Grands témoins contemporains du Christ, La foi vivante de l’église orthodoxe, La voie du Royaume, Luminaires de l'Église, Orthodoxie, Vivre la foi ...

« Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »

15 décembre 2024

 

Lettre adressée par le Père Justin de Tchélié au Saint- Synode de l’Eglise orthodoxe serbe

 

Nous reproduisons ci-après la lettre adressée par le Père Justin au Saint- Synode de l’Eglise orthodoxe serbe, par l’intermédiaire de son évêque diocésain, Mgr Jean de Šabac en date du 27 janvier 1971, en réponse à une proposition de « ministère ecclésial à Belgrade », suite à une lettre anonyme

 

III/ III

 

« Jugez vous-mêmes : est-il juste aux yeux de Dieu de vous obéir plutôt qu’à Dieu? » (Ac 4,19)

 

« Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » est le principe évangélique de la coexistence de l’Église et de l’État. Il est clair que l’Eglise doit, sous chaque régime, et par conséquent aussi sous un régime athée, trouver son modus vivendi : mais toujours dans l’esprit et dans les limites du principe évangélique susmentionné.

 

Ce principe implique pour l’État de ne pas s’immiscer dans les affaires internes de l’Église, de ne pas porter atteinte aux devoirs et droits saints et éternels de celle-ci. En définitive, il ne peut y avoir que coexistence de l’Église et de l’État ou souffrance de l’Eglise du fait de ses persécuteurs, qui s’élèvent et qui luttent contre Dieu et tout ce qui est de Dieu. Et cette attitude de l’Église est sous le contrôle suprême de cet Évangile qui renferme tout : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». Si une telle coexistence est irréalisable, il ne reste pour modus vivendi à l’Église que de souffrir pour le Seigneur, de vivre dans les difficultés et de les supporter, luttant ainsi pour les droits fondamentaux de la foi, de la conscience et de l’âme. Et il ne lui reste qu’à répondre à ses persécuteurs de la même façon que les Apôtres : « Jugez vous-mêmes : est-il juste aux yeux de Dieu de vous obéir plutôt qu’à Dieu ? » (Ac 4 19).

La liberté par laquelle le Seigneur Jésus-Christ nous a libérés (Ga 5 1) — c’est-à-dire la délivrance du péché, du mal et du créateur de celui-ci, le diable — nous rend plus forts que tout péché, toute mort, tout mal et tout diable. « Élevons nos cœurs ! » « Telle est la victoire qui a triomphé du monde : notre foi » (1 Jn 5 4), et de toute chose dans le monde. Lorsque, par la foi, le Seigneur ressuscité est avec nous, toutes Ses puissances divines sont alors avec nous : la foi en Lui qui vainc toute chose, Son amour, Sa grâce, avec toute Sa force et toutes Ses vertus. Et lorsqu’il est avec nous, qui sera contre nous ? « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ? Mais en tout cela, nous sommes les grands vainqueurs par Celui qui nous a aimés. Ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8 31-39).

En sont témoins les saints de Dieu, du premier au dernier.

 

Si je voulais plaire aux hommes, je ne serais plus le serviteur du Christ


 
Nous ne mentionnerons que certains d’entre eux, par exemple saint Basile le Grand, évêque, docteur œcuménique et confesseur intrépide de la foi. Sous la menace de la saisie de ses biens, de l’exil et de la mort, que proférait à son égard le légat impérial Modeste, il répond : « Tu ne peux saisir les biens de celui qui ne possède rien ; je suppose que tu n’as point besoin de mes vêtements usagés ni de ce petit livre, qui constituent tous mes biens. Et pour ce qui est de l’exil, je n’en ai point peur… car toute la terre est au Seigneur, terre sur laquelle je ne suis moi-même qu’un ‹ étranger et un pèlerin ›… Je ne crains pas non plus les tortures, car la mort me rapprochera plus vite de Dieu, pour qui je vis et que je sers. » À l’étonnement du légat impérial : « Personne ne m’a jamais parlé avec tant d’audace jusqu’à maintenant ! », saint Basile répondit : « C’est parce que tu n’as jamais eu l’occasion, jusqu’à présent, de parler à un évêque. Dans tous les autres domaines, nous nous conduisons avec douceur et humilité, mais lorsqu’on veut nous priver de Dieu et de Sa justice, nous considérons tout le reste comme un rien et nous ne regardons que Lui. » À la fin, Modeste dit : « Réfléchis jusqu’à demain, car je te livrerai aux bourreaux. » Saint Basile répondit : « Je serai le même demain, mais je souhaite que toi aussi, tu restes fidèle à ta parole. » 1

