Discours d’éloge pour la Dormition de Notre Dame, très illustre, très glorieuse et bénie, la Mère de Dieu et toujours Vierge Marie
Préambule.
« La mémoire des justes est entourée d’éloges », dit le très sage Salomon « (Pr 10,7). Précieuse en effet au regard du Seigneur la mort de ses saints », a prophétisé David, l’ancêtre de Dieu (Ps 116,15). Si donc la mémoire de tous les justes est entourée d’éloges, qui ne décernerait la louange à la source de la justice et au trésor de la sainteté, non pour ajouter à sa gloire, mais pour être glorifié soi-même de la gloire éternelle : Elle n’a nul besoin de glorification de notre part, la demeure de Dieu, la cité de Dieu : sur elle on a prononcé des paroles de gloire, comme le divin David le lui dit : « Pour ta gloire on a parlé, cité de Dieu » (Ps 87,3). Comment comprendre, en effet, cette « cité du Dieu » invisible et illimité, qui renferme toutes choses dans sa main (Is 40,12), sinon de celle qui a pu seule contenir réellement, d’une manière surnaturelle et suressentielle, dans sa grandeur sans limite, le Verbe de Dieu suressentiel ? de celle pour qui des paroles glorieuses ont été dites par le Seigneur même ? Qu’y a-t-il de plus glorieux que d’avoir donné accueil au Dessein de Dieu ?
Car ce n’est point une langue humaine, ni l’intelligence des anges qui sont au-dessus du monde, qui peuvent la célébrer dignement, celle par qui nous fut donné de contempler distinctement la gloire du Seigneur (2 Co 3,18). Mais quoi ? Nous tairons-nous pour être incapables de la louer dignement, et la crainte nous retiendra-t-elle ? Non certes. Ou bien avancerons-nous d’un pas qui enjambe le seuil, comme on dit, méconnaîtrons-nous nos propres limites, et toucherons-nous sans retenue aux sujets sacrés en rejetant le frein de la crainte ? Nullement. Mais plutôt, tempérant la crainte par l’amour, et les entrelaçant pour former une seule couronne, avec une sainte révérence, d’une main tremblante et d’une âme enflammée, offrons, comme une dette de gratitude, les humbles prémices de notre pensée à la Reine e. à la Mère, bienfaitrice de toute la nature. On raconte que des paysans, qui creusaient les sillons avec leurs bœufs de labour, virent passer un roi dans son magnifique vêtement de pourpre, étincelant de l’éclat du diadème, au milieu de la troupe innombrable des gardes qui l’escortaient ; et comme ils n’avaient rien alors sous la main qu’ils pussent offrir en présent au prince, l’un d’eux, sans attendre, puisa de l’eau dans ses mains (il en coulait tout près en abondance) et l’apporta en don au souverain. Le roi lui dit : Qu’est ceci, mon fils ? Il répondit avec assurance : Ce que j’avais è ma disposition, je te l’ai apporté. J’ai pensé que c’était le meilleur parti : l’indigence ne devait pas éteindre notre zèle. Tu n’as que faire de nos dons, et tu ne veux que notre bonne volonté. Pour nous, ce geste est un devoir, et il est aussi à notre louange, car la gloire accompagne volontiers ceux qui sont généreux. Le roi admira et loua cette sagesse, il accueillit aimablement cette bonne volonté, et tint à récompenser l’homme par des dons considérables. Que si ce tyran orgueilleux préféra le bon vouloir à la richesse de l’offrande, combien davantage cette souveraine vraiment bonne, mère du Dieu qui seul est bon et dont la condescendance est infinie, du Dieu qui préféra les « deux piécettes » (Mt 12,42 ; Lc 21,2) aux plus riches offrandes, n’agréera-t-elle pas notre intention, sans tenir compte de notre capacité ? Sans nul doute elle agréera l’offrande de cette dette, et nous donnera en retour des biens incomparablement plus grands. Puisque tout nous contraint donc à parler, et pour nous acquitter de notre devoir, adressons-lui ainsi la parole.
Marie dans la perspective de l’incarnation.
De quel titre t’appeler, ô Souveraine ? De quelles paroles te saluer ? De quelles louanges couronner ton front sacré et couvert de gloire, toi la dispensatrice des biens, la donatrice des richesses, la beauté du genre humain, la fierté de la création entière, toi par qui cette création est devenue vraiment bienheureuse ? Celui en effet qu’auparavant elle ne contenait pas, voici que par toi elle le contient. Celui sur qui elle n’avait pas la force de fixer son regard, elle le « contemple comme dans un miroir, à visage découvert » (2 Co 3,18). Ouvre, ô Verbe de Dieu, notre bouche lente à parler. Mets sur nos lèvres ouvertes une parole (Ep 6,19) remplie de grâce. Insuffle en nous la grâce de l’Esprit, par laquelle d’humbles pêcheurs deviennent éloquents, et des illettrés disent la sagesse qui dépasse l’homme (1 Co 2,6), pour que notre faible voix, à son tour, réussisse à proclamer, fût-ce indistinctement, les grandeurs de ta Mère très aimée.
