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Homélie pour le Dimanche des Rameaux par le métropolite Philarète de Moscou

25 avril 2021

Il est agréable et beau de contempler l’image du soleil dans le miroir d’une onde pure, qui la reproduit à l’œil du spectateur, moins radieuse, mais plus accessible que le disque qui brille au haut des cieux. De même, aussi, notre intelligence élevée à Dieu se plaît à admirer, dans les sources limpides d’Israël, je veux dire dans la parole inspirée des prophètes, le glorieux reflet du soleil de justice, qui est notre Seigneur Jésus Christ, bien qu’Il y resplendisse moins que dans le livre des évangiles, mais toujours sous des traits qui nous révèlent ses attributs divins, son action miraculeuse et les profonds mystères de l’œuvre du salut.
 

 

L’évangéliste Matthieu lui-même n’a pas jugé superflu de nous signaler la Gloire du Seigneur et le mystère de la solennité présente, en empruntant à cet effet les paraboles du prophète Zacharie. Relisons donc, mes frères, le texte formel de la prophétie, que l’évangéliste abrège en le rapportant; Réjouis-toi hautement, fille de Sion; prêche, fille de Jérusalem, voici que ton Roi vient à toi, apportant la justice et le salut. Il est doux, et Il est assis sur un animal de somme et un jeune ânon. (Zach 9,9). Ici, deux objets se présentent à nos méditations : l’accomplissement miraculeux de la prophétie, et une nouvelle prédication d’un événement nouveau.

Quand bien même l’accomplissement de la prophétie de Zacharie ne serait pas encore manifesté, il suffirait d’étudier attentivement cette prédication pour nous convaincre qu’elle annonce un événement miraculeux. En effet, pouvait-on s’attendre à ce qu’un Roi, aux approches de la capitale, y entrât triomphalement assis sur un jeune ânon, né d’une ânesse façonnée au joug ? Et si quelqu’un se fut ainsi présenté en s’attribuant la dignité royale, pensez-vous qu’on l’eut accueilli par des transports de joie et des acclamations, plutôt qu’avec dérision et outrage ? Dans l’antiquité, les monarques vainqueurs faisaient leur entrée sur de superbes coursiers; les grands et les riches voyageaient, à la vérité, d’après un usage antique, portés par des mules ou des ânesses, mais choisir pour monture un ânon né d’une bête de somme et de plus non dressé et suivant sa mère, voilà ce qui est peu convenable et inusité de la part d’un souverain. Comment vint-il donc à l’esprit de Zacharie de nous prédire l’entrée solennelle d’un roi humblement assis sur l’ânon d’une ânesse façonnée au joug ? Et comment une telle prédiction a-t-elle pu s’accomplir ? Certes, c’est Dieu qui l’a voulu et disposé de la sorte. Aussi les Juifs eux-mêmes, frappés d’une prophétie qui se rapporte à une pompe entièrement inusitée, s’accordent-ils jusqu’à nos jours à interpréter la prédiction de Zacharie sur ce Roi si doux, comme se rapportant au Messie, autrement au Christ; bien que ces infortunés ne le veuillent pas reconnaître dans la personne de Jésus miséricordieux…

Mais si la grandeur d’un événement extraordinaire perce dans les paroles de Zacharie, la contemplation attentive de l’événement lui-même peut nous révéler des choses bien autrement merveilleuses et essentiellement divines.

