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Saint hiéromartyr archiprêtre Jean Vostorgov [† 1919]

9 septembre 2023

 

C’est dans le village de Kirpili du diocèse de Stavropol au Caucase que naquit, en 1864, le futur archiprêtre Jean Vostorgov.

Son père, qui était prêtre Orthodoxe, dirigeait la paroisse du lieu et jouissait de l’affection de tous ses paroissiens. Il mourut très tôt et le petit Jean se rappelait avec amour ce père silencieux et doux, d’une bonté sans limites.

À la mort de leur cher pasteur, les habitants du village vinrent au secours de la jeune veuve et lui trouvèrent une petite situation au service de la paroisse, afin de l’aider à élever ses trois jeunes enfants.

Ceux-ci firent leurs études dans les écoles gratuites destinées aux enfants du clergé russe, écoles dont l’enseignement religieux servait de préface naturelle aux études théologiques ultérieures de ceux qui désiraient consacrer leur vie au service de Dieu et de l’Eglise. L’enseignement donné dans ces écoles était de première qualité et dépassait même celui des lycées ordinaires.

Après ses premières études qu’il termina à l’âge de dix-neuf ans, Jean entrait au séminaire de Stavropol. Il brûlait du désir de continuer à étudier mais il fallait qu’il vînt en aide aux siens. Il trouva une place de professeur de russe dans un lycée de Stavropol. Sa sœur obtint alors une bourse d’État et devint pensionnaire dans un Institut de jeunes filles ; son frère cadet rentra dans son village pour y demeurer avec sa mère et y exercer les fonctions de lecteur à l’église paroissiale, ce qui permit à Jean de poursuivre ses études. Il les termina avec un diplôme de professeur de russe à titre officiel, mais il eut la douleur de voir mourir brusquement son frère.

Le 20 Juillet 1887, à l’âge de vingt-trois ans, Jean Vostorgov devenait prêtre. La cérémonie d’ordination eut lieu le jour de la fête du prophète Elie, à l’église de Kirpili dont il fut nommé curé par son évêque ; mais son séjour n’y fut pas long.

Après avoir été placé à Stavropol où il était chargé de cours de religion, le Père Jean fut transféré à Tiflis (maintenant Tbilissi) et nommé missionnaire diocésain en Géorgie.

Sans rien négliger de son travail, le Père Vostorgov se mit à l’étude du syro-chaldéen, qui est la langue de l’Eglise Perse nestorienne.

(L’hérésie nestorienne, très répandue autrefois en Orient, refuse à la Vierge le titre de Mère-de-Dieu, car elle nie l’incarnation).

Selon cette hérésie, le Christ n’était qu’un homme, dans lequel Dieu le Verbe n’aurait résidé que comme dans un temple, contrairement à la parole de l’Évangile : « Mais le Verbe s’est fait chair » (Jean I :14).

Le Père Jean profitait de la proximité de la Perse-Iran pour y faire de fréquents voyages. Pendant de nombreuses années, il mena un combat opiniâtre pour la rentrée de l’Eglise nestorienne dans l’Eglise Orthodoxe.

Finalement, trois évêques : Mar-Ilia, Mar-loan et Mar-Marian exprimèrent leur désir de s’unir à l’Eglise Orthodoxe, ce qui jeta les fondements d’une mission parmi les Syro-Chaldéens.

À cette époque, l’évêque-exarque de Géorgie, qui était Monseigneur Vladimir, fut nommé métropolite de Moscou et fit venir dans cette ville le Père Jean, pour y travailler à ses côtés comme missionnaire diocésain, mais bientôt le Saint-Synode le nomma prédicateur missionnaire pour la Russie entière, ce qu’il resta jusqu’à sa mort.

D’une belle indépendance d’esprit, l’archiprêtre Vostorgov ne s’en tenait pas seulement au domaine religieux mais il s’intéressait aussi à la vie familiale, sociale, nationale, ce qu’il montra clairement par son patriotisme à l’époque des troubles révolutionnaires.

Sa conduite lui valut la haine des « gauches » et les calomnies des milieux intellectuels libéraux. « Créature ultra-réactionnaire, diable noir, obscurantiste ! », étaient quelques-unes des épithètes employées par ces milieux pour caractériser cet homme remarquable au talent exceptionnel, doué de la plus vaste intelligence, orateur autant qu’écrivain, dont le regard plongeait dans l’avenir.

Ces attaques n’avaient aucun pouvoir sur un homme aussi droit, aussi courageux, aussi idéaliste.

Orateur éminent, les sermons et les conférences de l’archiprêtre produisaient une impression extraordinaire. Il savait analyser et démasquer, aussi bien les doctrines des sectes religieuses que celles des groupements de gauche. Il savait convaincre.