C’est elle en effet qui, élue dès les générations antiques, en vertu de la prédestination et de la bienveillance du Dieu et du Père qui t’a engendré hors du temps sans sortir de lui-même et saris altération, c’est elle qui t’a enfanté, incarné de sa chair, « dans les derniers temps » (1 P 1,20), toi la propitiation et le salut, la justice et la rédemption, toi, la vie sortie de la vie, « lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ». L’enfantement de cette mère fut extraordinaire ; sa naissance dépassa la nature et l’intelligence humaine, et fut salutaire au monde ; sa dormition fut glorieuse, vraiment sacrée et digne d’une religieuse louange.
Le Père l’a prédestinée ; ensuite les prophètes par le Saint-Esprit l’ont annoncée ; puis la vertu sanctificatrice de l’Esprit l’a visitée, purifiée et rendue sainte, et a pour ainsi dire arrosé cette terre. Toi alors, qui es « la définition et l’expression du Père », tu vins habiter en elle sans être limité, pour rappeler l’extrême bassesse de notre nature à la hauteur infinie de l’incompréhensible divinité. De cette nature humaine tu reçus les prémices du sang très chaste, très pur et tout immaculé de la Vierge sainte, tu t’es formé une chair vivante avec une âme raisonnable et intelligente, et tu l’as fait subsister en toi-même. Et tu es devenu un homme parfait, sans renoncer à être un Dieu parfait ni cesser d’être consubstantiel à ton Père, mais en prenant sur toi notre faiblesse, par une indicible tendresse (Ep 4,32). Et tu es sorti d’elle, toi un seul Christ, un seul Seigneur, un seul Fils, en même temps Dieu et homme, à la fois Dieu parfait et homme parfait, entièrement Dieu et entièrement homme, une seule personne, composée de deux natures parfaites, divinité et humanité. Ni simplement Dieu ni purement homme, mais un seul Fils de Dieu et Dieu incarné, à la fois Dieu et homme dans la même personne, sans admettre de confusion ni souffrir de séparation, tu portes en toi-même les propriétés des deux natures différentes, unies hypostatiquement sans confusion ni séparation : le créé et l’incréé, le mortel et l’immortel, le visible et l’invisible, le circonscrit et l’illimité, la volonté divine et la volonté humaine, l’activité divine mais aussi assurément une activité humaine, toutes deux libres, la divine comme l’humaine, les merveilles divines et les passions humaines, je veux dire les passions naturelles et non coupables.
Car le premier Adam, tel qu’il était avant la transgression, libre du péché, tu l’as, ô Maître, à cause des entrailles de ta miséricorde (Lc 1,78), assumé tout entier, corps, âme, esprit, avec toutes ses facultés naturelles, pour gratifier du salut mon être entier, car il est bien vrai que « ce qui n’a pas été assumé n’a pas été guéri ». Et devenu ainsi « médiateur de Dieu et des hommes » (1 Tm 2,5), tu as supprimé la haine et conduit à ton Père ceux qui l’avaient quitté (Ep 2,14 ; Ep 16 ; Ep 2,18) : tu as ramené ce qui s’était égaré, tu as éclairé ce qui était enténébré, renouvelé ce qui était brisé, changé en incorruption ce qui était corrompu. De l’erreur polythéiste tu as délivré la création. Tu as fait les hommes « enfants de Dieu » (Jn 1,12 1 Jn 3,2) ; tu as déclaré participants de ta gloire divine ceux qui étaient dans le déshonneur. Le condamné promis aux enfers souterrains, tu l’as élevé « bien au-dessus de toute Principauté et de toute Puissance » (Eph 1,21) ; condamné à retourner à la terre (Gn 3,19) et à habiter l’Hadès (Ps 94,17 Jb 17,13), tu l’as fait asseoir sur le trône royal, en toi-même. Quel fut donc l’instrument de ces infinis bienfaits qui dépassent toute pensée et toute compréhension ? N’est-ce point celle qui t’a enfanté, la Toujours Vierge ?
Gloire de la dormition. Piété filiale du Christ.
