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Maxime le Confesseur – Les étapes de la confession II/V – L’ERRANT (626-632)

19 décembre 2021

Maxime quitte son monastère en 626. D’autre part, nous savons avec certitude, par une lettre datée, qu’à la Pentecôte 632 il est à Carthage. Entre ces deux dates, Maxime semble avoir erré, voyageant quelque part entre la Grèce et l’Afrique du Nord, sans cependant se fixer nulle part car les lettres de cette époque ne portent aucune indication de lieu.

Nous savons cependant par lui-même qu’il a fait un séjour en Crète où il a eu une dispute avec des évêques sévériens (monophysites modérés). Les déplacements postérieurs de Maxime nous étant assez bien connus, il faut placer son passage par la Crète dans l’itiné­raire qui le mène de Grèce en Afrique du Nord. D’autre part, il faut constater que Maxime s’engage dans les querelles christologiques et que, s’il doit affronter les évêques sévériens, c’est en raison de sa réputation de chalcédonien. Cela vaut d’être souligné car dans les œuvres de Maxime qui ont été conçues auparavant on ne le voit pas s’affronter directement aux questions proprement christologiques : les Ambigua II et les II Centuries sur la Théologie et l’Économie sont centrées sur les problèmes soulevés par la « Weltanschauung » cosmico-spirituelle d’Origène. […]

Sans l’avoir choisie, Maxime s’est trouvé amené à pratiquer une des formes les plus traditionnelles du monachisme oriental : la « xeniteia », l’exil du moine qui se déclare pèlerin et voyageur sur la terre. En cédant à cette vocation qui’ l’arrache à la quiétude du monastère pour le jeter dans cette mer démontée qu’est l’Empire byzantin au VIIe siècle, Maxime s’ouvre de plus en plus à la dimension eschatologique que comportent ces événe­ments redoutables. La menace vient, en effet, de partout : fuyant Constantinople assiégée par les Perses et les Avars, il va trouver en Afrique du Nord la montée foudroyante de l’Islam, les Juifs qui profitent du désarroi de l’Empire chrétien pour tirer ven­geance de toutes les vexations qu’ils ont subies, les intrigues des préfets impériaux qui affaiblissent l’administration et l’armée, et surtout l’hérésie présente partout au Moyen-Orient où l’Église est déjà définitivement déchirée, malgré les derniers efforts déses­pérés de la hiérarchie impériale prête à tous les compromis ver­baux pour sauver plus l’unité politico-religieuse que l’unité de foi. Très vite Maxime comprend que dans ce cataclysme historique, il est dérisoire d’élever des barrages pour conjurer l’inévi­table ; il faut, au contraire, pense-t-il, discerner dans cet ébran­lement la trace eschatologique d’une venue de Dieu et se préparer à l’accueillir de la seule manière qu’il est possible d’accueillir « Celui qui vient » : par la confession et le martyre. Par contre, toutes les mesures coercitives destinées à conjurer — au plan politique -— l’inévitable ne peuvent, aux yeux de Maxime, que hâter l’effondrement d’un monde incapable de s’ouvrir à l’à-venir, à Celui qui vient, car il ne peut y accéder qu’à travers une mort et une résurrection pascale.

Quand Maxime arrive à Carthage, il trouve une situation explo­sive. Les Juifs, sentant que les Arabes menacent les chrétiens de partout, se sont révoltés dans plusieurs villes du Moyen-Orient. Pour éviter de nouveaux massacres de chrétiens, l’empereur a ordonné leur baptême forcé dans tout l’Empire. Maxime constate depuis Carthage l’inutilité de ces mesures qui offensent Dieu et hâtent l’imminence eschatologique qu’elles s’obstinent à circonscrire par des mesures politiques.

 

L’éparque en revenant de Constantinople, suivant une ordonnance du très pieux souverain, a fait chrétiens tous les Juifs et Samaritains autochtones et étrangers de toute l’Afrique, avec femmes, enfants et serviteurs, dirigeant de force de nombreux milliers d’âmes à être chargées du très saint baptême au jour de la Sainte Pentecôte 632.

