Dieu existe et existait et le terme existait doit s’entendre au-delà de tout instant conçu par la pensée. Le ciel n’a donc pas été créé pour l’usage de Dieu, mais il est une œuvre de sa bonté. Aussi les cieux proclament non pas l’indigence de Dieu, mais sa gloire.

Sans doute il est écrit : « Notre Dieu est dans les cieux supérieurs ». Ce qui veut dire, non pas que Dieu aurait besoin du ciel, mais qu’il se repose au milieu des anges dans le ciel. Souvent, en effet, l’Écriture désigne par le ciel les anges dans le ciel, de même que la terre signifie les hommes qui sont de la terre. Dans le même sens, l’histoire pour indiquer l’heure du repas dit : Toute la terre prenait son repas pour : il était l’heure du repas. Elle appelle donc terre les hommes de la terre et ciel les anges qui sont dans le ciel. C’est ce que montre aussi ce passage : « Que les cieux se réjouissent et que la terre soit dans l’allégresse ». Ces glorieux habitants du ciel, les anges, pourquoi doivent-ils se réjouir? À cause du salut du monde. Et qui nous garantit cette réponse? Le roi des anges en personne lorsqu’il déclare : « En vérité, je vous le dis, tous les anges dans les cieux se réjouissent de voir un pécheur qui fait pénitence ».

Le ciel a été créé pour la gloire de Dieu, sans doute, mais aussi pour notre usage, pour que le soleil nous donne son éclat, ainsi que la lune et les étoiles. Car Dieu n’avait pas besoin du soleil; le créateur de la lumière n’avait pas besoin d’une lumière sensible, lui qui, seul immortel, habite une lumière inaccessible. Il n’y a rien d’étonnant, d’ailleurs, que Dieu n’ait pas besoin d’une lumière matérielle; les anges non plus n’ont pas besoin de la lumière terrestre, mais uniquement de la lumière céleste, qui n’est autre que Dieu lui-même, comme en témoigne le livre des Actes. Au milieu de la nuit, un ange survint dans la prison où était Pierre. Or voici ce que dit le narrateur ou plutôt l’Esprit-Saint qui parle par lui : « Un ange survint dans la nuit et une lumière resplendit dans la demeure ». Si donc l’ange n’a pas besoin de lumière, tout en étant un être créé, le créateur des anges et de tout ce qui existe, aurait besoin de lumière? Non certes, c’est nous qu’il veut réjouir, vivifier, réchauffer par la lumière.

Tout, en effet, a été créé et pour la gloire de Dieu et pour notre utilité, le soleil pour nous éclairer, les nuages pour nous dispenser la pluie, la terre pour l’abondance des fruits, la mer pour les commo­dités du commerce. Tout est donc au service de l’homme ou, plutôt, au service de l’image de Dieu qu’est l’homme. Car, lorsque les enseignes ou les images de l’empereur entrent dans une ville et que les chefs et la population viennent au-devant avec des acclamations mêlées de crainte, ils ne vénèrent pas la pancarte ni les modelages de cire, mais l’image de l’empereur. Ainsi, la création n’honore pas notre instrument terrestre mais elle révère en nous l’image céleste.

Tout donc a été créé, non pour le besoin de Dieu, mais pour notre usage et pour que nous glorifions la bonté de Dieu. Ainsi, en témoignage de la miséricorde divine, la sagesse de Dieu a dit: « Vous avez pitié de tous, Seigneur, parce que vous pouvez tout ». Au commen­cement, c’est son amour qui nous a créés et maintenant c’est sa bonté qui nous gouverne. S’il avait eu de la haine, il n’aurait pas fait le monde; s’il l’avait haï, il n’aurait pas créé l’homme; s’il le haïssait à présent, il ne le gouvernerait pas par sa providence. C’est pourquoi, l’Écriture affirme : « Vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait. Si vous aviez haï une chose, vous ne l’auriez pas faite ».