Vous voyez, pères et frères aimés de Dieu, la grâce du jour présent. Vous voyez combien sublime et vénérable est celle que nous célébrons. Ses mystères ne sont-ils pas redoutables ? Ne sont-ils pas remplis de merveilles ? Heureux ceux qui voient tout ce qu’il convient d’y contempler. Heureux ceux qui possèdent le sens de l’intelligence. De quelle lumière, de quelles fulgurations cette nuit resplendit ! Quelles escortes d’anges font briller la dormition de la Mère qui fut le principe de la vie ! De quelles divines paroles les Apôtres béatifient les funérailles du corps qui reçut Dieu ! Comme le Verbe de Dieu, qui par miséricorde daigna devenir son Fils, sert, de ses mains souveraines, cette femme toute sainte et très divine comme on sert une mère, et reçoit son âme sacrée
O le parfait législateur ! Sans être soumis à la loi, il accomplit la loi qu’il a lui-même portée. Car c’est lui qui prescrivit le devoir des enfants envers les parents
« Honore, dit-il, ton père et ta mère » (Ex 20,12). C’est une vérité manifeste pour quiconque est initié, même faiblement, aux oracles divins de la sainte Écriture. Car s’il est vrai, selon cette divine Écriture, que « les âmes des justes sont entre les mains du Seigneur » (Sg 3,1), comment celle-ci, bien davantage, ne livrerait-elle pas son âme aux mains de son Fils et de son Dieu ? C’est une vérité certaine, au-dessus de toute contestation.
Première partie.
Éloge de la Mère de Dieu.
Mais voulez-vous que nous disions d’abord qui elle est, quelle est son origine, comment elle a été accordée à ce monde, tel le don de tous les dons de Dieu le plus haut à la fois et le plus aimable ; comment elle a vécu dans la vie présente et de quels mystères elle fut jugée digne ? Expliquons ces quelques points. Les Grecs, dans les oraisons funèbres dont ils honoraient les disparus, rassemblaient avec un soin parfait tout ce qu’ils trouvaient d’utile pour que l’éloge, d’une part, pût s’appliquer au héros célébré, et de l’autre fût pour les survivants un stimulant et une exhortation à la vertu – et ils tissaient généralement leur discours de fables et de fictions sans nombre, leurs personnages n’ayant pas de quoi fournir par eux-mêmes à la louange. Dans ces conditions, comment nous-mêmes, si nous dissimulions dans les abîmes du silence, selon l’expression courante, ce qui est absolument vrai et respectable, et ce qui, existant réellement à tous bénédiction et salut, n’encourrions-nous pas la risée générale, et la même condamnation que celui qui enfouit son talent ? Mais nous veillerons à la concision du discours, de peur qu’il ne fatigue les oreilles, comme porte préjudice aux corps un excès de nourriture.
Ses parents. Naissance et vie dans le temple.
Joachim et Anne furent ses parents. Joachim, tel un pasteur de brebis, menait ses pensées comme on guide ses troupeaux, les gardant sous son autorité et les conduisant à son gré. Car, ayant lui-même, comme une brebis, le Seigneur Dieu pour pasteur (Ps 23,1), il ne manquait d’aucun bien excellent. Et que personne ne s’imagine que j’appelle biens excellents ces objets auxquels pense la multitude, auxquels aspire toujours l’esprit des hommes trop avides, qui ne sont ni durables par leur nature, ni capables de rendre meilleur celui qui les possède : ces plaisirs de la vie présente qui ne peuvent acquérir de valeur stable, mais s’évanouissent d’eux-mêmes et sont dissipés sur l’heure, quand même ou les aurait à profusion. Non, loin de nous la pensée de les admirer ! Telle n’est pas la part de ceux qui craignent le Seigneur. Mais je parle des biens vraiment désirables et aimables pour les hommes de jugement droit, des biens qui demeurent pour l’éternité, qui réjouissent Dieu et offrent à leurs possesseurs du fruit en leur saison : j’entends par là les vertus (Ps 1,3), qui donneront leur fruit en leur temps, c’est-à-dire au siècle futur la vie éternelle, à ceux du moins qui les auront dûment cultivées, en travaillant eux-mêmes selon leurs forces. Le travail précède, la félicité éternelle le suit. Joachim était accoutumé à mener intérieurement ses propres pensées « sur un pré d’herbe fraîche » — il demeurait dans la contemplation des oracles sacrés —, et « vers les eaux du repos » de la divine grâce, où il trouvait ses délices ; il les détournait de la vanité et les guidait « par des sentiers de justice » (Ps 23,2-3).
