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Une expérience abyssale — Iulian Grigoriu en dialogue avec le Père Gheorghe Calciu-Dumitreasa et l’écrivain Marcel Petrișor II/ III

21 juillet 2023

I.G. : Père, dans le « Journal de la félicité », Nicolae Steinhardt parle de trois solutions laïques qui peuvent vous aider à résister dans un système concentrationnaire. Ce sont les solutions de Zinoviev, Churchill et Bukovski…

– La solution de Churchill …. Ça ne nous correspond pas. Nous ne sommes pas entrés dans les prisons à cause d’une quelconque lutte sociale, mais pour un idéal simplement divin. Ayant confiance dans la volonté de Dieu, nous avons accepté que ce que nous fassions était bon, s’inscrivant dans la volonté divine. Nous avons dû accepter tout ce que Dieu nous a envoyé. Cela ne veut pas dire que tout s’est passé en toute sérénité, qu’en l’acceptant tout s’est déroulé sans aucun accroc. Non ! Mais dans la mesure de nos possibilités, nous avons essayé de faire la volonté de Dieu.

– Votre idéal était chrétien et national.

– Oui, je ne pensais pas autrement. Je n’ai pas adhéré parce que je me suis rebellé contre le communisme, mais parce que le communisme ne correspondait pas à l’idéal chrétien et national. Nous étions dans une lutte qui n’était pas sur le plan matériel, mais sur le plan spirituel. Steinhardt l’affirme lui-même : la solution de Calciu fût peut-être la meilleure : « le combat spirituel ». La guerre dans la parole : c’est bien notre combat.

– La solution du père Calciu est « la guerre dans la parole ».

– J’ai dit dans mes conférences qu’il y a une guerre entre le Mal et le Bien que nous vivons toujours. Mais il se déroule dans nos cœurs, pas sur un champ de bataille inanimé, mais c’est nous qui décidons de la victoire de Dieu ou de Satan dans nos cœurs. C’est pourquoi Steinhardt dit que la solution du père Calciu est peut-être la meilleure.

– Revenons un instant sur votre biographie : en 1977, vous avez déploré publiquement le sort des églises, la démolition de l’église d’Enei, en 1978, vous avez donné la série de conférences « Sept paroles aux jeunes ». Je voudrais vous demander comment vous voyez ces paroles pour les jeunes aujourd’hui, comment vous sont-elles venues à l’époque, et si aujourd’hui encore on pourrait adresser à nouveau Sept paroles aux jeunes ?

– Je suis sûr qu’on peut adresser bien plus de mots aujourd’hui. Je considère que ces mots ont réellement été ma vie. Tout ce que j’ai écrit par la suite ne pouvait aller au-delà de « Sept paroles… ». C’était une inspiration divine. Les rencontres avaient lieu les mercredis soir. Souvent, le mardi soir ou le mercredi matin, je ne savais pas ce que j’allais dire. Mais alors Dieu m’envoyait soit un texte biblique, soit un événement récent, et alors je pouvais écrire le sermon, je le tapais, le faisait copier, et l’envoyais à quelques étudiants, car je ne pouvais pas faire plus, et je lisais le sermon — je n’improvisais pas. Afin qu’on ne m’accuse pas de dire autre chose que ce que j’avais écrit. Et de cette façon, la Sécurité n’a rien trouvé à me reprocher concernant le contenu de mes sermons. Ceci ne les a pas empêché d’inventer toutes sortes de péchés, de méfaits ou de crimes, qu’ils ont mis sur mon dos. Mais je voulais que cette période de ma vie soit propre. On ne pouvait rien en dire, sauf ce qui était écrit. Je savais que ces paroles finiraient dans les bureaux de la Securitate. Par la suite, j’avais des conversations personnelles, mais je ne sortais pas, dans les discussions avec les étudiants, de ce que j’avais écrit auparavant. C’était une prolongation du thème principal du sermon.

Mais je répète que c’était une inspiration de Dieu, un ange de Dieu m’a conduit à travers tous mes péchés et mon ignorance, vers le but que Dieu voulait que j’atteigne.

– Comment les jeunes ont-ils réagi ? J’ai compris qu’ils ont réussi à venir en grand nombre.

– Très nombreux. Et ils venaient par conviction : la Securitate fermait l’église — les jeunes entraient par le porche ; s’ils fermaient les dortoirs des étudiants, ils sautaient par les fenêtres, par-dessus les clôtures… c’est-à-dire qu’il y avait une effervescence comme nulle part ailleurs.

