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Le martyre de saint Jacques l’Intercis [le Persan] [27 novembre]

21 octobre 2020

Le martyre de saint Jacques fut consommé 733 ans après la mort d’Alexandre le Grand, la seconde année du règne de Bahram V, roi des Perses. Saint Jacques était né dans la ville royale de Beit-Lapeta, d’une famille illustre : à la noblesse de race il joignit celle de la vertu et de la piété. A l’exemple de sa famille, il embrassa le christianisme et épousa une chrétienne. Attaché à la cour du roi de Perse, il s’y éleva aux premiers honneurs, et y jouit de la plus haute considération. Yezdegerd l’eut pour favori, et le combla de faveurs. Aussi Jacques, pour répondre aux avances du roi, abjura la foi chrétienne. Sa mère et sa femme apprirent avec douleur son apostasie, et lui envoyèrent au camp, où il se trouvait alors, la lettre suivante :

« On nous annonce que la faveur d’un roi de la terre, et l’amour des richesses périssables de ce siècle t’ont fait abandonner le Dieu éternel. Nous te faisons une seule question, daigne répondre. Où est-il maintenant ce roi, pour qui tu as fait un si grand sacrifice ? Il est mort, comme le dernier des hommes, et il est tombé en poussière : qu’en peux-tu attendre maintenant ? est-ce lui qui t’offrira un refuge contre l’éternel supplice ? Si tu persévères dans l’apostasie, tu tomberas comme lui entre les Mains du Dieu vengeur ; et nous nous retirons de toi, comme tu t’es retiré de Dieu, nous ne voulons avoir rien de commun avec un apostat. C’est fini, nous n’existons plus pour toi. »

Cette lettre fit une impression profonde sur le courtisan elle lui ouvrit les yeux, il rentra en lui-même, et se dit : « Voilà ma femme qui s’était donnée à moi par les serments les plus sacrés, voilà ma mère qui m’abandonne : que fera Dieu à qui j’avais aussi donné ma foi, et que j’ai honteusement abandonné ? Au dernier jour, comment soutiendrai-je la vue de ce juge suprême, de ce vengeur inexorable ? Et même ici-bas, sa justice ne peut-elle pas m’atteindre et me frapper ? » Plein de ces pensées, il rentre dans sa tente, il y trouve une Bible, il l’ouvre. Pendant sa lecture, peu à peu la lumière se fait dans son âme, la grâce divine touche son cœur ; le voilà changé en un autre homme. Son âme engourdie, comme rappelée du tombeau par une voix puissante, se réveille : le remords l’agite et le déchire, il se dit à lui-même :

« Âme brisée, chair frémissante, écoutez. Ma mère qui m’a porté dans son sein, mon épouse compagne de ma jeunesse, sont affligées et indignées de ma lâche action ; tout ce qu’il y a d’hommes sages et sensés dans ma famille est plongé dans le deuil par mon apostasie ; que sera-ce donc au dernier jour, quand je paraîtrai devant Celui qui nous ressuscitera tous pour nous juger pour récompenser les justes et punir les coupables ! Qui sera mon refuge, à moi qui suis parjure ? Mon refuge ! ah ! je sais où il est ! La porte par laquelle je suis sorti, je puis y rentrer : je ne cesserai d’y frapper qu’elle ne s’ouvre. »

Ces accents du remords et du repentir avaient été entendus des tentes voisines ; on avait vu Jacques s’arrêter en lisant la Bible, se parler à lui-même, comme un homme qu’une profonde émotion agite. Ses ennemis, les courtisans en ont toujours, se hâtèrent d’aller dire au roi que Jacques paraissait regretter amèrement d’avoir changé de religion. Le prince le fait appeler sur-le-champ et lui dit :
— Dis-moi, Jacques, es-tu toujours nazaréen ?
– Oui, je le suis.
– Hier, tu étais mage.
– Nullement.
– Comment ! n’est-ce pas pour cela même que tu as reçu du roi mon père tant de faveurs ?
– Où est-il maintenant ce roi dont tu me rappelles les bienfaits ?