Quant à Anne, dont le nom signifie « grâce », elle était sa compagne autant par ses mœurs que par la communauté de vie favorisée de tous les biens, elle était cependant, pour une raison mystique, frappée du mal de la stérilité. Effectivement, la grâce était stérile, n’ayant pas la force de fructifier dans l’âme des hommes : car « tous étaient dévoyés, ensemble corrompus », il n’y en avait « pas un d’intelligent, pas un qui cherchât Dieu » (Ps 14,2-3). Alors Dieu dans sa bonté, regardant et prenant en pitié l’ouvrage de sa propre main, et voulant le sauver, met fin à la stérilité de la grâce c’est-à-dire d’Anne aux pensées divines : et elle met au monde une enfant, telle que nulle autre ne naquit avant elle, ni ne naîtra jamais. Et la guérison de cette stérilité montrait en toute clarté que la stérilité du monde, incapable de produire les biens, allait elle-même cesser, et que le tronc de la béatitude interdite allait fructifier.
Voilà pourquoi la Mère de Dieu vient au jour en vertu d’une promesse : un ange révèle la conception de celle qui va naître. Car il convenait que, sur ce point aussi, elle ne le cédât à personne ni ne vînt au second rang, celle qui devait engendrer selon la chair le Dieu unique et réellement parfait. Puis elle est offerte par consécration temple saint, de Dieu : et c’est là qu’elle vit, donnant l’exemple d’une ferveur et d’une conduite plus parfaites et plus pures que les autres, à l’écart de toute relation avec les hommes et les femmes éloignées du bien. Mais comme elle atteignait la fleur de son âge, et que la loi l’empêchait de rester plus longtemps dans la clôture du lieu saint, elle est remise par le chœur des prêtres aux mains d’un époux comme à un gardien de sa virginité, à Joseph, qui, jusque dans son âge mûr, mieux que tout autre gardait la loi dans sa pureté. C’est chez lui que vivait cette jeune une fille sainte et toute irréprochable, occupée des affaires domestiques, et sans rien savoir de ce qui se passait devant sa porte.
Annonciation.
« Puis quand vint la plénitude des temps » (Ga 4,4), comme dit le divin Apôtre, l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu à celle qui était vraiment la fille de Dieu, et il lui dit « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. » Admirable propos de l’ange, adressé à celle qui est au-dessus de l’ange : il apporte la joie de tout l’univers. « Elle cependant fut troublée de cette parole », inaccoutumée qu’elle était à s’entretenir avec des hommes. Car elle avait résolu fermement de garder la virginité, et « elle se demandait en elle-même ce que signifiait cette salutation ». L’ange alors : « Ne crains pas, Marie, lui dit-il, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Oui, vraiment, elle a trouvé grâce, elle qui est digne de grâce. Elle a trouvé grâce, elle qui a travaillé et labouré le champ de la grâce, et moissonné de lourds épis. Elle a trouvé grâce, celle qui produisit les semences de la grâce et moissonna de la grâce la récolte abondante. Elle a trouvé un abîme de grâce, celle qui a gardé sauf le navire d’une double virginité. Elle avait, en effet, veillé à la pureté de son âme non moins qu’à celle de son corps, et sa virginité corporelle en fut elle-même préservée.
« Et tu enfanteras, lui dit-il, un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus signifie Sauveur : c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » (Lc 1,31 ; Mt 1,21) Que répond à ces mots le véritable trésor de la sagesse ? Elle n’imite pas Ève, sa première mère ; elle corrige plutôt le geste inconsidéré de celle-ci, et s’abritant derrière la protection de la nature, elle tient en quelque sorte ce discours, en réplique à la parole de l’ange : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? » Ce que tu dis est impossible : ta parole renverse les lois de la nature, que son auteur a fixées. Je ne consens pas à tenir le rôle d’une seconde Ève ni à enfreindre la volonté du Créateur. Si tu ne parles pas contre Dieu, explique-moi le mode de cette conception, pour lever mon embarras. L’ange de la vérité lui dit alors : « L’Esprit-Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. » Le mystère qui s’accomplit n’est pas soumis aux lois de la nature. Car l’auteur et le maître de la nature modifie à son gré les bornes de la nature. Au nom divin, toujours entouré d’amour et d’honneur, qu’elle entendit avec un saint respect, elle prononça les paroles de l’obéissance, remplies de crainte et de joie : « Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole. » (He 5,7 ; Rm 5,19)
Incarnation et Nativité
« O abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! — J’emprunterai ici les paroles de l’Apôtre – Que ses décrets sont insondables, et incompréhensibles ses voies ! » (Rm 11,33) O immensité de la bonté de Dieu ! O amour qui dépasse toute explication ! « Celui qui appelle le néant à l’existence » (Rm 4,17), celui qui « remplit le ciel et la terre » (Jr 23,24), celui dont le ciel est le trône et l’escabeau de ses pieds (Is 66,1), s’est fait une spacieuse demeure du sein de sa propre servante, et accomplit en elle le mystère de tous le plus nouveau. Étant Dieu, il devient homme, et, le temps venu de sa naissance, il est enfanté surnaturellement ; il ouvre le sein maternel sans avoir endommagé le sceau de la virginité. Sur des bras humains il est porté comme un petit enfant, lui « l’éclat de la gloire, l’empreinte de la substance » du Père, lui qui soutient tout l’univers par la parole de sa bouche (He 1,3).