Le docteur de l’univers, le confesseur de la Vérité du Christ, saint Jean Chrysostome, dit aux émissaires de l’impératrice Eudoxie : « Peu m’importe que l’impératrice s’irrite ; je ne cesserai pas de dire la vérité. Car il m’est préférable de mettre en colère l’impératrice plutôt que Dieu. Si je voulais plaire aux hommes, je ne serais plus le serviteur du Christ. »

Le confesseur de l’Orthodoxie très éprouvé, saint Maxime, proclame : « Je ne puis affliger Dieu par le silence sur ce qu’Il m’a commandé de dire et de confesser. Je consens avec plaisir à ce que l’empereur ordonne, si ce n’est pas opposé à Dieu et ne nuit pas au salut éternel de l’âme. » 2

Quant à saint Jean Damascène, il affirme ce qui suit : « Il n’appartient pas aux empereurs d’imposer des lois à l’Église. Car que dit le divin apôtre ? ‹ Dieu a établi dans l’Église premièrement les apôtres, deuxième­ment les prophètes, troisièmement les docteurs › (1 Co 12 28). Il n’a pas dit : ‹ et les empereurs… › La parole de Dieu ne nous a pas été annoncée par les empereurs, mais par les apôtres et les prophètes, les pasteurs et les docteurs… Ce sont les affaires civiles qui sont du ressort des empe­reurs. Quant aux affaires et à l’ordre ecclésiastiques, ils appartiennent aux Pasteurs et aux Docteurs. Autrement, ce serait une usurpation de brigands… Nous t’obéissons, empereur, pour ce qui est des choses de ce monde, les impôts, les taxes, le commerce, pour les domaines sur lesquels tu as autorité, mais, en ce qui concerne les affaires d’ordre ecclésiastique, nous avons des Pasteurs qui nous ont prêché la parole divine et qui ont apporté l’ordre et les lois de l’Église. Nous ne déplacerons pas les bornes qu’ont posées nos Pères, mais nous observerons les Traditions telles que nous les avons reçues. Car si nous commençons à détruire, ne serait-ce qu’en peu de choses l’édifice de l’Église, nous le détruirons ensuite, peu à peu, tout entier… » 3

Le soleil rayonnant de la Vérité orthodoxe, le zélateur chérubique de la Foi orthodoxe, le très saint œil de l’Église, saint Syméon le Nouveau Théologien, higoumène d’un monastère, dit, en présence de nombreux grands personnages, à son évêque diocésain, le Patriarche de Constantinople, qui l’avait injustement exilé et persécuté insidieuse­ment et sournoisement : « Consens donc à nous instruire conformément à la divine Écriture, sur le modèle des saints Pères d’autrefois, et nous te recevrons comme un émule des Apôtres, et nous nous tiendrons sous tes pieds saints comme la poussière de la terre ; être foulé par toi, comme je l’ai déjà écrit, nous paraîtra une consécration. Bien plus, nous observe­rons tes ordres jusqu’à la mort. Mais si tu ne veux pas nous enseigner de manière que nous puissions, comme j’ai dit, obéir à tes injonctions… dans ce cas, notre réponse est toute faite : elle n’est autre que celles disciples du Christ : ‹ Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes › » 4

Telle est la position, telle est la voie, telle est la Vérité de l’Église orthodoxe du Christ, depuis les saints Apôtres jusqu’à nos jours, et de nos jours jusqu’à la fin des siècles terrestres. Sur la base de cette atti­tude, de cette voie, de cette Vérité, on ne saurait faire des concessions, des compromis, des dérogations. Cela, nul ne peut le faire, pas même un Concile œcuménique, s’il se réunissait.

