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Père George Florovsky: Le défi de notre temps

26 juin 2023

Le grand évêque russe du siècle dernier, Théophane le Reclus (†1894), fait une déclaration surprenante dans l’une de ses lettres pastorales. Ce dont l’Église russe a le plus besoin, dit-il, c’est d’une « bande de brandons » qui mettrait le feu au monde. Les incendiaires doivent brûler eux-mêmes et se mouvoir pour enflammer les esprits et les cœurs. Théophane ne faisait pas confiance à un « christianisme résiduel ». Les coutumes peuvent se perpétuer par inertie, dit-il, mais les convictions et les croyances ne peuvent être conservées que par une vigilance spirituelle et un effort continu de l’esprit. Théophane estimait qu’il y avait trop de routine et de conventions dans la vie des chrétiens russes. Il prévoyait une crise et même un effondrement. Il démissionna de son diocèse et se retira dans un monastère, car il estimait qu’il pouvait rendre bien plus de services à l’Église en écrivant des livres qu’en administrant un évêché.


 

Théophane était un homme d’une grande connaissance et d’une grande expérience. Pendant un certain temps, il fut recteur de l’Académie de théologie (à Saint-Pétersbourg). Il a beaucoup voyagé dans l’Orient chrétien et était intimement lié au Mont Athos. C’était un bon érudit en grec, et il se servait de sa maîtrise pour les traductions. Il a toujours insisté sur le fait qu’il prenait sa retraite non pas pour mener une vie spirituelle avancée (ce qui est possible et devrait être pratiqué dans la vie ordinaire), mais pour avoir le temps et le loisir de se consacrer à des travaux littéraires et savants. Il emporta dans sa cellule monastique tous ses livres, une bibliothèque dont n’étaient pas exclus les livres d’érudits occidentaux et la littérature séculière. Il voulait connaître le monde auquel il devait apporter le message du salut. Il ne contestait pas les travaux et les réalisations de ceux qui n’appartenaient pas à la communion de foi orthodoxe.

L’évêque retraité passait son temps à écrire : il traduisit la « Philocalie » [voir la Critique de livres – p. 34], les œuvres de saint Siméon le Nouveau Théologien, les anciennes règles monastiques (orientales et occidentales) ; il publia plusieurs volumes de son commentaire sur les épîtres de saint Paul, destiné non pas tant aux érudits qu’à aider tous les croyants à comprendre cet enseignement inspiré ; il écrivit plusieurs livres sur l’éthique et la spiritualité chrétiennes. Théophane commençait chaque journée par la Divine Liturgie, qu’il célébrait seul dans sa minuscule chapelle domestique, et il utilisait l’inspiration de la communion quotidienne pour ses travaux scientifiques et pastoraux.

Les écrits de Théophane ont eu un impact considérable sur la vie de l’Église russe. Dans sa retraite, en tant que « reclus », il a eu plus d’influence qu’il n’aurait jamais pu en avoir en tant qu’administrateur d’un diocèse. Il a mis la doctrine chrétienne à la disposition des chrétiens moyens, de tous les chrétiens. Il voulait les équiper d’armes spirituelles pour leur combat chrétien. Il exigeait de tous les chrétiens — et du clergé en premier lieu — une connaissance et une compréhension approfondies de notre Sainte Foi, qui seule pouvait sauver notre vie d’un sentimentalisme et d’une imagination malsains. Il a insisté sur l’étude des Écritures et des Saints Pères.

De nombreuses années se sont écoulées depuis l’époque de Théophane. Ses pires anticipations étaient justifiées. L’Église orthodoxe tout entière — et pas seulement en Russie — est engagée dans une lutte désespérée contre l’assaut rageur de l’impiété et de l’incrédulité. Les âmes humaines subissent une épreuve incroyable. Mais le voile protecteur de la Miséricorde divine est étendu sur l’Église souffrante et le monde possédé, et les hommes sont appelés à être les témoins du Christ : ses messagers et ses apôtres. L’Église est essentiellement une institution missionnaire. Il faut rendre grâce à Dieu pour cette armée de nouveaux martyrs et confesseurs qui ont révélé ou manifesté la force et la beauté de la foi chrétienne. Et pourtant, il ne faut pas se satisfaire trop facilement de ce qui a été fait par d’autres. Il y a tant de choses que nous n’avons pas faites.

