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Père Justin (Popovitch) de Tchélié [1er juin]

21 octobre 2020

Mémoire de notre vénérable père Justin (Popovitch) de Tchélié

Cet éminent confesseur de la foi orthodoxe de notre époque naquit à Vranié, dans le sud de la Serbie, le 25 mars 1894, au sein d’une famille qui avait donné sept générations de prêtres, et il reçut le nom de Blagoïé (« Annonciation »). Nourri de la piété de ses parents, il fut témoin de la guérison miraculeuse de sa mère, et lorsqu’elle décéda, il eut le sentiment « physique de l’immortalité », en contemplant son visage rayonnant de paix. Durant toute sa vie, il allait être un témoin de cette foi inébranlable en la victoire sur la mort que le Christ Sauveur est venu nous apporter. Enfant, il se rendait souvent au monastère de Ptchinié (Psynia) et nourrissait une grande dévotion envers saint Prochore [15 janv.]. À cette piété pour les saints, il joignait la lecture assidue de l’Écriture sainte et, dès l’âge de quatorze ans jusqu’à la fin de sa vie, il avait pour règle de lire chaque jour trois chapitres du Nouveau Testament.


Avide d’approfondir les mystères de la Révélation, il entra au Séminaire Saint-Sava à Belgrade (de 1905 à 1914), où il eut pour professeur saint Nicolas Vélimirovitch [5 mars]. Au début de la Première Guerre Mondiale, il rejoignit l’unité des infirmiers et, après avoir été guéri du typhus, il suivit l’armée serbe dans sa retraite au Monténégro, puis en Albanie jusqu’à Skadar. La foi du jeune Blagoïé ayant été raffermie par cette terrible épreuve, au cours de laquelle plus de cent mille Serbes périrent de faim, de froid et d’épuisement, il réussit à convaincre le métropolite Dimitri de le tonsurer moine (1916), sous le nom de saint Justin le Philosophe, qui avait témoigné de son amour du Christ, tant par la philosophie que par le martyre.

Il fut alors envoyé, par le métropolite et le roi de Serbie, à Saint-Pétersbourg pour y compléter ses études théologiques. Marqué par la piété du peuple russe, il nourrissait une fervente dévotion pour saint Serge de Radonège, saint Séraphim de Sarov et saint Jean de Cronstadt. Plus tard, lorsqu’il évoquait les saints néomartyrs russes, particulièrement le saint patriarche Tikhon, les larmes lui venaient aux yeux.

Contraint de quitter la Russie à cause des troubles qui précédèrent la Révolution bolchevique, il alla poursuivre ses études à Oxford (1917-1919), où il prépara une thèse de doctorat sur Dostoïevski. Exposant la position critique de l’écrivain russe sur l’humanisme et l’anthropocentrisme occidentaux, le Père Justin se vit imposer par ses professeurs des modifications qu’il ne pouvait accepter, car contraires à la vérité, si bien qu’il quitta l’Angleterre sans recevoir de diplôme. De retour en Serbie, il devint enseignant au Séminaire de Sremski Karlovtsi et, de là, partit pour Athènes, où il prépara une thèse de doctorat intitulée : le Problème de la personne et de la connaissance selon saint Macaire d’Égypte . Ayant saisi, au cours de ses études, que la civilisation occidentale, qui prétend exalter l’homme indépendamment de Dieu, aboutit à une impasse, il se fit dès lors le défenseur sans compromis du « divino-humanisme » orthodoxe, fondé sur la Personne du Christ, vrai Dieu et vrai homme, le Premier et le Dernier, vers qui toute chose aspire jusqu’à atteindre sa plénitude et qui reste la « Valeur suprême et le critère ultime de l’Orthodoxie » .