J’entends que cela est arrivé dans tout l’Empire Romain ; et je suis pris d’une crainte terrible au point que j’en frémis. Je crains tout d’abord que ce grand et réellement divin mystère ne soit violé en étant donné à ceux qui n’ont pas montré auparavant une décision de foi appropriée… Je redoute la « grande apostasie » attendue par le Saint Apôtre (II Thés. 2, 3) 1, par leur mélange avec le peuple fidèle, signe manifeste et incon­testable de l’achèvement que tout murmure déjà et en vue duquel ceux qui se sont préparés eux-mêmes par des prières et de nombreuses larmes, attendent de grandes tentations et des combats pour la vérité.

Au fur et à mesure que les événements se précipiteront, Maxime voit se dessiner plus clairement à l’horizon leur dimension eschatologique et invite ceux qui veulent bien l’écouter à cesser de chercher la solution qui les sauvera du désastre, mais à entrer à la suite du Seigneur dans le mystère de sa Pâque, par lequel II est « passé » au Père et II « vient » maintenant vers les hommes.

 

 

Nous devons veiller et prier surtout en ce moment où, en plus des commandements, la nature elle-même nous enseigne, au moyen des circonstances qui nous pressent, à chercher notre refuge en Dieu. Car quoi de plus pénible comme circonstances que les maux qui enveloppent maintenant toute la terre habi­tée ? Quoi de plus terrible que ce qui advient, du moins pour ceux qui le perçoivent ? Et quoi de plus pitoyable et de plus effrayant pour ceux qui le subissent ? Voir une race barbare du désert (les Arabes) parcourant l’étranger comme sa propre terre ; l’État civilisé dévoré par des bêtes sauvages qui portent seulement l’apparence d’hommes ; et un peuple juif qui se réjouit aussitôt du sang répandu… La multitude de nos péchés a fait survenir ces choses. Car « nous n’administrons pas digne­ment l’Évangile du Christ » (Phil. 1, 27). Tous nous avons péché, tous nous avons ignoré la grâce de la philanthropie et le mystère des souffrances du Dieu Incarné par nous… Notre âme, enténébrée, est ébranlée à propos de la parole de la foi. Mais si nous nous tenons dans la prière et dans la veille, nous’ tiendrons bien plus ferme la foi en Notre Seigneur Jésus-Christ, comprenant par expérience la venue de ce qu’il a prédit… Nous affirmons d’autant plus notre foi à travers les événements en trouvant que Celui qui les a prédits est vrai. Et nous confesserons Dieu lui-même devant les hommes, ne redoutant aucune mort, et Lui nous confessera devant le Père (Lc 12, 8), et nous conduira, Lui, sauvés par cette belle confes­sion dont II a lui-même offert les prémices comme ébauche de notre comportement « en témoignant devant Ponce-Pilate et en confessant la belle confession » (I Tim 6, 13). Puissions-nous, par sa grâce, être dignes de l’imiter quand le moment sera venu, enseignant ceux qui se conduisent comme des enfants et entendant le Verbe qui nous appelle ; Lui qui vient en aide invisiblement à ceux qui combattent pour la piété, H traverse la course du martyre comme seul capable de vaincre les sentiments de la nature. Martyre par lequel se produit notre insurrection contre les passions de notre esprit ; insurrection par laquelle le désir de Dieu s’affermit, persuadant ceux qu’anime la Charité de marcher paradoxalement à travers la mort, vers Celui qui est cherché. Puissions-nous être dignes de nous tenir auprès de Lui étincelants par les confessions envers Lui, confessions que nous emportons avec nous en partant d’ici-bas et en nous transportant vers le monde sans fin (Lettre XIV, PG 91, 540 A — 544 C).

 

Le moins qu’on puisse dire est que l’empereur Héraclius et la hiérarchie ne voient pas les choses de la même façon. Depuis son accession au trône, en 610, Héraclius cherche à redresser la situation militaire devenue très inquiétante. Mais il faut tout d’abord ressouder l’unité des chrétiens pour éviter que les monophysites dissidents ne préfèrent la domination perse, ou plus, tard arabe, à celle de Constantinople. Vers 619, le patriarche Sergius devient l’instrument de cette politique impériale en préparant, à travers un certain nombre de tractations secrètes avec des évêques orthodoxes (Théodore de Pharan) ou monophysites, une « formule miracle » susceptible de réconcilier les monophysites sans désavouer le concile de Chalcédoine dans sa lettre : le monoénergisme. Selon cette doctrine, la nature humaine du Christ était purement passive dans l’union et son énergie était purement et simplement l’énergie divine du Verbe qui l’avait assumée. Un évêque du fond de la mer Noire (Lazique), Cyrus de Phasis, avait été contacté par l’empereur Héraclius lors d’une campagne en 626, acquis à l’opération politico-religieuse du monoénergisme grâce à un faux fabriqué par Sergius (une lettre soi-disant du patriarche Mennas au pape Vigile), et nommé au siège patriarcal d’Alexandrie dès que celui-ci devint vacant, en 630 (ou 631). Alexandrie était le poste-clé dû monophysisme, et le patriarche avait pour mission de conclure une union avec les Sévériens dans les plus brefs délais. Il allait s’y employer activement.