Toutes les fois qu’un monarque s’apprête à entrer solennellement dans sa résidence royale, combien de préparatifs et de dispositions préalables devancent une telle solennité. Ici, nous ne voyons rien de semblable; nuls apprêts commandés par le Seigneur jusqu’au jour où jusqu’à l’heure même de son entrée à Jérusalem. Hier encore, Il soupait à Béthanie, où Il avait ressuscité Lazare; et lorsqu’on répandait des aromates précieux sur ses Pieds, Jésus ne parlait d’aucune mesure préalable à son intronisation, mais au contraire, Il annonçait sa sépulture. Le peuple était accouru en grand nombre. Toutefois, ce n’était pas seulement à cause de Jésus, mais pour voir Lazare (Jn 12,9). Aujourd’hui, dès le matin, Il se rend à Jérusalem accompagné de ses disciples, ainsi qu’Il avait coutume de le faire en d’autres occasions. Il marchait devant eux, écrit saint Luc, et montait vers Jérusalem (Lc 19,28). Nuls préparatifs, personne ne songe à Le proclamer Roi. Ces choses n’étaient pas comprises par ses disciples auparavant. Soudain, la solennité commence et aussitôt, elle s’accomplit, et elle advint. Avant d’avoir atteint Bethphagé, à peu de distance de la cité sainte, Jésus donne un ordre inattendu : et lorsqu’Il eut atteint Bethphagé et Béthanie, tout proche du mont des Oliviers, Il envoya deux de ses disciples en leur disant : allez vers le bourg qui est devant vous, et en y entrant, vous trouverez un ânon sur lequel jamais aucun homme ne s’est assis; ou bien, d’après le récit plus circonstancié d’un autre évangéliste : un âne attaché et un ânon avec lui. Observez attentivement, mes frères, le procédé divin de Celui qui est notre Roi. Il envisage la prophétie; Il voit s’approcher l’instant où elle doit s’accomplir; mais les instruments de l’œuvre manquent. Alors, Il abaisse un regard de sa Sagesse infinie et aussitôt tout est trouvé sous sa Main. Vous trouverez, dit-Il, un âne attaché et un ânon avec lui. Il est étonnant que l’instrument se soit trouvé prêt, mais ce qui ne l’est pas moins, c’est la manière dont on en dispose. Après l’avoir délié, amenez-le-Moi, dit Jésus à ses disciples. Seigneur ! auraient pu répondre les envoyés, comment détacherons-nous l’animal d’autrui, nous qui lui sommes inconnus et comment l’emmener à l’insu du maître ? En effet, la chose était de nature à embarrasser les apôtres; et l’impossibilité manifeste de remplir l’ordre donné eut pu les porter à désobéir, puisque dans une conjoncture différente, un seul obstacle les mit en fuite et les porta à renier leur Maître. Alors, que devenait l’œuvre destinée à accomplir la prophétie ? Cependant, la divine prescience de notre Roi avait prévu l’empressement de ses envoyés, et sa puissance fortifia leurs cœurs contre le doute. Cette même prescience prévit la question du propriétaire de l’ânesse : Pourquoi le détachez-vous ? Et par l’effet de ce même empire sur les cœurs, une réponse fut préparée, qui devait être irréversible, quoique peu persuasive en apparence : Le Seigneur le demande. Et voilà que les envoyés prennent et ramènent l’animal sans savoir à qui il appartient; et voilà que le propriétaire le leur abandonne, sans savoir à qui ni à quel usage. Cependant, une foule de peuple, qui n’est point venu à l’appel royal, mais qui s’est assemblé pour la fête, ce peuple n’est point accouru à la voix du héraut, mais au bruit de la résurrection de Lazare et se porte en masse à la rencontre de Jésus. Saisie d’un transport soudain, cette foule, pour toute pompe, étend ses vêtements sous ses pas et remplace les insignes et les armes d’un cortège royal par de jeunes rameaux; elle Le précède, elle marche à sa suite, elle salue par des acclamations ce Roi plein de douceur, paisiblement assis sur un jeune ânon, qu’aucune main d’homme n’a dressé jusqu’à ce jour à porter un fardeau. D’où sont provenues ces étranges circonstances ? En vérité, tout ceci n’advint que pour accomplir ce qui avait été dit par le prophète. L’impossible s’accomplit pour manifester l’action de Celui à qui rien n’est impossible.

Nous contemplons ainsi, mes frères, l’accomplissement miraculeux de la prédication de Zacharie. Mais aiguisons l’œil de notre esprit et nous découvrirons au fond de cet événement une prophétie nouvelle relative à un événement bien autrement miraculeux.

