Hagiographie, Histoire, Les pères de la foi, Orthodoxie

Hérésies et hérétiques – lettres d’un confesseur de la doctrine véritable : saint Théodore Studite

1 septembre 2023

Lettre à son disciple Naucrace

 

« Si les iconoclastes vous attaquent, ne leur ouvrez pas la porte. Agissent-ils en brigands, selon leur coutume ? Vous n’êtes plus responsables. Ne reculez pas ; mais tenez ferme jusqu’à la persécution et à la déportation. La ruine est sur leur tête : pour vous, ne vous éloignez pas du sanctuaire pour les mystères sacrés et pour l’office. Je ne sais s’ils profaneront votre temple par leur abomination, je veux dire par leur liturgie »

Sirmond, II, 36 et 129 ; – Maï, 104 / p.9

« Les divins autels sont profanés ; l’enlèvement des images vénérées a fait perdre aux temples saints tout leur éclat. Presque toutes les âmes faiblissent et donnent aux impies des attestations d’hérésie. Il en est peu qui résistent, et ceux-là passent par le feu des afflictions. Entre les évêques, ceux de Smyrne et de Cherson sont tombés ; parmi les abbés, ceux de Chrysopie, de Dios et de Chara, avec presque tous ceux de la capitale. En Bithynie, grâce à Dieu, on résiste. Personne chez les laïques n’est demeuré ferme, sauf Peximénite, qui a été fouetté, puis banni. Un seul des clercs est cité, l’admirable Grégoire ; mais il y a jusqu’à six abbesses détenues dans les monastères. »

« Ceux qui refusent d’obéir, les iconoclastes les mettent en prison, les frappent, les étouffent, les accablent, les tourmentent, les exilent, les enchaînent, et inventent contre eux toute sorte de mauvais traitements. »

« Où est l’assemblée des prêtres ? Où sont les ordres moindres ? Ô ruine ! Ils sont devenus des hommes de ce temps ! »

« Reste-t-il à Byzance quelques lueurs d’orthodoxie ? Ou tous ont-ils fléchi, et sont-ils devenus en même temps des hommes inutiles ? »

« Qu’arrivera-t-il de nous, si ayant pour roi le maître de toutes choses, nous n’osons pas même parler en secret aux hommes de même foi ? Aussi est-il dit par manière de grand reproche : La bouche des hommes pieux garde le silence. Cependant on nous ordonne de fuir la tentation : il faut donc prendre un moyen terme. Et si, après cela, la persécution nous atteint, bienheureux serons-nous. »

p.12

 

Lettre au Souverain Pontife Pascal Ier

 

« Déjà tous les autels ont été souillés ; tous les édifices sacrés le sont à leur tour. Toutes les réunions suivent l’hérésie. Notre temps diffère à peine du paganisme. — Autels souillés, églises ravagées. — De la vient la détention du patriarche, l’exil et la déportation des archevêques et des prêtres, les entraves et les chaînes de fer des religieux et des religieuses, leurs tortures et enfin leur mort. Ô parole affreuse ! La vénérable image du Dieu Sauveur, que les démons mêmes redoutent, est couverte d’insultes et tournée en dérision, non seulement dans la ville impériale, mais encore par toute la contrée et dans toute bourgade. Les autels sont détruits, les sanctuaires déshonorés, les choses saintes profanées. Ceux qui demeurent fidèles à l’Évangile ont versé leur sang, et le versent encore ; et ceux qui restent sont poursuivis et exilés. »

p.13

 

Lettre au patriarche d’Alexandrie

 