Limitons notre attention, cette fois-ci, à un aspect de notre devoir chrétien. Tout le monde sait que nous manquons cruellement de livres. Derrière le « rideau de fer », une impressionnante littérature athée a été créée et largement diffusée. Des collèges spéciaux ont été créés pour former des gens « pour un ministère impie ». Des manuels sur la propagande antireligieuse et sur la méthodologie de la prédication impie ont été préparés pour les salles de cours.

Quelle est notre réponse à ce défi ? Dans l’Église ancienne, les saints Pères ont répondu au défi du monde païen par une avalanche d’écrits chrétiens, attaquant point par point les arguments des opposants. Qu’avons-nous fait dans notre propre situation ? Pouvons-nous vraiment rencontrer l’ennemi sur le terrain et sauver les victimes de cette persécution spirituelle sans précédent ?

Les armes rouillées ne suffiront pas. Je ne parle pas de la Sainte Tradition, des écrits des Saints Pères, mais des livres inadéquats du siècle dernier, si souvent éphémères et présentant rarement une interprétation suffisante de la Sainte Tradition. Notre production théologique s’est arrêtée il y a des années, et cet arrêt témoigne de notre négligence de la mission d’enseignement de l’Église. L’ignorance grandit dans l’Église et nous ne nous alarmons pas !

Existe-t-il des livres dans lesquels notre sainte foi orthodoxe peut être prêchée de manière convaincante et adaptée à notre propre génération ?

En Amérique, où la majorité des chrétiens orthodoxes sont anglophones, nous nous trouvons dans une situation particulièrement difficile. Il n’existe pas de littérature orthodoxe en anglais. Il existe des livres occasionnels, souvent de qualité modeste, et rarement sur les sujets les plus urgents ou les plus fondamentaux. Le vrai problème, cependant, n’est pas celui des livres, mais celui de l’étude. Chaque génération, en particulier dans un nouveau pays, doit envisager la vérité chrétienne à nouveau, en contact permanent avec le passé, ainsi qu’en contact étroit avec le monde actuel en perpétuelle mutation. Il ne suffit pas d’apprendre par cœur des réponses toutes faites. Elles peuvent être parfaitement justes et correctes. Mais nous devons résoudre les questions en réfléchissant aux réponses et non pas en récitant simplement des formules, aussi sacrées et parfaites soient-elles. Écoutez l’homme qui cherche ! Il connaît la formule, mais il ne peut pas la relier à son questionnement existentiel. Notre Credo est une formule parfaite. Combien de fois le récitons-nous sans conviction ? Sommes-nous capables de la relier à nos besoins spirituels urgents ? Combien d’orthodoxes se passent du Credo, parce qu’il a cessé d’avoir pour eux un attrait spirituel immédiat ? Le Credo est chargé d’une Vérité éternelle et aimante. Il est la clé éternelle de l’agitation humaine, mais il a besoin d’être interprété. Sinon, nous ne saurions pas comment mettre la clé dans la serrure.

Ce que notre génération actuelle souhaite, en particulier dans notre pays, c’est un véritable renouveau théologique — un renouveau d’une théologie vivante, qui déverrouillerait pour nous cette Vérité que l’on peut trouver dans les Écritures, dans la Tradition et dans la vie liturgique de l’Église, mais qui nous est cachée par notre ignorance et notre négligence. Nous avons besoin, aujourd’hui plus que jamais, précisément d’une « bande de tisons spirituels » qui peuvent enflammer les esprits et les cœurs avec le feu d’une connaissance aimante de Dieu et de Jésus-Christ, le Rédempteur. Dieu nous appelle, dans notre génération, à être ses témoins et ses messagers. Comment les hommes peuvent-ils croire s’ils n’entendent pas la Parole vivifiante ? Même si nous sommes des hommes aux lèvres impures, répondons à l’appel divin, et le feu de l’Esprit nous purifiera pour le ministère de la Parole.
 

 


 

Cet article a été publié par St. Vladimir’s Seminary Quarterly, Vol. 1, No. 1, Automne 1952, pp. 3-5

Le révérend père George Florovsky est l’ancien doyen du séminaire théologique de Saint-Vladimir.

 

Traduction : hesychia.eu

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