Histoire, Orthodoxie

Les rogations

19 juin 2021

Nous avons traité déjà des litaniæ majores, mieux connues en France sous le nom de « procession de Saint-Marc » (voir Dictionn., t. x, col. 1740-1741) ou de « litanie romaine »; il nous faut dire quelque chose des litaniæ minores ou « litanie gal­licane » dont on sait au moins le nom de « Rogations » quoique certains catholiques n’en sachent que ce que leur en a appris un chapitre de Châteaubriand et un tableau de Jules Breton.

L’institution de cette solen­nité liturgique remonte à l’évêque de Vienne, saint Mamert, vers l’an 474. On vivait alors sous la menace et la réalisation d’événements tragiques; pour relever les courages, l’évêque imposa à son peuple un jeûne et des processions chantées pendant les trois journées qui précèdent la fête de l’Ascension. Nous sommes ici en pleine histoire et il est superflu de chercher l’origine de ce rite dans des ambarvalia ou des lustrationes. C’est le propre successeur de saint Mamert, l’évêque Avit, qui a pris soin déconsigner le souvenir que nous venons de rapporter et qui a été recueilli et consigné par Grégoire de Tours, de même que par Sidoine Apollinaire qui écrit que « dans les litanies que Ma­mert a instituées, on jeûne, on prie, on psalmodie, on pleure ». D’un autre passage de cet auteur qui parle de litaniæ vagæ, tepentes, infrequentes ac oscitabundæ, on s’est cru en droit de soutenir que saint Mamert n’avait fait qu’organiser une pratique plus ancienne; c’est confondre les processions et les Rogations. Celles-ci, on vient de le dire, ont une origine bien fixée et ont gardé leur but bien déterminé consistant à écarter les calamités. Enfin on a pensé découvrir dans un sermon de saint Augustin (†430) une attestation antérieure à saint Mamert, mais il faut restituer ledit sermon à saint Césaire d’Arles (†542), ainsi l’opinion traditionnelle conserve toute sa valeur. L’introduction de trois jours de jeûne pendant le temps pascal était, en 474, une innovation et on ne faisait rien de sembla­ble au temps de saint Augustin.

L’Église tint à honneur de maintenir l’institution de saint Mamert qui, de Vienne, se répandit aux alen­tours. Sidoine Apollinaire, ami personnel de Mamert, établit les Rogations dans son Église de Clermont et saint Césaire les trouva implantées à Arles quand il vint en occuper le siège. À l’origine, on adopta des époques différentes, ensuite l’uniformité s’imposa et, dès la fin du VIe siècle, l’accord s’était fait sur les trois jours précédant l’Ascension. Le concile d’Orléans, en 511, ceux de Tours et de Lyon, en 567, ordonnaient de les célébrer. Le lectionnaire de Luxeuil (voir Dictionn., t. ix, col. 2748 sq.) prend soin de mentionner les Lectiones quæ legendæ sint in Rogationis primo die (…die secunda, …dic tertia) et le Missale gallicanum vetus.

Non seulement le jeûne était prescrit, mais les ser­viteurs étaient dispensés du travail afin de prendre part à la procession. Venance Fortunat cite le cas d’une femme que la cécité seule empêcha de se joindre au peuple; guérie par saint Germain elle put se joindre à la procession du troisième jour. Le nom de litaniæ donné à cette procession vient-il de l’invocation des noms des saints, c’est assez probable; en tout cas nous savons que lorsque le pape Grégoire Ier institua une procession à Rome contre la peste per plateas Urbis on chantait le Kyrie eleison qui est demeuré le début du chant des litanies.