« Les autels ont été sapés, les sanctuaires du Seigneur anéantis, et dans les maisons, et en général, et dans les appartements des hommes et des femmes, les anciens comme les nouveaux. Spectacle lamentable de voir ainsi les églises de Dieu dépouillées de leur parure propre et demeurer défigurées… L’Arabe qui vous opprime eût peut-être agi avec plus de retenue… Les évêques et les prêtres, les moines et les séculiers, tout sexe et tout âge, ont les uns fait naufrage dans la foi, les autres, dont la pensée n’est pas encore au fond de l’abîme, à moitié participé à la communion hérétique par crainte de la mort corporelle. Il en existe qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal : d’abord, le premier de tous, notre Chef sacré, puis les évêques et les prêtres du Seigneur, les moines et les religieuses. Les uns ont éprouvé les insultes et les fustigations, les autres les liens et la prison, ne recevant qu’un peu de pain et d’eau. Il y en a eu de relégués par le bannissement, de réduits à vivre dans les déserts, sur les montagnes, dans des cavernes et des grottes de la terre. Plusieurs, après avoir été fouettés, s’en sont allés vers le Seigneur, comme des martyrs ; quelques autres, mis dans des sacs, ont été, durant l’obscurité, précipités à la mer, comme on l’a su de ceux qui l’avaient vu. Qu’y a-t-il encore ? On anathématise les Saints Pères, on exalte les impies, les enfants apprennent la doctrine de l’impiété, dont le volume est donné à leurs maîtres. Plus de refuge pour le corps sur le globe. On ne peut proférer une parole pieuse : car on est surveillé de près. Il faut que l’homme se délie de sa femme. Les délateurs et les rédacteurs de rapports sont payés tout exprès pour cela par le pouvoir, afin de noter où et en quoi on ne parle pas selon le bon plaisir de Sa Majesté, on ne participe point à l’impiété. On possède quoique livre parlant des images, ou quelque image elle-même ; on a accueilli un fugitif, ou on a servi ceux qui sont captifs pour Dieu : est-on surpris ? Aussitôt on est enlevé, flagellé, banni : de là des maîtres qui se jettent aux pieds do leurs esclaves par crainte de la délation. »

p.13-14

 

Lettre au patriarche de Jérusalem

 

« L’empereur poursuit, dans leurs représentations, le Christ, sa Mère et ses serviteurs ; partout où il les trouve, il les détruit et les brûle. De là, les autels ruinés, les saints lieux flétris, les vases sacrés consumés ; et il n’existe aucune partie de son empire qui demeure à l’abri de ces ravages. Bien plus, s’il se trouve quelqu’un qui ait caché une vénérable image ou des tablettes qui portent quelque chose d’écrit à ce sujet, aussitôt on est arrêté, déchiré à coups de fouet, et l’on endure toute sorte d’autres souffrances. De là l’effroi, l’épouvante et la stupeur pour tout homme ; en sorte que le frère maudit son frère, et que l’ami se détourne de son ami. Un synode a confirmé la suprême impiété du synode précédent et frappé d’anathème le concile orthodoxe. Les prêtres ont perdu l’esprit et n’ont point recherché le Seigneur ; à fort peu d’exceptions près, composées d’évêques et de prêtres, de moines et de religieuses, et par la grâce de Dieu, de l’archevêque, notre chef suprême. Parmi eux, les uns ont été fouettés, d’autres bannis, d’autres emprisonnés. Quelques-uns, à la suite de ces châtiments, sont sortis de ce monde, après avoir remporté la couronne du combat… On nous enlève, dit-il un peu plus loin, les cantiques qu’une antique tradition nous a laissés, où se chante quelque chose sur les images. El on chante en échange les nouveaux dogmes impies exposés en public ; il y en a d’autres que les maîtres transmettent aux enfants. »

p.14-15

Lettre aux moines de Saint Sabas

 