Que signifie en effet la royale entrée de notre Seigneur à Jérusalem ? Pourquoi cette prédication si extraordinaire ? Pourquoi cette profusion de miracles ? Quel est le but de ces dispositions inaccoutumées ? Quelle sera la conséquence de cette opération divine ? Où est le fruit de cette manifestation imposante, mais passagère du Roi de Sion ? Pareil à l’éclair, le royaume des cieux brille et se déploie sur Jérusalem; et aussitôt comme l’éclair, le voilà englouti par la région des ténèbres. Le peuple d’Israël est encore à s’assembler pour aller au-devant du Roi de Justice et de salut, et déjà l’iniquité médite sa perte et celle de Lazare qui a servi à le glorifier : les prêtres délibèrent pour faire périr aussi Lazare. Les jeunes enfants Le saluent avec simplicité de cœur lors de son entrée dans le temple; et déjà les hommes du pouvoir et de la science, les prêtres et les scribes s’indignent; leur fureur les emporte jusqu’à ne pouvoir dissimuler leur indignation. Aujourd’hui encore l’on dira à la fille de Sion : « Voici ton Roi vient à toi » et dans peu de jours, cette même fille de Sion, c’est-à-dire la population de Jérusalem criera : nous n’avons point de Roi, et ce Roi même repoussera le prestige de la royauté : Mon royaume, dira-t-Il, n’est pas de ce monde. Aujourd’hui Hosanna au fils de David; mais bientôt nous entendrons une autre clameur : crucifiez-le ! Pourquoi donc cette pompe si brillante et ce spectacle qui s’évanouissent ? Mais vous avez déjà dit, objectera-t-on, que toutes ces choses se firent pour accomplir la parole du prophète ? J’ai dit, en effet, que l’événement a été prédit d’une si merveilleuse façon, afin que l’on put reconnaître dans cette prédication la parole de Dieu. Mais examinons à quelle fin la parole divine devança et signala l’œuvre de Dieu. Toutes les fois que le Créateur parle et qu’Il fait descendre sur la terre une parole messianique de l’œuvre qu’Il a résolue, il faut de toute nécessité qu’il en résulte un bien quelconque essentiel et durable, non quelque phénomène momentané. Autrement, à quoi servirait l’œuvre de Dieu ? À quelle fin sa parole souveraine s’abaisserait-elle à des détails aussi mesquins en apparence que l’âge d’un jeune ânon ? Ne soupçonnez-vous pas ici, mes frères, une énigme dont la solution vous embarrasse ? Parvenu à ce point, pour ne pas dépasser les limites de la vraisemblance, je me tais, qu’un autre prenne ma place et vous donne le mot de l’énigme en vous révélant cet auguste mystère, ce sera saint Jean Chrysostome.

Écoutez-le, lorsqu’il explique le mystère de l’entrée solennelle du Seigneur dans Jérusalem :
 

« Ici, dit-il, par l’image du poulain sont désignés l’Église et le peuple nouveau, naguère encore impur, mais dès que Jésus s’y fut placé, devenu pur. Et voyez comme partout la conformité est conservée. Car les disciples délient l’ânon; de même ce furent les apôtres qui furent chargés d’appeler les Juifs et nous autres chrétiens pris parmi les gentils. Nous fûmes en effet amenés au Seigneur par les apôtres, attendu que notre ardeur devint l’émule de celle d’Israël. Voilà pourquoi l’on nous présente une ânesse à la suite d’un poulain. Lorsque le Christ Se sera assis en Maître sur les nations; alors les Juifs viendront à Lui en rivalisant avec elles. Et c’est ce que Paul entendait lorsqu’il disait qu’une portion d’Israël avait été frappée d’aveuglement jusqu’à ce que la plénitude des gentils fut ramenée, et qu’ainsi Israël tout entier sera sauvé. Que c’était là une prophétie rien de plus manifeste par la contexture du discours car le prophète n’eut pas mis tant de soins à indiquer l’âge de l’ânon, s’il en était autrement. Au surplus, ces paroles nous révèlent que les apôtres allaient s’acquitter de leur tâche avec facilité. Ici, personne ne s’oppose aux disciples qui s’emparent de l’animal désigné; de même, parmi les païens, nul ne peut prévenir le début de la mission des apôtres. Le Seigneur ne S’assied point sur le dos de sa monture avant qu’elle ait été couverte des vêtements des apôtres, car ceux-ci ayant emprunté l’ânon à autrui, s’empressent d’y joindre tout ce qu’ils possèdent d’après la parole de l’apôtre : quant à moi, je me consume avec délices et je serai consumé pour vos âmes. Remarquez encore la docilité du poulain, qui n’étant pas dressé et ne connaissant point le frein, ne se livre à aucun écart, mais se soumet et marche paisiblement. Or, ceci est encore une figure de l’avenir, qui présage la soumission des gentils et leur soudaine conversation à la loi de grâce. Tout en effet se trouve prédestiné par cette parole : déliez-le et amenez-le Moi, tout, jusqu’à transformer la licence en un ordre divin et les souillures en pureté ».