O merveilles vraiment divines, ni stères qui dépassent la nature et l’intelligence ! O privilèges surhumains de la virginité ! Quel est donc autour de toi, Mère sainte et Vierge, ce grand mystère ? « Tu es bénie entre toutes les femmes, et béni le fruit de ton sein. » Tu es bienheureuse dans les générations des générations, la seule digne d’être appelée bienheureuse. Voici en effet que toutes les générations te disent bienheureuse, comme tu l’as déclaré. Les filles de Jérusalem, c’est-à-dire de l’Église, t’ont vue et ont proclamé ton bonheur ; les reines, qui sont les âmes des justes, te loueront dans les siècles (Ct 6,9 ; Pr 31,28).
Figures de la Vierge dans l’Ancien Testament.
Car tu es le trône royal, près duquel se tenaient les anges, contemplant leur maître et créateur qui y était assis (Da 7,9 ; Da 7,10).
Tu es devenue l’Éden spirituel, plus sacré et plus divin que l’ancien. Dans le premier habitait l’Adam « terrestre », en toi c’est le Seigneur « venu du ciel. » (1Co 15,47)
L’arche t’a préfigurée, elle qui sauva le germe de la seconde création : car tu enfantas le Christ, le salut du monde, qui a submergé le péché et apaisé ses flots.
D’avance c’est toi que le buisson a dépeinte, que les tables écrites par Dieu ont dessinée, que l’arche de la loi a racontée ; c’est toi que l’urne d’or, le candélabre, la table, « le rameau d’Aaron qui avait fleuri » (He 9,4 ; Nb 17,23) ont manifestement préfigurée. De toi en effet est né celui qui est la flamme de la divinité, « la définition et l’expression du Père », la manne délicieuse et céleste, le nom innommé « qui est au-dessus de tout nom », la lumière éternelle et inaccessible (1 Tm 6,16), « le pain de vie » venu du ciel, le fruit récolté sans travail : de toi il est sorti corporellement.
N’est-ce point toi que désignait d’avance la fournaise au feu mêlé de rosée et de flamme (Da 3,49 ; Da 3,50), image du feu divin qui vint habiter en toi ?
La tente d’Abraham est de toi un présage très manifeste : car à Dieu le Verbe, venu habiter en ton sein comme sous la tente, la nature humaine a offert le pain cuit sous la cendre (Gn 18,6), c’est-à-dire les prémices d’elle-même à partir de ton sang très pur, cuites et transformées en pain par le feu divin, subsistantes dans sa personne, et servant vraiment de nourriture à un corps vivifié par une âme raisonnable et intelligente.
J’allais omettre l’échelle de Jacob. Quoi donc ? N’est-il pas clair pour chacun qu’elle a tracé d’avance et montré ton image ? Comme Jacob vit le ciel réuni à la terre par les extrémités de l’échelle, et par elle les anges descendre et monter, et Celui qui est réellement le fort et l’invincible engager avec lui une lutte symbolique (Gn 28,12 ; Gn 32,25) ; ainsi toi-même, tu es devenue la médiatrice et l’échelle par laquelle Dieu est descendu vers nous et a pris sur lui la faiblesse de notre substance, l’embrassant et se l’unissant étroitement ; et il a fait de l’homme un esprit qui voit Dieu (Gn 32,31) ; par-là tu as rapproché ce qui était désuni. Et ainsi les anges descendaient vers lui, pour le servir comme leur Dieu et leur maître, cl les hommes de leur côté, embrassant une vie angélique, sont élevés au ciel.
Quelle place donnerai-je aux oracles des prophètes ? N’est-ce point, à toi qu’il faut les rapporter, si nous voulons montrer qu’ils sont vrais ? Quelle est donc cette toison évoquée par David, sur laquelle le fils du roi et du Dieu universel, sans principe lui-même et souverain comme son Père, est descendu comme une pluie (Ps 72,1 ; Ps 72,6) ? N’est-ce point toi, de toute évidence ?
Qui est la vierge, dont Isaïe, dans une vue prophétique, annonça qu’elle concevrait et enfanterait un fils qui serait « Dieu avec nous », ce qui veut dire que, devenu homme, il demeurerait Dieu (Is 7,14) ?
