Catéchèse, Orthodoxie

La place du bienheureux Augustin dans l’Eglise Orthodoxe – Préface

30 septembre 2020

par le père Seraphim Rose

Cette brève étude sur le Bienheureux Augustin est présentée ici sous forme de livre à la demande d’un certain nombre de chrétiens orthodoxes qui l’ont lue sous sa forme originale dans The Orthodox Word (nos 79 et 80, 1978) et ont trouvé qu’elle portait un message pour les Chrétiens orthodoxes d’aujourd’hui.

Bamberger Apokalypse – Staatsbibliothek Bamberg Msc.Bibl.140 / Reichenau, circa 1010

Elle ne peut prétendre à être une étude exhaustive de la théologie du Bienheureux Augustin ; une seule question théologique (la grâce et le libre arbitre) est traitée ici en détail, tandis que le reste de l’étude est essentiellement historique. Si elle a quelque valeur, c’est en révélant l’attitude de l’Église orthodoxe envers le Bienheureux Augustin au cours des siècles ; et en essayant de définir sa place dans l’Église orthodoxe, nous avons peut-être jeté un peu de lumière sur la façon d’être orthodoxe dans notre monde contemporain, où le sentiment et la saveur du vrai christianisme orthodoxe sont si rarement rencontrés parmi les théologiens orthodoxes. En présentant l’attitude orthodoxe envers le Bienheureux Augustin, l’auteur a également eu à l’esprit de l’éliminer comme « bouc émissaire » des théologiens universitaires d’aujourd’hui et ainsi de nous aider à nous libérer nous-mêmes afin de voir ses faiblesses et nos propres faiblesses d’un regard un peu plus clair — car ses faiblesses, aussi surprenant que cela puisse paraître, sont en effet proches des nôtres.

Ces faiblesses ont été vivement mises en évidence pour l’auteur peu de temps après la publication de l’étude originale, lorsqu’il a rencontré un Russe, un émigrant récent de l’Union soviétique, qui s’était converti à l’orthodoxie en Russie et qui la comprenait encore en grande partie en termes des attitudes religieuses orientales qu’il avait héritées. Pour lui, le Bienheureux Augustin était aussi une sorte de bouc émissaire ; il était accusé d’avoir mal traduit et mal compris les termes hébreux, d’enseigner une vision erronée du « péché originel », etc. Eh bien, oui, on ne peut nier que le Bienheureux Augustin a appliqué son regard extrêmement logique à cette doctrine aussi et a enseigné une vision déformée de la doctrine orthodoxe du péché ancestral – un point de vue, une fois de plus, pas tant « non orthodoxe » qu’étroit et incomplet. Augustin a pratiquement nié que l’homme ait quelque bonté ou liberté en lui-même et il enseignait que chaque homme est responsable de la faute du péché d’Adam, en plus de partager ses conséquences ; la théologie orthodoxe regarde ces vues comme des exagérations unilatérales du véritable enseignement chrétien.

Cependant, les lacunes de la doctrine d’Augustin sont devenues pour cet émigrant russe une sorte d’excuse pour un enseignement éloigné de l’orthodoxie sur la liberté totale de l’homme par rapport au péché ancestral. Certaines critiques unilatérales de l’enseignement d’Augustin sur le péché originel, même parmi les penseurs orthodoxes, ont conduit à des exagérations similaires, entraînant des confusions inutiles parmi les croyants orthodoxes : certains écrivains sont à un tel point « contre » Augustin qu’ils laissent l’impression que Pélage était peut-être, après tout, un docteur orthodoxe (malgré la condamnation de l’Église à son égard) ; d’autres se plaisent à choquer les lecteurs en déclarant que la doctrine du péché originel est une « hérésie ».