Aucune, donc, des choses visibles ou invisibles n’a été créée pour le besoin de Dieu, mais pour la gloire de Dieu, afin que Dieu soit glorifié dans sa bonté, car alors qu’il n’a besoin de rien, il a tout créé. Même lorsque nous chantons des hymnes à Dieu et que nous lui cons­truisons des temples, c’est nous-mêmes que nous honorons et glorifions. Dieu n’agrée que notre bonne volonté. C’est pourquoi David, qui était rempli de bonnes dispositions et d’amour de Dieu, et qui faisait grand cas de cette bonne volonté, confessait l’absence de besoin en Dieu par ces mots : « J’ai dit au Seigneur : Tu es mon Seigneur et Tu n’as pas besoin de mes biens ». Dieu, en effet, n’a besoin d’aucun de nos biens.

Toutes les choses visibles sont donc un témoignage de la bonté de Dieu. Mais rien ne proclame autant cette bonté que sa venue parmi les hommes, par laquelle Celui qui est dans la forme de Dieu a pris la forme de l’esclave, non par un changement de sa dignité mais pour faire éclater sa bonté. Le redoutable mystère qui s’est passé aujourd’hui nous amène à cette suite du discours. Que s’est-il donc passé en ce jour d’aujourd’hui? Le Sauveur lave les pieds de ses disciples.

En vérité, c’est un mystère qu’il est aussi redoutable de taire que de proclamer. Nous craignons de le publier quand nous réfléchissons à la grandeur de la dignité; mais nous craignons autant de courir le risque, en le taisant, d’une ignorance coupable. Dans ce cas, la parole et le silence inspirent des craintes égales, la parole à cause de la grandeur du mystère, le silence à cause de l’ignorance. Essayons donc de parler de ce mystère redoutable, puisque le Christ, lui, n’a pas dédaigné de l’accomplir.

Le créateur des hommes est apparu comme un homme sur la terre, le maître au milieu des esclaves, le créateur parmi ses créatures, la condition divine dans la condition de l’esclave, comme l’atteste Paul : « Bien qu’il fût dans la condition de Dieu, il n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu, mais il s’est anéanti lui-même en prenant la condition d’esclave ».

Il a donc revêtu complètement la forme d’esclave de la nature humaine. Mais il a pris d’une manière spéciale la forme d’esclave propre à l’économie, lorsque s’étant levé de table, lui qui nourrit tout ce qui est sous le ciel, lorsqu’il était assis au milieu des apôtres, le maître au milieu des esclaves, la source de sagesse avec des hommes simples, le Verbe avec ceux qui n’avaient pas appris l’art de la parole, le principe de la sagesse avec ceux qui ne connaissaient pas les lettres, lorsqu’il était assis avec ses disciples et mangeait avec eux, lui qui nourrit tous les êtres, et se sustentait, lui qui alimente l’univers.

Et encore, il ne trouva pas suffisant pour la grandeur de la faveur de s’asseoir avec ses propres serviteurs. C’était Pierre et Matthieu et Philippe qui étaient assis à ses côtés, de simples hommes de la terre, tandis que l’assistaient Michel, et Gabriel et toute l’armée des anges. O merveille, les anges se tenaient à ses côtés, avec crainte, et les disciples étaient assis avec lui, en toute assurance.

Mais cela ne suffît pas encore à la merveille. « Il se leva de table, dit l’évangéliste, et enleva son manteau », lui qui s’entoure de la lumière comme d’un vêtement; « il se ceignit d’un linge », lui qui ceint le ciel d’une couronne de nuages, « et il versa de l’eau dans un bassin », lui qui fait couler l’élément liquide des étangs et des fleuves, et fléchissant les genoux, « il se mit à laver les pieds de ses disciples », lui devant qui tout genou fléchit au ciel et sur la terre et en enfer.

