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Un croisé du XXe siècle : le père Gheorghe Calciu – III

6 juin 2020

III. La croix de l’exil

Un cruciat al secolului XX : părintele Gheorghe Calciu, Răzvan Codrescu / ROST / anul IV, nr. 38

traduction: hesychia.eu

 

Pendant les vingt-et-un ans d’exil, le père Calciu s’est efforcé, autant qu’il a pû, de poursuivre le combat au nom de Dieu et du peuple roumain.

L’église en bois saints Pierre et Paul

L’église en bois saints Pierre et Paul, village de Zolt, département de Timiș

En plus du ministère paroissial courant (à Alexandria, près de Washington D.C., où il a également édité un intéressant bulletin paroissial), il a défendu les intérêts des Roumains opprimés devant de nombreux forums internationaux, il a été reçu, entre autres, par les présidents François Mitterand et George Bush, et par le roi Michel Ier de Roumanie, il a joué un rôle central dans la plupart des réunions importantes de la « diaspora » roumaine (il fut notamment président honoraire de Romfest), il a facilité de nombreux contacts et l’aide humanitaire (plus particulièrement après les événements de décembre 1989), a publié le volume Christ is Calling You. A Course in Catacomb Pastorship (St. Herman of Alaska Brotherhood, Platina/Californie, 1997), il a constamment écrit dans la presse de l’exile (en particulier dans le Cuvântul românesc, aujourd’hui malheureusement disparu), mais aussi dans certaines publications récentes du pays (Puncte cardinale, ancienne page hebdomadaire chrétienne du quotidien Ziua, Scara, Rost, Lumea credinței, etc.), toujours avec le même pathos missionnaire et confesseur, que les années n’ont pas réussi à atténuer.

Après 1989, il est retourné au pays juste après la première insurrection des mineurs, et a été traité avec une hostilité « néo-communiste » non dissimulée, à la fois par les responsables politiques et par les responsables cléricaux (le seul représentant important du clergé orthodoxe de l’époque à l’accueillir à l’aéroport fut le père Galeriu), et a été même calomnié à la télévision nationale en présence et avec la complicité du président Iliescu (fière héritier des idiosyncrasies communistes) ! Une journaliste, pénétrée par l’état de suspicion et de confusion qui régnait à l’époque, n’a rien trouvé d’autre à lui demander que s’il se sentait manipulé ! « Mais si », lui a répondu le Père, « je me sens manipulé par Jésus-Christ »… Tout cela ne l’a pas empêché de revenir périodiquement depuis lors, automne après automne, dans le pays qu’il avait été forcé de quitter et qu’il a aimé jusqu’à son dernier souffle, portant le même message d’unité et de pardon, avec une force spirituelle qui avait un fort retentissement en particulier parmi les jeunes étudiants orthodoxes (à qui il a adressé dans les années 1990, à la demande de l’A.S.C.O.R. [Asociația Studenților Creștini Ortodocși din România – l’Association des étudiants chrétiens-orthodoxes de Roumanie], un « Nou cuvânt către tineri. Hristos a înviat în inima ta » – Nouveau sermon aux jeunes : le Christ est ressuscité dans ton cœur !).

Un rôle important a joué aussi l’apparition de ses quatre volumes en Roumanie : Șapte cuvinte către tineri [Sept paroles pour les jeunes] (Ed. Anastasia, București, 1996), Rugăciune și lumină mistică. Eseuri și meditații religioase [Prière et lumière mystique. Essais et méditations religieuses] (Ed. Dacia, Cluj-Napoca, 1998), Războiul întru Cuvânt. Cuvintele către tineri și alte mărturii [Le combat de la parole. Les paroles aux jeunes et autres témoignages] (Ed. Nemira, București, 2001) et Homo americanus. O radiografie ortodoxă [Homo americanus. Une radiographie orthodoxe] (Ed. Christiana, București, 2002 ; Reed. 2007)

Dans les notes d’un voyage réalisé en 2003, publiées partiellement en série par le périodique Puncte cardinale, il remarquait, avec une douceur tardive et une introspection amère :

