Catéchèse, Orthodoxie, Seraphim Rose

L’âme après la mort – chapitre cinquième

27 octobre 2020

Le royaume aérien des esprits

 

Pour comprendre dans quel royaume l’âme entre au moment de la mort, nous devons le considérer dans le contexte de la nature de l’homme. Nous devons savoir quelle était la nature de l’homme avant sa chute, quels changements elle a subi après celle-ci, et sur les aptitudes qu’elle a d’entrer en contact avec des êtres spirituels.
 

 

Le plus concis peut-être des traités orthodoxes sur ce sujet se trouve dans le livre de l’évêque Ignace Briantchaninov, que nous avons déjà cité à propos de la doctrine orthodoxe concernant les anges (le troisième volume de ses œuvres réunies : Collected Works). L’évêque Ignace a consacré un chapitre de ce livre à l’analyse de la « perception sensorielle des esprits » – c’est-à-dire aux apparitions angéliques et démoniaques perçues par des hommes. Dans ce qui suit, nous allons citer ce chapitre, qui donne l’enseignement orthodoxe des pères, transmis avec sobriété et précision par un des grands pères orthodoxes des temps modernes. (Sous-titré par le traducteur).

 

La nature originelle de l’homme

« Avant la chute de l’homme, son corps était immortel, étranger aux maladies, à sa grossièreté et à sa lourdeur actuelles, de même qu’aux sensations pécheresses et charnelles qui lui sont maintenant naturelles. (Saint Macaire le Grand, Homélie 4). Ses sens étaient incomparablement plus subtils, leur activité incomparablement plus étendue et totalement libre. Vêtu d’un tel corps, avec de tels organes des sens, l’homme était capable de la perception sensorielle des esprits aux rangs desquels il appartenait par son âme; il était capable de communion avec eux, apte à ces visions et communions avec Dieu qui sont naturelles aux esprits saints. Le saint corps de l’homme ne constituait pas un obstacle à cela, ne séparait pas l’homme du monde des esprits. L’homme, vêtu d’un corps, était appelé à vivre au paradis où maintenant seuls les saints, et seulement dans leur âme, sont capables de séjourner, là où les corps des saints monteront aussi après la résurrection. Alors ces corps laisseront dans la tombe la grossièreté qu’ils assumaient après la chute; ils deviendront spirituels, esprits même, selon l’expression de saint Macaire le Grand (Hom. 6, ch. 13), et manifesteront en eux-mêmes les mêmes qualités qui leur avaient été données lors de leur création. Alors les hommes se rangeront à nouveau parmi les esprits saints et seront en pleine communion avec eux. Nous avons un exemple de ce corps à la fois corps et esprit dans le Corps de notre Seigneur Jésus Christ après sa Résurrection. »

 

La chute de l’homme

« Par la chute, l’âme et le corps de l’homme ont changé. Au sens strict, la chute a aussi été une mort pour eux. Ce que nous appelons la mort est en fait seulement la séparation du corps et de l’âme, mais les deux ont déjà été mis à mort par une mort éternelle bien avant ! Les infirmités de notre corps, sa sujétion à l’influence hostile des diverses substances du monde matériel, sa grossièreté — ce sont des conséquences de la chute. En raison de la chute, notre corps est entré au rang de celui des animaux; il vit d’une vie animale, la vie de sa nature déchue. Il sert de prison et de tombe à l’âme.
Ces expressions que nous avons employées sont fortes. Mais aussi fortes qu’elles soient, elles n’expliquent pas de façon adéquate la chute de notre corps de la hauteur de la condition spirituelle à la condition charnelle. On doit se purifier par un repentir attentif, on doit sentir au moins un peu en soi la liberté et la hauteur de la condition spirituelle, pour comprendre la misérable condition de notre corps, sa condition mortelle causée par son éloignement de Dieu.
Dans cette condition mortelle, en raison de leur extrême grossièreté et épaisseur, les sens corporels sont incapables de communier avec les esprits, ils ne les voient pas, ne les entendent pas, ne les perçoivent pas. Ainsi, la hache émoussée ne peut plus remplir sa fonction originelle. Les esprits saints évitent la communion avec les hommes qui sont indignes d’une telle communion; tandis que les esprits déchus, qui nous ont entraînés dans leur chute, se sont mêlés parmi nous, et, dans le but de nous tenir plus aisément en captivité, s’efforcent à la fois de se dissimuler et de nous cacher les chaînes dont ils nous lient. Et lorsqu’ils se révèlent, ils le font pour renforcer leur domination sur nous.
Nous tous qui sommes esclaves du péché, devons comprendre que la communion avec les saints anges est anormale pour nous, en raison de notre éloignement d’eux par la chute. Ce qui nous est naturel, pour la même raison, c’est la communion avec les esprits déchus, au rang desquels nous appartenons par notre âme. Par conséquent, les esprits qui apparaissent de façon sensible aux hommes en état de péché et de chute sont des démons, et jamais de saints anges. ‹ Une âme souillée ›, disait saint Isaac le Syrien, ‹ n’entre pas dans le pur royaume des esprits saints et ne peut les côtoyer › (Homélie 74). De saints anges n’apparaissent qu’à de saints hommes qui ont recouvré la communion avec Dieu et eux par une vie de sainteté. »