Où ne le voyait-on pas ? Il parcourait sans arrêt toute la Russie : à Irkoutsk, pour la fête de la Sainte-Trinité en 1911, à Petropavlovsk en 1912, puis au Kamtchatka, à Tobolsk, à Omsk… Avec les modestes moyens de transport de l’époque, n’était-ce pas étonnant ?

Vers ces années-là, une question difficile se posa à l’Eglise Russe. L’État organisait le peuplement des régions sibériennes presque désertiques et y envoyait des colons russes. Toute la vie religieuse y était à organiser, mais où trouver des prêtres ? L’État demandait à l’Eglise de résoudre ce problème.

Le Saint-Synode pria l’archiprêtre Vostorgov de prendre la chose en mains. Grâce à son énergie indomptable et à son intelligence, il put tout organiser.

Le Père choisit des instituteurs de village ou des lecteurs d’Eglise qui en avaient le désir, pour en former des prêtres, grâce à des cours de théologie accélérés. Il obtint même des résultats surprenants dans l’art de former des prédicateurs. En un an, ses élèves étaient devenus d’excellents orateurs. Collectivement, ils préparaient aussi des sermons qui étaient imprimés, prêchés puis distribués à la sortie de l’église.

Malgré ses occupations si absorbantes, le Père Jean continuait ses incessants voyages à travers l’immense Russie, pour prêcher, instruire, ranimer la foi.

En 1910, il fonda dans la ville de Kharbine, la Confrérie de la Résurrection du Christ, pour qu’elle veillât sur les tombes des soldats russes morts en Mandchourie.

En 1911, après plusieurs années d’efforts de la part de la Communauté Russe de Palestine, il put enfin acheter, pour elle, un terrain dans la ville de Bari en Italie, où reposent les reliques du grand Saint-Nicolas, afin d’y faire construire un petit couvent avec un centre d’accueil pour les pèlerins russes y faisant escale au cours de leur voyage en Terre Sainte. Le nombre de ces pèlerins dépassait chaque année plusieurs dizaines de milliers ; or, saint Nicolas est le protecteur de la terre russe. Enfin, l’organisation, à Moscou, en 1913, d’un Institut féminin de théologie, fut encore une œuvre due à son initiative et à sa persévérance.

La révolution et l’abdication du Tsar furent de terribles coups pour le Père Jean, alors attaché à la cathédrale moscovite de Vassili-le-Bienheureux ; mais il ne perdit pas courage et sut faire de son église le centre de toutes les forces saines religieuses et nationales. En cette période d’affreux désarroi, tout Moscou savait qu’en venant dans cette église, on y puiserait une nouvelle force d’âme et qu’on y entendrait des paroles de vérité.

L’archiprêtre Vostorgov abordait avec clarté et courage les terribles questions du moment. S’il accusait, il consolait également et appelait les chrétiens à fortifier leur foi et à la confesser, en leur montrant comment un chrétien doit se comporter en de pareilles années.

En quittant l’église, chacun se sentait raffermi, renouvelé, prêt à résister aux assauts de la tempête qui frappait la patrie russe. Le Père réussit même à faire paraître un hebdomadaire tout au long de l’été 1917.

Les dimanches après-midi, il célébrait régulièrement un Te Deum sur la Place Rouge, près de son église, et il ne craignait pas de condamner la conduite révolutionnaire et anti-chrétienne des Bolcheviks, sans ignorer que les tchékistes, qui faisaient la ronde sur les murs du Kremlin, l’entendaient. Il ne se faisait aucune illusion sur la fin qui lui était promise.

L’archiprêtre fut arrêté en été 1918 ; les Bolcheviks qui connaissaient son ascendant sur la population n’avaient pas osé le faire plus tôt ; d’autre part, ils ne pouvaient vraiment pas le faire condamner à mort rien que pour ses sermons. Il fallait qu’on lui trouvât une activité anti-révolutionnaire. Dans ce but, un agent provocateur lui fut envoyé.

Cet agent demanda au Père s’il ne s’opposerait pas à la vente de l’évêché de Moscou. Le Père répondit que non. Le tour était joué car cet immeuble était déjà « socialisé », paraît-il ! Accusé de « menées anti-révolutionnaires », il fut arrêté et jeté en prison.

Il essaya, en vain, de prouver, par écrit, l’inanité de l’accusation. Ses paroissiens bien-aimés réunirent, également en vain, une somme de vingt-mille roubles pour lui payer un avocat.

Le Père se trouva d’abord enfermé à la Loubianka, puis à la Taganskaia où ses fidèles lui apportaient ce qu’ils pouvaient de leurs maigres rations alimentaires, car la disette régnait déjà et l’on manquait de presque tout.