Cette réponse exaspéra le roi, et comme il était manifeste que Jacques abandonnait la religion des Perses, il se mit à chercher dans son esprit par quel supplice il allait le lui faire expier.
– Si tu persévères, lui dit-il, ce sera trop peu de ta tête pour un tel forfait.
– Les menaces, répondit Jacques, sont inutiles, essaye plutôt les supplices, si bon te semble ; tout ce que tu pourrais me dire pour me persuader ne fera pas plus sur moi que le vent qui souffle contre un roc immobile.
– Déjà, sous mes prédécesseurs, les sectateurs de ta religion ont essayé de professer et de répandre leurs erreurs ; tu sais qu’on les a traités comme des rebelles, et que ceux qui résistèrent perdirent la vie dans les supplices.
– Mon plus grand désir est de mourir de la mort des justes, et de voir ma fin ressembler à leur fin.
– Apprends au moins à obéir et à respecter les édits des rois.
– La mort des justes n’est pas une mort ; c’est un court et léger sommeil.
– Voici comme les Nazaréens t’ont séduit : ils t’ont dit que la mort n’était pas la mort, mais le sommeil ; cependant les puissants, les rois eux-mêmes redoutent la mort.
– Les puissants et les rois et tous les contempteurs de Dieu craignent la mort, je ne m’en étonne pas ; ils ont conscience de leurs crimes. Aussi les saintes lettres disent-elles : « L’impie est mort, et son espérance avec lui ; l’espérance des impies périra. »
– Ainsi donc, tu nous traites d’impies, toi qui n’adores ni le soleil, ni la lune, ni l’eau, ces émanations divines.
– Loin de moi la pensée de t’accuser, Sire : car à ceux qu’il a jugés dignes de souffrir pour lui, le Christ, auteur de nos saintes lettres, a dit :

« L’heure vient où ceux qui tueront quelqu’un d’entre vous croiront rendre gloire à Dieu. » Je suis loin de dire aussi qu’en nous tuant vous ne rendez aucune gloire à Dieu : je dis seulement que vous, qui vous vantez de mieux connaître la Divinité que les autres peuples, vous êtes dans une erreur grossière, en adorant des êtres inanimés et insensibles, et en donnant le nom incommunicable de Dieu à des créatures : le vrai Dieu S’en offense, et vos vaines divinités sont aussi incapables de vous protéger que de vous nuire. »

Cette abjuration solennelle de l’idolâtrie mit le roi en fureur. Il convoque sur-le-champ les docteurs et les sages, exhale en leur présence toute sa douleur et tout son courroux, et leur ordonne de se consulter entre eux sur le genre de supplice à faire subir à cet audacieux rebelle, à ce contempteur de la majesté des rois. Les magistrats et les sages se retirèrent en conseil pour délibérer, et l’un d’eux, qui avait, pour ainsi dire, le génie de la cruauté, après un instant de réflexion, ouvrit l’avis suivant : qu’il ne fallait pas le tuer en une fois, en cinq fois, en dix fois, mais l’étendre sur un chevalet, et lui couper successivement les doigts des pieds et des mains, puis les mains elles-mêmes et les pieds ; ensuite les bras, les genoux, les jambes, et en dernier lieu la tête. Cette proposition barbare fut adoptée et aussitôt Jacques fut traîné au supplice. Toute la ville, émue à cette nouvelle, et toute l’armée, suivirent le martyr. Les chrétiens, en apprenant l’affreuse sentence prononcée contre lui, se jetèrent la face contre terre, et, fondant en larmes, firent à Dieu cette prière : « O Seigneur, ô Dieu fort, qui donnez la force aux faibles et la santé aux malades, ô Toi qui ravis les infirmes et les mourants, qui sauve ceux qui périssent, viens en aide à ton serviteur, et faites-le sortir vainqueur de cet affreux combat. Pour ta Gloire, Seigneur, qu’il triomphe, ô Christ, prince des vainqueurs, roi des martyrs ! »

Pendant qu’on le conduisait au supplice, il pria les soldats de s’arrêter un moment, afin, disait-il, que je me rende propice le Dieu pour qui je vais souffrir. Les soldats s’arrêtèrent, et le martyr, se tournant vers l’orient, fléchit le genou, et les yeux de l’âme fixés sur Celui qui habite dans les cieux, il fit cette prière :