« Chaque année, l’amour du pays et de son peuple, des monastères et de ceux qui y demeurent, et de membres de ma famille, me conduit vers les lieux de mon enfance, vers les joies et les souffrances que j’ai vécues, le trésor le plus précieux de ma vie en Roumanie pendant 60 ans, jusqu’au jour de mon exil, il y a 18 ans. Il me semble qu’un fossé sans fond a séparé ma vie en 1985, plus profond et plus large que le fossé des prisons. Peut-être parce que, même en prison, ma vie a été passée sur la terre de mon pays ; peut-être parce que je vis toujours dans la perspective de la prochaine visite que je ferai au pays, en traversant un océan d’eau et de souvenirs, tout aussi immenses »

D’autre part, il était très heureux de constater l’intérêt américain pour l’orthodoxie, contribuant activement, autant qu’il était en son pouvoir, au soutien et à la direction de nombreux nouveaux convertis :

« Parmi ces convertis, dont le zèle pour la tradition orthodoxe est très fort, il y a eu qui ont bâti des églises, monastères et ermitages à travers l’Amérique, intercesseurs cachés pour le monde, pour l’Amérique, pour tous les pays et pour l’unification des Églises dans la tradition et la foi véritable de l’Église primaire, sans innovations modernistes, fidèles aux canons des sept Conciles œcuméniques, les seuls véritables.
Depuis des années, je suis en contact spirituel et missionnaire avec la plupart de ces églises et monastères. Je connais leur combat contre le démon de l’orgueil et de l’esseulement imposés par la société et l’éducation américaines, contre le démon d’insubordination envers la discipline hiérarchique, leurs errances, leurs chutes et leurs corrections, qui sont différentes des nôtres, mais aussi leur grand zèle pour la prière et leur désir de connaître l’obéissance et ce que signifie l’homophore hiérarchique pour une véritable Église : sans le hiérarque, il n’y a pas de grâce de Dieu, car c’est seulement à travers le hiérarque que la grâce coule vers le prêtre. Aujourd’hui, presque tous ces églises et monastères sont sous la juridiction d’évêques canoniques, serbes ou bulgares.
En ce qui concerne la vie monastique, j’ai des relations permanentes avec trois skites et trois monastères d’Américains convertis, ainsi qu’avec une vingtaine d’églises, dispersés de la côte est à la côte ouest et de la Californie à l’Alaska.
Plus particulièrement au cours des cinq dernières années [1997-2002], après la publication de mon livre Christ is Calling You (“Le Christ vous appelle”), j’ai été invité dans de nombreuses communautés orthodoxes américaines à leur parler de vive voix sur l’orthodoxie, sur les souffrances de l’Église orthodoxe roumaine et toutes les épreuves que notre peuple a traversées. J’ai été surpris à plusieurs reprises de découvrir l’influence de l’Orthodoxie sur certaines communautés américaines : à mesure que le Catholicisme (de plus en plus sécularisé) et le Protestantisme (privé de toute chaleur spirituelle) perdent évidemment du terrain, l’Orthodoxie le gagne par l’enseignement et l’exemple de certains prêtres et religieux qui apportent la vibration nouvelle de la vraie foi dans l’âme de l’homme américain. »

Et la joie était d’autant plus grande qu’il pouvait constater :

« Si jusqu’à récemment la diffusion de l’Orthodoxie était presque exclusivement réservée aux Russes, aujourd’hui, l’Orthodoxie roumaine affirme de plus en plus sa présence, pas seulement à travers les prêtres d’Amérique (où nos églises sont encore “nationales”, la langue des offices étant le roumain), mais plus particulièrement grâce au miracle rayonnant des monastères et de la vie monastique de Roumanie, que les Américains commencent à découvrir avec émotion. Près de San Francisco, à Forestville, où elle a demeuré, jusqu’à son déménagement en Arizona, la communauté monastique orthodoxe appelée “Saint Païssy Velitchkovsky de Neamț” (fondée par un moine russe il y a environ 12 ans) était composée de kellia au nom d’anciens foyers monastiques roumains (“Suceviţa”, “Voroneț”, “Arbore”, etc.), parce que les religieuses — converties à plus de 90 % du protestantisme et quelques-unes du catholicisme — ont visité la Roumanie et ils ont apporté sous le ciel de l’Amérique l’esprit vivant des monastères roumains, qui influence toute notre vie nationale, ce qui semble incroyable aux yeux des Américains. Dans chaque église américaine où j’ai été invité, j’ai trouvé des convertis suite à de visites en Roumanie. De plus en plus, la priorité de l’orthodoxie roumaine est affirmée dans le plan de la foi orthodoxe, car après l’aveu de nombreux visiteurs en Russie ou dans d’autres pays orthodoxes, le renouveau du monachisme dans l’esprit orthodoxe authentique n’est nulle part aussi évident qu’en Roumanie. Aucun autre pays orthodoxe ne semble avoir autant de pères spirituels aujourd’hui, autant de vrais “starets”, que la Roumanie. »

