Rien qui convienne mieux à Dieu, qui soit plus dans sa nature que la miséricorde ; et c’est pourquoi l’apôtre le nomme « Dieu des miséricordes ». Mais considérez aussi l’humilité de saint Paul. C’était la prédication de l’Évangile qui l’exposait à tous ces dangers : il n’attribue pas néanmoins son salut à ses propres mérites, mais à la bonté du Seigneur. Il développe plus loin sa pensée.
Pour le moment il ajoute : « Qui nous console dans toutes nos tribulations ». Il ne dit pas : Qui nous préserve de l’affliction ; mais : « Qui nous console dans l’adversité » [Rm 5 :3], paroles bien propres à montrer la puissance de Dieu, et à redoubler la patience dans les âmes affligées. C’est là ce que le prophète avait en vue lui-même, quand il disait : « Au sein de l’affliction, vous avez dilaté mon cœur » [Ps 4 :2]. Il ne dit pas : Vous n’avez point permis au malheur de fondre sur moi ; ni, vous avez bien vite écarté loin de moi l’adversité ; mais bien, vous avez dilaté mon âme plongée dans la douleur. N’est-ce pas ce qui arriva aux trois jeunes Hébreux ? Dieu n’empêcha pas qu’on les jetât dans la fournaise ; et quand on les y eut précipités, il n’éteignit point la flamme, mais il sut, même au milieu de ces brasiers, leur ménager le bien-être et la consolation.
Telle est toujours la conduite de la Providence ; et c’est là ce que nous enseigne l’apôtre par ces paroles : « Qui nous console dans toutes nos tribulations ». Il veut encore nous donner un autre enseignement. Ce n’est pas une fois ou deux seulement que Dieu nous console, mais toujours, mais continuellement. Il ne nous console pas aujourd’hui pour nous abandonner demain ; non, jamais il ne cesse de nous consoler. « Qui nous console », dit l’apôtre, et non pas, qui nous a consolés ; « dans toutes nos tribulations », et non pas seulement dans celle-ci ou dans celle-là. Oui, dans toutes nos tribulations, « afin qu’à notre tour nous puissions consoler ceux qui souffrent, et répandre dans leurs âmes ces consolations qui nous viennent du Seigneur ». Voyez-vous comme il trouve moyen de s’excuser, en laissant supposer au lecteur qu’il s’est trouvé en proie aux plus cruelles afflictions ? En même temps, quoi de plus modeste que ce langage ? Cette miséricorde, l’apôtre et son disciple en ont éprouvé les effets non pas à raison de leurs mérites ou de leur dignité, mais pour le bien de ceux qu’ils doivent assister eux-mêmes. Dieu nous a consolés, dit-il, pour qu’à notre tour nous consolions les autres. Et comme le dévouement de l’apôtre éclate dans ces paroles ! À peine est-il consolé, à peine commence-t-il à respirer, que, loin de demeurer oisif comme nous faisons, il s’empresse d’exhorter les fidèles, de les affermir, de les exciter. D’autres donnent de ce passage une autre explication. Le sens, d’après eux, serait celui-ci Notre consolation est aussi la consolation des autres. Il semble aussi que saint Paul veuille dans cet exorde censurer la conduite de ces faux apôtres, qui, pleins de jactance, restaient dans leurs maisons et y vivaient dans les délices ; mais il le fait d’une manière obscure et détournée. Ce qu’il se proposait surtout, c’était d’écarter tout reproche de négligence au sujet du retard qu’il avait mis à tenir sa promesse. Si en effet Dieu nous console pour qu’à notre tour nous consolions les autres, ne nous blâmez pas d’avoir différé notre voyage à Corinthe. Nous avons passé tout ce temps à résister aux attaques de nos ennemis, à écarter les dangers qui nous menaçaient.