 

L’Annonciation d’Ustyug, fin XIIe-début XIIIe siècle. Détail.

 

Contact avec des esprits déchus

«Bien que les démons, en apparaissant aux hommes, prennent en général la forme d’anges de lumière, pour les tromper plus facilement; bien que parfois, ils s’efforcent également de les convaincre qu’ils sont des âmes humaines et non des démons (cette manière de tromper est très à la mode actuellement parmi les démons, étant donné la disposition particulière de l’homme contemporain à le croire); quand bien même parfois ils prédisent l’avenir ou révèlent des mystères, on ne doit avoir aucune sorte de confiance en eux. Chez eux, la vérité est mêlée au mensonge; la vérité est utilisée parfois seulement pour faciliter la tromperie. Satan se transforme en ange de lumière, et ses ministres en serviteurs de justice, disait l’apôtre Paul. [II Co XI,14-15] » (Évêque Ignace, Collected Works, vol. 3, pp. 7-9).

« Une règle générale pour tous les hommes est de ne jamais se fier aux esprits quand ils apparaissent sous une forme sensible, de ne pas entrer en conversation avec eux, de ne pas prêter attention à eux, et de considérer leur apparition comme une grande et très dangereuse tentation. Lors d’une telle tentation, on doit tourner son esprit et son cœur vers Dieu par une prière pour obtenir sa miséricorde et la délivrance de la tentation. Le désir de voir des esprits, la curiosité d’apprendre des choses à leur sujet ou d’eux est un signe de la plus grande insanité et de l’ignorance totale de la Tradition de l’Église orthodoxe concernant la vie morale et active. La connaissance des esprits est acquise de façon tout à fait différente de celle que suppose l’expérimentateur imprudent et ignorant. La communion ouverte avec les esprits est un désastre immense pour quelqu’un sans expérience ou du moins la source des plus grands malheurs.

L’auteur divinement inspiré du Livre de la Genèse dit qu’après la chute des premiers hommes, Dieu, en prononçant leur sentence avant de les chasser du paradis fit pour eux des vêtements de peau, et les en revêtit [Gn 3,20]. Les vêtements de peau, dans l’explication des saints pères (cf. saint Jean Damascène : La Foi Orthodoxe, Livre III, chapitre 1) signifient notre chair épaisse qui a changé après la chute : elle a perdu sa subtilité et sa nature spirituelle et a reçu sa grossièreté actuelle. Bien que la chute ait été la raison originelle de ce changement, celui-ci a eu lieu sous l’influence du Créateur tout-puissant, dans son ineffable compassion pour nous et pour notre plus grand bien. Parmi les autres conséquences utiles pour nous de la condition dans laquelle se trouve notre corps actuellement, nous devrions indiquer celle-ci : par l’épaississement de notre corps, nous sommes devenus privés de la perception sensorielle des esprits dans le royaume desquels nous sommes tombés… La Sagesse et la Bonté de Dieu ont placé un obstacle entre les hommes précipités du paradis sur la terre, et les esprits qui ont été précipités sur la terre depuis le Ciel; cet obstacle est la matérialité grossière du corps humain. C’est ainsi que les gouverneurs terrestres séparent les criminels de la société des hommes par un mur de prison, pour les empêcher de nuire à cette société selon leurs propres désirs et de corrompre d’autres hommes (Saint Jean Cassien, Conférence VIII, ch. 12). Les esprits déchus agissent sur les hommes, mais principalement en leur inculquant des pensées et des sentiments pécheurs ; mais très peu d’hommes atteignent à la perception sensorielle des esprits. » (Évêque Ignace, p. 11-12).

