Aux très aimés de Dieu et très saints frères, leurs collègues, les évêques d’Italie et de Gaule qui leur sont unis par les sentiments, Mélèce, Eusèbe, Basile, Bassos, Grégoire, Pélage, Paul, Anthime, Théodote, Bitos, Abraamios, Iobinos, Zénon, Théodoret, Marcianos, Barachos, Abraamios, Libanios, Thalassios, Joseph, Boèthos, Atréios, Théodote, Eustathe, Barsoumas, Jean, Chossoroès, losacès, Narcès, Maris, Grégoire, Daphnos adressent leur salut dans le Seigneur.
Ce qui apporte quelque consolation aux âmes endolories, ce sont les gémissements mêmes qui à mainte reprise s’exhalent du fond du cœur, et, sans doute aussi, les larmes en coulant brisent la violence de l’affliction. Pour nous il n’y a pas autant de consolation dans le récit que nous faisons de nos malheurs à votre charité, que dans les gémissements et les larmes, mais un espoir meilleur nous réchauffe : si nous vous faisons connaître le sujet de notre affliction, peut-être pourrons-nous vous décider à nous accorder le secours que nous avons longtemps espéré voir arriver de chez vous aux Églises d’Orient, et que nous n’avons pas encore obtenu, parce que Dieu, qui dans sa sagesse dirige nos affaires, a décidé sans doute inévitablement, selon les jugements invisibles de sa justice, que nous resterions plus longtemps sur le chevalet de ces épreuves. Vous n’avez pas, en effet, ignoré ce qui se passe chez nous, frères très vénérés, car le bruit en a couru jusqu’aux extrémités de la terre, et vous n’êtes pas sans doute dénués de compassion pour ceux de vos frères qui partagent vos sentiments, puisque vous êtes les disciples de l’Apôtre, qui enseigne que la charité envers le prochain est l’accomplissement de la loi. Mais, comme nous l’avons dit, votre élan a été arrêté par le juste jugement de Dieu, qui nous mesure, pour que nous la subissions jusqu’au bout, la peine fixée pour nos fautes. Mais nous vous prions d’exciter maintenant du moins votre zèle pour la vérité et votre compassion pour nous, quand vous aurez tout appris, même ce qui jusqu’à présent a échappé à vos oreilles, par notre très pieux frère, le condiacre Sabinos, qui pourra encore vous raconter lui-même tout ce qui échappe à notre lettre. Par son entremise nous vous prions de revêtir des entrailles de pitié, de déposer toute hésitation et d’entreprendre le travail de la charité. N’ayez égard ni à la longueur du voyage, ni à vos occupations domestiques, ni à quelque autre considération humaine.
Le danger n’existe pas pour une seule Église, et il n’y en eut pas deux ou trois seulement à tomber dans cette terrible tempête. C’est presque depuis les frontières de l’Illyrie jusqu’à la Thébaïde que le fléau de l’hérésie étend ses ravages. Les mauvaises semences en furent jetées d’abord par l’infâme Arios ; elles poussèrent de profondes racines, grâce au grand nombre de ceux qui dans l’intervalle cultivèrent avec ardeur cette impiété, et maintenant elles ont produit leurs fruits pernicieux. Les dogmes de la piété sont ruinés et les lois de l’Église sont bouleversées. Les ambitions de ceux qui ne craignent pas le Seigneur bondissent sur les premières places, et ouvertement désormais la dignité épiscopale est proposée comme prix de l’impiété, si bien que celui qui a proféré les plus odieux blasphèmes est jugé le plus digne d’être mis comme évêque à la tête du peuple. Elle s’en est allée la gravité sacerdotale, il n’y a plus d’hommes qui paissent avec science le troupeau du Seigneur, parce que les ressources des pauvres sont sans cesse gaspillées par les ambitieux pour leurs jouissances personnelles ou pour leurs largesses. On ne voit plus la stricte observance des canons, c’est la grande liberté de pécher. En effet ceux qui sont arrivés au pouvoir par des intrigues humaines rétribuent la complaisance de l’intrigue par le fait même qu’ils accordent aux pécheurs toutes facilités pour leurs plaisirs. Le juste jugement a péri, chacun marche selon le désir de son cœur. La perversité est sans mesure, les peuples ne reçoivent pas d’avertissement, les chefs n’ont pas la liberté de parler. En effet ceux qui se sont servi des hommes pour acquérir à leur profit la puissance sont esclaves des individus qui leur ont accordé leur faveur. Déjà même quelques-uns ont imaginé comme arme pour se faire la guerre les uns aux autres la défense, on s’en doute, de l’orthodoxie: ils cachent leurs haines personnelles et font semblant de haïr dans l’intérêt de la piété. D’autres, pour éviter qu’on fasse la preuve de leurs crimes les plus honteux, excitent les peuples à une folle rivalité les uns avec les autres, afin de couvrir leurs fautes personnelles de l’ombre des maux communs. Aussi cette guerre est-elle implacable, parce que ceux qui ont fait le mal craignent la paix commune, capable, pensent-ils, de dévoiler leurs turpitudes cachées. C’est un sujet de rire pour les infidèles, de trouble pour les hommes de peu de foi : la foi est incertaine, l’ignorance est répandue dans les âmes, parce que ceux qui dans leur perversité altèrent la doctrine imitent la vérité. Les bouches des hommes pieux gardent le silence, mais toutes les langues blasphématoires sont déliées ; les lieux saints sont profanés, les populations dont la pensée est saine fuient les maisons de prières comme des écoles d’impiété, et dans les solitudes lèvent les mains avec des gémissements et des larmes vers le Maître qui est dans les cieux. Les nouvelles de ce qui se passe dans la plupart des villes sont certainement parvenues jusqu’à vous : les peuples, y compris les femmes, les enfants et les vieillards mêmes, répandus devant les murailles, font leurs prières en plein air, supportent toutes les intempéries avec beaucoup de patience et attendent le secours du Seigneur.