 

Malheur à nous, misérables, car nous avons délaissé la voie des saint Pères


 
Brûlant et nous consumant dans l’incendie des problèmes mentionnés, nous brûlons en fait dans l’incendie de l’apostasie. De tous côtés, le peuple de Dieu, le peuple de saint Sava, est réduit en cendres dans le feu de celle-ci. O combien y a-t-il aujourd’hui de centaines de milliers de non-baptisés dans la nation serbe de saint Sava, combien de non mariés, de non enterrés à l’Église ? Et nous ? Que faisons-nous pour interrompre ce fléau sans précédent qui frappe les âmes serbes ? Les lamentations funèbres brisent nos consciences, et nous nous demandons dans la douleur de notre cœur fidèle à saint Sava : pour quelle raison tout cela se produit-il chez nous ? Parce que nous avons délaissé la voie apostolique des saints Pères. Et notre devoir, notre devoir orthodoxe par excellence, est de confesser par les lèvres de saint Maxime le Confesseur : « Malheur à nous, misérables, car nous avons délaissé la voie des saint Pères et nous sommes dénués de toute œuvre spirituelle » 5. Cette sainte confession a été promulguée par le saint Confesseur au VIIe siècle, à l’époque de la persécution de la foi orthodoxe et de l’Église par les hérétiques et les césars, alors que saint Maxime suivait lui-même le plus fidèlement la voie des saints Pères. Et nous ? Soyons sincères et conséquents jusqu’à la fin avec la logique et l’esprit des Apôtres et des saints Pères, et dressons correctement le diagnostique de nos nombreuses maladies selon l’Évangile :

Dans son histoire millénaire, l’Église orthodoxe serbe n’a jamais été plus gravement malade que maintenant ; c’est un malade sur son lit de mort, dans le râle de l’agonie. Il faut le soigner immédiatement, au plus vite. Et le médecin — le médecin universel — existe ; le remède — le remède universel — existe. C’est la voie divino-humaine des saints Apôtres et des saints Pères ; et à leur suite et avec eux des saints serbes qui ont plu à Dieu, avec saint Sava à leur tête. Sans ce remède, ce remède universel, tous les autres remèdes sont des pansements inefficaces.

Quel fléau fauche les âmes de nos enfants et notre jeunesse privée d’enseignement orthodoxe ! Quelles morts spirituelles ont dévasté notre peuple orthodoxe qui n’est pas instruit de façon orthodoxe et selon les saints Pères. Ne connaissant pratiquement rien de la foi orthodoxe et de la vie ainsi que de la voie des saints Pères, il devient pour cette raison la proie des différentes sectes, qui se déploient de plus en plus et sans obstacle sur la terre de saint Sava. Il est aussi malheureux que nos séminaristes et nos étudiants en théologie, dans les séminaires et à la faculté, ne connaissent pas la voie des saints Pères tant dans la foi que dans la vie, dans l’œuvre et l’organisation ecclésiales, dans la dogmatique et l’éthique orthodoxe, dans l’ecclésiologie orthodoxe, dans la vie liturgique et spirituelle ortho­doxes ; en un mot : dans tous les domaines de l’existence divino-humaine orthodoxe, de l’axiologie et de la critériologie orthodoxes. Et comment ces malheureux enfants pourraient-ils connaître cette voie orthodoxe, celle des Apôtres et des saints Pères, lorsque nous, pasteurs de l’Église, ne l’observons pas, et alors qu’ils ne peuvent ni l’apprendre de nous, ni prendre exemple sur nous ? Aussi, notre première et dernière nécessité est aujourd’hui : revenir sur la voie des saints Pères en tous points et dans chaque domaine de la vie et du travail ecclésial. Il s’agit du retour complet sur la voie divino-humaine des saints Apôtres et des saints Pères et, avec eux, des saints serbes qui ont plu à Dieu, c’est-à-dire le retour à leur foi ortho­doxe immaculée dans le Dieu-homme Christ, à leur vie dans la grâce dans l’Église au moyen de l’Esprit-Saint, à leur liberté dans le Christ, par laquelle II nous a libérés (Ga 5 1), à leur expérience dans la grâce dans le Saint-Esprit, à leurs saintes vertus divino-humaines. C’est cela seule­ment qui peut nous sauver, misérables et malheureux, et nous libérer de l’asservissement aux différentes façons de plaire aux hommes et de nous soumettre à eux, ainsi que laver les péchés que nous avons commis jusqu’à présent. Car cet asservissement est égal à l’idolâtrie, au culte des idoles de notre siècle anarchiste et nihiliste. Sans cela, sans la voie des Apôtres et des saints Pères, sans cheminement par elle vers le seul véritable Dieu — le Dieu-homme et Sauveur Christ, le Chef de l’Église orthodoxe — nous nous noierons indubitablement dans la mer morte de l’idolâtrie culturelle européenne, et nous servirons, non le Dieu vivant et véritable, mais les idoles mensongères de ce siècle, dans lesquelles il n’y a pas de salut, ni de résurrection, ni de déification pour la triste créature qui s’appelle homme.