« Les saints autels ont été souillés, les temples du Seigneur flétris, offrant un objet de deuil à qui les contemple en toute ville et région de celle obéissance, et dépouillés de l’ornement qui leur est propre, de la divine beauté. Les vases sacrés sont fondus, les vêtements sacrés livrés au feu, avec les dessins sur les tableaux et les livres où se lit quelque chose sur les images. Le grand mystère de l’incarnation est tourné en ridicule. Il en résulte des perquisitions et des enquêtes, et par individu et par demeure, des terreurs et des menaces, pour ne laisser hors de la saisie des hérétiques aucune image, et bien moins encore toute sorte d’image. Les prêtres s’écartent de la loi ; les moines cessent de l’être par leurs violences contre leurs frères. Les disciples s’élèvent contre leurs maîtres, et obtiennent le supériorat comme prix de leur défection. Quiconque se distingue par ses fureurs contre le Christ, se rend ainsi digne de plus d’honneurs ; pour ceux qui résistent, les fouets, les liens, les prisons, les tortures de la faim, l’exil, la mort. Le sacerdoce n’est point respecté par les impies, la vieillesse n’est point pour eux un objet de pitié, non plus que la pratique de la piété, ou ce qui d’ordinaire mérite la compassion. Il n’y a qu’une loi : la volonté du prince ; un souci : y contraindre tout le monde. Les déserts sont peuplés de ceux qui ont fui ; les rochers et les cavernes de ceux qui s’y sont réfugiés »

p.15

 

Lettre à la laure de Saint Chariton

 

« On exige par écrit des attestations d’impiété ; la participation à la communion impie est l’objet de grandes recherches et enquêtes, de façon à ce qu’aucun homme ne puisse s’en préserver. Car il faut de deux choses l’une : ou adorer une image d’or, ou se soumettre à la flamme cruelle des tortures. Et d’ailleurs, ceux qui n’ont pas fléchi sont aisés à compter… Quiconque est surpris cachant un seul fidèle, court un grand risque ; et encore quiconque, même en secret, fuit la communion détestable, ou garde une image ou un livre qui en traite. La bouche des hommes qui ont des sentiments de piété est réduite au silence; la langue blasphématrice a toute liberté. C’est maintenant, dit-elle, qu’on a fait disparaître » les abominations du polythéisme païen, qu’on a purifié l’Église, qu’a brillé la lumière aux yeux des chrétiens, retenus dans les ténèbres de l’ignorance

p.15-16

 

Circulaire destinée à soutenir le courage des moines

 

« Ces abbés devaient édifier les orthodoxes, affermir les monastères, fortifier ceux qui souffrent dans l’exil. Qu’avons-nous donc à préférer nos monastères â Dieu, et leurs agréments aux désagréments que nous souffrons pour la vertu? Où est la gloire et la force de l’ordre monastique? Mais les abbés allèguent, dit-on, pour leur défense: Que sommes-nous? D’abord, ce sont des chrétiens, qui maintenant doivent absolument parler ; puis des moines qui ne doivent se laisser entraîner par quoi que ce soit, n’ayant aucune attache au monde, ni aucune influence; enfin ce sont des abbés, qui doivent et faire disparaître les fautes des autres, et ne donner eux-mêmes aucun scandale. Or, si le silence est une partie du consentement, de quelle gravité est-il de garantir par écrit ce silence devant toute l’Eglise ? Vienne quelqu’un, abbé ou autre, s’enquérant de la vérité, que répondra l’abbé ? Sans doute : J’ai reçu des instructions pour ne pas parler. Plaise à Dieu qu’il s’en  tienne là, et n’ajoute pas : Même pour ne pas vous recevoir dans le monastère, ni manger avec vous. »

Lettre au moine Euprépien

 

« Malheur à moi ! Qu’avez-vous fait, mon frère ? Jadis confesseur de la foi, vous trafiquez maintenant du Christ. Vous, jadis retenu, jusqu’à un simple regard, vous êtes le serviteur d’une femme, pour ne rien dire de plus. Vous appellerai-je moine? Mais vos cheveux ! — Je porte dans mon cœur, dites-vous, l’habit monastique; et je n’ai point apostasié intérieurement. — Tous ceux qui participent à l’hérésie en disent autant. Mieux eût valu pour vous y tomber, et vous repentir, plutôt que de rejeter notre saint vêtement et de persévérer dans l’impénitence ! »

p.27

 

Les tribulations

 

