Saint Gabriel Ourguébadzé naquit en 1929 à Tbilissi, au temps où les persécutions se déchaînaient furieusement contre l’Église, obligeant les chrétiens à dissimuler leur foi. Son père, Basile, qui dirigeait le kolkhoze local, mourut assassiné, et l’on nomma désormais l’enfant Vasiko.
Dès son plus jeune âge, il se détournait des jeux turbulents et préférait rester seul à construire des petites églises avec des cailloux. Quand il entendit parler de Dieu pour la première fois, à l’âge de sept ans, il décida de ne vivre que pour le Christ et, ayant recueilli un peu d’argent, il s’acheta un évangile qui ne le quitta plus. Un jour, alors qu’il se tenait sur le balcon, une voix intérieure l’invita à regarder le ciel. Il vit alors une grande croix qui touchait la voûte céleste, et c’est plus tard qu’il comprit qu’elle signifiait les épreuves qu’il aurait à supporter par amour du Christ. Un peu plus tard, à l’âge de douze ans, un démon avec une figure effrayante lui apparut dans son sommeil et lui dit : « Tu te bats contre moi, n’est-ce pas ? » et il lui asséna un coup de poing qui le laissa sans connaissance. Après cette expérience, il se dit : « Si le démon existe, c’est bien la preuve que Dieu existe ! » Et il engagea avec une plus ferme résolution ses combats spirituels. Il acquit la grâce d’accomplir des miracles et le don de clairvoyance, si bien qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, il donnait des informations sur les combattants du front dont on n’avait pas de nouvelles, et réconfortait ceux qui venaient à lui en les exhortant à ne pas abandonner l’Église. Ses paroles s’avéraient toujours pertinentes, et il acquit une renommée grandissante. Pour lutter contre la vaine gloire, il se mettait dans le lieu réservé aux ordures en disant : « Rappelle-toi toujours Vasiko, que tu es une poubelle et ne pense jamais beaucoup de bien de toi-même. » Comme il était alors interdit de garder des icônes chez soi, il se rendait dans les maisons, indiquait l’endroit où des icônes se trouvaient cachées et exhortait les habitants à leur rendre honneur ou à les lui donner. Il recueillit ainsi un très grand nombre d’icônes qui, par la suite, remplissaient sa cellule jusqu’au plafond.
Sa mère, voulant entraver son mode de vie, lui disait : « Cesse de te tourmenter ainsi ! Vis comme les gens ordinaires ! Sois religieux, mais pas au point de ne vouloir que le seul Évangile et la religion ! » Comme il refusait de se soumettre, elle jeta son évangile dans la fosse d’aisances. Vasiko l’en retira aussitôt, le serra sur sa poitrine et, la nuit venue, il quitta la maison pour se rendre à pied à Mtskheta. Reçu par la mère abbesse du couvent de Samtavro, il alla ensuite au monastère de Svetitskhoveli (le « pilier de vie »), dédié à la tunique du Christ. Mais comme un décret du pouvoir communiste interdisait d’héberger des adolescents, il dut le quitter au bout de trois jours et parvint au monastère de Zedazeni. Il alla ensuite se réfugier au monastère de Béthanie, où il fut accueilli par les Pères Georges Mkheidzé et Jean Maisuradzé, qui devinrent ses guides spirituels. Il dut finalement retourner chez lui, mais adopta un régime de vie monastique et sa prière intense rendait son visage lumineux. Il allait chaque mois à Béthanie et fréquentait aussi le monastère de Martkopi, où vivait un moine doté du don de clairvoyance, le Père Aitala.
Appelé au service militaire en 1949, il fut convoqué à l’hôpital et interrogé sur ses visions et sa vie religieuse. Déclaré malade mental, il fut renvoyé chez lui et put reprendre ses activités spirituelles. Il entreprit alors de lui-même la construction d’une église dans la cour de sa maison. À plusieurs reprises, la police vint détruire l’édifice, mais chaque fois le serviteur de Dieu reprenait l’ouvrage, mystérieusement aidé par la grâce divine. Il servait en même temps comme gardien de la cathédrale de Sion et, marchant pieds nus dans les rues de la cité, il exhortait les passants à se réveiller de leur torpeur pour connaître le Christ. L’évêque de Koutaïsi remarqua sa piété et l’invita à servir au monastère de Motsaméta. Tonsuré moine sous le nom de Gabriel, en février 1955, il fut ordonné diacre et prêtre quelques jours plus tard. Il redoubla dès lors de zèle pour la vie ascétique et pour faire rayonner autour de lui l’amour de Dieu, malgré les efforts des autorités pour le discréditer, lesquels l’amenèrent au seuil du désespoir. De retour à Tbilissi au bout d’une année, il servit d’abord à la cathédrale de Sion, puis fut affecté au monastère de Béthanie. Mais deux ans plus tard, après la mort des Pères Georges et Jean (1962), le gouvernement ferma le monastère, et le Père Gabriel dut rentrer à Tbilissi. De 1962 à 1965, il servit dans la cathédrale de la Trinité et de Tous les Saints, avec une petite communauté de fidèles qui se réunissait autour de lui.
