La vie du chrétien est sérieuse, dure et intégrale
Être chrétien signifie être sérieux, ne pas tricher. Un chrétien ne prend rien à la légère. Tout acte, pour un chrétien, n’a pas seulement des conséquences, ici, dans cette vie terrestre, mais aussi pour toujours, dans les siècles des siècles. C’est la différence entre les laïcs et les religieux.
Le laïc, quand il a commis une faute, met son espoir dans l’oubli des hommes, dans l’habileté des avocats, dans l’œuvre apaisante du temps. Pour un homme religieux, rien ne peut être oublié ni caché. L’œil de Dieu voit tout. Un laïc peut être hypocrite. Car il sait qu’il y a des choses qu’il peut cacher aux yeux du monde. Un homme religieux ignore totalement l’hypocrisie. Pour un chrétien, même la signification de l’hypocrisie est inconcevable, car rien ne peut être caché pour l’œil de Dieu. Un chrétien ne compte pas sur l’oubli, car Dieu n’a pas une mémoire défaillante, comme les hommes. Il n’oublie pas, lui. Pour un chrétien, il n’y a pas d’amnistie, de réhabilitation ni de prescription, comme pour les laïcs. Le chrétien sait que son acte sera jugé. Et il espère la pitié et le pardon. C’est l’unique chose qu’il espère. La vie du laïc est apparemment facile. L’homme peut tricher, simuler, cacher. La vie du chrétien est sérieuse, dure et intégrale. 1
Ici, géographiquement, nous sommes plus près du ciel que de la terre
Je vous le dis, nous avons la vocation de la pureté. Pour nous, elle est vitale. Dites que c’est une vocation folle. Dites que vous êtes tombés ici sur un homme qui divague. Mais nous ne pouvons pas être autrement. Nous ne voulons pas nous parer avec des fleurs qui ont dans leurs pétales le sang d’un meurtre. Nous ne voulons pas manger des fruits, boire de l’eau et respirer de l’air qui renferment le sang du meurtre. Personne chez nous ne veut communier avec le sang d’un meurtre. Et celui qui sait quelque chose sur le meurtre viendra nous le dire. Ici. Tout de suite. Sans attendre la fin de la publication de Pantelimon, le crieur. Avant le jour, nous aurons l’assassin. Car nous savons que le péché peut contaminer toute la région. Le sang du péché sera porté par le vent, et il montera jusqu’au ciel et sera porté par les nuages. Porté par les semelles des voyageurs, il infectera le monde entier. Il sera transporté par la poussière. Il sera déversé par les pluies. Non seulement les hommes, mais aussi les plantes, les animaux et les minéraux, toute la nature, porteront la responsabilité du péché. Laver un péché ?… C’est impossible aux hommes. Il n’y a que le pardon de Dieu. Les hommes ne peuvent que confesser leur péché, s’en repentir. Chaque homme et chaque femme viendront ici nous confesser ce qu’ils savent. C’est ainsi que l’on a toujours procédé ici. Notre ville se nomme Agapia. Amour de Dieu, donc amour du vrai ; du beau ; de la pureté ; de ce qui est juste et durable. Le péché est pour nous pire, que le germe et les microbes du typhus, de la peste et du choléra. Ce n’est pas par hasard que nous nous sommes établis ici. A Agapia, il n’y a pas ou presque pas de terre cultivable. Ici, c’est de la pierre. Ce n’est donc pas pour la fertilité de la terre que nos ancêtres se sont établis ici. Ils ne cherchaient pas l’abondance, ni le confort, ni la sécurité. Ils se sont établis ici pour être le plus loin possible du monde, et le plus près possible du ciel. Car ici, géographiquement, nous sommes plus près du ciel que de la terre. Une bonne partie de l’année, nous sommes au-dessus des nuages, qui passent toujours plus bas que la ville d’Agapia.2
C. Virgil Gheorghiu, Les Immortels d’Agapia, Librairie Plon, Paris, 1964
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