Mais c’est ici que Sophrone va s’interposer. Devançant suffi­samment Maxime en âge pour être son père spirituel, Sophrone a dû naître à Damas vers 550. Lié d’amitié dès son jeune âge avec Jean Moschus, il devait avec lui embrasser la vie monas­tique et choisir, délibérément (à la différence de Maxime), la modalité de la « xeniteia ». Ils voyagèrent, de monastère en monastère, par tout le Moyen-Orient (gardant des attaches très particulières avec le Sinaï à l’époque de la fin de la vie de S. Jean Climaque), en Égypte, à Chypre et finalement à Rome où mourut, en 619, Jean Moschus. Nous savons maintenant à quel courante spirituel, monastique et théologique se rattache Sophrone. On connaît tout particulièrement ses attaches avec le monachisme sinaïtique qui connaissait alors son apogée dans la théologie ascétique et mystique de S. Jean Climaque. Il y a dans cette tradition monastique palestinienne (elle-même dépendante du fond macarien) qui va donner l’hésychasme, un courant souterrain de vie spirituelle et théologique (caché par les systématisations nestoriennes, monophysites et néo chalcédoniennes du VIe siècle qui occupent le devant de la scène historique) duquel surgira, à tra­vers Sophrone et Maxime, l’avenir de la théologie byzantine proprement dite, telle qu’elle s’exprime chez Théodore Studite ou Syméon le Nouveau Théologien.

Connaissant bien les tendances doctrinales du Moyen-Orient, Sophrone était très lucide sur la gravité de ce qui se jouait avec le monophysisme, même soi-disant « verbal » comme celui de Sévère d’Antioche. Lors de son séjour à Alexandrie, de 604 à 614 (il s’enfuit à l’arrivée des Perses qui occupèrent l’Égypte jusqu’en 628), il avait aidé les patriarches melkites (chalcédoniens), S. Euloge et S. Jean l’Aumônier, à ramener à la foi ortho­doxe un grand nombre de sévériens. C’est donc lui qui était le plus indiqué pour mettre Maxime au courant de la situation et de l’enjeu des doctrines.

Maxime rencontre Sophrone en Afrique du Nord, à Carthage ou dans ses environs. Sophrone avait dû se réfugier là, comme beaucoup d’autres moines chassés, surtout de Syrie et de Palestine, par l’occupation des Perses. C’est ce que dit d’ailleurs Maxime lui-même : « Avec moi et de nombreux moines étrangers, Sophrone s’était arrêté en Afrique ». Il faut ajouter que cette masse de chrétiens du Moyen-Orient, comprenant une forte proportion de moines et de moniales, était tombée soudain sur la modeste chrétienté d’Afrique, y apportant leurs disputes théologiques et leurs rivalités ethniques, et provoquant de très fortes tensions entre autochtones et immigrants. Maxime’ vit dans un monastère d’exilés nommé « Eucratades », d’après le surnom de Sophrone (qu’il partageait avec Jean Moschus) qui en était très vraisemblablement l’higoumène. Ils ont dû passer ensemble plusieurs années. Sophrone a dû rester en contact avec des amis demeurés en Égypte et il suit la situation de près. Il apprend que le nouveau patriarche d’Alexandrie, installé par l’empereur en 631, se livre à d’inquiétantes tractations politico-religieuses avec les monophysites. Aussitôt il s’y rend, pour arriver., en juin 633, au moment où éclate la « bombe » du monoénergisme.

 

 

 

Garrigues, Juan Miguel, Maxime le Confesseur – La charité, avenir divin de l’homme, Éditions Beauchesne, Paris, 1976, p. 40-46

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  1. Que personne ne vous séduise en aucune manière; car il faut que l’apostasie arrive auparavant, et qu’on ait vu paraître l’homme de péché, le fils de la perdition, l’adversaire qui s’élève au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, se faisant lui-même passer pour Dieu. (II Thés. 2 :3-4)

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