L’âme, vêtue d’un corps, fermée et séparée par lui du monde des esprits, s’entraîne progressivement par l’étude de la loi divine, ou, ce qui est la même chose, par l’étude du christianisme, et acquiert la capacité de distinguer entre le bien et le mal [Heb. V :14]. Alors la perception spirituelle des esprits lui est accordée, et, si c’est conforme aux intentions de Dieu, qui la guide, la perception sensorielle lui est accordée aussi, puisque dès lors, les tromperies sont beaucoup moins dangereuses, tandis que l’expérience et la connaissance sont profitables.
À la séparation de l’âme d’avec le corps par la mort visible, nous entrons de nouveau dans les rangs et la société des esprits. Il est donc évident que pour une entrée réussie dans le monde des esprits, il est essentiel d’étudier à temps la loi divine. C’est précisément pour cette étude qu’a été accordée une certaine durée, déterminée par Dieu pour chacun de nous, pour son pèlerinage sur terre. Ce pèlerinage s’appelle vie terrestre.

 

L’ouverture des sens

Les hommes deviennent capables de voir des esprits par une certaine modification des sens qui se fait de façon imperceptible et inexplicable. L’homme ne peut que remarquer en lui- même qu’il s’est soudain mis à voir ce qu’il ne voyait pas avant et que les autres ne voient pas, et à entendre ce qu’avant il n’entendait pas. Pour ceux qui s’aperçoivent eux-mêmes d’un tel changement de leurs perceptions, c’est très simple et très naturel, bien qu’inexplicable à soi- même et à d’autres; pour ceux qui n’en ont pas fait l’expérience, c’est étrange et incompréhensible. De la même façon, il est bien connu que l’homme peut être immergé dans le sommeil; mais quelle sorte de phénomène est le sommeil, et de quelle manière, sans s’en rendre compte, on passe de l’état de veille à l’état de sommeil et d’oubli de soi : cela reste un mystère pour nous.
La modification des sens par laquelle un homme entre en communication avec les êtres du monde invisible est appelée dans l’Écriture Sainte : l’ouverture des sens. L’Écriture dit : L’Éternel ouvrit les yeux de Balaam, et Balaam vit l’ange de l’Éternel qui se tenait sur le chemin, son épée nue dans la main (Nb XXII,31). Étant entouré d’ennemis, le prophète Élisée, pour rassurer son serviteur effrayé, pria et dit : Seigneur, ouvre ses yeux, pour qu’il voie. Et le Seigneur ouvrit les yeux du serviteur, qui vit la montagne pleine de chevaux et de chars de feu autour d’Élisée. [IV R VI : 17-18]. [v. aussi Lc XXIV :16-31]

D’après les passages cités de la sainte Écriture, il est clair que les organes du corps servent, pour ainsi dire, de portes d’accès à la chambre intérieure où se trouve l’âme, et que ces portes s’ouvrent et se ferment sur l’Ordre de Dieu. Dans sa grande Sagesse et sa Miséricorde infinie, Dieu laisse ces portes constamment fermées chez les hommes déchus, de peur que nos ennemis jurés, les esprits déchus, ne fassent irruption en nous et ne causent notre perte. Cette mesure est d’autant plus essentielle que nous nous trouvons, après la chute, dans le royaume d’esprits déchus, qui nous encerclent et nous réduisent en esclavage. N’ayant pas de possibilité de nous faire violence, ils se font connaître à nous de l’extérieur, provoquent diverses pensées et fantasmes coupables, par lesquels ils attirent les âmes crédules à la communion avec eux. Il n’est pas permis à l’homme de supprimer le contrôle divin et d’ouvrir ses sens par ses propres moyens, (par la Permission de Dieu, mais non par sa propre Volonté) et d’entrer en communion visible avec des esprits. Mais cela arrive. Il est évident que par nos propres moyens, nous ne pouvons atteindre à une communion qu’avec des esprits déchus. Ce n’est pas dans la nature des saints anges que de participer à quelque chose qui n’est pas en accord avec la Volonté de Dieu ou à quelque chose qui Lui déplaît…