Quelle lamentation sera digne de ces malheurs ? Quelles sources de larmes suffiront pour de si grands maux ? Aussi tandis que quelques-uns encore paraissent stables, tandis qu’un vestige de l’ancien état des choses est encore conservé, avant que n’arrive pour les Églises un complet naufrage, hâtez-vous vers nous, hâtez-vous tout de suite, oui, nous vous en supplions, vous nos vrais frères ; donnez la main à ceux qui sont abattus. Que vos entrailles fraternelles s’émeuvent pour nous, que des larmes de compassion soient versées ! Ne permettez pas que la moitié de la terre soit absorbée par l’erreur ; ne souffrez pas que la foi s’éteigne pour ceux chez qui elle a d’abord brillé. Que ferez-vous donc pour remédier à cette situation, et comment montrerez-vous votre compassion à l’égard des affligés ? Il ne sera certes pas besoin que nous vous l’apprenions, le Saint-Esprit lui-même vous le suggérera. Toutefois il faut faire vite pour sauver ceux qui restent, et l’on a besoin de la présence d’un plus grand nombre de frères, pour que le concile soit complété par ceux du dehors. Ainsi non seulement à cause de la dignité de ceux qui les auront envoyés, mais aussi à cause de leur nombre à eux — mêmes, ils auront l’autorité suffisante pour un redressement : ils renouvelleront la profession de foi écrite à Nicée par nos Pères, ils banniront l’hérésie, ils adresseront aux Églises les paroles de paix, pour amener à la concorde ceux qui sont dans les mêmes sentiments. C’est là, en effet, sans doute, ce qu’il y a de plus pitoyable, que la partie qui paraît saine se soit divisée contre elle-même ; et nous sommes entourés, semble-t-il, de malheurs pareils à ceux qui enserrèrent autrefois Jérusalem, pendant que Vespasien l’assiégeait. Les Juifs étaient à la fois pressés par la guerre extérieure et consumés par la division intérieure des hommes de même tribu. Pour nous, outre la guerre que nous font ouvertement les hérétiques, il y a encore celle qui a été suscitée par les hommes qui semblent partager nos sentiments, et qui a conduit les Églises au dernier degré de la faiblesse. Aussi avons-nous grand besoin de votre secours, pour que ceux qui reconnaissent la foi apostolique, ayant mis fin aux schismes qu’ils ont imaginés, soient désormais soumis à l’autorité souveraine de l’Église. Ainsi le corps du Christ sera parfait, revenu à l’intégrité de tous ses membres, et non seulement nous exalterons le bien qu’il y a chez les autres, ce que nous faisons maintenant, mais encore nous verrons nos propres Églises recouvrer l’ancienne gloire de l’orthodoxie. Elle est vraiment digne, en effet, des plus vives félicitations la grâce que votre piété a reçue du Seigneur, de discerner le faux de l’estimable et du pur, et de prêcher sans aucune dissimulation la foi des Pères, cette foi que nous avons reçue nous aussi, que nous avons reconnue pour être marquée des caractères apostoliques, et à laquelle nous avons donné notre assentiment, comme à tous les dogmes canoniquement et légitimement définis dans la lettre synodale.
Saint Basile, Lettres, Tome I, Société d’édition « Les belles lettres », Paris, 1957, p. 198-203
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