Ascètes dans le siècle, La foi vivante de l’église orthodoxe, Orthodoxie

Saint Ignace Briantchaninov | Les hommes des derniers jours

25 décembre 2023

Regardez, frères, regardez ce qu’a fait, fait et fera le diable abaissant l’esprit de l’homme du ciel spirituel vers la matière, et en asservissant son cœur à la terre et à des occupations terrestres. Regardez, et soyez saisis d’une crainte salutaire ! Regardez, et tenez-vous sur vos gardes avec la prudence indispensable à votre salut ! L’esprit déchu intéressa certains moines à l’acquisition de divers objets rares et précieux, et quand il eut attaché leur pensée à ces objets, il la sépara de Dieu.
 


 

Il en occupa d’autres à étudier toutes sortes de sciences et d’arts, peu importe lesquels pourvu qu’ils fussent orientés vers la terre ; et quand il eut attiré toute leur attention vers des connaissances passagères, il les priva de la seule connaissance absolument nécessaire : celle de Dieu[1]. Il en poussa d’autres à acquérir pour leur monastère divers biens, à s’engager dans des constructions, à soigner des jardins d’agrément, à cultiver des jardins potagers, des champs et des prairies, à s’occuper d’élevage de bétail, et les força à oublier Dieu. D’autres encore, il les tint occupés à orner leur cellule de fleurs et d’images, à sculpter des cuillères ou à confectionner des chapelets, et il les détourna de Dieu. Il en attacha d’autres à un tour, et leur apprit à devenir négligents envers Dieu. Il en persuada d’autres d’attacher une attention toute particulière à leur régime alimentaire et aux autres formes d’ascèse corporelle, à accorder une grande importance au pain grillé, aux champignons, aux choux, aux pois ou aux haricots secs : et ainsi il transforma de raisonnables, de saintes et de spirituelles pratiques ascétiques en de stupides performances corporelles et péche­resses ; quant aux ascètes eux-mêmes, il les intoxiqua et les renversa par une pseudo-sagesse toute charnelle, par la présomption et par le mépris des autres, ce qui revient à anéantir les conditions mêmes de tout progrès spirituel et réalise celles de la perdition éternelle.

À certains il suggéra d’attacher une importance exagérée au côté formel des rites liturgiques, en les rendant aveugles à leur sens spirituel. Ayant ainsi vidé pour ces malheureux le christianisme de sa substance, il ne leur laissa qu’une enveloppe vide et matérielle, et les poussa à s’éloigner de l’Église, à embrasser de fausses et d’absurdes doctrines et à tomber dans le schisme. Cette tactique est si commode pour l’Esprit déchu qu’elle est maintenant appliquée partout. Pour le diable elle est si pratique pour causer la perdition des hommes, que dans les derniers jours il l’utilisera pour détourner de Dieu le monde entier. Le diable recourt à ce genre de lutte avec un succès incontes­table.

 

Dans les derniers jours, sous l’influence du Prince de ce monde, les hommes seront littéralement possédés d’un attachement pour la terre et pour tout ce qui est matériel et charnel. Ils se livreront aux soins et aux soucis de ce monde, et se consacreront au développement du bien-être matériel ; ils s’occuperont exclusivement de l’aménagement de la terre, comme si elle était leur demeure éternelle. Étant devenus charnels et matériels, ils oublieront l’éternité, comme si elle n’existait pas ; ils oublieront Dieu et l’abandonneront.
 
Et comme il en fut aux jours de Noé, a prédit le Seigneur, ainsi en sera-t-il aux jours du Fils de l’homme : on mangeait, on buvait, on prenait femme, on prenait mari, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, alors le déluge vint et les fit tous périr. Ou aussi, comme il en fut aux jours de Lot : on mangeait, on buvait, on achetait, on vendait, on plantait, on bâtissait ; mais, le jour où Lot sortit de Sodome, Dieu fit tomber du ciel une pluie de feu et de souffre et les fit tous périr. Il en ira de la même manière le Jour où le Fils de l’homme se révélera (Lc 17, 26-30).

Afin de tenir ferme contre les esprits déchus, il faut les voir. Or, on ne peut lutter qu’avec un adversaire qui est perçu par les sens du corps ou de l’âme. Mais, lorsqu’un ennemi est invisible, lorsque ses armes sont invisibles, lorsqu’aucun sentiment ni aucune sensation ne témoigne de sa présence et de son action, il équivaut à un ennemi qui n’existe pas. Quel combat peut donc avoir lieu dans ces conditions ?

Les démons, invisibles pour nos yeux corporels, sont visibles pour les yeux de notre âme, pour l’esprit et pour le cœur. Les saints Pères qui avaient atteint la pureté et la perfection purent cependant voir les esprits aussi de leurs yeux corporels.
 

 
[1] « Sachant, dit saint Jean de Carpathos (Philocalie, t. I), que la prière nous protège, mais qu’elle s’oppose à lui, l’Ennemi essaie de nous en arracher. Pour cela, il éveille en nous le désir des sciences et des lettres helléniques que nous avions rejetées, et nous incite à nous y exercer. Ne lui obéissons pas, de peur que, nous écartant de la culture de notre propre sol, nous ne récoltions des ronces et des épines au lieu de figues et de raisins : Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu (I Cor. 3, 19) ». — De nombreux saints Pères possé­daient une vaste culture humaine, mais ils l’avaient acquise avant leur entrée dans la vie monastique. Après être devenus moines, ils se consacrèrent unique­ment, selon l’injonction du Seigneur (cf. Matth. 13, 52), à l’étude du Royaume des cieux, ou Théologie dans le sens le plus large du terme. Les saints Pères nomment la Théologie assimilée par la vie monastique « la science des sciences, l’art des arts » (Jean Cassien, Conférence sur le discernement). Une vie de mille ans ne suffirait pas pour l’étudier à fond. Si on ne peut pas en faire le tour, c’est que l’objet sur lequel elle porte, Dieu, est infini ; quelles que soient les études qu’on en fasse, quelles que soient les connaissances qu’on a de Lui, Il demeure inconnaissable.
 

 

Ignace Briantchaninov, Les miettes du festin – Introduction à la tradition ascétique de l’Église d’Orient, Traduit du russe par le hiéromoine Syméon, Éditions Présence, Sisteron, 1978, p. 223-5

 

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