Même s’il reste encore beaucoup à faire à cet égard, le Père a déployé des efforts considérables et a fait des pas essentiels pour la réconciliation entre la diaspora roumaine et l’Église orthodoxe du pays (le seul fondement possible, au-delà de toutes les circonstances, pour une réunification spirituelle réelle et durable des Roumains de deux côtés des frontières), notamment par la relocalisation de Romfest en Roumanie (depuis 1998). Ainsi, on proposa à ceux qui s’opposaient aveuglement à l’Église nationale l’exemple d’un homme qui avait passé vingt et un ans dans les prisons communistes, qui connaissait comme nul autre les vertus et les faiblesses de l’institution ecclésiale, mais qui ne pouvait ignorer le fait que les temps ont changé, que le pardon (qui ne doit en aucun cas être confondu avec l’oubli irresponsable !) est la dimension principale d’une attitude chrétienne envers le monde, et que, finalement, l’Orthodoxie, deux fois millénaire, est une valeur non négociable, dont la majesté mystique dépasse nos imperfections humaines éphémères.

Interrogé il y a une quinzaine d’années, quelle serait la Roumanie qu’il rêve et qu’il espère, le père Calciu a formulé de manière concise cette sublime profession de foi, d’une discrète solennité testamentaire :

« Jusqu’à la fin, je ne m’exprimerai pas en termes politiques, mais en termes spirituels. La Roumanie dont je rêve est une nation qui réunira à son sein tous ses enfants éparpillés par le destin dans le monde entier, afin que nous puissions tous être un, sur la terre de nos souffrances, mais aussi de nos joies, sous le signe de la Croix du Christ. »


IV. Le retour définitif « à la maison »

À l’automne de l’année 2005, à l’âge de 80 ans, il s’amusait à dire qu’après des opérations successives au cours desquelles on avait placé plusieurs anneaux (« pitons ») sur les artères coronaires, il se sentait octogénaire… « gagné aux pitons » (« J’ai enduré tant d’années parce que j’ai un cœur en très bonne santé et un corps qui a créé de nombreuses artères secondaires […] Le Dr Dangas m’a montré la pellicule avec des créations artérielles secondaires et m’a dit qu’il avait rarement vu un tel phénomène d’autodéfense du corps. Je lui ai répondu que c’était la gloire de Dieu, qui avait montré sa miséricorde à un prêtre indigne, et il a reconnu que seul Dieu peut faire de tels prodiges. »)

Le 23 novembre 2006, il aurait eu 81 ans. Mais il s’est éteint le 21 novembre (13 h 10 ; dans le pays : 20 h 10), après trois jours de coma, dans la clinique de Washington où il venait d’être déplacé à la demande de sa famille, après un mois passé à l’Hôpital Militaire Central de Bucarest, et où il avait reçu la visite des êtres chers de Roumanie.
Quand il est arrivé en Roumanie, au début du mois d’octobre, toujours valide, il savait qu’il est gravement atteint par la maladie (un cancer du pancréas) et n’avait pas caché à ses anciens camarades qu’il était venu leur dire au revoir avec une sorte de sérénité amère. Surmontant sa faiblesse et les douleurs, il visita encore une fois les endroits qui lui étaient chers : son Mahmudia natal, le monastère de Petru-Vodă (où il demanda d’être enterré), Ocişor, le lieu de repos entre les persécutions et l’exil, mais aussi Bucarest, où il avait défendu, en risquant sa vie et sa liberté, les oasis de sainteté contre la fureur démente des bulldozers de Ceaușescu.