Qu’est-ce qui attire les hommes à chercher la communion ouverte avec des esprits ? Ceux qui sont insouciants et ignorent la pratique du christianisme y sont attirés par curiosité, par ignorance, par manque de foi, sans comprendre qu’en entrant dans une telle communion, ils peuvent se causer de très graves dommages (pp. 13-14).

L’idée que la perception sensorielle des esprits serait quelque chose de particulièrement intéressant est erronée. La perception sensorielle sans la perception spirituelle ne fournit pas une compréhension juste des esprits; elle n’en fournit qu’une compréhension superficielle. Elle peut très facilement apporter les conceptions les plus erronées, et c’est ce qui arrive en effet le plus souvent aux gens inexpérimentés et à ceux qui sont infectés par l’amour-propre et la vaine gloire. La perception spirituelle des esprits n’est accessible qu’à de vrais chrétiens, tandis que des hommes ayant une vie complètement dépravée sont les plus aptes à les percevoir par les sens… Très peu de personnes en sont capables par leur constitution naturelle, et à quelques- uns les esprits apparaissent à cause de quelque circonstance particulière de leur vie. Dans ces deux derniers cas, ils ne sont pas responsables de cet état de fait, mais ils doivent tout faire pour sortir de cette condition, qui est très dangereuse. À notre époque, bien des gens se permettent d’entrer en communion avec les esprits déchus au moyen du magnétisme (spiritisme), dans lequel les esprits déchus apparaissent en général sous la forme d’anges resplendissants pour tromper et éblouir les gens au moyen de toutes sortes d’histoires intéressantes, en mélangeant le vrai avec le faux; ils causent un désordre extrême dans l’âme et même dans le cerveau (p. 19).

Ceux qui voient des esprits, même de saints anges, ne doivent pas du tout en tirer vanité : cette perception, en elle-même, n’est nullement preuve de leurs mérites; non seulement des hommes dépravés mais même des animaux privés de raison en sont capables [Nb XXII : 23] (p. 21).

 

L’Annonciation, Novgorod, seconde moitié du XVIe siècle. Detail

 

Le danger du contact avec les esprits

La perception sensorielle des esprits est toujours plus ou moins nocive pour les hommes qui n’ont pas la perception spirituelle. Ici, sur terre, des images de vérité sont mélangées avec des images de fausseté (Saint Isaac le Syrien, Homélie 2), puisque c’est un pays où le bien et le mal sont mélangés, un pays qui est celui de l’exil des anges et des hommes déchus (p. 23).

Quelqu’un qui perçoit des esprits avec ses sens matériels peut être facilement trompé pour son propre malheur et sa perdition. Si, les percevant, il leur témoigne confiance et crédit, il sera infailliblement trompé, il sera infailliblement attiré, il sera infailliblement scellé du sceau d’illusion, incompréhensible pour les inexpérimentés, du sceau d’un traumatisme effroyable de son esprit; et qui plus est, la possibilité de correction et de salut est souvent perdue. C’est arrivé à beaucoup, à énormément de personnes. Non seulement à des païens, dont les prêtres étaient, pour la plupart, en communion ouverte avec les démons; non seulement à beaucoup de chrétiens qui ne connaissaient pas les mystères de leur foi et par quelque circonstance sont entrés en communion avec des esprits; c’est arrivé à beaucoup de combattants et de moines, qui ont perçu des esprits avec leurs sens matériels sans en acquérir la perception spirituelle.

L’entrée correcte et légitime dans le monde des esprits n’est possible que par la doctrine et la pratique du combat chrétien. Tous les autres moyens sont illégitimes et doivent être rejetés comme sans valeur et destructeurs. C’est Dieu Lui-même qui guide le vrai combattant du Christ jusqu’à la perception (des esprits). Quand Dieu est le guide, les apparences de vérité dont s’affuble le mensonge sont séparées de la vérité elle-même; alors le combattant est doté, avant tout, de la perception spirituelle des esprits, qui lui révèle en détail et avec précision les qualités de ces esprits. Ce n’est qu’après cela que la perception sensorielle des esprits est accordée à certains ascètes, perception qui complète leur connaissance des esprits acquise grâce à la perception spirituelle (p. 24).