« Reçois, Seigneur, les prières de ton humble serviteur ; donne la force et le courage au fils de ta servante, qui T’invoque à cette heure ; place-moi comme un signe sous les yeux de ceux qui T’aiment, qui ont souffert, et qui souffrent encore persécution pour ton Nom ; et quand j’aurai vaincu par ta grâce toute puissante, et que j’aurai reçu la couronne des élus, que mes ennemis le voient et soient confondus, parce que Ta as été, Seigneur, ma consolation et mon soutien. »

Quand il eut fini cette prière, les soldats le saisirent, lui étendirent les bras avec violence, et préparèrent le fer, en lui disant : « Il ne te reste plus qu’un moment, vois ce que tu as a faire ; nous voilà prêts à te couper tous les membres les uns après les autres, d’abord les doigts des pieds et des mains, puis les bras, puis les jambes et les cuisses, et enfin la tête. Une parole peut te sauver, tandis que l’obstination t’attire le plus affreux supplice qui fut jamais. » Et en lui parlant de la sorte, ils ne pouvaient s’empêcher de verser des larmes, à la vue de ce visage tout brillant de jeunesse, de cet extérieur noble et gracieux, et ils entouraient le martyr, et le pressaient de feindre au moins pour un moment : « Détourne, lui disaient-ils, une si horrible mort : fais semblant de te soumettre, et tu retourneras après à ta religion, si tu veux. »

Mais le martyr disait à la foule : « Ne pleurez pas sur moi : non, non, ne pleurez pas sur moi ! pleurez plutôt, pleurez sur vous-mêmes, vous qui, épris des charmes trompeurs des choses périssables, vous préparez une éternité de malheurs et de tourments. Mais moi, par cette horrible mort j’entrerai dans la vie éternelle ; pour prix de mes membres dispersés, je recevrai d’immortelles récompenses ; car il y a un Dieu, rémunérateur fidèle, qui rendra à chacun selon ses œuvres. » Et voyant approcher l’heure fixée pour son supplice, il activait ainsi la lenteur des bourreaux : « Que faites-vous ? qu’attendez-vous ? Voici je vous tends les mains, commencez. »

L’effroyable exécution commença, et on lui coupa d’abord le puce de la main droite. Alors le martyr fit cette prière : « Sauveur, ô Jésus, recevez, je T’en conjure, ce rameau qui vient de tomber de l’arbre. Cet arbre lui-même doit tomber en poussière un jour ; mais au printemps, je l’espère, il reverdira encore et se couronnera de feuillage. » Le juge qui présidait à l’exécution, ému jusqu’aux larmes, supplia le martyr de se laisser fléchir. En voilà assez, lui disait-il ; cette plaie peut encore se guérir ; mais, je t’en conjure, ne laisse pas mutiler tout entier ce corps si tendre et si beau. Mets-toi d’abord hors de danger ; ensuite, tu es riche, tu donneras aux pauvres et tu assureras par tes aumônes le salut de ton âme.

« Eh quoi ! lui répondait le martyr, n’as-tu jamais considéré ce qui advient à la vigne ? Purgée de son bois inutile, elle reste engourdie tout l’hiver ; mais au soleil du printemps, la sève circule et produit une riche végétation. S’il en est ainsi d’une plante fragile, l’homme planté dans la vigne du Seigneur, et cultivé par la main même de l’Ouvrier céleste, ne doit-il pas aussi germer et s’épanouir ? » On coupa l’index, et quand il fut coupé, le martyr s’écria : « Mon cœur se réjouit dans le Seigneur et mon âme tressaille en Dieu son salut. » Et il ajouta : « Reçois, Seigneur, cet autre rameau de l’arbre que tu as planté. » Et la joie l’emportant sur la douleur, son visage parut tout rayonnant, comme s’il eût entrevu déjà la gloire céleste. Cependant les bourreaux lui coupèrent encore un autre doigt, et il s’écria dans un saint transport : « Avec les trois enfants de la fournaise, je te confesserai, Seigneur, de tout mon cœur, et au milieu de tes martyrs, je chanterai des hymnes à ton Nom, ô Très-Haut. » Quand on lui eut coupé le quatrième doigt, il s’écria : « Parmi les douze patriarches fils de Jacob, c’est sur le quatrième que se reposa la bénédiction qui promettait et prophétisait le Christ : c’est pourquoi j’offre encore ce quatrième rameau de mon corps à celui qui par sa bénédiction a été le salut de tous les peuples. » Au cinquième doigt qu’on lui coupa, il dit : « Ces cinq doigts, cette main, seront de beaux fruits à présenter à celui qui a planté l’arbre que vous taillez. »