Il a célébré la dernière Liturgie à St Ilie-Gorgani le 8 octobre. Bien qu’extrêmement faible, « le père Calciu a voulu servir dans notre église, et a prononcé une homélie sur l’importance de la présence des fidèles à la Sainte Liturgie avant la lecture du Saint Evangile. “Celui qui est absent à la lecture de l’Évangile”, nous a dit le Père, “est absent à la parole du Christ, car c’est Lui qui nous parle alors. » Malheureusement, il semble que personne n’ait eu l’inspiration ni le zèle nécessaire pour enregistrer le sermon (le dernier prononcé à l’ambon). Au lieu de cela, nous avons l’enregistrement de la conférence qu’il a tenue à Cluj deux jours plus tard, à l’invitation des jeunes de A.S.C.O.R., qui devait être son dernier discours public.

Il était satisfait et heureux d’avoir vu sortir de la presse, grâce à l’effort de la communauté monastique de Diaconești, le livre de Ioan Ianolide Întoarcerea la Hristos [Le retour au Christ], qu’il considérait comme le témoignage testamentaire le plus fidèle et le plus profond de toute une génération de martyrs. La préface qu’il avait écrite à la veille de sa visite en Roumanie et qu’il avait intitulée avec humilité « Un mot indigne en préambule à un livre d’une grande et sainte diligence » devait être le dernier texte confessionnel écrit de sa main, couronnant « le combat dans le verbe » qu’il avait mené pendant des décennies, dans l’esprit des grands croisés de l’entre-deux-guerres et de Valeriu Gafencu, « le saint des prisons ». Cependant, il n’a pas pu honorer le lancement festif du livre au Palais du Patriarcat, où il aurait été agréable d’entendre le « chant de cygne » du plus courageux prédicateur de l’Orthodoxie militante de la fin du XXème siècle.

À l’hôpital militaire de Bucarest, où pendant des semaines ceux qui voulaient le voir ont fait la queue, il a été visité par le patriarche lui-même, mais également par le métropolite Bartolomeu Anania, son ancien camarade, qui l’a confessé et lui a donné la communion pour la dernière fois.

Il est parti vers le Seigneur deux jours seulement avant l’âge de 81 ans, et a été rapatrié le jour de Saint André (fête patronale de la nouvelle église orthodoxe roumaine qu’il avait commencé à ériger de l’autre côté de l’océan), et a été déposé à l’église du monastère Radu-Vodă à Bucarest, où il avait tenu autrefois ses fameuses « Sept paroles aux jeunes ». L’ouverture du cercueil, tant de jours après sa mort, fut un cadeau inattendu, car nous pouvions tous le voir et lui embrasser la main pour la dernière fois. Le soir, on a lu les prières des funérailles, suivies par une veillée, et le jour (le 1er décembre, du matin au soir, et le 2 décembre jusqu’à midi des dizaines de milliers de croyants sont passés devant le cercueil.

Le service religieux a été célébré le samedi 2 décembre, par Sa Sainteté le Patriarche Teoctist, avec le père Iosif Pop, le père Varsanufie Prahoveanul et le père Irineu Duvlea [qui est arrivé d’outre-mer, en tant que représentant du père Nathaniel]. Le père Patriarche a également tenu un discours mémorable évoquant, outre les vertus théologiques et spirituelles du défunt, sa longue lutte contre le régime athée et matérialiste, ainsi que le « martyre des geôles communistes ». Ensuite, la croix et la châsse du père ont fait le tour de l’église, accompagnées par un nombre impressionnant de prêtres et de croyants.

À midi, il y a eu le départ pour Petru-Vodă, le lieu de sépulture que le Père avait choisi. Par un temps que Dieu a magnifiquement préparé [avec les mots du poète Tudor Arghezi, jamais l’automne ne fut plus beau à notre âme heureuse de mourir…], plusieurs milliers de fidèles [arrivés des quatre coins du pays, mais aussi de l’étranger] se sont rassemblés, et l’office a été concélébré par 34 prêtres, dont le père higoumène du monastère, Iustin Pârvu [lui-même un ancien détenu politique, avec 17 ans de prison].

Le passage vers l’éternité céleste et légendaire du père Gheorghe Calciu laisse un vide dans notre temps tout comme le départ du père Galeriu [qui aurait eu 88 ans le même mois de 2006]. Nous avons cependant le réconfort de le savoir se reposer sous la « Sainte Montagne » des Roumains, dans les lieux sacrés de Petru-Vodă, où, s’il n’a pas été admis de son vivant, il se repose désormais, jusqu’à l’appel de la trompette céleste. Et nous ne doutons pas que sa prière devant Dieu soit puissante, pour la nation qu’il a tant aimée.


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