Quelle est cette montagne de Daniel, dont la pierre d’angle, le Christ, fut détachée, sans intervention d’un instrument humain (Da 2,34 ; Da 2,44 ; Is 28,16 ; Ps 118,22) ? N’est-ce point toi, qui conçus virginalement et restas toujours vierge ?
Qu’Ézéchiel le tout divin s’avance, et qu’il montre la porte fermée, franchie par le Seigneur sans être ouverte, telle qu’il l’a annoncée prophétiquement ; qu’il montre l’accomplissement de ses dires. C’est toi qu’il désignera certainement, toi en qui Dieu le prince universel a passé et a pris chair, sans ouvrir la porte de la virginité. Oui, le sceau virginal demeure et persiste à jamais.
Hommage universel à l’approche de sa mort.
Ainsi les prophètes te célèbrent, les anges te sont soumis, les apôtres sont à ton service : le disciple demeure vierge et l’oracle de Dieu, te sert, toi la toujours vierge et la Mère de Dieu. En ce jour où tu t’en allas vers ton Fils, les anges, les âmes des justes, des patriarches, des prophètes t’entouraient d’honneur ; les apôtres te faisaient escorte, avec la foule immense des Pères divinement inspirés ; des extrémités de la terre, par l’ordre de Dieu, ils étaient rassemblés, amenés comme sur une nuée vers cette divine et sainte Jérusalem, et à toi qui fus la source du corps du Seigneur, principe de la vie, ils adressaient des hymnes sacrés dans un transport tout divin.
Deuxième partie.
Mort de Marie. Son corps préservé de la corruption est une source de bénédictions.
Oh ! comment la source de, la vie est — elle conduite à la vie en passant par la mort ? O surprise ! celle qui dans l’enfantement a surmonté les limites de la nature, maintenant se courbe sous ses lois, et son corps immaculé est soumis à la mort. Il faut en effet dépasser ce qui est mortel pour revêtir l’incorruptibilité, puisque le Maître de la nature lui-même n’a pas refusé l’expérience de la mort. Car il meurt selon la chair, et par sa mort il détruit la mort, à la corruption il confère l’incorruptibilité, et fait du trépas la source de la résurrection. Oh ! cette âme sainte, au moment où elle sort de la demeure qui avait reçu Dieu, comme le Créateur du monde la reçoit de ses propres mains, et quel légitime honneur il lui rend ! Par nature elle était la servante, mais, dans les abîmes insondables de sa philanthropie, il a fait d’elle, selon l’ordre de l’économie, sa propre Mère, puisqu’il s’est incarné en vérité et n’a pas fait semblant de devenir un homme. Les troupes des anges te voyaient sans doute et attendaient ton départ de la vie des humains.
O l’incomparable passage, qui te vaut la grâce d’émigrer vers Dieu ! Car si cette grâce est accordée par Dieu à tous les serviteurs qui ont son esprit car elle leur est accordée, la foi nous l’apprend —, toutefois la différence est infinie entre les esclaves de Dieu et sa Mère. Alors comment appellerons-nous ce mystère qui s’accomplit en toi ? Une mort ? Mais si, comme le veut la nature, ton âme toute sainte et bienheureuse est séparée de ton corps béni et immaculé, et si ce corps est livré à la tombe suivant la loi commune, cependant il ne séjourne pas dans la mort et n’est pas détruit par la corruption. Pour celle dont la virginité est restée intacte dans l’enfantement, au départ de cette vie, le corps est gardé sans décomposition, et placé dans une demeure meilleure et plus divine, hors des atteintes de la mort, et capable de durer pour toute l’infinité des siècles.
Notre soleil, tout entier brillant et toujours lumineux, caché pour un moment par le corps de la lune, semble disparaître, sombrer clans les ténèbres et changer son éclat en obscurité ; pourtant il n’est pas dépossédé de sa lumière propre, mais il a en lui-même une source de lumière toujours jaillissante, ou plutôt il est lui-même la source de lumière sans éclipse, selon l’ordre de Dieu qui l’a créé. Ainsi toi, source permanente de la vraie lumière, inépuisable trésor de celui qui est la vie même, efflorescence féconde de bénédiction, toi qui es pour nous la cause et la donatrice de tous les biens, même si, par une séparation temporaire, ton corps disparaît dans la mort, cependant tu fais jaillir pour nous, libéralement, les flots incessants, purs, intarissables de la lumière infinie, de la vie immortelle et de la vraie félicité, des fleuves de grâces, des sources de guérisons, une bénédiction perpétuelle. Tu as fleuri « comme le pommier parmi les arbres du verger », et ton fruit est doux au palais des fidèles. Aussi je ne dirai pas de ton saint départ, qu’il est une mort, mais une dormition, ou un passage, ou plus proprement une entrée dans la demeure de Dieu sortant du domaine du corps, tu entres dans une condition meilleure.
