Le saint, le célèbre martyr et évêque Bassus, celui à qui nous devons aujourd’hui cette réunion brillante, jouit des récompenses que lui ont méritées ses travaux. Sans avoir aucunement besoin d’un tribut d’éloges de notre part, il ne cesse d’implorer le Seigneur en notre faveur, ayant obtenu par l’épreuve du martyre un grand crédit auprès de lui, et ayant déjà reçu de sa main la couronne incorruptible préparée aussi par le Christ aux fidèles.
Ils sont abondants, selon le mot de l’apôtre, les dons du Seigneur depuis longtemps il comble de bienfaits par l’intercession des martyrs ceux qui l’invoquent avec sincérité ; et il le fera surtout maintenant que nous allons bientôt rappeler le souvenir des craintes de l’année dernière, et que les menaces terribles de la colère miséricordieuse du Seigneur nous mutent à chanter ses louanges.
En vérité nous avons vu son courroux resplendir de miséricorde lorsque nous étions assiégés par la crainte des tremblements de terre, lorsque l’univers était ébranlé sous nos yeux, que des secousses violentes agitaient le sol. Mais le Sauveur ne renonça point à ses admirables miséricordes : nous nous attendions à une mort affreuse, nous pensions que nos maisons allaient devenir nos sépulcres ; saisis de terreur par ces secousses, nous ne trouvions aucun lieu sûr, aucune sorte de refuge ; arrivés au milieu du jour, nous n’espérions pas en contempler le soir ; le glaive était d’en haut suspendu sur nos têtes, tandis qu’ici-bas on se livrait aux bonnes œuvres et à la prière ; d’une voix unanime les peuples imploraient miséricorde ; et le Seigneur se laissa fléchir et toucher de compassion : lui dont le regard ébranle toute chose rétablit de sa main le calme dans la création agitée. Mais pourquoi ne pas tout dire en un mot ? « Si le Seigneur des armées ne nous eût assistés, l’enfer fût devenu sans aucun doute la demeure de notre âme. » Psaume XCIII, 17. Qui ne serait dans le saisissement devant cette charité du Sauveur ? Quelle âme ne serait point excitée à la reconnaissance par les événements de cette époque ? et non seulement par ceux-là, mais encore par ceux qui suivirent, et par ceux qui sont survenus il n’y a pas longtemps ? il ébranla les soutiens de la terre, il secoua les fondements de nos maisons, les édifices ressemblaient à des navires ballottés par les vagues de la mer : il ne fit que montrer son œil de juge, et nous fûmes tous agités, comme nous l’eussions été au milieu des flots. L’épouvante était grande ; mais les effets de la miséricorde de Dieu le furent encore plus. S’il ébranla la création, il ne la bouleversa pas ; s’il secoua l’univers, il ne le joncha pas de ruines, et il ne dépouilla pas la terre des créatures qui en font la beauté. C’est pour que nous nous souvenions de lui qu’il s’est borné à secouer les toits de nos demeures, et il n’a pas voulu que nous ayons goûté l’amertume de la destruction.
Telle est la grandeur de sa miséricorde envers nous ; car même en ébranlant les colonnes de la terre, il nous a témoigné sa sollicitude et sa tendresse.
Il voyait nos prévarications et notre conduite intolérable ; il voyait notre amour pour les rapines ; il nous voyait ajouter les maisons aux maisons, rapprocher les champs d’autres champs pour enlever quelque chose au prochain ; il voyait les orphelins traités sans pitié et les veuves n’obtenant pas de justice ; il voyait les maîtres faire le contraire de ce qu’ils enseignaient ; il voyait les disciples fréquenter les désordres des théâtres et déshonorer la dignité ecclésiastique ; il nous voyait vivre dans la perversité et la jalousie ; il nous voyait unir à la jalousie la fraude ; il voyait l’hypocrisie engloutir la simplicité comme la tempête un esquif ; il nous voyait verser sans remords le sang de nos semblables et commettre autant d’injustices que nous le pouvions ; il voyait la charité faire naufrage, et la tromperie voguer à pleine voile sur l’océan de la vie ; il nous voyait fuir la vérité et rechercher le mensonge ; en un mot, il nous voyait servir non le Seigneur, mais l’argent : en ébranlant la terre, il l’a chargée de nous corriger comme un gouverneur corrige des enfants.
Rappelant par son amour une tendre mère qui, voulant préserver son enfant à la mamelle de l’habitude de pleurer à tout propos, agite avec vivacité son berceau, non pour faire du mal à son nourrisson, mais pour l’effrayer ; ainsi le Maître de toute chose, qui tient en ses mains l’univers, l’ébranle, non pour le détruire, mais pour ramener dans la voie du salut ceux qui vivent au milieu du désordre.
Œuvres complètes de S. Jean Chrysostome, Traduction nouvelle par M. l’Abbé J. Bareille, Tome deuxième, p. 620-621
Librairie de Louis Vivès, éditeur, Paris, 1867
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