Marcel Petrișor : Même l’évêque de Galati a assisté à l’un de ces sermons, car il était étudiant à l’époque.

Calciu : Il m’a dit qu’il avait très peur, mais qu’il est resté jusqu’à la fin.

G.: – Ces paroles toucheraient-elles les jeunes d’aujourd’hui ? Que diriez-vous aux jeunes d’aujourd’hui ?

Calciu : – Ces paroles n’étaient pas destinées à un moment précis. Il y avait des éléments circonstanciels, comme ce qui concernait le communisme, ou le problème des églises. Mais elles contiennent une dimension éternelle : la foi, l’amour…

G.: – « Appel à la foi », « Foi et amitié », « Le clergé et la souffrance humaine », « Sur le pardon ».

Calciu: – J’ai utilisé les vertus chrétiennes en général, appliquées au moment historique en question, mais de manière à ce qu’elles puissent toujours être prononcées et entendues avec le même intérêt.

Bien sûr, ces « Sept paroles aux jeunes » ont aujourd’hui une certaine charge, les jeunes qui les écoutaient alors ne sont pas les mêmes que ceux d’aujourd’hui, mais pour eux c’était une grande consolation, un grand réconfort. Elles correspondaient au moment où elles ont été prononcées. Mais leur résonance se poursuit aujourd’hui, avec un effet diffèrent…

G. : – Suite à ces sermons, un Conseil diocésain vous a suspendu de votre poste d’enseignant. Je voudrais rappeler ici les noms de ceux qui vous ont compromis avec zèle. Savez-vous encore quelque chose à leur sujet, ou comment vous les considérez aujourd’hui ? L’évêque Roman Ialomițeanu, de l’Inspection des cultes de la capitale, Niță Pascu, le directeur du Séminaire Théologique, Veniamin Micle, le Père Moldovan, le prêtre Octavian Popescu, le conseiller culturel Ilie Georgescu et ceci sous le silence du Patriarche Iustin Moisescu… J’ai même compris que vous avez été dénigré par la suite dans la presse, y compris par Dumitru Popescu… qui est actuellement un respectable professeur doyen de la Faculté de théologie de Bucarest… Comment considérez-vous ces personnes ?

Calciu: – Oui, un document leur a été demandé. Plus tard, j’ai découvert une chose… que le document que les prêtres et certains évêques ont signé contre moi, dans lequel ils disaient qu’en fait j’avais fait de l’éducation néo-fasciste, document adressé à des forums extérieurs, n’a en fait pas été écrit par eux, mais par la Securitate, qui a ajouté leurs noms ultérieurement. Mais ce qu’ils se reprochaient — je ne veux pas dire à qui j’ai parlé — le seul reproche dont ils se considéraient coupables, et pour lequel ils m’ont présenté des excuses, était de ne pas avoir nié à l’époque. Afin qu’ils puissent affirmer : nous n’avons rien signé contre Calciu. Ils n’ont pas eu le courage de le nier. C’est ce qu’ils se reprochaient. Et je pense que c’est comme ça que ça s’est passé. La Securitate a impliqué qui elle voulait, sachant très bien que les gens n’allaient pas refuser. Peut-être que certains d’entre furent les instigateurs. Je ne sais pas. Je ne veux pas accuser qui que ce soit. Je n’ai aucun sentiment envers eux, si ce n’est le regret et le pardon.

Personnellement j’aimais beaucoup le Très Révérend Roman… énormément même… et j’étais désolée… mais il n’a pas eu le courage… C’était un homme qui avait vécu depuis son enfance au monastère, qui était habitué à l’obéissance et qui ne connaissait probablement pas la différence entre l’obéissance monastique et l’obéissance au pouvoir séculier. C’était un homme avec une très bonne âme.

G. : – Cependant, il s’agit là d’une attitude éthique. Mais n’avez-vous pas le devoir moral de le porter à leur attention d’une manière ou d’une autre ?

Calciu: – Eh bien, la plupart d’entre eux sont morts. Je pense que maintenant c’est eux qui devraient attirer mon attention… Ha, ha…

G. : – Donc, même s’ils vous dénigraient d’une manière ou d’une autre, vous les…

Calciu : – Vous savez, je n’avais même pas dit à mes amis : Venez et rejoignez-moi. Même à celui-ci, je ne l’ai pas demandé, dit Calciu en désignant Marcel Petrișor. Mais parce qu’il est stupide, il est venu… on était toujours ensemble.

