Le 10 ce Ministre fut admis à l’audience du Grand Seigneur, et il reçut les jours suivants les visites des Ambassadeurs de France, de Venise, de Gênes, et du Résident Impérial, et les leur rendit. Il était tous les jours dans la Compagnie de Mr. Des Alleurs, qui procura à Sa Majesté vingt mille écus de la part de sa Nation.
Iconographe: Elena Murariu
Mais quelques offres qu’il fît pendant son séjour à Constantinople, il ne put négocier aucune somme d’argent avec les Marchands. Le Trésorier Anglais ne voulut pas traiter avec lui, mais directement avec la Chancellerie de Demotica, qui lui donna des Obligations signées de la main du Roi pour ce qu’il avança alors, et pour ce qui n’était pas encore payé, avec deux Baillages de Brême pour sûreté de son payement. M. Grothufen prit son audience de congé du Visir le 8 d’août, et le 15 du Grand Seigneur.
Ce même jour et immédiatement après cette audience, le Grand Seigneur se rendit à un des Kiosques, sur le bord de la Mer ; et s’étant fait amener le Prince de Valaquie avec ses deux Fils, son Gendre et son Maître d’Hôtel, détenus en prison depuis deux mois, pour les accusations que j’ai marquées ailleurs, il ordonna qu’ils fussent décapités sur une petite place qui règne devant ce Kiosque : ce qui fut exécuté sous ses yeux, en la maniéré suivante et en moins d’un demi quart d’heure.
Le Bourreau les fit mettre tous à genoux à une certaine distance l’un de l’autre, et ôter leurs bonnets ; et après leur avoir permis de faire une courte Prière, il abattit premièrement d’un seul coup de sabre la tête du Maître d’Hôtel, puis celle du gendre, et ensuite du fils aîné. Mais lorsqu’il levait son Sabre pour trancher celle du plus jeune, âgé de seize ans, celui-ci saisi de frayeur demanda la vie en offrant de se faire Musulman : sur quoi le Père le reprenant et l’exhortant à mourir plutôt mille fois, s’il était possible, que de renier Jésus-Christ, pour vivre quelques années de plus fur la terre, il dit au Bourreau, je veux mourir Chrétien, frappe, et aussitôt celui-ci lui trancha la tête, comme aux autres. Enfin il décapita le Père, après quoi on jeta leurs corps dans la Mer, et leurs têtes furent portées et exposées devant la grande porte du Sérail, et y restèrent pendant trois jours. Ainsi finit cet infortuné Prince, après avoir gouverné la Valaquie pendant vingt-six ans.
Le même jour Messieurs Comentousky & Goltz se mirent en chemin pour retourner en Pologne, après avoir reçu des audiences favorables, tant du Grand Seigneur que du Visir, et réglé toutes choses à l’amiable avec la Sublime Porte. M. Grothufen resta encore dix à douze jours à Constantinople et mes affaires y étant finies, je le laissai là pour aller trouver M. Fabrice, qui avait une maison de Campagne à deux lieues d’Andrinople, où il vivait en Prince avec un carrosse à six chevaux, qui lui servait à aller tantôt à Andrinople, tantôt à Demotica, six chevaux de selle avec une meute de vingt chiens de chasse pour courir le Lièvre, dans la plus belle Campagne du monde, bonne table et bonne Compagnie, etc.
Voyages du Sr. A. de la Motraye en Europe, en Asie et en Afrique. En deux volumes. Tome second, pp. 212-213, Chez T. Johnson et J. van Duren, La Haye, 1727.
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