La foi vivante de l’église orthodoxe, Orthodoxie

L’Orthodoxie et la Religion du futur – VII. Le « parler en langues »

15 février 2021

Si nous examinons attentivement les écrits du « renouveau charismatique », nous constaterons que ce mouvement ressemble étroitement à de nombreux mouvements sectaires du passé en se basant principalement ou même entièrement sur une particularité doctrinale ou sur une pratique religieuse plutôt bizarre. La seule différence est que l’accent est maintenant mis sur un point spécifique qu’aucun sectaire du passé ne considérait comme central : le parler en langues.

Selon la constitution de diverses sectes pentecôtistes, « le baptême des croyants dans le Saint-Esprit est attesté par le signe physique initial de parler avec d’autres langues » 1. Et ce n’est pas seulement le premier signe de conversion à une secte ou une orientation pentecôtiste : selon les meilleures autorités pentecôtistes, cette pratique doit être poursuivie, car en son absence « l’esprit » pourrait être perdu. David Du Plessis écrit : « La pratique de la prière en langues doit se poursuivre et grandir dans la vie de ceux qui sont baptisés dans l’Esprit, car autrement ils constateraient une diminution des autres manifestations de l’Esprit, voir leur complète disparition » 2. Beaucoup témoignent, comme le fait un protestant, que les langues « sont désormais devenues un accompagnement essentiel de ma vie de dévotion » 3. Et un livre catholique romain sur le sujet précise plus prudemment que des « dons du Saint-Esprit » les langues « sont souvent, mais pas toujours les premiers reçus. Pour beaucoup, c’est donc un seuil par lequel on passe pour entrer dans le domaine des dons et des fruits du Saint-Esprit » 4.

Ici déjà, on accorde au « parler en langues » une très grande importance, qui n’est certainement pas présente dans le Nouveau Testament, où il a une signification décidément mineure, servant de signe de la descente du Saint-Esprit le jour de la Pentecôte (Actes 2) et à deux autres occasions (Actes 10 et 19). Après le premier ou peut-être le deuxième siècle, il n’y a aucune trace de cela dans aucune source orthodoxe, et on ne mentionne pas son existence même parmi les grands pères du désert égyptien, qui étaient à ce point remplis de l’Esprit de Dieu qu’ils ont réalisé de nombreux grands miracles, y compris la résurrection des morts. L’attitude orthodoxe envers le vrai parler en langues peut donc être résumée dans les paroles du bienheureux Augustin 5 :

 Dans les premiers temps, l’Esprit-Saint descendait sur les fidèles; ils parlaient, selon que l’Esprit leur donnait de le faire, un langage qu’ils n’avaient jamais appris à parler. C’était un signe approprié au temps ; il était, en effet, nécessaire que le Saint-Esprit se manifestât dans toutes les langues, puisque l’Évangile de Dieu devait être annoncé dans toutes les langues et dans toutes les contrées de l’univers. Ce signe a eu lieu, puis il a cessé d’être. » Et comme pour répondre aux pentecôtistes contemporains avec leur emphase étrange sur ce point, Augustin poursuit : « Maintenant, quand on impose les mains à des hommes pour leur communiquer le Saint-Esprit, est-ce qu’on attend d’eux qu’ils parlent toutes les langues ? Ou bien encore, lorsque nous avons imposé les mains à ces petits enfants, chacun de vous a-t-il attendu pour voir s’ils parleraient toutes les langues, et, voyant qu’ils ne les parlaient pas, s’est-il trouvé assez mal disposé pour dire : Ces enfants n’ont pas reçu l’Esprit-Saint 

Les pentecôtistes modernes, pour justifier leur utilisation des langues, se réfèrent surtout à la première épître de saint Paul aux Corinthiens (chap. 12-14). Mais saint Paul a écrit ce passage précisément parce que les « langues » étaient devenues une source de désordre dans l’Église de Corinthe ; et même s’il ne les interdit pas, il minimise décidément leur signification. Ce passage, donc, loin d’encourager un quelconque renouveau moderne des « langues », devrait au contraire le décourager — surtout quand on découvre (comme les pentecôtistes eux-mêmes l’admettent) qu’il existe d’autres sources à l’origine du parler en langues à part le Saint-Esprit ! En tant que chrétiens orthodoxes, nous savons déjà que le parler en langues ne peut pas apparaître comme un véritable don du Saint-Esprit parmi ceux qui ne font pas partie de l’Église du Christ ; mais regardons de plus près ce phénomène moderne et voyons s’il possède des caractéristiques qui pourraient révéler de quelle source il provient.

Si nous sommes déjà rendus méfiants par l’importance exagérée accordée aux « langues » par les pentecôtistes modernes, nous devrions en être complètement éclairés lorsque nous examinons les circonstances dans lesquelles elles se produisent.