« J’ai sans cesse à mes côtés un des geôliers, qui s’échangent chaque semaine pour cet office. Avec lui nous disons l’office, nous prenons nos repas et notre repos. Notre journée se partage, comme le sait Dieu qui nous voit, entre le travail, la lecture, le silence, et parfois aussi la conversation sur les événements; nous en parlons entre nous et avec nos visiteurs, qui sont des gens de bien ou des moines. Car Dieu a porté des hommes du pays, ou encore des étrangers, ou même des personnes fort éloignées, à nous prodiguer les consolations corporelles et spirituelles; plusieurs nous sont tellement attachés, qu’ils nous donnent leur main pour attester qu’ils persévéreront jusqu’à la mort dans les combats pour la foi. Ne m’envoyez pas de livres, si ce n’est peut-être un dictionnaire et la feuille où j’ai sténographié le discours que Hypatius avait montré à Calliste pour en tirer copie. Par nos amis nous pouvons encore avoir ici quelques livres à lire. »

p.32

 

Lettre à Naucrace

 

« Après nous avoir déchirés à coups de fouet (lui et son disciple Nicolas) ils nous ont enfermés dans une salle haute, ont muré la porte et enlevé l’échelle. Tout autour, des gardes, pour que personne n’approche et ne touche notre réduit. Et même quiconque entre dans l’enceinte fortifiée, voit venir à sa rencontre les gardes qui ne le laissent marcher nulle part ailleurs que vers leur propre maison, jusqu’à ce qu’il ressorte. Il y a un ordre sévère de ne nous donner quoi que ce soit, hormis de l’eau seulement et du bois. Ils nous ont ainsi placés comme dans un tombeau, et pour nous tuer. Mais par sa miséricordieuse bonté, Dieu nous nourrit et avec les provisions que nous avons apportées d’avance, et avec ce qu’on nous fait donner par l’ouverture de la fenêtre, où un homme monte par l’échelle à l’heure marquée. Tant donc qu’il y a de quoi nous soutenir à l’intérieur, ou que l’un des portiers ou l’officier de semaine nous apporte en cachette quelque chose de chez lui, Dieu nous nourrit et nous le glorifions. Mais quand, par la permission du Seigneur, les provisions manqueront, la vie nous manquera en même temps, et nous nous en réjouissons. Et c’est un bienfait de Dieu »

p.33

 

« Réjouissez-vous, bien chers frères et pères, car voici des nouvelles pleines de joies. Nous avons été de nouveau jugés dignes, malgré notre indignité, de confesser la belle confession. Nous avons de nouveau été tous deux maltraités pour le nom du Seigneur. En effet, le frère Nicolas a aussi soutenu une lutte très belle et très fidèle. Dans notre néant, nous avons vu à terre le sang de nos chairs épuisées; nous avons contemplé les plaies, l’inflammation et autres conséquences. N’est-ce point de la joie; n’est-ce point de l’allégresse spirituelle? Mais qui suis-je, infortuné, pour être compté parmi vous, dignes confesseurs du Christ, moi le plus inutile de tous les hommes? Or la cause de ce qui s’est passé est mon ancienne catéchèse. L’empereur l’ayant eue en main, l’a envoyée au commandant de l’armée en ordonnant que le comte de la cohorte se présentât devant nous. Étant venu dans l’obscurité avec des officiers et des soldats, ce comte entoura la petite maison où nous étions, à l’improviste et à grands cris, comme un chasseur qui tombe sur quelque proie. En un clin d’œil, des sapeurs rompirent le barrage de la porte. Puis il apporta, lut et présenta la catéchèse. Nous avouâmes que c’était bien nous qui l’avions faite, selon la volonté de Dieu. Pour lui, il ne demandait qu’une chose, c’était que nous en vinssions au désir de l’empereur. À Dieu ne plaise! avons-nous répondu, comme l’exigeait la vérité ; nous n’abandonnons pas Notre-Seigneur; et tout ce que nous devions répondre à ceux qui nous écoulaient. À ce moment, il nous a violemment frappé. Et le frère n’a rien souffert d’aussi terrible dans ses peines après son incarcération. Pour moi, dans ma bassesse cl ma misère, saisi par des fièvres très violentes et des douleurs difficiles à supporter, peu s’en est fallu que je n’aie désespéré de vivre. Néanmoins le Dieu bon a eu quelque peu pitié de moi, le frère y ayant contribué en ce qu’il a pu ; bien que les plaies subsistent encore, n’ayant pas obtenu une parfaite guérison. »

p.33-34

 