De telles réactions excessives aux exagérations d’Augustin sont pires que les erreurs qu’elles pensent corriger. Dans de tels cas, le bienheureux Augustin devient non seulement un « bouc émissaire » sur lequel on charge toutes les erreurs théologiques possibles, justement ou injustement, mais quelque chose d’encore plus dangereux : une excuse pour une philosophie élitiste de la supériorité de la « sagesse orientale » sur tout ce qui est « occidental ». Selon cette philosophie, non seulement Augustin lui-même, mais aussi toute personne soumise à une quelconque « influence occidentale », y compris nombre d’éminents théologiens orthodoxes des derniers siècles, ne « comprennent pas vraiment » la doctrine orthodoxe et doivent être enseignés par le représentants d’aujourd’hui du « renouveau patristique ». L’évêque Théophane le Reclus, le grand spirituel russe du XIXe siècle, est souvent pointé du doigt pour des abus à cet égard : parce qu’il a utilisé certaines expressions empruntées à l’Occident, et a même traduit certains livres occidentaux (même en les modifiant pour supprimer toutes les idées non-orthodoxes), puisqu’il a vu que le peuple orthodoxe spirituellement appauvri pouvait bénéficier de tels livres (en cela il ne faisait que suivre l’exemple antérieur de saint Nicodème de la Sainte Montagne). Pour tout cela, nos « élitistes » actuels tentent de le discréditer en salissant son nom et l’appelant « scolastique ». L’implication plus profonde de ces critiques est claire : si nous ne pouvons pas faire confiance à de grands enseignants orthodoxes comme le Bienheureux Augustin et l’évêque Théophane, alors comment nous autres, chrétiens orthodoxes ordinaires, pouvons-nous comprendre les complexités de la doctrine orthodoxe ? La « vraie doctrine » de l’Église doit être si subtile qu’elle ne peut être comprise « vraiment » que par les quelques personnes détentrices des diplômes de théologie des académies orthodoxes modernistes où le « renouveau patristique » est en pleine floraison, ou qui sont autrement certifiés comme penseurs « véritablement patristiques ».

Pourtant, une étrange contradiction intérieure habite cette « élite patristique » : leur langage, leur ton, leur approche de ces questions — sont tellement occidentaux (parfois même « jésuitiques » !) qu’on arrive à s’étonner de leur aveuglement à vouloir critiquer ce qui fait évidemment tellement partie d’eux-mêmes.

L’approche « occidentale » de la théologie, la logique extrême dont, oui, le bienheureux Augustin (mais pas Mgr Théophane) a souffert, la dépendance excessive aux déductions de notre esprit faillible – sont partie intégrante de chaque homme vivant aujourd’hui et il est simplement insensé de prétendre que c’est un problème de quelqu’un d’autre, et non de nous-mêmes d’abord et avant tout. Si seulement nous avions tous ne serait-ce qu’une partie de cette profonde et vraie Orthodoxie du cœur (pour reprendre une expression de saint Tikhon de Zadonsk) que le bienheureux Augustin et l’évêque Théophane possédaient tous deux à un degré superlatif, nous serions beaucoup moins enclins à exagérer leurs erreurs et défauts, réels ou imaginaires.

Que les correcteurs de l’enseignement d’Augustin continuent leur travail s’ils le veulent ; mais qu’ils le fassent avec plus de charité, plus de compassion, plus d’orthodoxie, plus de compréhension du fait que le bienheureux Augustin est dans le même ciel vers lequel nous aspirons tous, à moins que nous ne voulions nier l’orthodoxie de tous ces Pères qui le considéraient comme un saint orthodoxe, de premiers Pères de la Gaule à Sts. Photius de Constantinople, Marc d’ Éphèse, Démétrius de Rostov, à nos enseignants récents et actuels d’orthodoxie, conduits par l’archevêque Jean Maximovitch. Au moins, il est impoli et présomptueux de parler irrespectueusement d’un Père que l’Église et ses Pères ont aimé et glorifié. Notre « exactitude » — même si elle est vraiment aussi « correcte » que nous pouvons le croire — ne peut être une excuse pour un tel manque de respect. Les chrétiens orthodoxes qui continuent à exprimer leur compréhension de la grâce et du péché ancestral dans une langue influencée par le bienheureux Augustin ne sont pas privés de la grâce de l’Église ; que ceux qui sont plus « corrects » qu’eux dans leur compréhension craignent de perdre cette grâce par orgueil.

Depuis la publication initiale de cette étude, il y a eu une réponse catholique romaine : nous avons été accusés d’avoir essayé de « voler » le bienheureux Augustin aux Latins ! Non : le bienheureux Augustin a toujours appartenu à l’Église orthodoxe, qui seule a correctement évalué à la fois ses erreurs et sa grandeur. Que les catholiques romains pensent ce qu’ils veulent de lui, mais nous avons seulement essayé de souligner la place qu’il a toujours occupée dans l’Église orthodoxe et dans le cœur des croyants orthodoxes.

Par les prières du saint Hiérarque Augustin et de tous vos saints, Seigneur Jésus-Christ notre Dieu, ayez pitié de nous et sauvez-nous ! Amen.

Hiéromoine Seraphim
Pâques, 1980

 

 


 

Hieromonk Seraphim Rose, The Place of Blessed Augustine in the Orthodox Church, Saint Herman of Alaska Brotherhood, Platina, California, 1983
Version électronique disponible sur le site Starting on the Royal Path [anglais]
Traduction: hesychia.eu

 

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