Avant de passer à sa main gauche, les juges le pressèrent de nouveau, et lui demandèrent : « A quoi vas-tu te résoudre ? Tu peux encore sauver ta vie, si tu veux te soumettre au roi ; car combien qui vivent robustes et vigoureux mutilés comme tu l’es. Si tu n’as pitié de toi-même, tu vas voir tous tes membres tomber sous tes yeux les uns après les autres, et ce sera pour ainsi dire, à chaque fois une nouvelle mort. » Le martyr répondit : « Lorsqu’on tond les brebis, on ne leur enlève pas d’abord toute leur laine, on leur en laisse la moitié : ainsi dois-je rendre grâces à Dieu, qui me met au nombre de ses brebis, et qui m’offre aux ciseaux de ceux qui me tondent, comme il offrit a ceux qui l’attachèrent sur la croix l’Agneau divin, pour qui je meurs de cette mort cruelle »

On se mit donc à lui couper les doigts de la main gauche ; on commença par le doigt auriculaire : le martyr, les yeux levés au ciel, disait avec constance :

« Je suis bien petit devant toi, ô grand Dieu, qui T’es fait petit pour nous, et qui nous a élevés jusqu’à Toi par la vertu de ton Sacrifice. C’est avec joie, ô, Dieu, c’est avec bonheur que je Te remets mon âme, et aussi mon corps ; je sais que Tu le rendras un jour, immortel et glorieux, à la vie. » Alors on lui coupa l’annulaire, et transporté du plus brûlant amour, il s’écria : « Pour une septième mutilation, une septième louange, ô Dieu, Père, Fils et saint Esprit ! » Quand tomba le huitième doigt, il dit : « C’est le huitième jour que l’enfant hébreu est circoncis et distingué des infidèles ; eh bien, moi aussi, par la pureté de mon cœur, je me sépare de ces incirconcis et de ces impies ; car mon âme a soif de Toi seul, ô mon Dieu ! quand pourrai-je voir ta Face ? » Au neuvième, il dit : « C’est à la neuvième lune que mon Sauveur est mort sur la croix pour mes péchés : je Lui offre donc avec bonheur ce neuvième doigt de ma main. » Au dixième enfin, saisi d’un plus vif transport, il s’écria :

« Par la lettre iota sont multipliés les mille et les myriades ; de même par le nom sacré de Jésus, le monde entier a été sauvé. Je chanterai donc des hymnes en son Nom sur la harpe à dix cordes, comme dit le Psalmiste, et les cordes de ma harpe seront mes doigts eux-mêmes mutilés pour mon Sauveur. »

Ayant dit cela, le martyr entonna d’une voix douce un cantique.

 

Alors les juges renouvelèrent leurs instances auprès de lui, lui faisant entendre que ses plaies n’étaient pas mortelles, qu’il était temps encore de sauver sa vie.

« Pourquoi cette cruauté contre toi-même, pourquoi renoncer à la douce lumière du jour ? La vie pour toi est si riante ! Tu as avec la richesse tous les plaisirs. A la bonne heure si, désormais privé de tes mains, et incapable de pourvoir à tes besoins, tu devais vivre dans la misère ; mais avec ta fortune la vie te sera toujours honorable et douce. Ne pense plus à ton épouse : depuis longtemps vous viviez séparés, elle est dans la province des Huzites, et toi à Babylone. Songe donc que ton salut et ta perte dépendent d’un mot. »

Le martyr, les regardant d’un air sévère, leur répondit :

« Vous croyez, après que j’ai mis la main à la charrue, que je vais regarder en arrière, et me rendre indigne du royaume des cieux ? Vous croyez que je vais préférer ou mon épouse ou ma mère au Dieu qui a dit ces paroles : quiconque perdra sa vie pour moi la trouvera ; et encore : Quiconque laissera son père, et sa mère, et ses frères, Je lui donnerai la vie et le repos éternel. Cessez donc de me presser, et faites votre œuvre ; je serais désolé que vous en adoucissiez tant soit peu les rigueurs. »