Loin d’être donné librement et spontanément, sans l’intervention de l’homme — comme le sont les vrais dons du Saint-Esprit — le parler en langues peut être amené à se produire de manière assez prévisible par une technique régulière de « prière » concentrée de groupe à ce dessein, accompagnée d’hymnes protestants forts suggestifs (« Il vient ! Il vient ! »), s’achevant par une « imposition des mains », et impliquant parfois des efforts purement physiques, comme répéter incessamment une phrase donnée 6, ou la production de bruits avec la bouche. Une personne admet que, comme beaucoup d’autres, après avoir parlé en langues « je prononçais souvent de syllabes absurdes avec la bouche, de manière à démarrer le flot de la prière en langues » 7 ; et ces efforts, loin d’être découragés, sont en fait promus par les pentecôtistes. « Faire des sons avec la bouche n’est pas ‹ parler en langues ›, mais cela pourrait être le signe d’un acte de foi honnête, que le Saint-Esprit honorera en accordant à cette personne le pouvoir de parler dans une autre langue » 8. Un autre pasteur protestant dit : « L’obstacle initial pour parler en langues, semble-t-il, est la simple réalisation que vous devez ‹ parler ›… Les premières syllabes et paroles pourraient vous sembler étranges. Elles peuvent être hésitantes et inarticulées. Vous pourriez penser que vous ne faites que les inventer. Mais à mesure que vous continuez à parler avec foi… l’Esprit façonnera pour vous un langage de prière et de louange » 9. Un « théologien » jésuite raconte comment il a mis ces conseils en pratique : « Après le petit déjeuner, j’ai senti une attraction presque physique vers la chapelle où je me suis assis pour prier. Suite à la description par Jim de sa propre réception du don des langues, j’ai commencé à me dire tranquillement : ‹ La, la, la, la. › À ma grande consternation, il s’en est suivi un mouvement rapide de la langue et des lèvres accompagné d’une forte sensation de dévotion intérieure » 10.

Serait-il possible pour un chrétien orthodoxe sérieux de confondre ces jeux psychiques dangereux avec les dons du Saint-Esprit ? Il n’y a clairement rien de chrétien ni de spirituel ici. C’est plutôt le domaine des mécanismes psychiques qui peuvent être mis en œuvre au moyen de techniques psychologiques ou physiques précises, et le « parler en langues » semble occuper un rôle clé en tant que « déclencheur » dans ce domaine. Dans tous les cas, il n’a rien en commun avec le don spirituel décrit dans le Nouveau Testament, mais il semble être très proche du « parler en langues » chamanique tel que pratiqué dans les religions primitives, où le chaman, ou le sorcier, a une technique courante pour entrer en transe et ensuite transmettre un message à ou d’un « dieu » dans une langue qu’il n’a pas apprise 11. Dans les pages qui suivent, nous aborderons des expériences « charismatiques » si étranges que la comparaison avec le chamanisme ne paraîtra pas particulièrement exagérée, surtout si l’on comprend que le chamanisme primitif n’est qu’une expression particulière d’un phénomène « religieux » qui, loin d’être étant étranger à l’Occident moderne, joue en fait un rôle important dans la vie de certains « chrétiens » contemporains : le médiumnisme.

 


 

Hieromonk Seraphim Rose, Orthodoxy and The Religion of the Future, p. 156-160, Saint Herman of Alaska Brotherhood, Platina, California, 1979
Traduction: hesychia.eu

 


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  1.   Sherrill, John L. They Speak with Other Tongues, Spire Books, Old Tappan, N. J., 1965, p. 79
  2. Du Plessis, David J., The Spirit Bade me Go, Logos International, Plainfield, New Jersey, 1970, p. 89
  3. Lillie, D. G., Tongues under Fire, Fountain Trust, London, 1966, p. 50
  4. Ranaghan, Kevin and Dorothy, Catholic Pentecostals, Paulist Press, 1969, p. 19
  5. XXVII – Traités sur l’Épître de saint Jean aux Parthes, VI.10 – Œuvres complètes de saint Augustin, traduites pour la première fois, sous la direction de M. Poujoulat et de M. l’abbé Raulx, Bar-le-Duc, 1864 -1872, pp. 206-207 –
  6. Koch, Kurt, The Strife of Tongues, Kregel Publications, Grand Rapids, 1969, p. 24
  7. Sherrill, John L. They Speak with Other Tongues, Spire Books, Old Tappan, N. J., 1965, p. 127
  8. Harper, Michael, Life in the Holy Spirit, Logos Books, Plainfield, N. J., 1966, p. 11
  9. Christenson, Larry, Speaking in Tongues, Dimension Books, Minneapolis, 1968, p. 130
  10. Gelpi, Donald L., S. J., Pentecostalism, A Theological Viewpoint, Paulist Press, N. Y., 1971, p. 1
  11. Burdick, Donald W., Tongues—To Speak or not to Speak, Moody Press, 1969, pp.66-67

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