De retour en Serbie, il se lia d’amitié avec les évêques russes réfugiés en Serbie, et il rendait souvent visite au métropolite Antoine (Krapovitsky) de Kiev – auquel il se confessait – et à l’archevêque Anastase de Kichinev, dont il admirait la prière angélique. Dès l’époque de ses études, il menait une vie spirituelle intense et on a retrouvé après son trépas le journal intime, qu’il rédigeait alors et dans lequel il notait qu’il faisait de cinq cents à mille métanies chaque jour et récitait mille à deux mille prières de Jésus. Pendant le Carême, il augmentait cette règle de prière, pour atteindre trois mille deux cents métanies et mille huit cents prières de Jésus. « Malheur à toute pensée qui ne se transforme pas en prière », disait-il.

En 1922, il fut ordonné prêtre, malgré lui, par le métropolite Dimitri et, pendant plusieurs années, il exerça la fonction de professeur d’Exégèse au Séminaire de Sremsky Kalovtsi. Il publia alors, dans la revue Vie chrétienne, qu’il avait fondée avec un groupe de jeunes professeurs, un article retentissant sur la « Mission interne de notre Église » , dans lequel il écrivait :

« La mission de l’Église, organisme divino-humain, est d’unifier organiquement et personnellement tous les croyants avec la Personne du Christ… C’est donc un blasphème inexcusable contre le Christ et contre le Saint-Esprit d’en faire une institution nationale… Son but est supranational, œcuménique, pan-humain : unifier en Christ tous les hommes ».

Il donna aussi son appui à un mouvement de prière qui s’était constitué et encouragea ses membres à prendre Mgr Nicolas Vélimirovitch comme père spirituel. Peu après avoir publié une étude sur la Gnoséologie de saint Isaac le Syrien (1927) , il fut envoyé au Séminaire de Prizren au Kosovo, et, au bout d’un an, fut nommé à Bitola (Monastir) en Serbie du Sud, où il enseigna en compagnie de saint Jean Maximovitch [19 juin].

En 1930-1931, il se vit confier la mission d’organiser la vie ecclésiale des fidèles de Russie subcarpathique (appartenant alors à la Tchécoslovaquie), qui étaient revenus à l’Orthodoxie après avoir été unis à Rome sous la domination austro-hongroise. Comme on lui proposait d’être élevé à l’épiscopat, il répondit : « Je me suis regardé longuement dans le miroir de l’Évangile, et je suis parvenu à la décision irrévocable que je ne puis en aucun cas recevoir la dignité d’évêque, car je n’en ai pas les qualités fondamentales ».

En 1932, le Père Justin publia le premier volume de sa Dogmatique, qu’il intitula de manière significative : Philosophie orthodoxe de la Vérité , ouvrage qui lui valut d’être nommé professeur de Dogmatique à la Faculté de Théologie de Belgrade, en 1935. Se rendant un jour d’été, sur un char à bœuf, au monastère de saint Prochore de Vranié, il rencontra une vieille femme qui s’y rendait à pied. Il lui proposa de monter dans la charrette, mais elle refusa en disant : « Je te remercie, mais je suis pauvre, et je n’ai rien d’autre à offrir au saint que ce labeur. » Le Père Justin se frappa alors le front de la main, en disant : « Eh ! Justin, tu es devenu professeur de théologie, mais tu n’as pas la piété de cette vieille femme ! » Il renvoya alors la charrette et continua à pied avec la paysanne.

 

L’Annonciation, l’archange Gabriel

Église de la Vierge Peribleptos d’Ohrid (aujourd’hui église Saint-Clément), Ohrid, Macédoine

 

Comme enseignant, il considérait que « celui qui n’enseigne pas la vie éternelle est un faux éducateur ! » Aussi n’inculquait-il pas tant à ses étudiants des connaissances érudites que le souci de la vie éternelle, et il leur rappelait notamment la question du jeune homme qui était venu trouver le Christ en demandant : « Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » (Mc 10, 17). Toute sa vie et son enseignement étaient l’application pratique de la parole de saint Grégoire le Théologien, qu’il avait noté sur la page de garde de son évangile : « Il faut d’abord se purifier, et ensuite enseigner aux autres la pureté » . Partout où il passait et à tous ceux qui venaient le consulter, le Père Justin laissait la profonde impression d’un homme qui ne vivait que pour Dieu et pour la défense de la vérité de l’Évangile. Prenant pour modèles les prophètes et les Pères de l’Église, il soutenait de manière inébranlable que dans l’Orthodoxie tout est évangélique : la foi, la prière, l’ascèse, l’office divin, les saints Mystères et les saintes vertus. Toute la Tradition de l’Église n’est rien d’autre que l’Évangile vécu.