 

Le testament des saints Pères des sept Conciles œcuméniques


 
Délivrés par le Dieu-homme Christ de l’idolâtrie sous toutes ses formes, voici ce que nous confient dans leur testament les saints Pères des sept Conciles œcuméniques, comme voie orthodoxe unique, voie divino-humaine, par laquelle il faut cheminer intrépidement à travers toutes les nébulosités et les éclipses de ce siècle et de ce monde :

Nos saints Pères, accomplissant le précepte divin de notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, n’ont pas caché sous le boisseau le luminaire de la connaissance qu’Il leur a accordé, mais l’ont placé sur le chandelier de l’œuvre la plus utile — l’enseignement — afin qu’Il illumine tous ceux qui se trouvent dans la maison, c’est-à-dire tous ceux qui glorifient Dieu dans l’Église universelle orthodoxe, afin qu’aucun de ceux qui confessent le Seigneur pieusement (= selon l’Orthodoxie) ne heurte ses pieds sur la pierre de la cacodoxie hérétique. Car les saints Pères chassent dehors toute erreur hérétique, et retranchent tout membre gangréné, s’il est incurable. Ayant un van, ils nettoient l’aire de battage ; ce faisant, ils rassemblent le blé, c’est-à-dire la parole nutritive, fortifiant le cœur de l’homme, dans le grenier de l’Église orthodoxe universelle, tandis qu’ils brûlent les mauvaises herbes de l’enseignement hérétique maudit dans un feu inextinguible… Mais nous, observant en tout l’enseignement de ces Pères théophores qui sont nôtres, nous prêchons cet enseignement d’une seule bouche et d’un seul cœur, n’ajoutant rien et ne retranchant rien de ce qu’ils nous ont transmis. Quant à nous, nous nous appuyons et nous nous renforçons en lui. Nous confessons et nous enseignons comme l’ont défini et confirmé les six saints Conciles œcuméniques… Et nous croyons que ce n’est point un médiateur ni un ange, mais le Seigneur Lui-même qui nous a sauvés (Is 63 9). Et nous, Le suivant et adoptant Sa voie, nous nous acclamons à pleine voix : ce n’est ni le Concile, ni le pouvoir impérial, ni le complot de ceux qui sont haïs de Dieu, qui nous ont sauvés de l’erreur des idoles, comme divague le sanhédrin juif, se prononçant présomptueu­sement contre les saintes icônes. Mais c’est le Seigneur de gloire même, le Dieu incarné qui a délivré l’Église de l’erreur idolâtre. Aussi, à Lui la gloire, à Lui l’honneur, à Lui l’action de grâce, à Lui la louange, à Lui la majesté, à Lui appartiennent la rédemption et le salut ; Lui seul peut sauver pleinement, nul parmi les mortels ne peut le faire… Aussi : ainsi que les prophètes ont vu, que les apôtres ont enseigné, que l’Église a reçu la tradition, que les docteurs ont défini, que l’univers a unanimement consenti, que la grâce a resplendi, que la vérité a éclaté, que le mensonge a été expulsé, que la sagesse a parlé avec assurance, que le Christ a triomphé, ainsi nous pensons, ainsi nous parlons, ainsi nous prêchons, honorant le Christ, notre vrai Dieu… Telle est la foi des Apôtres, telle la foi des Pères, telle la foi des orthodoxes, telle la foi qui a affermi l’univers.6

 

L’indigne archimandrite Justin Popović, aumônier du Monastère de Ćelije
En la fête de saint Sava 1971

 

Bernard Le Caro, Saint Justin de Tchélié, L’Âge d’homme, Lausanne, 2017, p. 238-244

 


 

 

  1. Saint Grégoire le Théologien, PG 36, col. 560-1
  2. PG 90, col 126 et 161
  3. PG 94, col. 1297
  4. Vie de saint Syméon le Nouveau Théologien par Nicétas Stethatos, Rome, 1928, p. 149
  5. PG 90 932
  6. Actes du VIIe Concile œcuménique, 4e session, et Synodikon de l’Orthodoxie

Sur le même thème

Pas de commentaire

Laisser un message

Rapport de faute d’orthographe

Le texte suivant sera envoyé à nos rédacteurs :