Lettre à Théophile, évêque d’Éphèse

 

« J’ai eu en main la lettre qu’a expédiée Votre Sommité sacrée à (l’abbé) Athanase, notre frère ; et, après l’avoir lue, je me suis affligé, ô Père très honoré, d’une assez grande affliction: d’abord, parce que, même au milieu de nous qui distribuons convenablement la parole de la vérité contre l’hérésie des iconoclastes, viennent des querelles et s’élèvent des divisions ; puis, à cause que je suis forcé, moi qui ne suis rien, de faire en sens contraire une dissertation. Mais que Votre Magnificence le pardonne : cette parole regarde la vérité, et à côté d’elle, il n’y a rien de plus honorable ni de plus respectable. Or, que porte la lettre qui fait peine? Nous, y est-il dit, nous n’avons pas conseillé ni de tuer les manichéens, ni de ne les point tuer. Mais si nous l’avions accordé, nous eussions fait la plus admirable des grandes choses. Que dites-vous, ô homme honoré de Dieu? Le Seigneur l’a défendu dans l’Évangile, en disant : Non; de peur qu’en recueillant l’ivraie, vous n’arrachiez le blé avec elle. Laissez-les croître ensemble jusqu’à la moisson. Et vous, vous prétendriez que la permission de les arracher est la plus belle des grandes choses ! Or, qu’il ait appelé ivraie les hérétiques, c’est-à-dire et ceux de ce temps-là, et ceux qui vivraient avec d’autres hommes, c’est-à-dire, tous en général, écoutons saint Chrysostome l’interprétant de la sorte[1] : ‹ Qu’interdit donc le Maître par ces paroles ? Il interdit les guerres, l’effusion du sang, les meurtres. Car il ne faut pas tuer les hérétiques. Autrement une guerre sans merci allait entrer dans le monde. › Et un peu plus loin : ‹ Que dit-il autre chose sinon: Si vous allies prendre les armes et égorger les hérétiques, beaucoup de saints seraient aussi nécessairement mis à mort. › Ce qui est également arrivé en notre temps. Car le sang et le meurtre ont rempli notre univers, et beaucoup de saints s’en sont allés en même temps; et la parole du Seigneur n’est pas demeurée sans effet, comme beaucoup de gens en sont convaincus. Mais que disons-nous qu’il ne faut pas permettre de tuer les hérétiques? Il ne nous a même pas été accordé de les maudire. Entendons encore le Seigneur parlant à saint Carpus, comme l’a indiqué la parole de saint Denis, tout rempli de sagesse[2] : « Frappe sur moi désormais, dit le Seigneur, car je suis prêt à souffrir encore pour le salut des hommes, parce que cela m’est fort agréable; pourvu que les autres hommes ne pèchent pas. Or, vois s’il est bon pour toi d’échanger le séjour dans le gouffre (de l’enfer) avec les serpents au lieu de la demeure avec Dieu, les bons et les anges amis des hommes. » Vous voyez, ô vous qui avez l’intelligence des choses divines, l’indignation de Dieu, lorsque Carpus eut maudit les hérétiques, pour qu’ils sortissent de la vie; et comment, s’il eût persévéré dans cette disposition, ce saint devait être condamné. Il ne faut donc nullement, comme la vérité l’a fait voir, les maudire, mais bien plutôt prier pour eux ; comme le Seigneur lui-même l’a indiqué au temps de sa passion, en disant à son Père : ‹ Mon Père, pardonnez-leur ce péché, car ils ne savent ce qu’ils font. › Or, pour ce que dit Votre Sainteté, que ces saints sont conformes à sa proposition, nous ne prenons pas comme il faut les paroles des saints, et il se trouve ainsi que nous introduisons une opposition avec les Pères ou plutôt avec Dieu. Car le divin Cyrille, dans ses livres contre Julien, a prolongé son discours selon ce qui était depuis longtemps établi comme une loi. Il n’a pas mis en opposition l’Ancien