On permit au Père de célébrer des offices religieux dans la chapelle de la prison et nombreux étaient ceux qui allaient y prier.

Peu avant son exécution, l’archiprêtre fut ramené à la Loubianka. Là, il confessait ses compagnons et il les accompagnait à l’endroit de leur exécution. Il savait que son tour allait aussi venir.

La mort est comme un examen de notre foi ; celle du Père Jean fut un témoignage de foi et de vaillance, couronnant toute une vie d’espérance chrétienne. En voici le récit :

« … J’ai pu rencontrer une personne qui avait passé toute l’année 1918, dans la prison de la Boutyra, à Moscou.

Un des plus pénibles travaux qu’on imposait aux prisonniers consistait à enterrer les fusillés et à creuser d’immenses fosses communes pour les victimes de la prochaine fusillade. Ce travail se poursuivait chaque jour.

Les prisonniers de corvée étaient emmenés en camion et sous bonne garde dans la plaine de la Khodynka près de la ville, et parfois au cimetière de Vagankov.

Là, le surveillant traçait les mesures d’une fosse de la largeur d’un homme de grande taille et de la longueur du nombre de victimes annoncées. Nous creusions ainsi des fosses pour trente personnes, vingt personnes, parfois pour quelques dizaines de plus. Nous en comblions d’autres, mais nous ne pouvions pas voir les corps des tués, car les bourreaux prenaient soin, après l’exécution, de saupoudrer de terre les cadavres avant l’arrivée des travailleurs forcés qui terminaient l’ouvrage ».

La personne qui me parlait avait fait ce travail pendant plusieurs mois. Elle et ses co-détenus étaient devenus, avec le temps, si familiers avec les gardes qui les surveillaient qu’ils se disaient tout « Un jour, après notre travail », reprit-elle, « nos gardiens nous annoncèrent que le lendemain, 23 Août, aurait lieu une importante fusillade de ‹ popes › et de ‹ ministres ›. Nous en eûmes l’explication le lendemain, car les victimes étaient l’évêque Éphrem, l’archiprêtre Jean Vostorgov, le prêtre catholique Lioutostansky et son frère, l’ancien ministre de l’intérieur A. Maklakov, le président du Conseil Impérial Chtchéglovitov, l’ancien ministre A.M. Khvostov et le sénateur Biéletsky. On avait placé les victimes la figure tournée vers la fosse, tout au bord. Sur la demande de l’archiprêtre Jean, les bourreaux permirent aux condamnés de prier et de se dire adieu. Ils s’agenouillèrent tous pour élever au ciel une ardente prière et, tour à tour, ils demandèrent à l’évêque Éphrem et au Père Jean une dernière bénédiction, puis ils se dirent adieu en se pardonnant mutuellement leurs offenses. L ’archiprêtre se dirigea le premier vers la fosse, après avoir dit quelques derniers mots à ses compagnons pour les inviter à s’offrir à Dieu en sacrifice expiatoire, avec foi en la miséricorde divine et en la résurrection de la patrie.

‹ Je suis prêt ›, dit-il alors aux bourreaux. L ‘un d’eux se plaça juste derrière lui, le saisit par le bras gauche et lui déchargea son revolver dans la nuque tout en le faisant basculer dans le vide. Les autres bourreaux agirent de même.

Une des victimes arriva cependant à s’arracher à son tueur pour s’élancer dans les buissons, mais elle tomba frappée de deux balles, fut tirée vers la fosse et achevée.

D’après les paroles de mon témoin, pendant qu’ils saupoudraient de sable les cadavres dans la fosse, avant de la faire combler par les prisonniers, les bourreaux exprimèrent leur profond étonnement du sang-froid héroïque de l’archiprêtre Jean et du ministre Nicolas Maklakov à leurs derniers moments ».

Par sa mort, l’archiprêtre était parti rejoindre dans l’autre monde son bien-aimé métropolite Vladimir, lui aussi martyr.

Les paroissiens du Père Jean Vostorgov vinrent en pèlerinage au lieu de son exécution. Sur la fosse remplie du sang des fusillés, ils déposèrent quelques fleurs et se rappelèrent, en pleurant, ce véritable bon pasteur.

« Son souvenir ne s’effacera jamais,

Et son nom se transmettra de génération en génération.

Les païens raconteront sa sagesse

Et 1’Eglise prononcera ses louanges ».


 

Archiprêtre Michel POLSKY, LES NOUVEAUX MARTYRS DE LA TERRE RUSSE

Traduction abrégée et adaptée de Marie Ellenberger-Romensky, Éditions Résiac, Montsurs, 1976, p. 22-26

 


 

 

 

 

 

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