Son âme est reçue dans la gloire
Les anges, avec les archanges, t’ont emportée ensemble. À ta sortie les esprits impurs qui hantent les airs ont frémi. Par ton passage l’air est béni, l’éther sanctifié. Avec joie le ciel accueille ton âme. À ta rencontre, au chant des hymnes, en une solennité pleine d’allégresse, les puissances s’avancent, et voici sans doute ce qu’elles disent « Quelle est celle-ci, qui monte dans tout son éclat » (Ct 8,5), « qui apparaît comme l’aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil » (Ct 6,10) Que tu es belle, que tu es douce ! Tu es « la fleur des champs », « comme un lis au milieu des épines » (Ct 2,1-2) : « c’est pourquoi les jeunes filles t’aiment ». « À l’arôme de tes parfums » nous courons. Le roi t’a introduite dans son appartement (Ct 1,3 ; Ct 1,4). « Alors les Puissances te font escorte, les Principautés te bénissent, les Trônes te chantent, les Chérubins frappés de stupeur se réjouissent, les Séraphins glorifient celle qui est la mère de leur propre maître par nature et en vérité, selon l’économie ». Non, tu n’es pas seulement comme Elie, montée « vers le ciel » (2 R 2 ; 2 R 11 d’après les Septante), tu n’as pas été, comme Paul, transportée « jusqu’au troisième ciel » (2 Co 12,2), mais tu t’es avancée jusqu’au trône royal de ton Fils lui-même, dans la visions directe, dans la joie, et, avec une grande et indicible assurance, tu te tiens auprès de lui : pour les anges allégresse ineffable, et avec eux pour toutes les puissances qui dominent le monde ; pour les patriarches, délectation sans fin ; pour les justes, joie inexprimable ; pour les prophètes, perpétuelle exultation. Tu bénis le monde, tu sanctifies tout l’univers ; tu es dans la peine le soulagement, dans les pleurs la consolation (Is 61,2 ; Mt 5,4), dans les maladies la guérison, dans la tempête le port, pour les pécheurs le pardon, pour les affligés le bienveillant encouragement, pour tous ceux qui t’invoquent le prompt secours.
La mort prend un sens nouveau
O merveille qui dépasse vraiment la nature ! Réalités stupéfiantes ! La mort, autrefois haïe et exécrée, est entourée de louanges et déclarée heureuse : elle qui autrefois apportait deuil et tristesse, larmes et sombre chagrin, voici qu’elle apparaît cause de joie et objet d’une fête solennelle. Cependant pour tous les serviteurs de Dieu dont la mort est déclarée heureuse, le terme de leur vie leur donne seul l’assurance d’être agréés de Dieu, et c’est pourquoi leur mort est béatifiée. Car elle met le sceau à leur perfection et révèle leur béatitude, en leur conférant la stabilité de la vertu, selon l’avertissement de l’oracle : « Ne vante pas le bonheur d’un homme avant sa mort. » (Si 11,28) Mais à toi nous n’appliquerons pas cette parole. Car ta béatitude ne vient pas de la mort, et ton trépas n’a pas consommé ta perfection. Non, ce n’est pas ton départ d’ici-bas qui te confirme en grâce. Pour toi, le commencement, le milieu et la fin de tous tes éminents privilèges, leur stabilité et leur vraie confirmation, ce furent la conception virginale, l’inhabitation divine, l’enfantement sans dommage. Aussi, tu l’as dit avec vérité, ce n’est point à ta mort, mais dès cette conception même que tu es appelée heureuse par toutes les générations. Non, ce n’est point la mort qui t’a rendue heureuse, mais c’est toi qui as fait resplendir la mort ; tu as dissipé sa tristesse et montré qu’elle est une joie.
Assomption corporelle
Voilà pourquoi ton corps sacré et sans tache était livré à son saint tombeau. Les anges le précédaient, l’entouraient en cercle, le suivaient ; que ne faisaient-ils pour servir dignement la mère de leur Seigneur ? Les Apôtres et l’Église en sa plénitude chantaient des hymnes divins et jouaient des instruments au souffle de l’Esprit, en disant : « Nous nous rassasierons des biens de ta maison, ton peuple est saint, admirable de justice » (Ps 65,6) ; et encore : « Le Très-Haut a sanctifié sa demeure. » (Ps 46,5) « Montagne de Dieu, montagne d’abondance, la montagne que Dieu a bien voulu habiter ! » (Ps 68,16-17) Les Apôtres ensemble te portèrent sur leurs épaules, toi l’arche véritable, comme autrefois les prêtres l’arche figurative, et te déposèrent au tombeau : alors, par lui, comme par un autre Jourdain, ils te firent parvenir à la vraie Terre promise (Jos 3,6 ; Jos 11 ; Jos 3,14), je veux dire à « la Jérusalem d’en haut », mère de tous les croyants, « dont Dieu est l’architecte et le constructeur » (He 11,10). Car ton âme assurément n’est pas descendue « dans l’Hadès », mais bien plus, ta chair elle-même « n’a pas vu la corruption » (Ac 2,31). Ton corps sans souillure et très pur ne fut pas abandonné à la terre : mais aux demeures royales des cieux, tu fus emportée, toi, la reine, la Souveraine, la maîtresse, la Mère de Dieu, la vraie Théotokos.