On ne se bornait pas au chant des litanies et nous venons de voir que le lectionnaire de Luxeuil prévoit et prescrit de longues lectures tirées de l’Écriture sainte, usage qui s’était conservé dans l’Église de Milan ainsi qu’en témoigne un livre intitulé : Litaniæ majores et triduanæ sollemnes ritu Ambrosiano, a sancto Carolo Cardinale lit. sanclæ Praxedis archiep. editæ, nunc denuo recognilæ. Mediolani anno MDCLXVII; et voici en quoi consistait cette litanie. Le lundi qui précède l’Ascension, en présence du clergé et du peuple assemblés dans la cathédrale, l’archevêque ou le péni­tencier bénissait la cendre provenant des rameaux d’olivier et l’imposait sur la tête de chacun avec ces mots : Memento homo quia cinis es et in cinerem reverleris. Le récipiendaire répondait : Memor ero. On se rendait de là à la basilique de saint Simplicien où on récitait les litanies et l’oraison, suivis de Dominus vobiscum. Cela fait, le lecteur secondicier récitait la leçon de Joël : Hæc dicit Dominus Deus. Convertimini ad me in tolo corde vestro, etc. Le premier notaire chan­tait le répons et le premier diacre, après le Dominus vobiscum, récitait l’évangile de saint Matthieu : Nolile putare quoniam veni solvere legem, etc. Ce qui se renou­velait dans douze églises.

Le mardi, semblable procession dans neuf églises et chacune d’elles entendait deux lectures, une de l’Ancien Testament, une autre de l’Évangile. Dans la sep­tième église, Saint-Nazaire, le diacre criait à haute voix : Parcile fabulis. Le gardien disait : Silentium habete et quelqu’un répondait : Habete silentium; après quoi on lisait saint Luc : Accessit ad Dominum Jesum quidam princeps et interrogavit eum dicens : Magister bone, quid faciens vitam æternam possidebo, etc.

Le mercredi, la procession se rendait dans onze égli­ses, et dans la cinquième, Saint-Laurent, après les mêmes cérémonies que la veille, on lisait saint Lue : Homo quidam habuit duos filios et Mabillon ajoute cette remarque : Hæc non parum conducunt ad illus­trandum lectionarium nostrum gallicanum.

Faut-il entendre des Rogations ce que dit Gennade de l’évêque Honorat de Marseille : Litanias ad incli­nandam Dei clementiam cum plebe sibi credita pro viri­bus agil. En tout cas saint Avit de Vienne prêcha chaque jour des Rogations et nous possédons un de ces ser­mons en entier, deux fragments des autres.

Hors de France, les Rogations sont constatées par le concile de Girone (517), celui de Tolède (636) et celui de Braga (572). Dans les adnuntiationcs festivi­tatum de la liturgie mozarabe — qui les reporte après l’Ascension — on trouve la mention de ces trois jours de jeûne des Rogations : Illo Illo et Illo [die] omnes jejunemus, ad exorandum Dominum nostrum Ihesum Christum pro peccatis nostris, sive ul Dominus iram suam a nobis auferat : ac pro pace inpelranda, vel pro sacris lectionibus audiendis, ecclesiam Domini jugiter frequentemus. Cette dernière formule est suivie de l’évan­gile des Rogations, le même que celui du missel romain.

À Rome, ce fut le pape Léon III (795-816) qui régla les Rogations de la manière suivante : le lundi, le pape et tout le clergé de Sainte-Marie-Majeure se rendaient à la basilique du Sauveur; le mardi, de Sainte-Sabine à Saint-Paul-hors-les-murs, le mercredi, de Sainte-Croix en Jérusalem à Saint-Laurent-hors-les-murs. Cepen­dant les anciens sacramentaires romains ne font pas mention des Rogations, pas plus que les Ordines du chanoine Benoît et de Cencius, ni l’antiphonaire de Tomasi; mais on les rencontre dans l’Ordo Romanus XIII probablement et dans l’Ordo Romanus XIV.

 


 

Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie des RR. Dom F. Cabrol et dom H. Leclercq, Librairie Letouzey et Ané, Paris, 1948, Tome quatorzième, deuxième partie, Col. 2459-2461

 


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