 

Quelques conseils pratiques

L’évêque Ignace prend, dans le discours de saint Antoine d’après sa Vie par saint Athanase (mentionnée plus haut comme étant la source principale de notre connaissance de l’activité des démons), des conseils pratiques pour les combattants chrétiens, en ce qui concerne l’attitude à adopter face à la perception sensorielle des esprits, pour le cas où cela arriverait à l’un d’entre eux. Ceci est extrêmement précieux pour tous ceux qui veulent mener une vie spirituelle vraiment chrétienne de nos jours, où, pour des raisons que nous tenterons d’expliquer plus loin, la perception sensorielle des esprits est devenue bien plus commune qu’autrefois.
Saint Antoine enseigne :

« Mais pour que vous ayez encore moins peur de ces esprits de ténèbres, je veux vous donner un signe qui vous servira à les reconnaître. Lorsque quelque vision vous apparaîtra, au lieu de vous laisser troubler par la crainte, interrogez avec assurance celui qui se présentera à vous, en lui disant : Qui es-tu ? D’où viens-tu ? [Jos 5, 13]. Car si cette apparition est d’un bon ange, il vous éclairera sur vos doutes par ses réponses, et changera votre appréhension en joie. Et si c’est un démon, il sera soudain terrassé en voyant la fermeté de votre esprit ; car c’est la meilleure preuve qu’un esprit n’est ému par rien, que de lui demander ainsi : qui il est, et d’où il vient. Ainsi le fils de Navé fut informé de ce qu’il désirait savoir [Jos 5, 13] et le démon ne put se cacher à Daniel lorsqu’il l’interrogea [Dn 10 :11,18,19] »
(Évêque Ignace pp. 43-44 ; La vie de Saint Antoine, chapitre XIII, in les Vies des saints Pères par Andilly, A. d’, chez Louis Josse, Paris, 1733).

Après avoir relaté comment même Syméon le Stylite a failli être trompé une fois par un démon qui lui est apparu sous la forme d’un ange dans un char de feu, l’évêque Ignace donne cet avertissement aux chrétiens orthodoxes d’aujourd’hui :

« Si les saints ont couru de tels risques d’être trompés par des esprits malins, ce risque est encore plus effrayant pour nous. Si les saints n’ont pas toujours reconnu les démons qui leur apparaissaient sous la forme de saints ou du Christ Lui-même, comment nous est-il possible de nous imaginer nous-mêmes capables de les reconnaître sans erreur ? Les seuls moyens de se sauver de ces esprits est de refuser carrément de les percevoir et d’entrer en communion avec eux, en nous reconnaissant inaptes à une telle perception et communion.
Les saints docteurs du combat chrétien (…) ordonnent aux pieux combattants de ne se fier à aucune sorte d’image ou de vision, si elles leur apparaissaient subitement, de ne pas entrer en conversation avec elles, de ne prêter aucune attention à elles. Ils ordonnent que, pendant de telles apparitions, on se protège du signe de la croix, on ferme les yeux, et que, conscient de son indignité et de son inaptitude à voir des esprits saints, on implore Dieu pour qu’Il nous protège de tous filets et illusions que préparent sournoisement les esprits de malice pour les hommes » (pp. 45-6).

Plus loin, l’évêque Ignace cite saint Grégoire le Sinaïte : « Ne l’accepte sous aucun prétexte, si tu vois quoi que ce soit, avec tes sens ou par l’esprit, intérieurement ou à l’extérieur, que ce soit une image du Christ ou un ange, ou quelque saint, ou qu’une lumière te soit présentée ou peinte par l’imagination de l’esprit. Car par nature, l’esprit a tendance à se complaire dans l’imagination et forme facilement les images qu’il désire; c’est très courant chez ceux qui ne font pas attention à eux-mêmes, et par là, ils ne font que se nuire » (pp. 47-49).