Le voyant inflexible, les juges ordonnèrent aux bourreaux de continuer. Ceux-ci lui saisissent le pied droit et coupent le gros doigt tandis que le martyr s’écrie :

« Grâces à Toi, Seigneur, qui T’es revêtu de notre humanité, et qui, sur la croix, percé de la lance, as teint tes Pieds du sang et de l’eau qui sortirent de ton Côté. Je suis heureux de livrer comme Toi au fer des bourreaux ce corps qui est la prison de mon âme ; je suis heureux de voir couler mon sang pour Toi. »

On lui coupa un autre, doigt et il dit :

« Voici le plus beau de mes jours ! Auparavant, engagé dans les liens du siècle, esclave des richesses et des plaisirs, j’étais faible et lâche dans le service de Dieu, et mon âme, emportée par mille soins divers, ne pouvait plus se retrouver en sa présence et s’entretenir avec lui. Maintenant, dégagé de mes entraves, et les yeux fixés sur le siècle à venir, j’y marche avec constance ; aussi, heureux et triomphant, j’ai chanté, tout le temps de mon supplice, d’une voix que n’a pu affaiblir la douleur, des hymnes à Celui qui m’a jugé digne de souffrir pour Lui. »

On coupa le troisième doigt et on le lui présenta ; il dit en souriant : « Le grain de blé, jeté dans la terre, germe et retrouve au printemps les grains semés avec lui : ainsi, au jour suprême de la résurrection des corps, ce doigt se retrouvera avec les autres. » Au quatrième, le martyr, se parlant à lui-même : (« Mon âme, dit-il, pourquoi es-tu triste et tremblante ? Espère en Dieu, car je Le confesserai encore, ce Dieu, mon Sauveur. » Au cinquième, il dit : « Grâces à Toi, Seigneur, qui m’as choisi pour un martyre inouï jusqu’à présent, et qui me donne la force de le souffrir. » Les bourreaux passent au pied gauche et commencent par couper le petit doigt : « Ce doigt, dit le martyr, ne sera plus désormais appelé petit, puisqu’il est offert au Seigneur comme le plus grand ; et si le moindre cheveu de notre tête ne périt pas, ce doigt non plus ne peut périr. » A l’autre doigt, il cria aux bourreaux : « Allons, courage, abattez cette maison qui tombe en ruines, afin que Dieu m’en rebâtisse une plus belle. » Au troisième, il dit : « Vous savez bien que plus on pousse une roue, plus elle tourne, et cela sans douleur. » Au quatrième, il fit à Dieu cette prière : « Secoure-moi, mon Dieu, parce que j’ai confiance en Toi. » Au cinquième, enfin, comme éveillé d’un profond sommeil, il s’écria : « Juge-moi, Seigneur, et venge-moi de ce peuple barbare : voilà la vingtième mort que j’endure, et ces loups altérés de sang s’acharnent encore sur moi. »

La foule, témoin de cette exécution terrible, poussa un cri, et les jeunes gens demandaient aux vieillards s’ils n’avaient jamais rien vu de pareil, tant de barbarie d’un côté, tant de courage de l’autre. Le martyr activait lui-même les bourreaux : « Ne vous arrêtez pas, leur criait-il ; vous avez abattu les branches de l’arbre, attaquez maintenant le tronc. Pour moi, mon cœur tressaille dans le Seigneur, et mon âme invoque le Dieu soutien des humbles. » Les bourreaux lui coupent le pied droit, et le martyr s’écrie triomphant : « Chaque membre que vous faites tomber, je l’offre en sacrifice au Roi du ciel. » Ils lui coupent ensuite le pied gauche, et lui s’écrie : « Exauce-moi, Seigneur, parce que Tu es bon, et que ta Miséricorde est grande pour tous ceux qui T’invoquent. » Puis on lui coupe la main droite, et Jacques exalte encore la Bonté de Dieu. « Ta Miséricorde, Seigneur, s’est multipliée sur moi ; délivre-moi de l’enfer. » La main gauche est coupée à son tour, il s’écrie : « Tes merveilles, Seigneur, éclatent sur la mort.»

