Tatiana Goritcheva, Parler de Dieu est dangereux. Récit. ed. Desclée de Brouwer, 1985
Une immense église froide et solennellement blanche. Il est six heures du matin. La liturgie va commencer. Du côté de l’autel annexe gauche on voit une grande foule hétéroclite de pèlerins.
Parmi eux, beaucoup de femmes, vêtues simplement et pauvrement, coiffées de fichus qui leur descendent jusqu’aux sourcils. Certaines viennent de très loin, de l’Ukraine, du Kazakhstan, de la lointaine Sibérie. Ces femmes ont préparé pendant des années leur voyage au monastère, à la source de la Mère de Dieu. Elles économisaient de l’argent, priaient, attendaient que les conditions difficiles de leur vie pleine de soucis leur permettent de réaliser le plus profond et le plus secret désir de leur cœur : un voyage au monastère, sur les lieux saints, auprès des starets connus pour leur discernement, pour révérer les reliques miraculeuses.
Depuis des années elles ne s’étaient pas confessées, n’avaient pas communié : chez nous c’est difficile. Il reste peu d’églises dans l’immense Russie, et encore moins de prêtres.
Il y a aussi des hommes du peuple à en juger par leurs visages comme tirés d’un tableau du XIXe siècle, si différents de ceux des citadins. On n’en rencontre plus que dans les lointaines campagnes russes.
Ce sont des gens en haillons, immobilisés devant le prêtre, la tête baissée dans un mouvement de pénitence avant la confession, qui m’ont fait pour la première fois de ma vie prononcer sérieusement et avec respect ce mot banalisé par tous les démagogues du monde : «le peuple». C’est seulement à l’église que j’ai vu ce qu’était le peuple, qui ne l’est qu’en Dieu. Il m’est alors paru évident que je n’étais pas seule, que moi aussi j’étais le peuple, parce que ces gens inconnus m’étaient plus proches que n’importe qui sur la terre.
Les Saints Pères recommandent, pour combattre les démons, de les ignorer purement et simplement, de ne jamais les croire. Ainsi moi, afin de parer aux multiples assauts des enquêteurs du KGB, je ne réagissais d’aucune façon, je les chassais hors de ma conscience. Nous avons donc été ascètes au même titre que dissidents, à en croire la formule de Soljenitsyne : face au KGB, «ne crois rien, n’aie pas peur , ne demande rien».
Une autre ressemblance est flagrante entre les employés de cet organisme et les démons : comme ils savent utiliser chaque faiblesse humaine, comme ils ont un flaire proprement diabolique pour le mal ! D’ailleurs, ils ne vivent plus que de l’exploitation des plus basses passions humaines : la peur, l’envie, la vanité, la méfiance.
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