Dans la tourmente qui précéda la Seconde Guerre mondiale, il se refusa à entrer dans le jeu des passions politiques, et proclama la vérité évangélique sans crainte des pressions humaines. C’est ainsi qu’il défendit sans ambiguïté la cause de l’Orthodoxie, lorsque le Vatican tenta d’imposer le catholicisme comme religion d’état en Yougoslavie, au moyen d’un concordat (1937). Juste avant l’explosion de la guerre, il eut une vision du Christ crucifié, lui annonçant les épreuves qui attendaient son peuple. Pendant l’occupation allemande, la Faculté de Théologie ayant été fermée, il résida dans divers monastères et s’occupa à traduire de nombreux textes patristiques et à rédiger ses commentaires des saintes Écritures. Une de ses œuvres majeures, réalisée à cette époque mais qui ne put être publiée entièrement que vers la fin de sa vie, fut sa collection des Vies des saints, en douze volumes. Pour le Père Justin, c’est seulement « avec tous les saints » (Eph 3,18) qu’on peut connaître et participer au Mystère du Christ-Dieu. Les Vies des saints sont « les dogmes traduits dans la vie » et constituent la véritable « encyclopédie de l’Orthodoxie » .

Avec l’instauration du pouvoir communiste, en 1945, le Père Justin fut chassé de l’Université, en même temps que deux cents autres professeurs. Arrêté au monastère de Soukov près de Pirot et emprisonné à Belgrade, il échappa de peu à la condamnation à mort comme « ennemi du peuple », grâce à l’intervention du patriarche Gabriel qui venait d’être libéré du camp de Dachau.

Exclu de l’enseignement et privé de tous ses droits, après avoir résidé dans divers monastères, il vécut jusqu’à la fin de ses jours (1948-1979), pratiquement en réclusion, dans le petit couvent féminin de Tchélié, près de Valiévo, dédié à l’Archange Michel. Même là, les communistes ne le laissèrent point en paix, et il était souvent convoqué en ville pour des interrogatoires. Plusieurs fois, les sœurs, ne le voyant pas revenir, allèrent en groupe à Valiévo avec leur higoumène et restaient en silence devant le bâtiment de la police politique. Alors, les communistes, craignant un soulèvement des habitants, le libéraient. À l’occasion d’événements importants pour la vie de l’Église, le Père Justin tenta à plusieurs reprises de se rendre à Belgrade, mais il fut chaque fois reconduit de force au monastère.

La lumière du Christ ne pouvait cependant restée dissimulée sous le boisseau et, durant toutes ces années, nombreux étaient ceux qui, tant de Serbie que de l’étranger, venaient consulter le saint confesseur. Cette réclusion au monastère de Tchélié devint aussi pour le Père Justin l’occasion de nouvelles ascensions spirituelles. Il jeûnait strictement, et toute sa vie était concentrée sur l’office divin et sur la Divine Liturgie, qui, selon ses propres paroles est « l’échelle, le pont, qui mène au Ciel ». Lorsqu’il célébrait, il commémorait d’innombrables noms et versait des larmes abondantes. Conscient que la langue serbe moderne s’était éloignée du slavon, il traduisit les Liturgies et d’autres textes ecclésiastiques dans une langue poétique, compréhensible pour le peuple mais qui respecte le caractère sacré de ces textes. Depuis sa jeunesse, le Père Justin nourrissait une ardente vénération pour saint Jean Chrysostome, et il composa d’admirables prières et un Acathiste en son honneur. Le saint lui apparut en songe, en 1955, vêtu de ses ornements liturgiques. Il posa sur sa tête l’évangéliaire et lut les prières de sa composition. Lorsqu’il se réveilla, le Père Justin se sentit envahi d’un ravissement joyeux et d’une ineffable componction, qui demeurèrent longtemps en son âme. Saint Séraphim de Sarov lui était également apparu, en 1936, et il écrivit à ce sujet : Après cela, « mon âme était joyeuse et triste, joyeuse pour l’avoir vu, triste qu’il fût disparu aussi vite ».