Le Seigneur de toutes choses lave les pieds de ses disciples : il ne fait pas d’affront à sa dignité mais il montre sa bonté infinie. Mais cette bonté a beau être grande, Pierre, lui, n’ignora pas l’excel­lence de son maître. Toujours prompt pour confesser la foi, il n’est pas moins vif pour voir la vérité. Tandis que les autres disciples se laissèrent laver les pieds, non avec indifférence, mais dans un senti­ment de crainte : s’opposer au maître leur semblait impossible, Pierre, au contraire, par un sentiment de vénération ne se laisse pas faire et il s’écrie : « Seigneur, c’est vous qui me lavez les pieds? Non, jamais vous ne me laverez les pieds ».

Pierre est franchement coupant : il a de bonnes dispositions; comme il ignore le sens de ce geste, il s’y refuse par esprit de foi, mais (après), il obéit avec bonne volonté. Tel doit être l’homme pieux, non pas buté dans ses jugements mais docile à la volonté de Dieu, car si Pierre a répondu selon l’homme, il changea de sentiment selon la piété. En voyant cette raideur inflexible de l’âme et plus ferme que l’enclume, le Sauveur dit à Pierre : « En vérité, en vérité je te le dis : si je ne te lave pas, tu n’as plus de part avec moi ». Voyez combien ce qui se passe est grave et comment le Sauveur brisa la résistance de Pierre. Il se montre tranchant d’une manière encore plus incisive et exclut Pierre de la part qu’il avait avec lui, pour que la victoire ne reste pas à l’obstination humaine, mais à la volonté de Dieu. Alors le généreux et admirable Pierre, vif dans la réplique, se montra aussi vif dans le repentir : il comprit la vigueur tranchante de la déclaration et il apporta un repentir aussi net : « Pas seulement les pieds, dit-il, mais aussi les mains et la tête. Lave-moi, baigne-moi tout entier, que je puisse dire comme David : ‹ Tu me laves et je deviens blanc comme neige › ». Le sauveur lui répond : « Celui qui s’est baigné n’a pas besoin de se faire laver, si ce n’est les pieds ».

Pourquoi lave-t-il uniquement les pieds? À cause des courses apostoliques. En lavant les pieds des apôtres, il n’enlevait pas seulement l’impureté, il donnait aussi une vertu spéciale aux talons des saints. C’est ce bel effet du lavement des pieds qu’Isaïe a contemplé de longs siècles à l’avance. Comprenant que ce n’était pas un homme qui lavait mais un Dieu qui purifiait, il s’écria : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui portent la bonne nouvelle, de ceux qui annoncent la paix ». Le Seigneur touche les pieds pour fortifier ces pieds charnels qui devront parcourir toute la terre.

Ce geste contient encore un autre mystère. À l’origine, lorsque Dieu prononça la sentence contre Adam et Ève, il dit au serpent : « Il visera ta tête et toi tu le viseras au talon ». Le Sauveur touche précisément le pied à l’endroit du talon, partie qui est menacée par la sentence, afin qu’après le contact de la main du médecin, le venin du serpent ne trouve plus de prise et pour que vous appreniez que le lavement des pieds a donné aux apôtres pour l’avenir un antidote contre les démons. Auparavant, le talon était à la merci du serpent, mais après avoir été renforcé par le toucher de la main divine, il a foulé le fourbe. Comme pour donner de la force aux pieds des apôtres, le Sauveur leur dit : « Voilà que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions et toute la puissance de l’ennemi ».

Maintenant que la croix de grâce triomphe et que le Verbe de vérité purifie toutes nos pensées, vivons désormais dans la pureté, en rapportant la gloire au Christ, comme à notre Dieu miséricordieux, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.
 

 

Homélie de Sévérien de Gabala [† vers 400]

Wenger Antoine. Une homélie inédite de Sévérien de Gabala sur le lavement des pieds. In: Revue des études byzantines, tome 25, 1967, pp. 219-234

 


 

 

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