 
Ici s’arrête saint Jean Chrysostome. Essayons maintenant de récapituler les enseignements de cet élu du Seigneur, de manière à les rendre, s’il peut encore, plus compréhensible. L’entrée du Christ à Jérusalem n’est point une simple manifestation du présent, mais bien une prophétie et une figure du futur avènement à la royauté. Son royaume n’est pas cette Jérusalem déjà vouée à la destruction, ni le sol de la Judée, que l’on va bientôt dévaster et asservir, non; ce royaume, c’est l’Église contre laquelle les portes de l’enfer seront impuissantes. L’ânesse et l’ânon sur lequel Jésus S’assied pour faire son entrée royale préfigurent deux races d’hommes, sur lesquels Il vient régner spirituellement, savoir : les Juifs et les gentils. L’ânesse façonnée au joug est l’image des Juifs qui avaient longtemps porté sur leurs têtes le joug de la loi, joug que ne purent endurer ni nos pères, ni nous, d’après le témoignage de l’un d’entre eux; joug qu’il fallut par conséquent échanger contre celui de Jésus Christ, contre son fardeau qui n’est pas pesant. L’ânon encore non dressé désigne les païens, qu’aucune discipline n’avait apprivoisés et qui ignoraient la loi. Les apôtres s’emparent de l’ânesse et de l’ânon sans résistance : ce qui signifie qu’au mépris des obstacles, les apôtres soumettent au pouvoir de Jésus Christ les hébreux et les nations païennes. Notre Seigneur s’assied sur l’ânon et l’ânesse marche à sa suite; cela signifie que les païens se soumettent à Lui en plus grand nombre et que lorsqu’ils seront entrés dans le sein de l’Église selon la mesure de leur prédestination, alors le reste des Juifs se convertira et les atteindra dans la voie du salut. L’ânon non dressé reçoit et porte sur son dos le Roi qui le conduit, ce qui indique l’empressement des nations à répudier toute licence et à recevoir la doctrine et les préceptes du Rédempteur. Le peuple étend ses vêtements sous les pas du Roi de la paix, de même que les vrais disciples du Christ Lui sacrifient avec joie tout ce qu’ils possèdent. Enfin, des enfants L’accueillent avec transport et chantent ses louanges : c’est là l’image de ces enfants innocents qui accueillent le Christ avec une foi sincère et Le glorifient par la ferveur de l’amour.

Chrétiens, enfants du royaume de Jésus ! si nous contemplons la gloire, si nous pénétrons le mystère de la solennité présente; ah ! ne souffrons point qu’elle se déploie à nos regards et passe comme un spectacle qui nous est étranger; car ce serait nous condamner nous-mêmes à rester étrangers au royaume de notre Sauveur…

Tous, enfin, mes bien-aimés frères, tous, tant que nous sommes, entonnons avec la sincérité de l’enfance ces cantiques : Hosanna au fils de David ! nous voulons que Celui-ci règne sur nous, dès ce jour et dans l’éternité. Amen.

 
 

 


 

Homélie disponible en format numérique [pdf] sur le site des Vrais chrétiens orthodoxes francophones

 


 

 

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