Rempli du zèle des prophètes de jadis, lors de la parade du 1er mai 1965, il brûla l’immense portrait de Lénine, de douze mètres de hauteur, qui était accroché à la façade du Soviet Suprême de Tbilissi, en déclarant devant la foule épouvantée : « La gloire n’est pas nécessaire à ce mort, mais gloire au Christ, qui a soumis la mort et nous a bénis en nous donnant la vie éternelle ! » Aussitôt arrêté, il fut interrogé et roué de coups. On le transporta à l’hôpital avec dix-sept fractures, et il fut condamné à mort. Les services de sécurité le soumirent à la torture, lui promettant la vie sauve s’il avouait qu’une conspiration était tramée par l’Église ; mais il resta inébranlable, continuant à taxer Lénine de bête sauvage, ce qui lui valut d’être de nouveau frappé sans merci. Comme son affaire était désormais connue à l’étranger, la condamnation à mort fut mutée en ordre d’internement à vie dans un hôpital psychiatrique, où le traitement n’était pas moins cruel que dans les sous-sols de la police. Libéré au bout de sept mois, grâce à l’intervention de personnalités géorgiennes, il rentra chez lui et adopta le comportement d’un malade mental : prêchant bruyamment dans les rues et feignant d’être ivre ; mais il accomplissait des miracles en faveur des fidèles et ramena à la foi quantité de personnes. Il était régulièrement convoqué par les agents des services de sécurité, qui le frappaient sans pitié, jusqu’à le laisser sans connaissance. Ils firent pression sur le patriarche Éphrem II qui, malgré son affection pour le saint, le suspendit de ses activités sacerdotales. Le Père Gabriel se soumit, mais il accrut son ministère apostolique et distribuait aux pauvres l’argent qu’il recueillait en mendiant.
En 1972, il fut rétabli dans ses fonctions et placé comme prêtre au couvent et séminaire de Samtavro. Jusqu’en 1990, il se rendait souvent, seul ou accompagné de quelques fidèles, en pèlerinage dans les églises et les monastères détruits ou abandonnés, en prophétisant que viendrait le temps où ces églises seraient restaurées et la vie liturgique rétablie, ce qui semblait tout à fait impossible à l’époque. Le reste du temps, délaissant la cellule qu’on lui avait attribuée dans la tour du monastère, il logeait dans un ancien poulailler, situé dans la cour, sans chauffage et où il pouvait à peine se tenir debout. Pendant les quatre dernières années de sa vie, il retourna dans sa cellule de la tour, laquelle était remplie d’icônes et d’objets ecclésiastiques divers, et où il recevait les fidèles venus à lui pour se confesser ou pour recevoir ses enseignements. Grâce à son don de clairvoyance, il tira de multiples âmes de l’abîme du péché. Il dissimulait avec soin son don de thaumaturge ; mais quand il s’agissait de défendre la vraie foi, il se montrait intraitable. En 1991, alors que l’insurrection contre le régime commençait à prendre le caractère d’une guerre civile, le Père Gabriel sonna les cloches du monastère et redoubla son jeûne et ses prières, suppliant la Mère de Dieu de sauver la Géorgie.
Durant les dernières années de son séjour terrestre, il fut atteint d’un douloureux œdème et, s’étant cassé la jambe, il dut rester alité pendant un an et demi. Il continuait cependant de recevoir les fidèles et leur disait : « Votre vie est ma vie. Si vous ne vous sacrifiez pas pour votre peuple, rien de bon ne sortira. » Sa prière était toujours accompagnée de larmes, et ses paroles sur l’amour de Dieu et du prochain, sur l’humilité et le repentir, pénétraient profondément dans le cœur de ses visiteurs.
Un jour avant sa mort, le Père Gabriel annonça que le moment de son départ était venu. Il caressa avec sa main droite l’icône du Sauveur, suspendue au-dessus de sa tête, garda le silence pendant un certain temps et dit : « Je Te suis, ô Christ, depuis l’âge de douze ans. Je suis prêt, prends-moi ! » Après avoir passé la nuit accablé de terribles douleurs, il s’endormit au matin du 2 novembre 1995, le sourire aux lèvres, entouré des membres de sa famille, des sœurs du couvent et des prêtres, l’archevêque Daniel ayant lu les prières des agonisants. Son corps fut enseveli dans la cour du monastère, à même la terre, conformément aux usages monastiques. Par la suite et jusqu’à ce jour, de nombreuses guérisons se sont accomplies auprès de sa tombe, sur laquelle sont écrites les paroles qui terminaient son Testament : « La vérité est dans l’immortalité de l’âme ».
Le Synaxaire. Vie de Saints de l’Église orthodoxe
Deuxième édition
par hiéromoine Macaire, monastère de Simonos Pétra au Mont Athos
Troisième volume [novembre], publié par les éditions Simonos Pétra
La vie de saint Gabriel Ourguébadz est publiée ici avec l’aimable autorisation de l’auteur
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