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Vivre la foi orthodoxe dans le monde contemporain – II

20 octobre 2019

La vie aujourd’hui est devenue anormale

Père Seraphim Rose, The Orthodox Word, vol. 18, no. 4 (#105), Juillet-Août 1982, pg. 160-176.

traduction: hesychia.eu

Celui qui regarde notre vie contemporaine du point de vue de la vie que vivaient autrefois les gens — par exemple en Russie, en Amérique ou en tout pays de l’Europe occidentale au XIXe siècle — ne peut qu’être frappé par son dégrée d’anormalité. Tout le concept d’autorité et d’obéissance, de décence et de politesse, de comportement public et privé — a radicalement changé, a été renversé, à l’exception de quelques communautés isolées de personnes — généralement des chrétiens d’une confession ou d’une autre — qui tentent de préserver le soi-disant mode de vie « à l’ancienne ».
Notre vie anormale d’aujourd’hui peut être qualifiée de gâtée, de légère. Dès son plus jeune âge, l’enfant d’aujourd’hui est traité, en règle générale, comme un petit dieu ou une déesse de la famille : ses caprices sont pris en charge, ses désirs exaucés ; il est entouré de jouets, d’amusements, de commodités ; il n’est pas formé et éduqué selon les principes stricts d’une conduite chrétienne, mais laissé à grandir dans la direction de ses désirs. Il lui suffit généralement de dire : « Je le veux ! » ou « je ne le ferai pas ! » pour que ses parents obligeants se prosternent devant lui et lui donnent raison. Peut-être que cela n’arrive pas toujours dans toutes les familles, mais cela arrive assez souvent pour être la règle de l’éducation contemporaine des enfants, et même les parents les mieux intentionnés n’échappent pas totalement à son influence. Même si les parents essaient d’élever l’enfant avec rigueur, les voisins essaient de faire autre chose. Ils doivent en tenir compte dans de l’éducation de leur enfant.

Andreï Rublëv, L'hospitalité d'Abraham

Andreï Rublëv, L’hospitalité d’Abraham, 1425

Quand un tel enfant devient adulte, il s’entoure naturellement des mêmes objets auxquels il était habitué dans son enfance : commodités, amusements et jouets pour adultes. La vie devient une recherche constante de « divertissement » qui, d’ailleurs, est un mot totalement inconnu dans tout vocabulaire traditionnel ; dans la Russie du 19e siècle, ils n’auraient pas compris ce que ce mot voulait dire, ni d’ailleurs dans toute autre civilisation sérieuse. La vie est une recherche constante de « divertissement » qui est tellement vide de sens qu’un visiteur du XIXe siècle, regardant nos programmes de télévision populaires, nos parcs d’attractions, nos publicités, nos films, notre musique, penserait qu’il est tombé sur un pays d’imbéciles qui ont perdu tout contact avec la réalité normale. Nous ne prenons pas souvent cela en considération, car nous vivons dans cette société et nous le tenons pour acquis.

Certains observateurs récents de notre vie contemporaine ont appelé les jeunes d’aujourd’hui la « génération moi » et notre époque « l’âge du narcissisme », caractérisés par un culte et une fascination envers soi-même, qui empêchent une vie humaine normale de se développer. D’autres ont parlé de l’univers « plastique » ou du monde de fantaisie dans lequel vivent de nombreuses personnes, incapables de faire face ou de composer avec la réalité du monde qui les entoure ou leurs problèmes intérieurs.
Lorsque la « génération moi » se tourne vers la religion — ce qui est arrivé très fréquemment au cours des dernières décennies —, il s’agit généralement d’une forme de religion « plastique » ou fantasmatique : une religion de « développement de soi » (où le moi reste l’objet de culte), de lavage de cerveau et de contrôle de l’esprit, de gourous et de swamis déifiés, d’une poursuite des êtres « extraterrestres » et d’OVNI, d’états et de sentiments spirituels anormaux. Nous n’entrerons pas dans toutes ces manifestations ici, qui sont probablement assez familières à la plupart d’entre vous, sauf pour discuter un peu plus tard de la manière dont elles touchent la vie spirituelle chrétienne orthodoxe de nos jours.

Il est important pour nous de réaliser, alors que nous essayons nous-mêmes de mener une vie chrétienne aujourd’hui, que le monde qui a été formé par nos temps choyés, s’impose à l’âme, que ce soit dans la religion ou dans la vie laïque, d’une manière que nous devons appeler totalitaire. Cela est assez facile à voir dans les sectes hallucinatoires qui ont reçu une telle publicité ces dernières années et qui exigent une totale allégeance à un « saint homme » autoproclamé ; mais cela est tout aussi évident dans la vie laïque, où l’on est confronté non seulement à des tentations individuelles ici ou là, mais à un état de tentation constant qui nous attaque, que ce soit par la musique d’ambiance entendue partout dans les magasins et les entreprises, par les panneaux d’information et publicitaires dans les rues de la ville, par la musique rock qui se fait entendre jusqu’aux terrains de camping et sur les sentiers, et à la maison même, où la télévision devient souvent le chef secret de la maison, dictant les valeurs, les opinions et les goûts modernes. Si vous avez de jeunes enfants, vous savez à quel point cela est vrai ; après avoir vu quelque chose à la télévision, il est très difficile de lutter contre cette nouvelle opinion qui est donnée par la télévision comme une autorité.

Le message de cette tentation universelle qui attaque les hommes aujourd’hui — très ouvertement sous ses formes laïques, mais généralement plus cachée sous ses formes religieuses — est : vivez pour le présent, amusez-vous, détendez-vous, soyez à l’aise. Derrière ce message se cache une autre voix, plus sinistre, qui ne s’exprime ouvertement que dans les pays officiellement athées, qui ont une longueur d’avance sur le monde libre à cet égard. En fait, nous devrions réaliser que ce qui se passe dans le monde aujourd’hui est très similaire, que ce soit derrière le rideau de fer ou dans le monde libre. Il en existe de différentes versions, mais on constate une attaque très similaire pour gagner notre âme. Dans les pays communistes qui ont une doctrine athée officielle, ils disent très ouvertement que vous devez : oublier Dieu et toute autre vie que celle d’ici bas ; éloigner de ta vie la crainte de Dieu et le respect pour les choses saintes ; considérer ceux qui croient encore en Dieu de la manière « ancienne » comme des ennemis à exterminer. On pourrait considérer notre « Disneyland » américain comme un symbole de notre époque d’insouciance, de divertissement et de vénération de soi-même ; en procédant ainsi, nous ne devons pas négliger de regarder derrière lui le symbole plus sinistre qui montre le but ultime de la « génération moi » : le goulag soviétique, le réseau de camps de concentration qui régit déjà la vie de près de la moitié de la population mondiale.

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