Littérature, Orthodoxie

L’homme intérieur, le visage, et le masque – par Max Picard

4 octobre 2020

Le visage de l’homme est présenté plutôt à Dieu qu’aux hommes ; il est avant tout réponse à Dieu ; il répond au Créateur. Cette réponse se fait dans le silence. Tout dans le visage se règle sur cette réponse. Le visage ne se fait entendre et ne devient clair pour les hommes que dans la mesure où le permet la réponse à Dieu, le silence attentif à Dieu. Cette clarté qui se fait entendre pour les hommes est subordonnée à ce silence. [p.11]

 

Francesco d’Este par Rogier van der Weyden, Néerlandais, v. 1399–1464

Beaucoup de visages dessinés par Daumier ont entièrement oublié qu’ils ont été amenés de l’obscurité dans la clarté par Dieu, par un acte particulier, par l’acte de la Création. Un visage de cette sorte n’est que pêle-mêle de mouvements venant de nulle part et de partout, se rencontrant là par hasard ; c’est par hasard aussi qu’ils se sont combinés pour donner une chose ressemblant à un visage. Les lignes de ces visages sont comme des toiles d’araignée qui trouvent bon d’imiter des visages.
Le visage de l’homme a été anéanti. L’homme s’est modifié physiquement. L’homme ne peut conserver son visage, qui est à la ressemblance de Dieu, que s’il croit en Dieu.

« Car, pour moi, l’homme ne peut être dans sa forme corporelle présente, s’il n’y a pas eu Dieu antérieurement » (Dostoïevski.)  [p.39]

 

 

L’être intérieur veut s’extérioriser ; il veut être sur cette terre, dans la lumière et dans l’air de cette terre ; il veut faire, à l’extérieur, un signe indiquant qu’il fut ici, sur cette terre. Et à l’extérieur, la matière attend ce signe ; ce n’est que si l’être intérieur l’utilise pour se montrer qu’elle est justifiée.
p.43

Quand l’être intérieur n’a rien du tout à envoyer à l’extérieur, quand il n’y a plus d’être intérieur, comme, par exemple, chez la star de cinéma, quand plus rien n’est exprimé sur le visage à partir de l’intérieur, quand tout n’y est plus qu’imprimé de l’extérieur, alors le visage cesse d’être visage, il devient masque élastique. Mais ici, le masque ne sert plus à cacher une réalité ; il est simplement un moyen pour recouvrir une réalité qui n’en est pas une : le vide. Ce visage est plutôt une prothèse qu’un masque.
p.47-48

Comme l’amour veut se communiquer, se donner, il fait que l’être intérieur soit transmis vers l’extérieur, dans le visage, avec sa grandeur. C’est ainsi qu’à la grandeur de l’être intérieur correspond presque toujours aussi la grandeur du visage.
p. 51

Un visage doit se mettre en marche vers un autre ; ainsi seulement il répond au fait qu’il est image de Dieu en un lieu déterminé, ici, sur la terre, parmi les hommes ; c’est par là seulement qu’un visage se réalise.
p.71

Tout le mal est uniforme. Ce sont seulement les ombres inquiètes de l’enfer qui, en tombant sur les visages des méchants, les rendent divers ; c’est une diversité d’apparence.
p. 74

L’homme est institué en vue de la proximité, du Toi ; l’homme doit se réaliser dans ce qui est proche. La réalité de ce qui est proche valable ; c’est d’elle que dépend l’autre réalité, celle qui est dans le lointain.
p. 97-98

Un visage a l’air bon quand l’homme se décide pour Dieu, car Dieu, qui est la bonté suprême, ne se communique pas seulement à l’être intérieur, mais aussi à l’aspect extérieur, au visage : bonum diffusum sui ; le bien se répand partout.
p. 140

C’est en apparence seulement qu’on réussit à échapper à la décision pour Dieu ; la décision elle-même poursuit l’homme et le rattrape. À tout instant de sa vie, l’homme est confronté avec la mort ; à tout instant, il doit se décider pour la vie contre la mort. Certes, ce n’est pas là une décision pour Dieu, c’est une décision simplement naturelle, mais elle dure aussi longtemps que dure la vie et d’elle peut, à tout instant, jaillir la décision pour Dieu.
p. 156-157

Mais si, après l’épiphanie de Christ, l’être intérieur de l’homme néglige de prendre une décision quant à son aspect extérieur, alors le visage se détache entièrement de l’être intérieur ; il n’est plus ferme, il n’est plus suspendu à la tête ; ce visage est interchangeable d’une tête à l’autre ; il appartient à tout le monde et à personne. La force qui ne fut pas utilisée pour l’acte de la liberté semble se rebeller et vouloir repousser le visage de sa place.

« La plupart des hommes actuels ressemblent aux nouvelle maisons de Potsdam où Frédéric II faisait placer, la nuit, des lumières afin que chacun pût les croire habitées. » (Jean Paul, Hesperus)
p. 168

Dans le monde ordonné de Dieu, tout est ferme ; un serviteur y est sûrement un serviteur, il faut qu’il le soit puisque Dieu a pu venir en lui. C’est pourquoi tous les êtres fantomatiques fuient devant Christ. Christ les fait se désagréger.
p. 170

 

Dulle Griet par Pieter Bruegel

 


Max Picard, Le visage humain, Traduit de l’allemand par J.-J. Anstett, Buchet/Chastel, Paris, 1962


 

 


Sur le même thème

Pas de commentaire

Laisser un message

Rapport de faute d’orthographe

Le texte suivant sera envoyé à nos rédacteurs :