Testament avec le Nouveau, loin de là: car il n’ignorait pas que tout ce que dit la loi, elle l’énonce pour ceux qui sont soumis à cette loi ; ni le rapprochement que fait le Sauveur, en disant : ‹ Il a été dit aux anciens telle chose; pour moi, je vous dis ceci. › Ainsi, comme le dit le divin Denis à un nommé Démophile, nous ne recevrons pas vos transports peu enviables, non pas même quand vous citeriez mille fois Phinée et Elie. Car Jésus, entendant ces exemples, ne se complut pas en ses disciples qui n’avaient pas eu part à cet esprit de bonté el de mansuétude. Et, en effet, le très divin fondateur de nos mystères enseigne dans la mansuétude ceux qui étaient opposés à la doctrine de Dieu. Car il faut instruire, et non châtier ceux qui n’ont pas la science. Nous nous sommes donc mis dans l’esprit, ô bienheureux Père, ce qu’a également dit saint Paul, le soleil du monde. D’ailleurs, ‹ il faut haïr ceux qui haïssent Dieu, a dit Ignace Théophore, et sécher de douleur sur ses ennemis; mais nous ne devons pas les poursuivre ou les frapper comme les peuples qui ignorent Dieu[3]. › Or, s’il faut ne pas les frapper, à bien plus forte raison ne pas les tuer. Mais puisque vous avez choisi saint Siméon de l’Admirable Mont pour fortifier votre sentiment, ne vous imaginez pas, ô saint homme, qu’il combat le Christ, ou des maîtres au-dessus de lui. Mais que se passa-t-il? Une nation maltraitait la tribu chrétienne. Il prend à ce sujet la parole pour exhorter l’empereur de ce temps-là à ne pas laisser ravager les chrétiens par les Samaritains; ce qui est bien. Et maintenant, nous donnons les mêmes conseils aux empereurs pour qu’ils combattent les Scythes et les Arabes qui massacrent le peuple de Dieu, et pour qu’ils ne les épargnent pas. Mais ce sont deux choses différentes: ceci est à propos d’ennemis, et cela concerne des hérétiques, sujets de l’empire. Aussi, le fait de Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople, qui aurait prescrit de mettre en croix des magiciens, ne me semble pas vrai : il l’a simplement permis. Car ce sont eux-mêmes des homicides, et il ne faut pas empêcher les autorités d’exécuter à leur égard les lois romaines : ‹ Car ce n’est pas en vain, est-il écrit, qu’elles portent le glaive; elles tirent vengeance de celui qui fait le mal. › Mais il ne faut pas le leur permettre envers ceux sur lesquels le Seigneur l’a prohibé. Les maîtres du corps ont permission de châtier ceux qui sont surpris en des fautes corporelles, mais non ceux dont les fautes sont spirituelles. Ceci regarde les maîtres des âmes, qui ont pour châtiment l’excommunication et les autres peines. C’est ainsi, ô maître, que nous pensons dans notre bassesse; et même, pour le dire dans notre folie, nous avons même dit ouvertement à notre bienheureux patriarche que l’Église ne se venge point par l’épée ; et il en est tombé d’accord. Et aux empereurs qui ont commis des meurtres; à l’un : Dieu ne s’est pas complu en cette exécution; au second, qui exigeait la défense du meurtre : On m’enlèvera plutôt la tête, que de m’y faire consentir. Voilà nos actes, pécheurs que nous sommes. Pour vous, très saints, si vous avez lu un autre Évangile que nous ne connaissons pas, à la bonne heure ! Autrement, considérez ce que l’Apôtre explique. »

p. 37-41

[1] Homélie XLVI sur l’Évangile de Saint Mathieu

[2] Lettre huitième au moine Démophile

[3] Épître aux Philadelphiens

L’Abbé A. Tougard, La persécution iconoclaste d’après la correspondance de Saint Théodore Studite, Librairie V. Lecoffre, Paris, 1891

 


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