« Car de même que les souffrances de Jésus-Christ abondent en nous, de même aussi les consolations surabondent dans nos âmes par Jésus-Christ ». Pour ne pas consterner ses disciples par le récit de ses souffrances, il leur montre d’autre part l’abondance des consolations. Ainsi les rassure-t-il ; et c’est encore dans ce dessein qu’il leur rappelle Jésus-Christ, et qu’il regarde ses souffrances comme étant celles du Sauveur ; et ainsi avant même de prononcer le mot de consolation, il sait trouver un motif de consolation dans les souffrances elles-mêmes. Quoi de plus doux en effet, quoi de plus agréable que d’être associé à Jésus-Christ et de souffrir à cause de lui ? Quelle consolation comparable à celle-là ? Voici une autre parole bien capable aussi de soutenir ceux qui souffrent : « Elles abondent, ces souffrances », dit-il. Il ne dit pas : De même que les souffrances de Jésus-Christ (5) fondent sur nous ; mais, « de même qu’elles abondent », voulant ainsi montrer, que les apôtres endurent non-seulement les mêmes souffrances que le Sauveur, mais de plus nombreuses encore. Nous n’avons pas seulement à souffrir ce qu’il a souffert ; mais nous souffrons beaucoup plus qu’il n’a souffert lui-même. Voyez en effet : le Christ a été tourmenté, persécuté, battu de verges, il est mort. Eh bien ! nous souffrons davantage encore ; et c’en serait assez pour nous consoler. On ne saurait taxer l’apôtre d’arrogance ou de témérité. Écoutez ce qu’il dit ailleurs : « Maintenant je me réjouis de mes souffrances ; et j’accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ ». [Coloss. I, 4.] Oui, l’apôtre peut tenir ce langage sans arrogance ni témérité. Les disciples n’ont-ils point fait des miracles plus grands que ceux du Sauveur lui-même ? « Celui qui croit en moi, fera des miracles plus étonnants que ceux-ci ».[Jean, XIV, 12] Mais toute la gloire en revient à Jésus-Christ, qui agit dans ses serviteurs. Toute la gloire de leurs souffrances revient pareillement au Sauveur, qui les console, et qui leur donne la force de supporter avec courage les maux qui viennent fondre sur eux.
Aussi l’apôtre adoucit-il sur-le-champ ce qu’il vient de dire, et il ajoute : « De même la consolation abonde par Jésus-Christ ». C’est à Jésus-Christ qu’il rapporte toutes choses, et il aime à publier la bonté du Sauveur. Il ne dit pas : La consolation égale les souffrances ; mais bien : « La consolation abonde » ; en sorte que le temps de la lutte est aussi le temps des nouveaux triomphes. Quoi de plus grand, quoi de plus glorieux que d’être battu de verges pour Jésus-Christ, que de s’entretenir avec Dieu, que d’être assez fort pour résister toujours, que de vaincre les persécuteurs, que de ne pouvoir être dompté par l’univers entier, que d’attendre des biens que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a pas entendus, que le cœur de l’homme ne peut comprendre ? Est-il rien de comparable à ces souffrances endurées pour, la religion, à ces innombrables consolations qui nous viennent du Seigneur, à ce pardon qui nous délivre de péchés si multipliés et si graves ; à cette justice et à cette sainteté dont le Saint-Esprit orne les cœurs, à cette assurance, à ce courage en face de l’ennemi, à cette gloire dont l’éclat brille au sein même du danger ? Ne nous laissons donc point abattre, quand l’affliction vient nous éprouver. On ne peut vivre dans les délices, on ne peut s’endormir dans la mollesse, et demeurer uni au Sauveur. Pour s’approcher de Jésus, il faut secouer toute indolence, passer par l’épreuve des afflictions, entrer résolument dans la voie étroite. C’est le chemin qu’il a suivi lui-même. Ne disait-il pas : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ? » [Mt 8 :20]