Alors on s’attaqua aux bras. En tendant le bras droit, il s’écria : « Je louerai le Seigneur sans cesse ; tant que je vivrai, je chanterai des hymnes à son Nom : sa louange me sera douce, je me réjouirai dans le Seigneur. » Ensuite il présenta le bras gauche, et dit : « Ma tête s’élèvera au-dessus des ennemis qui m’ont environné : le Seigneur est ma force, ma gloire et mon salut. » Restaient les jambes : les bourreaux lui coupent la jambe droite à la jointure du genou. A ce coup, le martyr parut ressentir une douleur extrême ; il poussa un cri et invoqua le Sauveur : « Seigneur Jésus Christ, dit-il, secoure-moi, délivre-moi, je suis en proie aux douleurs de la mort. »

– Nous vous l’avions bien dit, reprirent les bourreaux, que tu vas souffrir d’affreux supplices.
– Dieu, répondit le martyr, a permis le cri involontaire qui vient de m’échapper, pour que vous ne pensiez pas que je n’ai qu’une apparence de corps. Au reste, je suis prêt à endurer, pour l’amour de Dieu, des tourments plus grands encore. Ne croyez pas que j’aie souffert pendant que vous m’avez torturé : la pensée de mon Sauveur, son saint amour qui embrasait mon cœur, dominaient tout sentiment. Achevez donc et hâtez-vous.

Mais les bourreaux, fatigués, s’arrêtaient ; le martyr, au contraire, rayonnait de joie et d’amour. Les bourreaux enfin à grande peine lui coupèrent l’autre jambe : alors le martyr parut semblable à un pin odorant dont il ne reste plus que la moitié. Après un moment de silence, on l’entendit prononcer à haute voix cette prière :

« Mon Dieu, me voilà par terre, au milieu de mes membres semés de toutes parts : je n’ai plus mes doigts, pour les joindre en suppliant ; je n’ai plus mes mains, pour les élever vers Toi ; je n’ai plus mes pieds, ni mes jambes, ni mes bras : je ressemble à une maison en ruines dont il ne reste plus que les murs. O Seigneur ! que ta Colère s’arrête sur moi, et qu’elle se détourne de ton peuple : donne à ce peuple persécuté, dispersé par les tyrans, la paix et le repos ; rassemble-le des extrémités du monde. Alors, moi, le dernier de tes serviteurs, je Te louerai, je Te bénirai avec tous les martyrs et tous les confesseurs, ceux de l’Orient et de l’Occident, ceux du Nord et du Midi, toi, ton Fils et le saint Esprit, dans les siècles des siècles Amen. »

Quand il eut dit : Amen, on lui coupa la tête. Ainsi le saint martyr, après le plus affreux supplice qui fut jamais, rendit doucement son âme à Dieu.

Son corps resta étendu sur la place. Les chrétiens se cotisèrent et offrirent aux gardes, pour le racheter, une somme considérable : ce fut en vain. Mais vers la neuvième heure du soir, les gardes s’étant retirés, les fidèles dérobèrent le corps, puis se mirent à en chercher les membres, semés de toutes parts. Ils en trouvèrent vingt-huit, et les enfermèrent soigneusement dans une urne avec le tronc ; puis ils recueillirent comme ils purent tout le sang que le martyr avait perdu pendant son long supplice.

Cependant, tandis que nous chantions le psaume « Aie pitié de moi, ô Dieu selon ta grande Miséricorde » le feu du ciel tomba sur l’urne et consuma le sang du martyr, tant dans le vase que sur les linges où on l’avait reçu et sur la terre qu’il avait trempée — cette flamme colorait les membres du martyr d’une teinte de pourpre et de rose. Effrayés de ce prodige, nous tombons tous la face contre terre, et nous implorons en tremblant la protection du martyr, pour n’être pas consumés par ce feu céleste ; puis secrètement, non sans péril, nous inhumons les saintes reliques avec l’aide et la grâce du Christ, qui couronne les martyrs, et à qui soit, avec le Père et le saint Esprit, louange, honneur et gloire, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.

Amen.

 

LES MARTYRS | TOME III
Julien l’Apostat, SAPOR, GENSÉRIC

Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu’au XXe siècle
Traduites et publiées par le R. P. Dom H. LECLERCQ, moine bénédictin de Saint-Michel de Farnborough
Version électronique disponible sur le site des Vrais chrétiens orthodoxes francophones

 

Le martyre de saint Jacques l’Intercis [le Persan] est publié ici avec l’aimable autorisation de l’archimandrite Cassien

 

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