 

Conclusion

En conclusion, l’évêque Ignace enseigne : « La seule entrée correcte dans le monde des esprits passe par la doctrine et la pratique du combat chrétien. La seule entrée correcte dans la perception sensorielle des esprits passe par le progrès et la perfection chrétiens » (p. 53).

« Quand viendra l’heure, déterminée par le seul Dieu et connue de Lui seul, nous entrerons infailliblement nous-mêmes dans le monde des esprits. Cette heure n’est pas loin de chacun de nous ! Que le Dieu de Bonté nous accorde de passer notre vie terrestre de telle façon qu’étant encore en cette vie, nous puissions rompre toute communion avec les esprits déchus et entrer en communion avec des esprits saints, afin que sur cette fondation, ayant quitté le corps, nous puissions être comptés au nombre des esprits saints et non des esprits déchus ! » (p. 67).

Cet enseignement de l’évêque Ignace Briantchaninov, écrit il y a plus de cent ans, aurait bien pu être écrit aujourd’hui, tant est grande est la précision avec laquelle il décrit les tentations spirituelles de notre temps, dans lequel les portes de perception (pour employer le terme consacré et rendu populaire par un voyageur dans ce royaume, Aldous Huxley) ont été ouvertes chez les hommes à un degré inimaginable du temps de l’évêque Ignace.

Ces mots ont à peine besoin de commentaire. Le lecteur perspicace a déjà pu commencer à les appliquer aux expériences après la mort que nous avons décrites en ces pages, et par là se rendre compte de l’effroyable danger que ces expériences représentent pour l’âme humaine. En possession de la connaissance de cet enseignement orthodoxe, on ne peut que considérer avec horreur l’étonnante légèreté avec laquelle des chrétiens contemporains se fient aux visions et apparitions qui deviennent si fréquentes. La raison de cette crédulité est claire : le catholicisme romain et le protestantisme, coupés depuis des siècles déjà de la doctrine et de la pratique orthodoxe de la vie spirituelle, ont perdu toute capacité de discernement clair dans le royaume des esprits. La qualité absolument essentielle pour un chrétien, celle de se méfier de ses propres bonnes idées et bons sentiments, leur est devenue totalement étrangère. En conséquence, des expériences spirituelles et des apparitions d’esprits sont devenues peut-être plus communes aujourd’hui qu’à n’importe quelle autre période de l’ère chrétienne, et une humanité manipulable est prête à accepter la théorie d’un nouvel âge de merveilles spirituelles ou d’un nouvel épanchement du saint Esprit, comme explication de ces faits. L’humanité est atteinte d’une telle misère spirituelle qu’elle s’imagine chrétienne tout en se préparant pour l’âge des miracles démoniaques, qui sont un signe de la fin des temps [Ap XVI :14].

Les chrétiens orthodoxes eux-mêmes, faut-il ajouter, tout en étant théoriquement en possession du vrai enseignement chrétien, en sont rarement conscients, et sont souvent aussi facilement trompés que les non orthodoxes. Il est temps que cet enseignement soit retrouvé par ceux dont c’est le droit de naissance.

Ceux qui décrivent aujourd’hui leurs expériences après la mort sont aussi crédules que tous ceux qui ont été détournés du droit chemin autrefois. Dans toute la littérature contemporaine sur ce sujet, il y a très peu de cas où quelqu’un s’attarde à se demander sérieusement si au moins une partie de l’expérience ne pourrait pas venir du diable. Le lecteur orthodoxe, évidemment, se posera la question et essaiera de comprendre ces expériences à la lumière de l’enseignement spirituel des pères et des saints orthodoxes.

Maintenant, nous devons continuer, et voir ce qui se passe de particulier, selon l’enseignement orthodoxe, lorsque l’âme quitte le corps au moment de la mort, pour entrer dans le royaume des esprits.
 

La mise au tombeau, Les quatre Évangiles, 1437

La mise au tombeau, Les quatre Évangiles, 1437

 


 

Traduction de Catherine Pountney

Publié en format numérique sur le site des Vrais chrétiens orthodoxes francophones

Nous tenons à remercier l’archimandrite Cassien pour la permission de reproduire ici cet ouvrage.

 


 

 

 

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