Ne vous plaignez donc pas d’être affligés ; songez que vous êtes dans la société de Jésus, que par l’affliction vous effacez vos crimes et vous vous acquérez de grands mérites. Ce qu’il faut craindre, ce qu’il faut redouter, c’est d’offenser le Seigneur. Cela excepté, ni l’affliction ni les attaques de l’ennemi ne sauraient attrister une âme vraiment sage. Que dis-je ? Si vous jetez une étincelle dans l’Océan, n’est-elle pas éteinte aussitôt ? Ainsi en est-il de la souffrance ; fût-elle excessive, quand elle rencontre une conscience pure, elle se dissipe et s’évanouit sur-le-champ. C’est pourquoi saint Paul ne cessait de se réjouir, parce qu’il avait confiance en Dieu ; et il n’avait pas même le sentiment de si cruelles épreuves. Il était homme et il souffrait, mais sans se laisser abattre. Abraham n’était-il pas joyeux aussi, malgré les douleurs auxquelles il était en proie ? Exilé, condamné à de longs et pénibles voyages, il n’a pas où mettre le pied sur la terre étrangère. La famine sévit dans le pays de Chanaan et le force à passer en Égypte. Alors on lui enlève son épouse ; il court risque d’être tué. Ajoutez à tous ces maux la stérilité de Sara, les guerres qu’il est obligé de soutenir, les dangers qui l’environnent, et cet ordre qui lui enjoint d’immoler son Fils unique, cet Isaac qu’il aime si tendrement et dont la mort doit lui causer d’indicibles, d’irrémédiables douleurs. Il obéit promptement, il est vrai ; mais ne croyez pas qu’il ait supporté tant de maux, sans éprouver de souffrances. Quelque parfaite que fût sa justice, il était homme, et, comme tel, sensible à la douleur. Rien cependant ne put le décourager ; mais il soutint la lutte avec générosité, et chacun de ces combats fut suivi d’une victoire.
De même aussi le bienheureux apôtre qui chaque jour voyait fondre sur lui les afflictions, semblait goûter les délices du paradis ; il était heureux, il tressaillait de joie. Au sein d’une telle joie, l’homme est inaccessible au découragement. Mais qu’il tombe aisément, s’il ne sait point la préférer à tout le reste ! C’est un soldat, mais armé, et que renverse du premier coup son adversaire. S’il avait d’autres armes, il repousserait tous les traits dirigés contre lui. Y a-t-il une arme plus forte que cette divine allégresse ? Non, l’homme qui la ressent ne peut se laisser vaincre ; il supporte courageusement toutes les attaques de ses ennemis. Y a-t-il un supplice plus horrible que le feu ? N’y a-t-il rien de plus cruel que de continuelles tortures ? On endurerait plus facilement la perte de ses biens, la mort de ses enfants. « Peau pour peau », dit l’Écriture, « et tout ce que possède un homme, il le donnerait pour racheter sa vie ». [Job, 2 :4.] Non, il n’est rien de plus affreux que les tourments du corps ; et cependant ces supplices dont le nom seul fait horreur, deviennent, grâce à cette joie divine, faciles à supporter et vraiment dignes d’envie. Retirez du bûcher, ou du gril le martyr qui conserve encore un reste de vie, vous trouverez son âme toute remplie d’une ineffable allégresse.
À quoi bon ces réflexions ? direz-vous, nous ne sommes plus au temps du martyre. Que dites-vous ? Nous ne sommes plus au temps du martyre !… Mais n’est-ce pas sans cesse le temps du martyre, n’est-il pas sans cesse devant nous, si nous savons être sages ? Pour être martyr, il n’est point nécessaire d’être mis en croix ; si cela était nécessaire, Job aurait-il obtenu de si nombreuses couronnes ? Fut-il traîné devant les tribunaux ? Entendit-il la voix des juges, vit-il les bourreaux, fut-il pendu à un gibet ? Et cependant il souffrit plus cruellement que bien des martyrs ; ces messagers qui se succédaient sans interruption lui faisaient de plus profondes blessures que les instruments de supplice les plus horribles. — C’étaient autant de traits qui s’enfonçaient dans son âme ; et ces vers qui le rongeaient de toutes parts le faisaient souffrir plus que n’eussent fait les bourreaux eux-mêmes.
Première homélie sur la deuxième Épître aux Corinthiens
Saint Jean Chrysostome, Œuvres complètes traduites pour la première fois en français sous la Direction de M. Jeannin, tome dixième, Arras, 1886, p. 4-6
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