Le tombeau glorieux, source de grâce et de guérison.
Quoi ? Le ciel a accueilli celle qui apparut plus immense que les cieux, et le tombeau, de son côté, a reçu celle qui fut le réceptacle de Dieu ! Oui, il l’a reçue. Oui, il l’a contenue. Car ce n’est pas la grandeur corporelle qui le fit plus vaste que le ciel : comment ce corps de trois coudées, ce corps qui s’amoindrit sans cesse, irait-il se mesurer avec la largeur et la longueur du ciel ? Mais non, c’est par la grâce qu’il surpassa la mesure de toute hauteur et de toute profondeur. Car le divin n’a rien qui lui soit comparable. O monument sacré, digne d’admiration, d’honneur, de vénération ! Maintenant encore les anges sont là, pleins de respect et de crainte, rangés autour de toi ; les démons frémissent ; avec foi les hommes s’approchent, ils t’apportent honneur et révérence, ils te saluent de leurs regards, de leurs lèvres, des élans de leur âme, et viennent puiser une profusion de biens.
Qu’un parfum précieux soit placé sur des vêtements ou en un lieu quelconque et qu’ensuite on le retire : ils persistent encore, les restes de son arôme, même le parfum disparu ! Ainsi ce corps divin et saint et immaculé, imprégné de l’arôme divin, fontaine abondante de la grâce, mis au tombeau, puis repris et emporté en une région plus excellente et plus sublime, n’a pas laissé de tombeau sans honneur, mais il lui communique son divin arôme et sa grâce, et il a fait de ce monument la source des guérisons et de tous les biens pour ceux qui s’en approchent avec foi.
Consécration et prière.
Nous aussi, aujourd’hui, nous nous tenons en ta présence, ô Souveraine, oui, je le répète, Souveraine, Mère de Dieu et Vierge : nous attachons nos âmes à l’espérance que tu es pour nous, une ancre absolument ferme et infrangible (He 6,19) nous te consacrons notre âme, notre corps, chacun de nous en toute sa personne : nous voulons t’honorer « par des psaumes, des hymnes, des cantiques inspirés » (Ep 5,19), autant qu’il est en nous : car te rendre honneur selon ta dignité dépasse nos forces. S’il est vrai, selon la parole sacrée, que l’honneur rendu aux autres serviteurs est une preuve d’amour envers le maître commun, l’honneur qui t’est rendu, à toi la Mère de ton Maître, peut-il être négligé ? Ne faut-il pas le rechercher avec zèle ? N’est-il pas préférable même au souffle vital, et ne donne-t-il pas la vie ? Ainsi nous marquerons mieux notre attachement à notre propre Maître. Que dis-je ? Il suffit, en réalité, à ceux qui gardent pieusement ta mémoire, d’avoir le don inestimable de ton souvenir : il devient le comble de la joie impérissable. De quelle allégresse n’est-il pas rempli, de quels biens, celui qui a fait de son esprit la secrète demeure de ton très saint souvenir ?
Voilà le témoignage le notre reconnaissance, les prémices de nos discours, l’essai de notre misérable pensée, qui, animée par ton amour, a oublié sa propre faiblesse. Mais reçois avec bienveillant notre ardent désir, sachant qu’il va plus loin que nos forces. Jette les yeux sur nous, ô Souveraine excellente, mère de notre bon Souverain ; gouverne et conduis à ton gré notre destinée, apaise les mouvements de nos honteuses passions, guide notre route jusqu’au port sans orages de la divine volonté ; et gratifie-nous de la félicité future, cette douce illumination par la face même du Verbe de Dieu (Ps 67,2 ; Ps 119 135), qui s’est incarné par toi.
Avec lui, au Père, gloire, honneur, force, majesté et magnificence, en la compagnie de son Esprit très saint, bienveillant et vivifiant, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.
Homélie disponible également en format numérique [html] dans la Bibliothèque catholique en ligne
Pas de commentaire