Dans les années 1960, alors que certains orthodoxes s’engageaient sur la voie d’un relativisme ecclésiologique, allant jusqu’à nier l’unicité de l’Église du Christ au nom de la charité chrétienne, le Père Justin se fit de nouveau le porte-parole de la conscience de l’Église, pour dénoncer ces dangers qui menaçaient l’Orthodoxie . Si, dans ses écrits, il condamnait de manière radicale les dogmes hétérodoxes, à la manière des prophètes de l’Ancien Testament, il avait en fait une grande sensibilité envers les personnes, et compatissait jusqu’aux larmes à la misère humaine . Un jour où il avait été autorisé à se déplacer et que la voiture qui le transportait était arrêté, un estropié s’approcha et, en le voyant, le Père Justin éclata en sanglots. On avait même observé qu’en se rendant à l’église, il veillait toujours à ne pas écraser les fourmis… Ce théologien, respecté et craint dans toute l’Église, aimait tendrement les enfants et, au cours de conversations élevées avec ses disciples, il jouait en riant avec leur nourrisson.

Dans les dernières années de sa vie terrestre, alors que le régime s’était quelque peu relâché, il fut invité par le Patriarcat à revenir enseigner à la Faculté ; mais il refusa en exhortant le patriarche à œuvrer pour l’unité de l’Église : « Le salut est dans la pénitence, le remède universel… », déclara-t-il. Peu avant son bienheureux trépas, il eut la joie de voir la publication de ses Vies de saints et du dernier volume de sa Dogmatique, concernant l’Ecclésiologie. L’œuvre du Père Justin, constituée de quarante tomes, couvre tous les domaines de la vie ecclésiale, mais c’est peut-être dans ses commentaires sur le Nouveau Testament qu’il a exprimé le plus pleinement son amour ardent du Christ, dans une langue poétique, comparable à celle de son maître, saint Nicolas d’Ochrid .

Parvenu au terme de son parcours terrestre, ce Jérémie serbe s’endormit, à l’issue d’une courte maladie, le 25 mars (7 avril) 1979, jour anniversaire de sa naissance. Peu avant de rendre l’âme, il murmura à l’un de ses amis qui se tenait à ses côtés : « Le seul homme authentique est le Dieu-Homme, Jésus-Christ ! », résumant ainsi sa mission, qui avait consisté à proclamer inlassablement et sans compromis la Bonne Nouvelle de la venue du Sauveur.

Ses funérailles furent célébrées, trois jours plus tard, par des clercs de différentes nationalités, devant une foule de fidèles venue de toutes les régions de Serbie, de Grèce et d’Europe occidentale. Comme l’a écrit l’un de ses disciples : « L’unité de l’Orthodoxie, que le Père Justin a éprouvée par sa vie et a si fortement soulignée… s’est réalisée spontanément lors de ses funérailles : dans l’unité de la foi commune et de l’amour, dans les prières et les chants communs ». Depuis lors, la tombe de saint Justin est devenue un lieu de pèlerinage, rassemblant les orthodoxes de nombreux pays, et des miracles s’y accomplissent par ses prières .

Par les prières de tes saints,
Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de nous.
Amen.

 

Le Synaxaire. Vie de Saints de l’Église orthodoxe

Deuxième édition
par hiéromoine Macaire, monastère de Simonos Pétra au Mont Athos
Dizième volume [juin], publié par les éditions Simonos Pétra

La vie de saint Justin (Popovitch) de Tchélié est publiée ici avec l’aimable autorisation de l’auteur

 

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