G.: – Le fait est que ces « paroles » vous ont fait expulser de l’enseignement et finalement emprisonner à nouveau.

Calciu: – Je pense que s’ils ne m’avaient pas exclu de l’Eglise, je n’aurais pas été arrêté. Mais de cette façon, je n’avais aucune protection. Et ils m’ont arrêté, condamné…

G. : – En 1979, vous étiez à Aiud, à Zarca, et en 1980 vous avez déclaré que vous étiez au bout du rouleau.

Calciu: – À ce moment-là, j’étais très malade…

G.: – Je sais qu’il y avait un Concile qui a essayé de vous défendre, en intervenant auprès de Ceaușescu. Comment avez-vous réussi à vous libérer ?

Calciu: – De nombreuses personnes sont intervenues en ma faveur. Toutes les chancelleries occidentales. Mais celui qui a réussi à faire quelque chose de concret, c’est Reagan et son administration, car ils avaient un instrument entre les mains : la Clause de la nation la plus favorisée.

G.: – J’écoutais alors les nouvelles sur Europe Libre et Voice of America.

Calciu: – Ceaușescu n’a pas réagi aux autres interventions. Surtout depuis qu’il est allé voir la reine et elle lui a donné le carrosse royal pour aller où Lenuța voulait. Il n’y avait donc rien à faire. Ils n’avaient rien pour forcer Ceaușescu, mais l’administration américaine avait la clause.

G.: – Sous la menace de la levée de la clause, Ceaușescu a cédé…

Calciu: – Et il m’a libéré. Il y a eu une longue discussion entre moi et la Securitate. En effet, ils ne voulaient pas que je sois libéré par décret, mais par une demande de grâce. C’est-à-dire pour me faire demander une grâce… Pourquoi es-tu si fier, sois humble ! me disaient-ils. Soyez humble, demandez pardon, c’est le président. Que dit saint Paul ? Soumettez-vous à la plus haute autorité [1]… ils empruntaient à la Bible, car le diable connaît beaucoup de théologie. Et pourtant, je n’ai pas cédé. J’avoue que j’ai eu des moments de doute. Vous ne pouvez pas rester indifférent quand on vous dit que vous êtes un imposteur. Un chrétien n’est pas un imposteur. Julien l’Apostat quand il a commencé à persécuter la religion chrétienne, quand les évêques sont venus se plaindre, il leur a dit : oui, mais vous avez fait vœu de pauvreté ; vous voulez des richesses, vous voulez des monastères, allez dans les catacombes. Il leur a répondu par des arguments bibliques. Comme Satan à Jésus-Christ lors de la tentation. Et j’ai pesé longtemps (…) et j’ai prié et j’ai hésité….

Le père me fait comprendre qu’il ne veut pas que j’enregistre ce qu’il va me dire maintenant. Cependant, moi qui ne suis pas familier avec ce magnétophone, j’hésite jusqu’à ce que je trouve le bouton de pause, il me parle, alors je l’enregistre, malgré tout…

Calciu: – Il y a eu une chose, quand Andrei, mon fils, avait 13 ans, je crois, la Sécurité l’a endoctriné et lui a dit : regarde, ton père ne veut pas sortir de prison. Il n’a pas d’amour pour toi. Il met sa fierté en avant, pour sortir en héros de l’Église et en héros national et vous laisse comme ça. La famille était surveillée par la Securitate, les professeurs avaient peur, et même dans la classe, la Securitate venait s’asseoir… Andrei m’a tout raconté. Je savais que ça ne venait pas de lui. Il dit « tu es orgueilleux, tu te soucies plus de ta fierté que de nous aimer ! ». Et ça m’a touché en plein cœur. Mais je n’ai toujours pas cédé. Je ne sais pas, c’est un ange qui m’a aidé !

G.: – Et à la fin, Ceaușescu a émis un décret… et vous a libéré.

Calciu: – Et il m’a libéré… Je ne le savais même pas. La veille – (le prêtre me fait un geste pour reprendre l’enregistrement)… le colonel m’a appelé, quel était son nom ?, Vasile, mais je ne me rappelle pas son nom de famille, officier de la Securitate au niveau national… peu importe, je l’ai oublié… et il m’a dit que mes os allaient pourrir ici, et que personne, pas même ma famille, n’aurait la moindre idée de l’endroit où se trouvent mes os…

G.: – La veille de votre libération ?

Calciu: – La veille… Et le lendemain, ils m’appellent à nouveau au bureau d’arrestation et là, je trouve la presbytera… avec des vêtements, avec ces vêtements… Je ne pouvais pas le croire…

G.: – Où étiez-vous ?

Calciu: – Au Ministère des Affaires intérieures, à Bucarest. Quand quelque chose comme ça arrive, comme quand Bush est venu ici… Quand Reagan était président, Bush était vice-président…. Et quand quelque chose arrivait, il m’emmenait à Bucarest, il envoyait la presbytera à Mahmudia, ou je ne sais où, et l’enfant aussi. Maintenant, j’avais été amené pour être libéré. Mais à la dernière minute, ils essayaient encore de me faire demander une grâce.

G.: – Pourquoi tenaient-ils autant à cette demande ?

Calciu : – Parce qu’en demandant la grâce, j’admettais que j’étais coupable. Mais c’était plutôt à Ceaușescu de venir à moi, plutôt que moi à Ceaușescu… Je n’ai rien fait. Je n’avais pas mentionné son nom, je n’ai rien dit sur lui.

G. : – Cependant, vous faisiez implicitement quelque chose contre le matérialisme et la doctrine officielle.

Calciu: – Je ne pouvais pas être considéré comme un ennemi personnel par Ceaușescu. Et puis ils m’ont demandé de faire appel à sa bonne volonté — d’autant plus qu’un groupe de députés américains m’a envoyé en prison une lettre qui m’était personnellement adressée, m’incitant à demander la grâce, car ils avaient parlé à des personnes de l’entourage de Ceaușescu qui leur avaient assuré que si je demandais la grâce, je serais libéré. Ce n’était donc plus une promesse aussi vague. J’étais convaincu qu’ils disaient la vérité et que Ceaușescu n’oserait pas rompre sa promesse. Et pourtant, je n’ai pas demandé la grâce.

G. : – Qu’est-ce qui vous a conduit à cette décision ?

Calciu: – Je ne voulais pas salir une action divine. Dieu avait travaillé à travers moi — je n’avais aucun mérite, j’étais un pécheur — et je ne pouvais pas ternir une action que Dieu m’avait inspirée et que j’avais faite avec pureté d’âme.

G. : – Pardonnez-moi de demander… Comment avez-vous su que Dieu agissait à travers vous ? Comment avez-vous distingué l’Esprit de vérité ?

Calciu: – En l’éprouvant ! Je me demandais : cette chose que l’on me demande de faire est-elle bonne ? Est-ce que je place l’amour de la famille avant l’amour de Dieu ? Est-ce que j’aime ma mère, mon père, ma femme et mes enfants plus que Dieu ? Dans la Bible, il y a toutes les solutions. Et puis je les éprouvais. Où étais-je ? Dans l’Antiquité, dans les familles romaines, ceux qui renonçaient à leur foi étaient appelés des lapsi. Il y en avait beaucoup, il y en avait des milliers et des milliers. Lorsque la persécution a pris fin, la question des lapsi s’est posée. Qu’allons-nous faire de tous ces gens qui, sous la pression, ont cédé, ont dit, oui, nous sacrifions aux idoles, allons-nous les jeter hors de l’Église ? Tous frappaient à la porte de l’Église. Ils se tenaient tous à la porte de l’église, à l’extérieur, et demandaient à rentrer. Et pour l’économie, ils ont été pardonnés et sont rentrés dans l’Église. Je ne voulais pas être parmi les lapsi. Je veux dire, je voulais être parmi ceux qui étaient morts en prison… D’ailleurs, quand je suis entré en prison, je ne me suis pas posé la question de savoir si j’en sortirais un jour.

Il y avait quelque chose en moi, au-delà peut-être de mon courage, ou de mon entêtement, qui me soutenait.


[1] Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures : car il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par Dieu. Rm 13 1


 

Une expérience abyssale — Iulian Grigoriu en dialogue avec le Père Gheorghe Calciu-Dumitreasa et l’écrivain Marcel Petrișor

Traduction : hesychia.eu

 


 

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